JUSTICE

Faire appel au TIG, une solution payante pour les collectivités territoriales ?

Faire appel au TIG, une solution payante pour les collectivités territoriales ?
Publié le 01/02/2025 à 09:22

L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle travaille à étendre l’offre de travail d'intérêt général sur l’ensemble du territoire, et au développement de cette peine alternative à l'incarcération. Partenaires de taille : les collectivités territoriales, et surtout les communes, qui semblent y trouver leur compte.

« Si c’était à refaire, je le referais, oui, à 1 000 % ! » Irène Thibaut, maire de Senneçay (Cher), est de ces élus qui prônent, de plus en plus, le recours à des tigistes pour diverses missions communales.

En 2020, approché par l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip), le conseil municipal de ce petit village a donné son accord pour accueillir des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général. « Il y a eu ainsi un jeune homme de notre commune à qui l’on a demandé d’entretenir un bois et d’enlever des ronciers. Aujourd’hui, nous avons un chemin accessible, et un bel endroit où se promener », explique l’édile. Le jeune homme, lui, semble désormais parfaitement intégré et a même fondé une famille… avec une autre tigiste.

Peine alternative à l’incarcération louée par les différents ministres de la Justice depuis sa création, en 1983, le TIG tente une remontée, après des années de délaissement par les tribunaux judiciaires. Et pour cela, il peut compter sur les collectivités territoriales, indispensables partenaires de l’Atigip. Un choix gagnant pour l’ensemble des parties ?

« Tisser du lien entre les auteurs et la collectivité »

Senneçay, Châteauroux, Baie de Somme, Haute-Saône… qu’elles soient départements, agglomérations ou villes, les collectivités territoriales représentent aujourd’hui 67 % de l’offre du TIG, contre près de 75 % en 2019. Une chute libre expliquée en partie par la crise sanitaire - qui a fortement réduit les possibilités de TIG -, mais aussi par l’augmentation des aménagements ab initio prononcés par les tribunaux ainsi que la baisse des courtes peines de prison.

En 2022, dans Le Monde, Ivan Guitz, magistrat et ex-président de l’Association nationale des juges de l’application des peines, déplorait : « Les aménagements ab initio (…) sont prononcés en dépit du bon sensLà où on prononçait du TIG, on prononce de l’emprisonnement aménagé en DDSE, à la demande même des intéressés et de leur avocat. Tout le monde sort content de l’audience. Entre se lever le matin pour aller travailler gratuitement dans une mairie et rester chez soi à regarder des vidéos ou jouer à la console, le choix est vite fait ».

L’intérêt des villes pour cette main d’œuvre éphémère – et gratuite – placée pour effectuer des missions de service public de plus en plus diversifiées ne faiblit pourtant pas, assure-t-on du côté du ministère de la Justice. Aujourd’hui, près de 36 000 postes de TIG sont recensés. L’ex-ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti avait, en juin 2023, exprimé encore le souhait de réduire la surpopulation carcérale et d’augmenter le prononcé de peines au caractère plus « réparateur ». « C’est la seule (peine) qui fait participer de manière directe la société civile à l’œuvre de justice et tisse du lien social entre les auteurs et la collectivité », avait-il alors plaidé à l’occasion du 40e anniversaire du TIG.

10 182 collectivités prévoient une offre de TIG

Plus que jamais invitées à prendre leur part, les collectivités territoriales bénéficient, depuis 2019, de l’accompagnement du réseau territorial de l’Atigip, qui recense 77 référents répartis dans toute la France. Présente au dernier Salon des maires avec la ferme volonté de se faire connaître des élus locaux, l’agence noue des partenariats avec les municipalités et les territoires sous forme de conventions, dont elle souhaite voir le nombre augmenter. Objectifs affichés : « renforcer la mise en œuvre de la peine de TIG au sein des collectivités, diversifier l’offre de poste et en faire un levier éducatif, d’insertion et de cohésion sociale ».

Cette offre semble trouver un écho auprès des politiques et des pouvoirs de proximité. Début 2023, France urbaine, l’association des grandes villes, agglomérations et métropoles, et l’Atigip ont signé une convention de partenariat d’une durée de quatre ans, symbole de « la nécessaire relation entre les institutions judiciaires et les élus » et de « l’approche globale de la sécurité et de la prévention (…) à laquelle sont attachés les élus urbains, avait déclaré la présidente de France urbaine et maire de Nantes, Johanna Rolland. Je me félicite de ce partenariat car le travail d’intérêt général, auquel recourent de plus en plus les collectivités territoriales, donne des résultats positifs et efficaces ». 

Des collectivités territoriales, qui, à l’instar de Senneçay (451 âmes), ne sont pas représentées que par des grandes villes. Une convention de partenariat a également été nouée entre l'agence et l'Association des maires ruraux de France. En 2023, un maillage de 10 182 collectivités territoriales partenaires pouvait accueillir des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général.

Développer la création d’emploi en ruralité

De quoi rattraper le temps perdu ? Si les tigistes sont, par définition, employés par l’Etat, leur peine est prononcée par le tribunal ; et depuis 2021, l’habilitation et l’inscription des postes de TIG est confiée aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Mais la réussite de la peine de TIG dépend d’un réseau partenarial, et dans les territoires, le lien entre associations, collectivités et organismes aux missions de service public demeure vital.

En 2021, Éric Dupond-Moretti avait choisi Pau pour annoncer la toute nouvelle plateforme TIG 360° et convaincre les élus des bénéfices de cette alternative à l’incarcération. L’actuel Premier ministre François Bayrou, qui en était maire, avait vanté à l’époque une ville modèle la matière – Pau accueille en effet près de 200 postes de cette nature. 

Il avait ainsi réagi dans La Gazette des communes : « Nous sommes l’une des villes (…) qui a choisi d’offrir le plus de TIG. En 2014, quand j’ai été élu, la collectivité offrait huit postes. J’ai été ministre de la Justice une courte période (un mois en 2017, ndlr). Il me paraissait utile que notre ville soit exemplaire. »

L’Agitip incite aujourd’hui ses partenaires à proposer une offre au plus près des besoins de la personne condamnée et de l’employeur. « Le travail en collectivité territoriale permet de varier les tâches, explique Céline Vereecke, référente territoriale du TIG dans le Cher et dans l’Indre. Nous allons au-delà de la simple image des tigistes nettoyant les bords des routes. En mairie, il y a des postes d’accueil, d’archivage, dans les équipements sportifs, dans les théâtres, les bibliothèques… Nous évaluons les missions qui conviennent le mieux à la personne. Les mots intérêt général prennent tout leur sens : c’est une peine utile, au service de la société ». 

Dans les communes, l’Atigip oriente son public vers les métiers en tension, et travaille au développement de la création d’emploi en ruralité. Avec un tuteur, un accompagnement à la formation professionnelle, la transmission d’un savoir-faire et d’un savoir-être, les tigistes doivent achever leur peine munis d’une feuille de route pour leur réinsertion dans la société.

« En tant que maire, je crois aux secondes chances »

Seulement, trouver des postes adaptés aux personnes et à leurs compétences n’est pas si simple, lorsqu’on prend en compte la réalité du terrain. L’un des freins, par exemple, est que beaucoup de tigistes, condamnés à la suite d’infractions routières, n’ont plus de permis de conduire.

Certaines conventions prônent alors la proximité : ainsi, celle conclue avec l’agglomération de la Baie de Somme mentionne que les futurs tigistes accueillis doivent résider sur le territoire. La mobilité reste un vrai défi, de même que l’emploi du temps des tigistes, nombreux à travailler. Mais « le TIG est souple et s’adapte à chaque partie, détaille Céline Vereecke. Les personnes peuvent travailler les week-ends et en horaires décalés, à condition de ne pas dépasser les 48h par semaine ».

« Certains maires peuvent aussi émettre des craintes par rapport à certains condamnés, soulève Aymeric Haber, chef du service du TIG à l’Atigip. Nous apportons du contexte pour apaiser ces peurs. Il est important de bien leur expliquer la démarche ».

Irène Thibaut, elle, n’a eu comme seule demande que les condamnés accueillis par sa municipalité n’aient pas, parmi leurs antécédents, « des problèmes avec des enfants ». « Même si, finalement, on ne connaît pas la raison de la condamnation, précise-t-elle. En tant que maire, je crois aux secondes chances et à l’inclusion. Les tigistes qu’on accueille sont très appréciés par les habitants. Et c’est une chance pour nous, ce personnel gratuit ».

Aymeric Haber mesure : « Les tigistes ne sont pas une variable économique, ce sont des collaborateurs occasionnels. Le but pour eux est vraiment d’acquérir des compétences. Nous nous tournons de plus en plus vers l’éco-citoyenneté, l’entretien des espaces naturels, l’agriculture et l’alimentation durables… Des missions aux dimensions sociales et très concrètes, sur lesquelles tout le monde est amené à réfléchir, et qui donnent des retours très positifs ».

Mylène Hassany

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