Le récent rapport
« Futurs énergétiques 2050 » de RTE (Réseau de transport
d’électricité) a montré que le développement des énergies renouvelables
électriques était nécessaire pour atteindre la neutralité carbone en 2050,
indépendamment même des choix effectués sur le nucléaire. Or, la France accuse
encore un retard dans le déploiement des moyens de production d’énergie renouvelable.
Elle compte donc en particulier sur l’énergie solaire photovoltaïque pour y
remédier.
Afin d’y parvenir, le gouvernement compte sur un nouveau
projet de loi qu’il a choisi de désigner comme relatif « à l’accélération des énergies
renouvelables ». Au cas présent, l’accélération consiste principalement à
raccourcir voire supprimer les procédures de consultation du public ou celles
relevant de la protection de l’environnement, ce qui a déjà suscité de nombreuses
observations. Moins commentée a été la partie relative aux financements de ces
énergies renouvelables. Pourtant, sur ce sujet, si le développement de
l’énergie solaire photovoltaïque continue d’être favorisé en priorité par des
mécanismes de soutien s’appuyant sur nos finances publiques, de nouveaux
mécanismes tendent à voir le jour, dans un contexte de hausse des coûts de
l’électricité et de soutien législatif accru aux énergies renouvelables. Les
praticiens se posent donc désormais la
question suivante : quel modèle économique choisir pour le photovoltaïque ?
Jusqu’à aujourd’hui, une filière
nécessairement soutenue par les pouvoirs publics
Tout d’abord, il convient de rappeler que les pouvoirs
publics accompagnent l’installation de centrales photovoltaïques, qu’il
s’agisse d’un soutien par appel d’offres, destiné aux plus grandes
installations, ou d’un soutien dans le cadre du guichet ouvert, lequel permet
aux plus petites centrales de bénéficier d’un tarif d’achat ou d’un complément
de rémunération, dès lors qu’elles sont éligibles au sens de l’article D. 314-15 du
Code de l’énergie.
Le récent décret n° 2021-1300 du
6 octobre 2021 est venu étendre le périmètre du guichet ouvert pour les
installations photovoltaïques. En plus des simples bâtiments, sont désormais
concernés les ombrières et les hangars. Surtout, le plafond est réhaussé à une
puissance de crête installée inférieure ou égale 500 kW, contre 100 kW précédemment.
De même, le projet de loi « relatif à l’accélération des
énergies renouvelables » prévoit en son Titre II des mesures spécifiques « à l’accélération du photovoltaïque »
tenant à « démultipli[er] les
possibilités d’implantation, afin d’atteindre l’objectif de multiplier par huit
notre capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW à
l’horizon 2050 ».
Ces mécanismes ont certainement contribué à favoriser le
développement de panneaux solaires et des résultats sont d’ores et déjà à
observer : selon les chiffres de France Territoire Solaire, ce sont
2,574 GW qui ont été raccordés sur l’année 2021. Il s’agit d’une forte
augmentation qui ne doit pas uniquement aux réaffectations des résultats de
2020.
Limites du système actuel des
financements publics et nouveaux modèles économiques
Cela étant, ce modèle économique fait face à certaines limites. Outre les développeurs
évincés ou dont le projet n’entre pas dans des installations éligibles à
l’obligation d’achat, le signal prix, qui a longtemps empêché ces porteurs de
projets de s’émanciper d’un mécanisme de soutien, pourrait désormais, au
contraire, les pousser à chercher des solutions alternatives de financement.
En effet, l’obligation d’achat de l’électricité par EDF à un tarif réglementé (L. 314-1 du Code de l’énergie) et le
complément de rémunération – dispositif permettant de recevoir, après vente sur
les marchés de l’électricité, un complément de revenus afin que le revenu total
atteigne le niveau de tarif garanti par l’État
– sont fondés sur le principe de la fixation d’un prix par l’État,
censé être supérieur aux prix des marchés et permettant aux développeurs de
rentabiliser l’opération.
Or, les prix de l’électricité augmentent. Comme l’indique
France Territoire Solaire, au 4e trimestre, cette augmentation du prix du marché a été si
élevée qu’elle a dépassé le tarif fixé dans le cadre du complément de
rémunération. Si cette augmentation se pérennise, des producteurs d’énergie
renouvelable pourraient être conduits à reverser le surplus à l’État.
En effet, si le prix de marché est supérieur à ce tarif, le producteur doit en
reverser la différence à l’État (R. 314-49 du
Code de l’énergie).
Parallèlement, de nouvelles solutions se démocratisent.
L’une d’entre elles consiste en la conclusion d’un
contrat d’approvisionnement de long terme conclu directement avec le
consommateur final, en dehors de tout mécanisme de soutien. Ces contrats
répondent à la dénomination de « Corporate Power Purchase Agreement »
ou « CPPA ».
Avantages et inconvénients du CPPA
Il s’agit d’un contrat de droit privé liant un
producteur d’électricité à un ou plusieurs consommateurs et dans lequel le
producteur et le consommateur s’obligent réciproquement à produire et acheter
l’électricité durant une période définie à un certain prix.
Pour le consommateur, l’avantage peut être double. Sur
le plan économique, ce type de contrat permet de s’assurer d’être livré d’une
électricité à un coût constant. Sur le plan environnemental et réputationnel,
il offre au consommateur la possibilité de disposer d’une électricité issue
d’une source d’énergie renouvelable.
À l’inverse,
pour le producteur, ce contrat de vente directe d’électricité n’offre en
principe pas la même garantie qu’un contrat d’obligation d’achat au sens de
l’article?L. 314-1
du Code de l’énergie, et pour cause : contrairement à l’État,
rien ne garantit au producteur d’électricité que son cocontractant sera
effectivement à même d’acheter sa production définie dans le contrat, qui est
de plusieurs années, voire de plusieurs décennies. Le risque financier n’a
longtemps laissé qu’une place marginale aux CPPA.
CPPA et commande publique :
l’application des CPPA aux communes
Les communes pourraient figurer parmi les premières
intéressées à la conclusion de ces corporate PPA. En effet, à l’instar d’une
entreprise, les collectivités ont des dépenses énergétiques incompressibles et
subissent en conséquence l’augmentation et l’instabilité des prix du marché.
Toutefois, elles doivent faire face à un obstacle supplémentaire : le droit de la commande publique.
Plus précisément, un risque d’illégalité eu égard à la
durée des contrats, dans laquelle réside pourtant tout l’intérêt de ces
contrats, pourrait surgir. En effet, celle-ci dépasse largement le cadre des
contrats de fourniture passés en matière de commande publique. Le risque est
réel : les candidats évincés par les appels d’offres constituent autant
d’éventuels requérants.
Malheureusement, le projet de loi relatif à
l’accélération des énergies renouvelables ne vient pas apporter de solution
directe à cette
situation. Il n’a
néanmoins pas encore été soumis à amendements du Parlement. Ainsi, l’avis rendu
par le Conseil National de la Transition Écologique le 8 septembre
2022 encourage le développement de ces contrats d’achat et note que certains de
ses membres souhaitent voir « étendue la possibilité de
contractualisation aux collectivités, en
veillant au respect des principes d’égalité de traitement des territoires et de leurs habitants ». Affaire à suivre donc.
Évolutions proposées par le projet de
loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables : cadre juridique
des CPPA et acceptabilité des projets
Le projet de loi relatif à l’accélération des énergies
renouvelables, paru cet été, comprend un Titre IV dénommé « Mesures
transversales de financement des énergies renouvelables et de partage de la
valeur ».
S’agissant, en premier lieu, du financement des énergies
renouvelables, le projet de loi vient opportunément créer un cadre juridique
aux contrats CPPA, qui n’existait pas jusqu’alors. Ainsi, l’étude d’impact du
projet de loi précise que l’objectif poursuivi par l’article 18 dudit projet
est de « définir un cadre juridique pour les producteurs qui vendent
l’électricité qu’ils produisent à un consommateur final, en précisant les
conditions dans lesquelles cette activité s’exerce dans le cadre des
dispositions mentionnées à l’article L. 333-1 du Code l’énergie ».
À ce titre, l’article L.
333-1 du Code de l’énergie, qui régit les conditions de l’activité d’achat
d’électricité pour revente aux consommateurs finals, serait modifié pour
accueillir l’hypothèse de « producteurs d’électricité concluant un contrat de
vente directe d’électricité à des consommateurs finals ou à des gestionnaires
de réseaux pour leurs pertes ». En conséquence, ces acteurs devront également
être titulaires d’une autorisation délivrée par l’autorité administrative, ou
bien pourront convenir avec un titulaire de cette autorisation qu’ils assurent
par délégation les obligations pesant sur les fournisseurs d’électricité,
notamment celles prévues au chapitre V du présent titre III et relatives à la
contribution des fournisseurs à la sécurité d’approvisionnement en électricité.
Cette disposition clarifie donc dans la loi la possibilité pour les producteurs
de vendre l’électricité qu’ils produisent à un consommateur final.
S’agissant, en second lieu, du
partage de la valeur, il convient de rappeler que celui-ci répond à l’objectif
de rendre plus acceptables les projets pour les riverains – ou de leur faire
accepter les projets, en particulier en leur octroyant une contrepartie.
C’est ainsi que le projet de loi propose d’imposer aux
fournisseurs d’électricité d’accorder une remise sur leur facture aux riverains
des parcs, qui leur serait remboursée au titre des charges de service public de
l’électricité.
Si cette solution venait à être choisie, il s’agirait
d’une petite révolution. En effet, la question de l’acceptabilité des projets
d’énergie renouvelable fait débat et a même pu nourrir la campagne
présidentielle. Jusqu’alors et en application du droit européen – Directive
(UE) n° 2018/2001 du 11 décembre 2018, dite « RED II » –, les articles L.
291-1 et suivants du Code de l’énergie prévoyaient la possibilité de créer des
« communautés d’énergie renouvelable » fondées sur un double principe de
partage de la valeur et de partage de la gouvernance. Ces communautés
reposaient sur l’idée qu’en partageant la gouvernance des projets d’énergie
renouvelable, ceux-ci deviendraient plus acceptables aux yeux des riverains.
Tel qu’il est rédigé, le projet de loi semble cependant
mettre de côté le partage de la gouvernance. Étant
toujours en attente des décrets d’application desdits articles, il semblerait
que le gouvernement a modifié sa stratégie en matière de renouvelable en cours
de route.
En conclusion, s’il est certain que la question du mode
de financement des projets d’énergie solaire photovoltaïque n’est pas encore
stabilisée, on ne peut que constater l’émergence, a minima dans le débat
public que les débats du Parlement autour du projet de loi relatif à
l’accélération des énergies renouvelables devraient amplifier, d’une évolution
vers des modèles économiques excluant le soutien de finances publiques. Pour
les consommateurs intéressés, entreprises ou collectivités, comme pour les
développeurs, il s’agit donc de se tenir informé, voire de chercher conseil,
car le droit positif et la pratique en découlant risquent d’évoluer rapidement.
Sylvain
Hamanaka,
Juriste,
Cabinet
Huglo Lepage Avocats