Afin de sensibiliser les
salariés autour de ces comportements répréhensibles tout en permettant aux
entreprises de remplir leur obligation de formation, la société Le Droit pour
Moi et le cabinet Flichy Grangé Avocats se sont associés pour proposer trois
modules de formation e-learning. « On a le cadre législatif, ce sont
les comportements qui doivent évoluer », estiment-ils.
Une formation d’une pierre
deux coups ! En s’associant pour créer trois modules e-learning sur les
sujets du harcèlement sexuel, du harcèlement moral et de la discrimination, la
société Le Droit pour Moi, co-fondé par Vincent Letamendia,
juriste de formation, et Flichy Grangé Avocats, cabinet d’avocats spécialisé en
droit social, ont souhaité répondre à un double enjeu : sensibiliser les
salariés à ces sujets sur lesquels les entreprises ont un devoir de formation.
En effet, nombreux sont les
salariés qui n’imaginent pas avoir un comportement pourtant constitutif de
harcèlement ou de discrimination, et les entreprises à se retrouver aux
prud’hommes et parfois au pénal, ne sont pas rares non plus. C’est pourquoi Le
Droit pour Moi et Flichy Grangé Avocats proposent, à travers des saynètes tirées
de faits réels, une sensibilisation par l’humour, notamment pour marquer les
esprits et tenter de faire évoluer les pratiques. Le JSS s’est entretenu
avec Vincent Letamendia ainsi que Blandine Allix et Nabila Fauché-El Aougri, avocates
associées du cabinet Flichy Grangé Avocats, pour comprendre tous les tenants et
aboutissants de ces formations.
JSS : Quelles obligations le
législateur prévoit-il à la charge des entreprises sur les sujets du
harcèlement et de la discrimination ? A quel niveau les sociétés s’emparent-elles
aujourd’hui de ces sujets ?
Blandine Allix :
En matière de harcèlement moral ou sexuel, le législateur insiste beaucoup sur
la prévention. L’employeur a une obligation de sécurité, à l’égard de ses
collaborateurs et doit, à ce titre, faire de la prévention en les formant
notamment sur le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. Les entreprises
doivent donc mettre en place des actions de formation, et on doit reconnaitre
que ces dernières années, il s’agit d’un élément auquel les juges sont très
attachés, et ce même dans le cas où ils vont considérer qu’il n’y a pas eu de
harcèlement moral exercé à l’égard du collaborateur.
En effet, une entreprise peut être
condamnée pour manquement à son obligation de sécurité au motif qu’aucune action
de prévention en matière de harcèlement moral ou sexuel n’a été mise en place. Certaines
entreprises ont déjà mis en place des formations, notamment en interne par le
biais des ressources humaines qui vont expliquer ce qu’est le harcèlement, et
d’autres sociétés n’ont absolument rien fait mais comprennent qu’il y a un
enjeu important.
Nabila Fauché-El
Aougri : La discrimination est aussi un vrai sujets avec des
enjeux très importants pour les entreprises, c’est pourquoi certaines ont signé
des accords collectifs sur le sujet. Le législateur oblige déjà les entreprises
qui emploient au moins 300 salariés et les entreprises spécialisées dans le
recrutement à organiser tous les cinq ans une formation à la non-discrimination
à l’embauche, alors qu’elle a un champ beaucoup plus vaste. Des choses existent
mais l’enjeu est très fort avec un risque pénal qui peut être une véritable épée
de Damoclès sur la tête des entreprises, la discrimination étant par ailleurs
une infraction pénale.
Vincent Letamendia :
Ces sujets sont de plus en plus prégnants du fait de la législation sur l’anticorruption
qui impose aux entreprises, à partir d’un certain seuil, de mettre en place un dispositif
de lanceur d’alerte. Or, il s’avère que ce ne sont pas tant des faits de
corruption qui sont dénoncés que des situations de discrimination et de
harcèlement.
« Des choses existent mais l’enjeu est
très fort avec un risque pénal qui peut être une véritable épée de Damoclès sur
la tête des entreprises, la discrimination étant par ailleurs une infraction
pénale. »
Ce qui est assez nouveau, c’est de voir les
directions juridiques travailler main dans la main avec la fonction RH pour
traiter de ces problématiques. On parle désormais de compliance RH. Il faut
noter également que les nouvelles générations sont de plus en plus sensibles à
ces sujets, la dimension éthique étant un critère important dans leurs choix
professionnels. Il y a donc un risque réputationnel pour les entreprises qui ne
prennent pas à bras le corps ces sujets, le harcèlement et la discrimination entrant
pourtant dans la compliance.
JSS : Quels sont les points précis
sur lesquels vous identifiez le plus de méconnaissance ou de comportements
problématiques sur ces thématiques ? A quoi cela est-il dû selon vous ?
B. A. : Sur le harcèlement
moral, par exemple, un manageur peut penser bien faire mais être en réalité
très maladroit, en dévalorisant par exemple un collaborateur sans s’en rendre
compte.
En réalité, beaucoup de personnes ne se
rendent pas compte que leur attitude est constitutive de harcèlement moral. Ce
qui caractérise le harcèlement moral est parfois difficile à saisir, il y a un
certain nombre de subtilités. Les vidéos ont justement pour but de déclencher
des prises de conscience.
N. F-E.A. :
Pour ce qui est de la discrimination, si l’on met de côté les cas
« flagrants » où l’on va discriminer volontairement une personne en
raison de son origine, de son sexe ou de son handicap, l’on constate souvent
que les personnes, en raison de leur méconnaissance « pratique » et
juridique, n’imaginent pas qu’une décision peut être appréhendée sous l’angle
de la discrimination.
Par exemple, un employeur va licencier un
salarié qui a un certain âge, pensant qu’il s’agit d’une raison totalement
objective, sauf que l’on va lui rétorquer qu’il s’agit là d’une discrimination
en raison de l’âge, et qu’il va devoir se justifier sur les éléments objectifs
pour justifier sa décision (faute professionnelle, incompétence etc.). Il ne
faut donc pas tomber dans la caricature selon laquelle les entreprises
commettent forcément des discriminations volontaires. Parfois, c’est plus
compliqué que cela ; on peut être amené à prendre un certain nombre de
décisions car on n’a pas forcément l’état du droit ou la jurisprudence de la
Cour de cassation en tête.
Il y a aussi la notion de biais
cognitifs, très importante en matière de discrimination. Selon le milieu social
et professionnel où on évolue, on peut être amené, inconsciemment, à prendre
des décisions qui peuvent être, de fait, jugées discriminatoires, alors même
que ce n’est absolument pas l’objectif recherché.
JSS : Comment vous est venue l’idée
de vous associer autour de votre projet de formation ? Avec quels
objectifs ?
B. A : C’est Le Droit
pour Moi qui a sollicité notre cabinet sur ce beau projet. On s’est dit que
cela pouvait être une bonne idée de proposer des modules de formation
e-learning aux entreprises sur ces thématiques, notamment avec l’essor du
télétravail, car cela permet aux salariés de suivre la formation depuis chez
eux, et aux entreprises de remplir leurs obligations de prévention à l’égard de
leurs salariés. Il faut dire que dans les dossiers contentieux que nous
traitons, nous constatons que les entreprises n’ont pas toutes été vigilantes
sur cette obligation de formation préventive.
V.L. : J’ajouterai que nos
expériences se sont rencontrées ! Blandine et Nabila, qui ont fait avec
Natacha Lesellier, autre associée du cabinet Flichy Grangé, ces formations à
nos côtés, sont confrontées à ces thématiques avec leur approche juridique. De
notre côté, chez Le Droit pour Moi, nous avons été amenés à nous y intéresser à
la demande des directions juridiques et conformité qui recherchent des
formations très concrètes alliant expertises juridique et pédagogique.
JSS : Quel est le format que vous
proposez ? Qui conçoit et dispense vos
formations ?
V.L. : Nous avons tous
ensemble participé à l’élaboration de ce projet. La partie juridique a
naturellement été confiée à Natacha, Nabila et Blandine qui ont également
validé les dialogues dans les saynètes. Tout au long du projet, nous avons
montré à l’équipe RH de Thalès l’avancée de nos travaux pour avoir un regard
« terrain » de praticiens RH.
B.A. : Nous voulions
quelque chose de concret et ludique, tout en gardant une forte dimension juridique.
Cela a donné trois vidéos, qui portent l’une sur la discrimination, l’autre sur
le harcèlement moral, et la dernière sur le harcèlement sexuel. Dans chacune
d’elles, il y a une partie « saynètes » qui reproduit une réalité,
puis une partie juridique où nous intervenons Nabila, Natacha et moi,
interviewées par un journaliste, et où l’on explique en droit ce que sont le
harcèlement moral, le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, et la
discrimination. La troisième partie est une partie « test » avec des
questions permettant de mesurer si la personne qui a suivi la formation a
compris ses enjeux, le tout dans un temps limité.
V.L. : Nous avons été vigilants
à ne pas tomber dans le caricatural, car les sujets évoqués restent des sujets
sensibles et sérieux. Mais comme souvent, un peu d’humour concourt à renforcer
l’impact du message que l’on veut faire passer. D’autant que toutes les
situations qui figurent dans nos saynètes sont tirées de cas concrets vécus
aujourd’hui encore dans les entreprises. Je suis parfois le premier surpris de
voir que certains comportements puissent encore persister dans les
entreprises !
S’agissant de la diffusion de ces
formations, elles sont disponibles sur le portail compliance du Droit pour Moi.
Les entreprises peuvent aussi utiliser les modules complets sur leur plateforme
LMS (pour Learning Management System, logiciel conçu pour créer des
formations en ligne disposant
d’une interface administrateur et une autre pour les utilisateurs
ndlr),
et des centaines de personnes peuvent ainsi se former via la plateforme de
l’entreprise, ou alors utiliser les vidéos seules pour des actions de communication.
JSS : Quels peuvent être les apports
d’une formation sensibilisant sur les sujets du harcèlement et de la
discrimination, et a fortiori la vôtre ?
N. F-E.A. :
L’intérêt principal de ces vidéos de sensibilisation est qu’elles s’adressent à
un public très large. Jusqu’à présent, on pouvait voir dans certaines
entreprises des formations destinées principalement aux manageurs ou aux RH. Là,
l’objectif est de toucher un public plus large avec une formation qui n’est pas
exclusivement destinée aux manageurs et aux RH, mais qui vient sensibiliser tous
les collaborateurs de l’entreprise sur le fait que le harcèlement et la
discrimination sont de vrais sujets avec des enjeux très importants.
Et puis, c’est aussi l’occasion de faire
prendre conscience que lorsqu’on parle de harcèlement ou de discrimination,
cela peut aussi constituer une infraction pénale. Autrement dit, une entreprise
et des personnes physiques peuvent se retrouver devant le juge pénal, puisque
le Code pénal sanctionne le harcèlement et la discrimination.
« Je suis parfois le premier surpris
de voir que certains comportements puissent encore persister dans les
entreprises ! »
B. A. : Les saynètes permettent
par ailleurs de beaucoup mieux enregistrer les informations que des règles de
droit un peu rébarbatives. Ce n’est pas une formation juridique « classique »
comme on pouvait la concevoir jusqu’alors. C’est, à mon sens, bien plus
accessible. Marquer les esprits par la mise en scène et l’humour est une
première sensibilisation très efficace.
V.L. : D’ailleurs,
anecdote intéressante : pendant le tournage, on a vu l’équipe elle-même
avoir une prise de conscience « en direct », notamment par rapport
aux agissements sexistes. Un des techniciens s’est rendu compte qu’il pouvait
parfois tenir des propos sexistes en pensant faire de l’humour.
JSS : Quelle adhésion observez-vous du
côté des entreprises ? Jusqu’ici, combien
d’entreprises ont bénéficié de ces formations, quel
objectif comptez-vous atteindre ?
V.L. : Pour l’instant,
on observe que beaucoup de DRH les testent, et ce sont souvent les directions
juridiques qui les renvoient vers nos formations. Avec elles, on vient creuser
le sillon de la compliance RH, on sent bien qu’il y a quelque chose qui se
passe.
Plusieurs centaines de personnes ont déjà
été sensibilisées, et l’on va doubler ces formations en anglais puis les
traduire en plusieurs langues pour toucher encore plus de salariés. Bien
évidemment, nous devons nécessairement vérifier qu’il n’y ait pas de contre
sens au moment de la traduction. C’est pourquoi des avocats bilingues du
cabinet Flichy Grangé Avocats seront mobilisés sur ce sujet.
JSS : D’autres
formations en collaboration sont-elles à l’étude ?
B.A. : On ne refera
probablement pas d’autres modules harcèlement et discrimination, sauf
bouleversement législatif qui nous amènerait à devoir modifier la partie
juridique. C’est vers la création de vidéos sur d’autres sujets que l’on va
plutôt se tourner.
V.L. :
On nous a par exemple demandé si l’on avait un module sur l’inclusion. Cela
peut très bien rentrer dans la compliance RH. On envisage également de créer
une formation sur la manière de mener des enquêtes internes.
JSS : Hormis la sensibilisation par
la formation, la législation en place est-elle suffisante ? Que faudrait-il
mettre en place en priorité pour limiter le harcèlement en entreprise selon
vous ?
B. A. :
Les textes existent : on a quand même un bon arsenal pour intervenir sur
ces sujets. À titre d’exemple, le législateur a obligé les entreprises à mettre
dans le règlement intérieur les textes du Code du travail sur le harcèlement. C’est
quelque chose de tout simple mais qui est intéressant, car cela permet aux
collaborateurs d’avoir connaissance des textes législatifs sur le sujet. Le
législateur a pris beaucoup de mesures pour pouvoir éviter ces situations de harcèlement
ou de discrimination.
N. F-E.A. :
En effet, on a le cadre législatif, et les textes, on les connait maintenant. Ce
sont les comportements qui doivent évoluer, et c’est ça, l’objet des formations !
Nous devons sensibiliser, et le comportement des uns et des autres, au sein des
entreprises, doit être mis en conformité.
Propos
recueillis par Allison Vaslin