La Commission européenne
proposera cet automne une révision de la législation européenne sur le
bien-être animal. L’occasion d’évoquer le sujet avec Olivia Symniacos et Céline
Peccavy, avocates qui œuvrent côte à côte, mais au sein de deux barreaux
distincts, au service du droit animalier.
JSS : La Commission
européenne s’apprête à réviser la législation européenne sur le bien-être
animal. Qu’est-ce qui motive cette révision ?
Olivia Symniacos et Céline
Peccavy : La règlementation actuellement en vigueur date du
milieu des années 90. Depuis, les avancées scientifiques ont permis de mieux
connaitre les animaux et notamment de comprendre qu’ils sont, comme nous, des
êtres vivants doués de sensibilité.
Partant de ce constat, il est
indispensable de revoir nos pratiques afin d’éviter aux animaux des souffrances
inutiles. Cette évolution de la règlementation est d’autant plus indispensable
que, dans tous les pays, de plus en plus de citoyens se disent concernés par la
cause animale. Dans le sens d’un plus grand respect du bien-être animal, elle
répond donc à une réelle attente sociétale que la Commission européenne se
devait d’entendre.
JSS : Est-ce par « obligation
» ou au contraire y a-t-il à votre avis une véritable volonté politique ? À
quelles conditions ne s’agira-t-il pas d’un coup d’épée dans l’eau ?
O.S. et P.C. : Il
est prématuré de tirer des conclusions, mais le fait que certaines pratiques
pourtant sources de grandes souffrances pour les animaux soient écartées des
débats laisse penser que l’impact des prochaines dispositions restera limité.
Néanmoins, comme la loi du 30
novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le
lien entre les animaux et les hommes, qui, elle aussi, ne visait que des points
susceptibles de faire consensus, cette évolution de la législation européenne
sera un pas supplémentaire en faveur de l’amélioration de notre manière de
traiter les animaux. Or, un pas en amène souvent un autre…
JSS : Quels sont les points
qui devraient figurer en priorité dans le nouveau texte, selon vous ?
O.S. et P.C. :
Tant d’animaux souffrent en raison de nos pratiques qu’il est compliqué de
prioriser les actions à mener. Il serait à notre sens logique d’interdire les
pratiques telles que l’élevage des poules en cage, ce mode de production
privant les animaux de l’une des cinq libertés fondamentales reconnues par
l’Organisation mondiale de la santé animale comme étant le plancher du
bien-être animal, à savoir la possibilité d’exprimer les comportements normaux
de son espèce. Au surplus, cette pratique, source de grandes souffrances pour
les poules, permet à ceux qui l’utilisent d’avoir une activité bien plus
lucrative que les producteurs respectant le bien-être animal.
Dans la même logique, nous
pensons qu’il serait primordial d’aborder la question des conditions d’abattage
des animaux dont la chair est destinée à la consommation.
JSS : Le ministre de
l’Agriculture a lancé il y a quelques semaines une concertation réunissant
représentants des filières, syndicats, instituts techniques et ONG dans ce
cadre, cependant la question de l’abattage ne figure pas dans les groupes de
travail. Pourquoi, à votre avis ?
O.S. et P.C. :
Sans doute en premier lieu par frilosité, peur de donner l’impression de
stigmatiser telle ou telle religion, pourtant souvent ouverte au débat, mais peut-être
également parce que la viande issue d’animaux abattus sans étourdissement
préalable, dont la consommation (en connaissance de cause ou non) n’est pas
exclusivement guidée par des raisons religieuses, est plus rentable et
représente un marché important. Là encore, comme pour les poules en cage, une
pratique induisant de la souffrance animale est plus favorable économiquement…
JSS : Dans un document
d’analyse sur le transport des animaux vivants dans l’UE publié le 17 avril,
pour mieux lutter contre les mauvaises pratiques dans les conditions de
transports d'animaux vivants, la Cour des comptes européenne propose
d'intégrer, dans les prix de la viande, la souffrance animale. En quoi cette
mesure vous semble-t-elle souhaitable et/ou réalisable ?
O.S. et P.C. : Sur
la proposition d’intégrer dans le prix de la viande celui (d’une infime partie)
de la souffrance animale, il parait indispensable que les pratiques
génératrices de souffrance animale cessent d’être perçues comme des entreprises
plus lucratives que celles qui respectent, autant que faire se peut, l’animal.
Le consommateur, qui est contraint de se préoccuper de son pouvoir d’achat, est
pris en otage et doit choisir entre le respect du bien-être animal et le prix.
En ces temps d’inflation, le choix est vite fait…
«
Aujourd’hui, les associations ont droit au chapitre ; elles travaillent en
collaboration avec les autorités et participent à l’évolution des lois »
Le respect de l’animal est
désormais une véritable valeur sociétale dont la violation devrait occasionner
des pénalités qui seraient, à notre sens, le seul moyen de motiver l’évolution
des pratiques des entreprises pour lesquelles la valeur « argent » est plus
précieuse que la valeur « vie ».
JSS : Le Moulin Rouge a
annoncé le 9 mai et plus tôt que prévu l'arrêt définitif de son numéro avec des
serpents, à la veille d’une manifestation prévue par une association de
protection animale ; et ce, alors même qu’en tant que cabaret, il n’entre pas
dans le champ de la loi du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale,
contrairement aux discothèques et aux plateaux de télévision. Quel signal
envoie cette annonce ?
O.S. et P.C. : La
décision du Moulin Rouge est à saluer, même si elle n’est pas spontanée. Il est
évident que l’interdiction de l’utilisation d’animaux sauvages dans les
cabarets, effectivement oubliée dans la lettre de la loi du 30 novembre 2021,
était bel et bien incluse dans son esprit.
Les associations de
protection animale ont un rôle essentiel dans l’évolution des consciences. La
mise en lumière de certaines pratiques génératrices de souffrance animale a
permis de modifier la perception que le grand public avait de son rapport aux
animaux. Aujourd’hui, elles ont droit au chapitre ; elles travaillent en
collaboration avec les autorités et participent à l’évolution des lois. Leur
voix compte.
JSS : Maître Symniacos, vous
avez fondé à Annecy un cabinet entièrement dédié à la défense du droit animal.
En quoi cela vous tenait-il à cœur ?
O.S. :
J’ai toujours été très sensible à la condition animale. En revanche, je n’ai
jamais rêvé d’être avocate. Pour pouvoir devenir associée du cabinet dans
lequel je pratiquais le droit des sociétés depuis plusieurs années, j’ai dû
devenir avocate ; j’ai souhaité faire de ce « concours de circonstances » une
opportunité pour servir concrètement la cause qui m’est la plus chère.
Olivia Symniacos
Le fait de ne pas être
attachée à la profession d’avocat m’a permis de me lancer, sans trop de
pression, le défi de créer un cabinet 100 % dédié à la pratique du droit animalier
dans lequel je m’épanouis pleinement depuis 2019.
JSS : Vous êtes par ailleurs
plutôt tournée vers le droit pénal et les problématiques de responsabilité
civile. Quels sont les cas de figure que vous rencontrez le plus souvent ?
Comment pourraient-ils être évités ?
O.S. : En
matière de maltraitances, la majorité des dossiers concernent des faits de
mauvais traitements, soit de mauvaises conditions de vie imposées à des animaux
détenus par des particuliers ou des professionnels.
S’agissant des particuliers,
le certificat d’engagement et de connaissance mis en place par la loi du 30
novembre 2021, devrait permettre à chacun de mieux connaitre les besoins de
l’animal qu’il décide d’intégrer à sa famille et donc de les satisfaire.
S’agissant des
professionnels, ils ne peuvent plaider l’ignorance dans la mesure où ils sont
considérés comme des sachants.
Néanmoins, parfois, la
situation des animaux découle d’un problème social. Je pense notamment aux
éleveurs de bovins qui ont souvent du mal à demander de l’aide où à prendre la
décision de « lâcher » une exploitation souvent héritée de leurs parents. Sur
ces cas précis, c’est le suivi attentif des exploitations par les autorités
compétentes qui permet souvent d’éviter le pire, pour les animaux et pour
l’éleveur.
Même si leur médiatisation
pourrait laisser penser le contraire, les dossiers relatifs à des actes de
cruauté ne sont pas majoritaires devant le tribunal correctionnel. Pour ce qui
est de réduire ce type d’atteintes violentes aux animaux, je pense que la
pédagogie, notamment auprès des enfants, est un axe d’action essentiel. Une
répression ferme en est un autre.
Sur les questions de
responsabilité en lien avec les animaux, les cas sont très variés :
responsabilité des pensions ou personnes auxquelles sont confiés les animaux,
morsures de chien (sur animal ou humain), responsabilité des vétérinaires
(dossiers gérés en défense par Céline Peccavy).
JSS : Maître Peccavy, votre
activité (à Versailles) concerne principalement le droit de la vente des
animaux domestiques et l’assistance des vétérinaires impliqués dans un litige.
Quels sont les litiges les plus fréquents et quelles conclusions peut-on en
tirer ?
C.P. : Les
litiges que je rencontre le plus fréquemment sont ceux relatifs à une action en
garantie intentée par un acheteur envers un éleveur qui lui a cédé un animal,
chien ou chat de race généralement. Avoir un animal de compagnie aujourd’hui a
un coût indéniable. Le faire soigner en cas de pathologie handicapante peut,
pour le propriétaire, engendrer une dépense de plusieurs milliers d’euros. Dans
l’esprit d’un acheteur ce n’est pas acceptable alors qu’il s’est adressé à un
professionnel pour avoir un animal en parfaite santé. S’ensuit donc auprès
dudit professionnel une demande de remboursement.
Céline Peccavy
Ce que l’on peut parfois
regretter dans ces dossiers, c’est l’absence de prise de conscience de certains
propriétaires de ce que peut engendrer la possession d’un animal. Pour
certains, elle doit être exempte de tous soucis et ne rien coûter. C’est
oublier à mon sens un peu vite que l’on se situe dans le domaine du vivant et
que la vie peut parfois être imprévisible. Les événements d’une vie ne sont pas
toujours la conséquence d’une faute. On ne peut pas toujours légitimement
rendre quelqu’un coupable. Mais tout le monde n’est pas prêt à l’accepter.
Quant aux litiges concernant
les vétérinaires, il n’y a pas vraiment de dominante. Manque d’information,
manquement à l’obligation de continuité des soins, absence de consentement
éclairé, non information de l’identité du futur intervenant, absence de compte
rendu opératoire, manque de considération et de respect à l’encontre des
propriétaires… Les plaintes des clients ne manquent pas de diversité.
JSS : Quelles victoires pour
le bien-être animal avez-vous récemment remportées dans votre exercice
professionnel ?
C.P. :
Dans le domaine du droit civil que je pratique, le bien-être animal ne s’invite
pas très souvent. Néanmoins, j’ai eu l’occasion de plaider l’année dernière
avec succès un dossier où la notion de bientraitance était incontournable. En
l’espèce, un particulier avait souhaité faire reproduire sa chienne avec un mâle
appartenant à une éleveuse. La première saillie avait dû être faite par
insémination artificielle étant donné que la chienne ne voulait pas se laisser
approcher. La chienne étant restée vide, le particulier a demandé une seconde
saillie et précisé qu’il ne serait pas question d’insémination cette fois-ci,
qu’il allait museler et maintenir sa chienne physiquement pour qu’elle accepte
la saillie. L’éleveuse a refusé une telle saillie. Le particulier lui a alors
intenté un procès en demandant près de 10 000 euros de dommages et intérêts. Le
tribunal a jugé que l’éleveuse avait eu raison d’agir ainsi. Que le contraire
eut constitué de la maltraitance.
O.S. :
Dans mon domaine d’intervention, j’aurais du mal à vous citer telle ou telle
décision dans la mesure où mon hyper-optimisme me conduit à considérer chaque
jugement pénal incluant une peine complémentaire de confiscation des animaux
et/ou d’interdiction d’en détenir comme une victoire pour le bien-être animal.
En effet, l’enjeu le plus important de ce type de dossiers n’est-il pas de
mettre les animaux à l’abri de toute infraction leur portant atteinte ?
Autre victoire récurrente,
les peines d’emprisonnement avec sursis, beaucoup critiquées, et qui me
paraissent pourtant avoir un impact concret sur la protection animale
puisqu’elles mettent les animaux à l’abri d’une récidive pendant plusieurs
années, sauf pour le condamné à vouloir aller directement à la case « prison ».
Ainsi, une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis me paraît par
exemple plus protectrice des animaux et plus longtemps qu’une peine de trois
mois ferme qui consistera en réalité au simple port d’un bracelet électronique.
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli