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L'OEIL DE L'EXPERT. Tout savoir sur la présomption de démission

L'OEIL DE L'EXPERT. Tout savoir sur la présomption de démission
Publié le 08/06/2023 à 17:16

La présomption de démission en cas d’abandon de poste est entrée en vigueur il y a quelques semaines. Que change cette nouvelle loi pour les salariés et les employeurs ? Ida Christelle Makanda, juriste et présidente du cabinet de conseils en stratégie RH/RSE ICM Legal Consulting, revient sur les modalités en la matière et livre quelques pistes pour contester cette présomption… ou la renforcer.

Dernière actualité en date en matière de présomption de démission, dans le prolongement des recours déposés devant le Conseil d'État, le ministère du Travail a confirmé lundi 5 juin le retrait de son site Internet de l’intégralité du formulaire de questions-réponses sur la présomption de démission, au motif que celui-ci ne permettait pas, contrairement à l'objectif poursuivi, d’éclaircir les modalités d’application du nouveau cadre juridique.

L'administration maintient toutefois sa position controversée concernant l'interdiction d'engager une procédure de licenciement pour faute en s'appuyant sur le fait que la présomption de démission « a pour finalité de se substituer à la procédure de licenciement pour faute pour abandon de poste ». Les employeurs qui devront appliquer les articles L. 1237-1-1 et R. 1237-13 du Code du travail ne peuvent donc plus compter sur une quelconque interprétation aujourd'hui.

Un délai minimum de 15 jours laissé au salarié pour justifier son absence

La procédure de présomption de démission en cas d'abandon de poste par un salarié est fixée par le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié, qui précise les étapes que l'employeur doit suivre.

Auparavant, un salarié en abandon de poste pouvait être licencié par l'employeur et prétendre aux allocations chômage. Pour éviter cet effet jugé néfaste, la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 a introduit une présomption de démission en cas d'abandon de poste par un salarié, ce qui lui retire le droit aux allocations chômage.

Selon l'article L. 1237-1-1 du Code du travail, un salarié qui abandonne volontairement son poste de travail et ne le reprend pas après avoir été mis en demeure de le faire et de justifier son absence dans un délai fixé par l'employeur est présumé avoir démissionné à la fin de ce délai. Cette présomption peut être contestée par le salarié devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, qui prendra une décision dans un délai d'un mois après sa saisine.

Le délai minimum laissé au salarié pour justifier son absence et reprendre son poste est de 15 jours. Le décret du 17 avril précise ainsi la procédure de mise en demeure et fixe donc ce délai (article R. 1237-13 du Code du travail).

Comme le précisait le formulaire de questions-réponses, il s'agit de jours calendaires. Le délai commence à partir de la date de présentation de la mise en demeure. Si le salarié ne répond pas ou ne reprend pas son poste dans ce délai, il est présumé avoir démissionné. S'il indique clairement à l'employeur qu'il ne reprendra pas son poste sans justifier davantage son absence, il est également considéré comme démissionnaire. Dans ce cas, les règles habituelles s'appliquent et le salarié est censé effectuer un préavis de démission, bien qu'il soit peu probable qu'il le fasse dans ce contexte. Dans cette situation, l'employeur n'a pas l'obligation de lui verser une indemnité compensatrice.

Les questions-réponses désormais supprimées précisaient que si l'employeur choisit de dispenser le salarié de préavis, il devra lui payer une indemnité compensatrice. Si l'employeur et le salarié conviennent de ne pas effectuer le préavis, aucune indemnité compensatrice ne sera due. Il est important de noter que le salarié a droit à une indemnité de congés payés pour les congés acquis mais non pris.

Selon l’ancien formulaire de questions-réponses, le salarié est considéré comme démissionnaire à la date ultime de reprise du travail fixée par l'employeur, c'est-à-dire le dernier jour du délai imparti. Cependant, il serait logique de considérer le lendemain de cet ultime jour comme la date de démission.

Le salarié peut invoquer un motif légitime

Le décret précise également les conditions dans lesquelles le salarié peut invoquer un motif légitime qui peut contester la présomption de démission.

Pour bénéficier de la présomption de démission, l'employeur doit mettre le salarié en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste par lettre recommandée avec avis de réception ou remise en main propre contre décharge. Par conséquent, il est recommandé d'obtenir la raison de l'absence afin d'en avoir la justification et d'informer le salarié qu'en l'absence de réponse dans le délai imparti, il sera présumé démissionnaire et ne pourra pas prétendre à une indemnisation chômage.

En réponse à cette mise en demeure, le salarié peut justifier son absence en invoquant un motif légitime. Le décret énumère certains motifs possibles, tels que des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait, l'exercice du droit de grève, le refus d'exécuter une instruction contraire à la réglementation ou une modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur sans accord du salarié. Dans ce cadre, le salarié peut demander l'assistance d'une organisation représentative de salariés ou d'un avocat.

Il est important de noter que l'employeur n'est pas tenu de demander au salarié de confirmer sa démission par écrit, même si la convention collective le requiert.

En cas de contestation par le salarié, la décision revient au bureau de jugement du conseil de prud'hommes. Pour autant, si le motif avancé par le salarié est considéré comme légitime, l'abandon de poste est imputé à l'employeur et équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, donnant droit aux indemnités de rupture et éventuellement aux allocations chômage. Dans le cas contraire, il est considéré comme une démission, privant le salarié de toute indemnité et allocation.

Les arguments du salarié pour contester la présomption

La démission d'un salarié n'est qu'une présomption et celui-ci peut donc tenter de la réfuter. Comme décrit plus haut, la loi est claire à ce sujet et indique même au salarié la démarche à suivre : il doit saisir le conseil de prud'hommes, sans passer par la phase de conciliation, et le tribunal dispose d'un délai d'un mois, à compter de sa saisine, pour rendre sa décision et statuer sans procédure de référé (C. trav., art. L. 1237-1-1, al. 2). Un délai utopique compte tenu de l'engorgement de la plupart des juridictions prud'homales.

Cependant, rien n'empêche l'employeur d'offrir lui-même une possibilité d'explication dans la lettre de mise en demeure.

Est-ce qu'une simple déclaration écrite contestant l'intention de démission suffit ? Étant donné que la démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté, est-ce que le salarié peut se contenter de répondre à l'employeur, tout en restant absent, qu'il n'a pas l'intention de démissionner ?

Le législateur n'a pas laissé de place à cette attitude ambiguë : la présomption s'applique au salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir reçu une mise en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste. Il ne peut pas se protéger derrière des propos qui sont contredits par son comportement. Puisqu'il s'agit d'une présomption, c'est au salarié qui en fait l'objet d'apporter les preuves permettant de la contester. Les juges statuant au fond ne sauront se baser sur de simples affirmations.

Ø  Griefs préalables : conséquences de l’abandon de poste

Cependant, il est probable que les juridictions prud’homales considèreront, si les faits sont avérés, les mêmes motifs qui ont conduit à assimiler la démission fondée sur des griefs à une prise d'acte de rupture, dans les litiges portant sur la rémunération due, les rappels d'heures supplémentaires ou la suppression injustifiée d'une prime contractuelle.

D'autres circonstances susceptibles de faire tomber la présomption sont les départs liés à une situation de harcèlement moral ou sexuel, pour lesquels le salarié n'a pas réellement besoin de fournir des preuves solides. Il lui suffit de présenter des éléments laissant supposer un harcèlement moral. Le fait de quitter son poste peut également être une réaction abrupte à une modification brutale du contrat de travail imposée par l'employeur ou à l'application abusive d'une clause de mobilité.

Ø  Les « raisons indépendantes de la volonté » du salarié

Le deuxième type de motifs permettant de contester la présomption est ce que l'on appelle les « raisons indépendantes de la volonté » du salarié : raisons de santé telles qu'une hospitalisation soudaine, une perte temporaire ou permanente des facultés cognitives, une incarcération, ou simplement un problème informatique persistant pour les télétravailleurs.

Ø  Le droit de retrait

Dans le cadre du décret du 17 avril 2023, la procédure de constat de démission ne s'applique pas au salarié qui exerce son droit de retrait en cas de situation d'insécurité au travail. L'employeur doit donc enquêter sur les circonstances dans lesquelles le salarié a exercé son droit de retrait, car il faut rappeler que ce droit peut être exercé « de facto », c'est-à-dire sans formalités particulières. En cas d'exercice abusif du droit de retrait, le licenciement est la sanction prévue pour le salarié qui refuse de reprendre son poste.

Les arguments de l'employeur pour renforcer la présomption

Côté employeur, celui-ci dispose d'éléments qu'il peut invoquer pour renforcer la présomption, que ce soit dès l'envoi de la lettre constatant la démission ou devant le conseil de prud'hommes.

Ø  Constater l'abandon de poste

Rappel de l’article 1 du décret du 17 avril 2023 : « Art. R. 1237-13.-L'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l'article L. 1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste ».

Nonobstant, il reste possible de procéder à un licenciement, même en cas d'absence brève, si le salarié, en partant brusquement, a mis en danger la sécurité de ses collègues. Dans ce cas, il ne s'agit plus d'une (simple) constatation de démission.

Ø  Consulter la convention collective applicable

Il est rare que les conventions collectives contiennent des règles précises applicables à l'abandon de poste, mais elles encadrent souvent la justification des absences. Les accords d'entreprise, qui se substituent aux conventions collectives sur ce sujet, prévoient généralement le délai imparti au salarié pour justifier son absence, étant en général 48 heures.

Ø  Échanges de correspondance : mise en demeure

La mise en demeure, préalable à toute autre action, doit être envoyée « par lettre recommandée ou remise en main propre », bien que cette dernière option soit plutôt théorique car, dans la plupart des cas, le salarié n’est plus en contact avec l’employeur.

Ø  Absence d’une situation conflictuelle

Il sera très difficile pour le salarié de contester la présomption de démission s'il ne peut pas prouver l'existence d'un conflit préalable à l'abandon de poste.

Ø  Absence de reprise au terme d'un arrêt de travail

Il est déconseillé, en l'absence actuelle de jurisprudence, d'assimiler l'absence de reprise à la fin d'un arrêt de travail à un abandon de poste. Cela pourrait être perçu comme une tentative de détournement des dispositions régissant l'inaptitude médicale. Prudence et vigilance donc.

Ø  Constater l'abandon de poste en cas de télétravail

Pour les salariés en télétravail, la constatation de l'abandon de poste s’effectuera à travers les systèmes de contrôle de la durée de travail mis en place, soit par accord collectif, soit par une charte régissant cet aménagement du travail dans l'entreprise. Une déconnexion injustifiée et prolongée peut être considérée, selon notre interprétation, comme un abandon de poste.

Ø  Refus préalable d'une demande de rupture conventionnelle du contrat de travail

Lorsque le salarié souhaite quitter l'entreprise de manière sécurisée et tente d'obtenir une rupture conventionnelle, face au refus de l'employeur, le salarié peut alors décider de le contraindre à prendre l'initiative du licenciement et abandonne son poste, espérant recevoir rapidement une convocation à un entretien préalable (auquel il peut même choisir de ne pas se présenter, n'ayant pas l'intention de se défendre).

Ce contournement de la loi ne sera plus possible car l'employeur peut aisément le mettre en lumière en produisant les échanges s’agissant de la demande de rupture conventionnelle.

Ø  Embauche du salarié récente suivant l'abandon de poste ou preuves d'une recherche d'emploi

Un autre argument en faveur de l'employeur est que le salarié a rapidement retrouvé un emploi après son départ, ce qui renforce l'idée qu’il voulait simplement réduire, voire éluder, son préavis. La difficulté réside évidemment dans l'obtention de preuves démontrant la concordance entre le départ du salarié et son embauche dans une autre entreprise.

Les recherches d'emploi du salarié dans les semaines ou les mois précédant son abandon de poste sont plus faciles à trouver grâce aux réseaux sociaux.

Ces éléments, qui pourraient être insuffisants pour justifier un licenciement, peuvent, selon notre interprétation, être acceptés pour renforcer la présomption.

 

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