La présomption de démission
en cas d’abandon de poste est entrée en vigueur il y a quelques semaines. Que
change cette nouvelle loi pour les salariés et les employeurs ? Ida
Christelle Makanda, juriste et présidente du cabinet de conseils en stratégie
RH/RSE ICM Legal Consulting, revient sur les modalités en la matière et livre
quelques pistes pour contester cette présomption… ou la renforcer.
Dernière actualité en date en
matière de présomption de démission, dans le prolongement des recours déposés devant
le Conseil d'État, le ministère du Travail a confirmé lundi 5 juin le retrait
de son site Internet de l’intégralité du formulaire de questions-réponses sur
la présomption de démission, au motif que celui-ci ne permettait pas,
contrairement à l'objectif poursuivi, d’éclaircir les modalités d’application
du nouveau cadre juridique.
L'administration maintient
toutefois sa position controversée concernant l'interdiction d'engager une
procédure de licenciement pour faute en s'appuyant sur le fait que la présomption
de démission « a pour finalité de se substituer à la procédure de
licenciement pour faute pour abandon de poste ». Les employeurs qui devront
appliquer les articles L. 1237-1-1 et R. 1237-13 du Code du travail ne peuvent
donc plus compter sur une quelconque interprétation aujourd'hui.
Un délai minimum de 15 jours
laissé au salarié pour justifier son absence
La procédure de présomption
de démission en cas d'abandon de poste par un salarié est fixée par le décret
n° 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de
démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié, qui précise les étapes que l'employeur doit suivre.
Auparavant, un salarié en
abandon de poste pouvait être licencié par l'employeur et prétendre aux
allocations chômage. Pour éviter cet effet jugé néfaste, la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 a
introduit une présomption de démission en cas d'abandon de poste par un
salarié, ce qui lui retire le droit aux allocations chômage.
Selon l'article L. 1237-1-1
du Code du travail, un salarié qui abandonne volontairement son poste de
travail et ne le reprend pas après avoir été mis en demeure de le faire et de
justifier son absence dans un délai fixé par l'employeur est présumé avoir
démissionné à la fin de ce délai. Cette présomption peut être contestée par le
salarié devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, qui prendra une
décision dans un délai d'un mois après sa saisine.
Le délai minimum laissé au
salarié pour justifier son absence et reprendre son poste est de 15 jours. Le
décret du 17 avril précise ainsi la procédure de mise en demeure et fixe donc ce
délai (article R. 1237-13 du Code du travail).
Comme le précisait le
formulaire de questions-réponses, il s'agit de jours calendaires. Le délai
commence à partir de la date de présentation de la mise en demeure. Si le
salarié ne répond pas ou ne reprend pas son poste dans ce délai, il est présumé
avoir démissionné. S'il indique clairement à l'employeur qu'il ne reprendra pas
son poste sans justifier davantage son absence, il est également considéré
comme démissionnaire. Dans ce cas, les règles habituelles s'appliquent et le
salarié est censé effectuer un préavis de démission, bien qu'il soit peu
probable qu'il le fasse dans ce contexte. Dans cette situation, l'employeur n'a
pas l'obligation de lui verser une indemnité compensatrice.
Les questions-réponses désormais
supprimées précisaient que si l'employeur choisit de dispenser le salarié de
préavis, il devra lui payer une indemnité compensatrice. Si l'employeur et le
salarié conviennent de ne pas effectuer le préavis, aucune indemnité
compensatrice ne sera due. Il est important de noter que le salarié a droit à
une indemnité de congés payés pour les congés acquis mais non pris.
Selon l’ancien formulaire de questions-réponses,
le salarié est considéré comme démissionnaire à la date ultime de reprise du
travail fixée par l'employeur, c'est-à-dire le dernier jour du délai imparti.
Cependant, il serait logique de considérer le lendemain de cet ultime jour
comme la date de démission.
Le salarié peut invoquer un
motif légitime
Le décret précise également
les conditions dans lesquelles le salarié peut invoquer un motif légitime qui
peut contester la présomption de démission.
Pour bénéficier de la
présomption de démission, l'employeur doit mettre le salarié en demeure de
justifier son absence et de reprendre son poste par lettre recommandée avec avis
de réception ou remise en main propre contre décharge. Par conséquent, il est
recommandé d'obtenir la raison de l'absence afin d'en avoir la justification et
d'informer le salarié qu'en l'absence de réponse dans le délai imparti, il sera
présumé démissionnaire et ne pourra pas prétendre à une indemnisation chômage.
En réponse à cette mise en
demeure, le salarié peut justifier son absence en invoquant un motif légitime.
Le décret énumère certains motifs possibles, tels que des raisons médicales,
l'exercice du droit de retrait, l'exercice du droit de grève, le refus d'exécuter
une instruction contraire à la réglementation ou une modification du contrat de
travail à l'initiative de l'employeur sans accord du salarié. Dans ce cadre, le
salarié peut demander l'assistance d'une organisation représentative de
salariés ou d'un avocat.
Il est important de noter que
l'employeur n'est pas tenu de demander au salarié de confirmer sa démission par
écrit, même si la convention collective le requiert.
En cas de contestation par le
salarié, la décision revient au bureau de jugement du conseil de prud'hommes. Pour
autant, si le motif avancé par le salarié est considéré comme légitime,
l'abandon de poste est imputé à l'employeur et équivaut à un licenciement sans
cause réelle et sérieuse, donnant droit aux indemnités de rupture et éventuellement
aux allocations chômage. Dans le cas contraire, il est considéré comme une
démission, privant le salarié de toute indemnité et allocation.
Les
arguments du salarié pour contester la présomption
La démission d'un salarié
n'est qu'une présomption et celui-ci peut donc tenter de la réfuter. Comme
décrit plus haut, la loi est claire à ce sujet et indique même au salarié la
démarche à suivre : il doit saisir le conseil de prud'hommes, sans passer par
la phase de conciliation, et le tribunal dispose d'un délai d'un mois, à
compter de sa saisine, pour rendre sa décision et statuer sans procédure de
référé (C. trav., art. L. 1237-1-1, al. 2). Un délai utopique compte tenu de
l'engorgement de la plupart des juridictions prud'homales.
Cependant, rien n'empêche
l'employeur d'offrir lui-même une possibilité d'explication dans la lettre de
mise en demeure.
Est-ce qu'une simple
déclaration écrite contestant l'intention de démission suffit ? Étant donné que
la démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté,
est-ce que le salarié peut se contenter de répondre à l'employeur, tout en
restant absent, qu'il n'a pas l'intention de démissionner ?
Le législateur n'a pas laissé
de place à cette attitude ambiguë : la présomption s'applique au salarié qui
abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir
reçu une mise en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste. Il
ne peut pas se protéger derrière des propos qui sont contredits par son
comportement. Puisqu'il s'agit d'une
présomption, c'est au salarié qui en fait l'objet d'apporter les preuves
permettant de la contester. Les juges statuant au fond ne sauront se baser sur
de simples affirmations.
Ø Griefs préalables : conséquences de
l’abandon de poste
Cependant, il est probable
que les juridictions prud’homales considèreront, si les faits sont avérés, les
mêmes motifs qui ont conduit à assimiler la démission fondée sur des griefs à
une prise d'acte de rupture, dans les litiges portant sur la rémunération due,
les rappels d'heures supplémentaires ou la suppression injustifiée d'une prime
contractuelle.
D'autres circonstances
susceptibles de faire tomber la présomption sont les départs liés à une
situation de harcèlement moral ou sexuel, pour lesquels le salarié n'a pas
réellement besoin de fournir des preuves solides. Il lui suffit de présenter
des éléments laissant supposer un harcèlement moral. Le fait de quitter son
poste peut également être une réaction abrupte à une modification brutale du
contrat de travail imposée par l'employeur ou à l'application abusive d'une
clause de mobilité.
Ø Les « raisons indépendantes de la volonté » du salarié
Le deuxième type de motifs
permettant de contester la présomption est ce que l'on appelle les « raisons indépendantes de la volonté »
du salarié : raisons de santé telles qu'une hospitalisation soudaine, une perte
temporaire ou permanente des facultés cognitives, une incarcération, ou
simplement un problème informatique persistant pour les télétravailleurs.
Ø Le droit de retrait
Dans le cadre du décret du 17
avril 2023, la procédure de constat de démission ne s'applique pas au salarié
qui exerce son droit de retrait en cas de situation d'insécurité au travail. L'employeur
doit donc enquêter sur les circonstances dans lesquelles le salarié a exercé
son droit de retrait, car il faut rappeler que ce droit peut être exercé « de
facto », c'est-à-dire sans formalités particulières. En cas d'exercice
abusif du droit de retrait, le licenciement est la sanction prévue pour le
salarié qui refuse de reprendre son poste.
Les
arguments de l'employeur pour renforcer la présomption
Côté employeur, celui-ci dispose
d'éléments qu'il peut invoquer pour renforcer la présomption, que ce soit dès
l'envoi de la lettre constatant la démission ou devant le conseil de prud'hommes.
Ø Constater l'abandon de poste
Rappel de l’article 1 du
décret du 17 avril 2023 : « Art.
R. 1237-13.-L'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et
entend faire valoir la présomption de démission prévue à l'article L. 1237-1-1
le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre
contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste ».
Nonobstant, il reste possible
de procéder à un licenciement, même en cas d'absence brève, si le salarié, en
partant brusquement, a mis en danger la sécurité de ses collègues. Dans ce cas,
il ne s'agit plus d'une (simple) constatation de démission.
Ø Consulter la convention collective
applicable
Il est rare que les
conventions collectives contiennent des règles précises applicables à l'abandon
de poste, mais elles encadrent souvent la justification des absences. Les
accords d'entreprise, qui se substituent aux conventions collectives sur ce
sujet, prévoient généralement le délai imparti au salarié pour justifier son
absence, étant en général 48 heures.
Ø Échanges de correspondance : mise en
demeure
La mise en demeure, préalable
à toute autre action, doit être envoyée « par lettre recommandée ou remise en main propre », bien que
cette dernière option soit plutôt théorique car, dans la plupart des cas, le
salarié n’est plus en contact avec l’employeur.
Ø Absence d’une situation conflictuelle
Il sera très difficile pour
le salarié de contester la présomption de démission s'il ne peut pas prouver
l'existence d'un conflit préalable à l'abandon de poste.
Ø Absence de reprise au terme d'un arrêt de
travail
Il est déconseillé, en
l'absence actuelle de jurisprudence, d'assimiler l'absence de reprise à la fin
d'un arrêt de travail à un abandon de poste. Cela pourrait être perçu comme une
tentative de détournement des dispositions régissant l'inaptitude médicale.
Prudence et vigilance donc.
Ø Constater l'abandon de poste en cas de
télétravail
Pour les salariés en
télétravail, la constatation de l'abandon de poste s’effectuera à travers les
systèmes de contrôle de la durée de travail mis en place, soit par accord
collectif, soit par une charte régissant cet aménagement du travail dans
l'entreprise. Une déconnexion injustifiée et prolongée peut être considérée,
selon notre interprétation, comme un abandon de poste.
Ø Refus préalable d'une demande de rupture
conventionnelle du contrat de travail
Lorsque le salarié souhaite
quitter l'entreprise de manière sécurisée et tente d'obtenir une rupture
conventionnelle, face au refus de l'employeur, le salarié peut alors décider de
le contraindre à prendre l'initiative du licenciement et abandonne son poste,
espérant recevoir rapidement une convocation à un entretien préalable (auquel
il peut même choisir de ne pas se présenter, n'ayant pas l'intention de se
défendre).
Ce contournement de la loi ne
sera plus possible car l'employeur peut aisément le mettre en lumière en
produisant les échanges s’agissant de la demande de rupture conventionnelle.
Ø Embauche du salarié récente suivant
l'abandon de poste ou preuves d'une recherche d'emploi
Un autre argument en faveur
de l'employeur est que le salarié a rapidement retrouvé un emploi après son départ,
ce qui renforce l'idée qu’il voulait simplement réduire, voire éluder, son
préavis. La difficulté réside évidemment dans l'obtention de preuves démontrant
la concordance entre le départ du salarié et son embauche dans une autre
entreprise.
Les recherches d'emploi du
salarié dans les semaines ou les mois précédant son abandon de poste sont plus
faciles à trouver grâce aux réseaux sociaux.
Ces éléments, qui pourraient
être insuffisants pour justifier un licenciement, peuvent, selon notre
interprétation, être acceptés pour renforcer la présomption.