DROIT

L'Assemblée nationale veut mettre un coup d'arrêt à la disparition progressive des terres agricoles

L'Assemblée nationale veut mettre un coup d'arrêt à la disparition progressive des terres agricoles
Publié le 12/03/2025 à 18:20

Les députés viennent d’adopter, presque à l’unanimité, une proposition de loi qui entend lutter contre la disparition des terres agricoles françaises. Une réalité de plus en plus présente à mesure que les agriculteurs prennent leur retraite et peinent à trouver des repreneurs de leur exploitation.

Dans la soirée du mardi 11 mars, les députés de l’Assemblée nationale ont adopté, en première lecture, la proposition de loi « visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole ». Le texte, qui prévoit la modification de certaines dispositions du Code rural et de la pêche maritime, était porté par le député de la 6e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Peio Dufau (socialistes et apparentés). 

L’objectif de cette proposition : réguler les prix du foncier agricole et plus précisément d’endiguer le phénomène de « consommation masquée » des terres à vocation agricole. En effet, des personnes qui ne sont pas des exploitants agricoles achètent des terres agricoles pour en faire un autre usage que leur vocation initiale. En 2023, une superficie d’au moins 2,5 fois celle de Paris aurait été détournée pour un usage autre qu’agricole, soit près de 28 000 hectares détournés et inexploités, selon le député Peio Dufau.

En plus de ces stratégies de détournement, la disparition des terres agricoles est aussi accélérée par l’artificialisation croissante des sols, leur érosion ou encore la fusion des exploitations agricoles. Dans un rapport de 2022, la Safer (les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) avançait qu’entre 1970 et 2020, des terres agricoles dont la surface totale équivalait à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avaient disparu. Et cette situation inquiète les associations de défense de l’environnement et du secteur agricole qui y voient un danger pour l’avenir, déjà incertain, de l’agriculture et de ses métiers. 

Le nombre d’agriculteurs français encore en activité s’amoindrit d’année en année, posant la question des prochaines générations d’exploitants et du niveau de disponibilité des terres, à moyen et long terme. D’autant plus que deux tiers des agriculteurs devraient prendre leur retraite dans une dizaine d’années. Pour Peio Dufau, il est donc impérieux de mettre en ordre de marche une protection claire des terres agricoles, puisqu’elles « risquent de changer de mains » et de quitter le giron agricole, si rien n’est fait au niveau législatif.

Des terres agricoles détournées malgré des outils de régulation

Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) sont des outils historiques de régulation des terres agricoles, créées dès 1960. Elles « contribuent, ainsi dans leurs zones d’intervention, à la mise en œuvre du volet foncier de la politique d’aménagement et de développement durable du territoire rural en favorisant notamment le maintien des exploitants agricoles et en préservant l’environnement », précise le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), dans l’un de ses rapports, publié en 2020. Et pour mener à bien leur mission, les Safer jouissent d’un droit de préemption leur permettant d’acheter en priorité un bien agricole ou rural pour ensuite le revendre à un agriculteur désireux de s’installer ou à des collectivités territoriales chargées des parcs naturels.

Mais malgré ce droit de préemption, des contournements sont possibles lorsqu’une habitation se trouve sur des terres agricoles mises en vente. Dans ce cas de figure, la valeur de la bâtisse est beaucoup plus élevée que celle des terres agricoles sur lesquelles elle repose. La Safer peut alors proposer une préemption partielle, ce qui signifie qu’elle décide d’exercer son droit sur une partie seulement des biens aliénés, à savoir les terres agricoles. En revanche, le propriétaire a le droit de refuser la division de ses biens. Ce type de refus, qui est en réalité un cas d’école, rend alors impossible l’exercice du droit de préemption partielle de la Safer. 

La large utilisation de cette stratégie de contournement a finalement provoqué une disparition progressive des terres agricoles, vendues avec l’habitation, contre un prix jugé spéculatif. En effet, les prix affichés sont souvent très élevés, compte tenu de ces cas qui surviennent plus fréquemment dans des zones touristiques et littorales, émaillées par une forte tension foncière. Ces terres agricoles, vendues à des repreneurs autres que les Safer, deviennent généralement des jardins privatifs non-exploités et des parcelles perdues par le secteur agricole.

Alors que plusieurs cas de ce type ont largement été médiatisés en France, Peio Dufau a rappelé les faits de l’une de ces affaires, le mardi 11 mars, dans l’hémicycle. « À Arbonne, on a occupé une maison pour essayer de casser la vente qui était irresponsable. Il n’y a pas d’autres termes, et ça a été fait de manière transpartisane », a-t-il notamment déclaré, juste après l’adoption de la proposition de loi. De fait, en 2021, le propriétaire d’un domaine agricole de 15 hectares, localisé dans le Pays basque, réclamait 3,2 millions d’euros lors de sa mise en vente, alors que la Safer estimait la valeur de son bien à 800 000 euros. 

Cette mise en vente avait alors provoqué la colère de manifestants locaux, du syndicat d’exploitants ELB et de l’association Lurzaindia qui défend « l’installation de fermiers en agriculture paysanne ». Les opposants à cette vente avaient occupé la propriété pendant près de 100 jours, accusant le propriétaire de s’opposer à la division de ses biens, à savoir la séparation des terres du bâti, qui aurait pourtant permis à la Safer d’exercer son droit de préemption partielle. Le potentiel acquéreur s’était finalement retiré de la vente face à la pression de la mobilisation.

Une proposition de loi pour renforcer le pouvoir des Safer

À la fin du mois de février 2025, le Parlement avait adopté le projet de loi « d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». Mais, à l’instar de Peio Dufau, certains élus défenseurs des terres agricoles considéraient que le volet foncier était « le grand oublié » de cette loi d’orientation. C’est en espérant remédier à ce manquement qu’a été votée la proposition de loi « visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole », avec 203 voix favorables et 3 voix défavorables. Le texte se compose de quatre articles. Son article 2, alinéa 2 prévoit une extension du droit de préemption des Safer à de nouvelles communes, telles que les communes limitrophes de communes littorales ainsi que les communes en zone tendue, avec des difficultés généralisées d’accès au logement.

Le texte renforce également le droit de préemption des Safer afin de lutter contre les stratégies habituelles de contournement en refusant la division des biens. La proposition de loi donne ainsi la possibilité aux Safer de jouir d’un acte de cession qui leur permettra d’opérer plus aisément la séparation des terrains à usage ou vocation agricole des bâtiments d’habitation. De plus, selon l’article 3 bis, « lorsqu’il est en outre exigé de cette société qu’elle se porte acquéreur de l’ensemble des biens aliénés dans les conditions mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 143-1-1, elle adresse au notaire du vendeur une offre d’achat établie, en lien avec les commissaires du Gouvernement, à ses propres conditions »

L’article autorise donc les Safer à préempter la totalité d’un bien, selon ses conditions notifiées. Il s’agit là d’un moyen de lutter contre la spéculation des prix des biens, fréquente dans les zones tendues, puisque lesdites sociétés pourront réviser le prix total du bien, si ce dernier est jugé disproportionné. Enfin, l’amendement n°21, ajouté à l’article 3, précise que « le propriétaire est invité à faire connaître dès la notification de la cession s’il accepte la visite des biens par cette société et par les commissaires du Gouvernement ». Le texte accorde ainsi à la Safer un droit de visite des biens en vente en amont de toute décision d’achat potentiel.

Une proposition de loi pour réguler les prix du foncier agricole

En plus d’accorder des pouvoirs plus élargis à la Safer, le texte prévoit une série de mesures qui entend réguler l’inflation spéculative du prix des biens agricoles. C’est pourquoi la proposition de loi autorise la distinction entre le prix du bâti et le prix des terres agricoles, afin d’éviter la hausse du prix global, provoquée par la forte valeur du bâti. « La spéculation qui s’opère quand on vend ces terres avec du bâti fait que l’on perd toute notion de la vraie valeur de ces dernières », commentait Peio Dufau, le jour du vote. De ce fait, l’amendement n°38, intégré à l’article 1, prévoit « lorsque l’aliénation porte simultanément sur des biens soumis au droit de préemption de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural et sur d’autres biens, l’information distingue la valeur de ces autres biens et, parmi eux, des biens d’habitation, auxquels sont associés des terrains non bâtis ».

Le texte propose aussi de prolonger la durée de la vocation des bâtiments agricoles. Il s’agit d’une classification des bâtis situés dans les zones agricoles, naturelles ou non urbanisées et qui ouvre le droit de préemption de la Safer en cas de mise en vente. Actuellement, ces bâtiments à vocation agricole sont considérés comme tels s’ils ont été utilisés dans le cadre d’une activité agricole au cours des cinq dernières années précédant l’aliénation. Cette durée est applicable dans les zones rurales et montagneuses. En revanche, depuis 2019, la durée a été prolongée de quinze ans, passant d’un délai de cinq à vingt ans, pour les bâtiments à vocation agricole situés en zones littorales. 

Le texte porté par Peio Dufau entend ainsi prolonger ce délai de cinq ans à vingt ans pour les zones tendues. Une mesure qui permet de « faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs », selon le député socialiste et affiliés. Enfin, l’Assemblée nationale a voté l’amendement n°4 qui oblige le gouvernement, après la promulgation de cette loi, à remettre au Parlement « un rapport évaluant l’opportunité d’élargir le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural aux cessions partielles des parts ou des actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole », dans un délai de six mois.

Avant la séance des votes, la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Annie Genevard, a réitéré son soutien envers cette proposition de loi avant de s’inquiéter de son risque d’inconstitutionnalité. Elle a, en effet, émis l’hypothèse que le texte porte atteinte à « des droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le droit de propriété ». Annie Genevard a également fait remarquer : « Je vous engage à la prudence, dans la rédaction, afin que cet édifice, aussi séduisant soit-il pour la protection de notre foncier agricole, ne fasse pas l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel qui ne manquera pas, je suppose, d’être saisi ». Puisqu’il a été adopté en première lecture, le texte poursuivra sa navette parlementaire et sera présenté, pour un examen en première lecture, au Sénat.

Inès Guiza

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