Depuis 2020, les véhicules
d’investissement spécifiques que sont les « SPACs » (Special Purpose
Acquisition Companies) connaissent un essor fulgurant outre Atlantique, et
certains prédisent qu’il en sera bientôt de même en Europe.
Difficile en effet d’ignorer le phénomène avec déjà près de 308 introductions
en bourse de SPACs aux États-Unis depuis le début de l’année 2021 (248 en 2020)
et plus de 100 milliards de dollars levés sur cette même période.
En Europe, même si l’engouement
sera vraisemblablement plus mesuré qu’aux États-Unis, le phénomène SPAC met
déjà en ébullition les principales places financières. Face à la concurrence
croissante de la bourse d’Amsterdam, qui cherche à s’imposer comme la future
place de référence de cotation des SPACs, le gouvernement britannique a publié
le 3 mars dernier les résultats du « UK Listings Review », qui recommande un
allégement de la réglementation des SPACs au Royaume-Uni, avec l’objectif
affiché d’asseoir la compétitivité de la bourse de Londres face aux autres
marchés européens.
La France pourrait également
sortir son épingle du jeu, car la place parisienne dispose d’un environnement
tout à fait propice au développement des SPACs, ce que l’Autorité des Marchés
Financiers (AMF) a confirmé dans un communiqué du 15 avril 2021 dans lequel
elle constate une augmentation importante de projets d’introductions de SPACs à
la bourse de Paris depuis le début de l’année.
La première introduction en bourse en France d’une SPAC remonte à 2016, avec
une levée de fonds de 250 millions d’euros réalisée par la société Mediawan. À
la fin de l’année 2020, c’est la SPAC 2MX Organic qui a fait son entrée sur le
compartiment professionnel du marché règlementé d’Euronext Paris, représentant
ainsi l’introduction en bourse française la plus importante de l’année avec 300
millions d’euros levés. Il y a quelques semaines, le fonds de capital-risque
360 Capital a annoncé le projet d’introduction en bourse d’une SPAC dédiée aux
entreprises technologiques, sur Euronext Paris, dénommée « 360 Disruptech EU ».
Une SPAC, c’est quoi ?
La SPAC s’inscrit dans l’économie
du prototype. En effet, au moment de son lancement, la SPAC est une société
sans activité opérationnelle, au travers de laquelle les fondateurs (les «
sponsors ») vont lever des fonds auprès d’investisseurs via une introduction en
bourse, dans l’unique objectif de financer de futures acquisitions dans un
domaine défini (raison pour laquelle on parle de sociétés de chèques en blanc –
« blank check companies »). Cet objectif d’acquisition (que la pratique désigne
« de-SPAC » ou processus de « de-SPACing ») doit généralement se réaliser dans
un délai de 24 mois. Pendant ce délai, les sommes levées dans le cadre de l’introduction
en bourse sont bloquées sur un compte séquestre. À défaut de réalisation de
l’acquisition dans les délais prévus, la SPAC est liquidée et le boni de
liquidation distribué à ses actionnaires.
Quel est l’intérêt de recourir à
une SPAC ?
- Avantages pour les investisseurs : jusqu’au de-SPAC, les
investisseurs sont relativement sécurisés dans la mesure où la globalité
des sommes levées via l’introduction en bourse est immédiatement placée
sous séquestre. Si l’objectif d’acquisition n’est pas réalisé dans les
délais prévus, la SPAC sera dissoute et les investisseurs seront
remboursés de la valeur de leurs actions (dans la limite du prix de
souscription à l’introduction en bourse), par priorité sur le
remboursement des actions détenues par les sponsors. Dès l’introduction en
bourse, il faut aussi remarquer que les investisseurs (à l’exception des
sponsors généralement tenus par des engagements de conservation étendus)
auront naturellement la possibilité de céder leurs titres sur le marché
sans attendre la réalisation de l’acquisition initiale d’une cible. Enfin,
les actionnaires qui s’opposeraient à l’acquisition initiale de la cible
proposée par le management ont également la faculté de demander le rachat
de leurs actions au prix de l’introduction en bourse.
- Avantages pour les sociétés cibles : pour les sociétés en
pleine phase de développement, le recours au rachat par une SPAC
représente une opportunité de répondre plus rapidement, et en masse, à
leurs besoins élevés en financement court terme, lesquels sont souvent
difficiles à combler lors de la mise en œuvre de plusieurs tours de table
dans le cadre des opérations classiques de capital-risque. Ainsi, l’union
avec une SPAC peut s’avérer être une alternative efficace à l’industrie du
private equity, et représente surtout un processus accéléré d’introduction
en bourse permettant l’accès à la liquidité du marché boursier.
- Avantages pour les sponsors : l’avantage financier est
indéniable pour les sponsors en cas du succès du projet. Les actions
qu’ils détenaient avant l’introduction en bourse de la SPAC et souscrites
à une valeur nominale a fortiori très faible bénéficieront, une fois
l’acquisition de la cible réalisée, d’un cours de bourse nettement
supérieur, au même titre que l’ensemble des actions détenues par les
investisseurs et admises aux négociations sur le marché. Les sponsors
recevront à ce titre une part considérable dans la cible, généralement
jusqu’à 20 %, ce qui constitue de fait un investissement à très haut
rendement.
Paris, un marché accueillant pour les SPACs
Introduit en France en 2007, le
compartiment professionnel du marché réglementé d’Euronext Paris a été créé à
destination des investisseurs qualifiés pour permettre aux émetteurs
l’admission de leurs titres sur un marché réglementé (avec la liquidité qui le
caractérise) sans offre au public (par cotation directe, ou par suite d’un
placement privé). Ce marché, qui se singularise par sa souplesse, propose un
cadre particulièrement bien adapté aux SPACs. Le compartiment professionnel
offre ainsi aux investisseurs qualifiés la liquidité du marché réglementé, tout
en permettant aux actionnaires individuels, s’ils le souhaitent, d’acquérir les
titres de la SPAC sur le marché secondaire. En effet, le règlement général de
l’AMF dispose, dans son article 516-6, que les instruments financiers, une fois
admis sur le compartiment professionnel, peuvent être acquis par un
investisseur autre qu’un investisseur qualifié, pour autant que ce soit à «
l’initiative » de cet investisseur, et que ce dernier ait été dûment informé
des caractéristiques de ce compartiment par le prestataire de services
d’investissement.
L’admission sur le compartiment
professionnel est accompagnée de quelques exemptions par rapport aux
obligations qui incombent aux émetteurs dont les titres sont admis aux
négociations via une offre au public. La lettre de fin de travaux des
commissaires aux comptes sur le prospectus n’est pas requise (article 212- 15
du règlement général de l’AMF). De même pour l’attestation du prestataire de
services d’investissement (article 212- 16 du règlement général de l’AMF).
Enfin, le résumé du prospectus n’a pas besoin d’être traduit en français
(article 212-12 du règlement général de l’AMF). Il faut noter que dans son
communiqué du 15 avril 2021, l’AMF se montre particulièrement bienveillante à
l’égard des SPACs, et ne cache pas sa volonté de contribuer activement à leur
développement sur la place de Paris. Pour rassurer les esprits critiques, l’AMF
adresse un message clair au marché, en précisant notamment que les prospectus
sont instruits par ses services dans des délais efficaces (le cas échéant en
langue anglaise si l’émetteur le souhaite), qu’elle tiendra compte des spécificités
des SPACs au moment de l’accomplissement de ses diligences, tout en veillant à
la protection des investisseurs, et enfin que le droit français est
parfaitement compatible avec les mécanismes usuellement pratiqués par les
SPACs.
Guillaume Dolidon et Lou Recht, Dolidon
Partners (société d’avocats)
«La fièvre des Spac s’empare de l’Europe», par
Laurence Boisseau, Les Échos, 15 mars 2021.
SPACInsider, SPAC Research.
4) «Le cadre juridique français permet d’accueillir
les SPAC à Paris tout en veillant à la protection des investisseurs»,
communiqué de l’AMF, 15 avril 2021.
5) «360 Capital lance le premier SPAC dédié à la Tech
sur Euronext», par Guillaume Bregeras, Les Échos, 25 mars 2021.