Une semaine entière de débats était organisée début octobre par la
Mission de recherche Droit et Justice, le collège des Bernardins et
l’Inspection générale de la Justice. Dans le viseur : l’ineffectivité de
notre système pour lutter contre les atteintes à la biodiversité. L’occasion
idéale pour scruter à la loupe les recommandations du rapport « Une
Justice pour l’environnement », qui préconise notamment l’instauration
d’un délit de mise en péril de l’environnement.
Notre espèce est désormais capable de provoquer sa propre extinction en
modifiant les grands équilibres écologiques de la planète. Voici le constat
alarmant, dressé par le GIEC, que reprend le rapport « Une justice pour
l’environnement », commandé par les ministères de la Transition écologique
et de la Justice. Rendu public au début de l’année, il formule
21 recommandations visant à pallier les carences de la justice sur le plan
écologique. Recommandations sur lesquelles s’est appuyé le volet
environnemental du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice
pénale spécialisée, en cours d’examen devant l’Assemblée nationale.
À l’occasion de la semaine de débats organisée début octobre par la
Mission de recherche Droit et Justice, le Collège des Bernardins et
l'Inspection générale de la Justice, Delphine Agoguet, Daniel Atzenhoffer et
Vincent Delbos, magistrats et inspecteurs de la justice ayant contribué à la
rédaction de ce texte aux côtés de Jean-François Landel et Bruno Cinotti
(Conseil général de l’environnement et du développement durable), ont présenté
leurs travaux, lors d’une ultime journée de conférences retransmise en ligne,
le 9 octobre.
« Pendant 9 mois, nous avons procédé à un grand nombre de
consultations », a raconté Vincent Delbos. Les rapporteurs ont
également organisé une série de tables rondes associant professionnels et
chercheurs. Ils sont par ailleurs allés à la rencontre de ceux qui « vivent
le plus durement la crise écologique et attendent qu’un juge vienne reconnaître
leur droit à un environnement sain ». Pour toutes ces rencontres,
« la dimension internationale était primordiale, car les atteintes
environnementales ne s’arrêtent pas aux frontières nationales », a
souligné le magistrat. Et le bilan a fait apparaître plusieurs obstacles
majeurs, au premier titre desquels un droit complexe et protéiforme, générateur
d’illisibilité. À l’origine de ce manque de cohérence et d’intelligibilité,
l’existence, avant l’ordonnance du 11 janvier 2012, de 25 polices spéciales en
matière administrative et d’une cinquantaine de corps d’inspection chargés
d’appliquer ces polices. « Or, c’est sur ce découpage que s’est bâti le
droit pénal. Ce qui fait que l’on a des textes éparpillés dans différents
codes, et une constellation d’incriminations contraventionnelles et
délictuelles propres à chaque secteur », a expliqué Daniel
Atzenhoffer. Parmi les autres freins identifiés, les inspecteurs de la justice
relèvent des juridictions peu adaptées pour traiter ce type de contentieux, et
une gouvernance en silo qui, sur un sujet systémique, « ne peut pas
être opérationnelle », selon eux. Conséquence de tout cela, a relevé
Daniel Atzenhoffer, le contentieux environnemental représente
seulement 1 % du contentieux global. Un chiffre qui n’est « pas du
tout le reflet de la réalité du terrain », et qui, en plus d’être extrêmement
faible, s’avère en baisse ; divisé par deux depuis les années 90. Pour le
magistrat, ce pourcentage est très révélateur de « l’inadaptation de la
réponse judiciaire aux problématiques environnementales ». D’autant
que cette réponse consiste majoritairement à prononcer des alternatives aux
poursuites qui, en 2017, oscillaient entre 60 à 80 %. « Ces
mesures ont évidemment des vertus pédagogiques, mais dans le contentieux
environnemental, c’est plutôt une ressource commode pour traiter un contentieux
dont on ne sait pas vraiment quoi faire, a dénoncé Daniel Atzenhoffer. Certains
ont parlé de déni de justice, nous, nous parlons d’un contentieux délaissé. »
Zoom sur les propositions emblématiques
Parmi leurs préconisations phares, et pour « redonner du sens »,
les rapporteurs proposent notamment de regrouper la plupart des infractions
autonomes du Code de l’environnement dans le Code pénal. Ils recommandent
également la création d’une infraction générique d’atteinte à l’environnement,
« qui transcenderait la parcellisation du droit de l’environnement »,
a estimé Daniel Atzenhoffer. Selon le magistrat, la qualification
environnementale fait en effet défaut : c’est bien pour cela que dans la
plupart des affaires « dieselgate », les parquets et les juridictions
poursuivent et condamnent pour « tromperie sur les qualités
substantielles ». En la matière, les magistrats se prononcent donc
plus précisément pour l’instauration d’un délit de mise en péril de
l’environnement, qui aurait l’avantage de viser l’atteinte potentielle plutôt
que l’atteinte avérée.
Le texte suggère en outre de renforcer le caractère dissuasif du droit
pénal. Daniel Atzenhoffer a en effet indiqué que la faiblesse des peines
résultait de deux facteurs : le très grand nombre d’infractions de nature
contraventionnelle en matière environnementale, et le manque d’acculturation
des juges. « Quand on ne connaît pas le contexte global, il est
difficile de prononcer des peines d’une sévérité exemplaire », a
affirmé le magistrat. Plusieurs pistes sont ainsi envisagées par les auteurs du
rapport, comme faire l’inventaire complet des contraventions de 5e classe
méritant d’être correctionnalisées. « On peut notamment se demander si
le non-respect d’une norme réglementaire par un établissement SEVESO seuil O
doit rester une contravention de 5e classe », a
illustré Daniel Atzenhoffer. Les rapporteurs plaident encore pour réaliser des
assimilations entre infractions voisines afin de voir appliquée la règle de la
récidive, « totalement ignorée par le droit pénal ». Ils
défendent également la possibilité d’aller au-delà de l’amende maximale
encourue lorsque le comportement délictueux a permis de générer un profit
important, et défendent également la valorisation des peines complémentaires. À
ce titre, Daniel Atzenhoffer a précisé qu’il existait « en droit
positif des peines complémentaires très intéressantes qui ne sont pas
mobilisées par les parquets ni par les juges du siège ».
Autre point principal issu de la liste des propositions : la création
d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale,
reprise dans le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice
pénale spécialisée. Une convention « vertueuse », a assuré Daniel
Atzenhoffer, puisqu’elle permettrait de renforcer la responsabilité des
personnes morales, d’éviter les écueils des procès pénaux, de mieux encadrer la
mise en conformité et la réparation, et de rentrer dans la justice négociée,
« mieux adaptée en matière environnementale, avec une justice plus
préventive que punitive », a soutenu le magistrat.
Et pour s’assurer que la réparation soit bien effective, les rapporteurs
sollicitent à ce titre la mise en place d’un garant, a informé Vincent
Delbos.
La
spécialité : un enjeu prioritaire
Un gros enjeu concerne en outre la spécialité, qui est
« absolument nécessaire », selon Delphine Agoguet.
L’exigence de spécialité a d’ailleurs été reprise dans les propositions de la
Convention citoyenne pour le climat, constituée en octobre 2019 par le Conseil
économique, social et environnemental, qui parle de spécialiser les procureurs
et les juges, avec la création d’un juge aux affaires environnementales. Elle a
également été reprise dans le projet de loi relatif au parquet européen et à la
justice pénale spécialisée, qui prévoit la création de pôles spécialisés au
sein chaque cour d’appel.
Les auteurs du rapport n’ont cependant pas retenu l’idée d’un parquet
national vert. « Ce n’est pas parce que nous ne croyons pas à la
spécialité des procureurs - qui existe déjà dans chaque cour d’appel - mais [parce qu’] il nous a semblé que l’échelon national n’était pas le bon
échelon », a argumenté Delphine Agoguet.
Selon eux en effet, l’ordre public environnemental s’applique d’abord à une
délinquance de proximité, souvent liée aux spécificités géographiques,
industrielles et agricoles des territoires, bien que certaines atteintes ne
connaissent pas les frontières (pollution de l’air et de l’eau, trafic
d’espèces protégées). Delphine Agoguet a ajouté qu’en l’occurrence, une
coordination des poursuites à l’échelle européenne serait « un meilleur
niveau d’action ». « Mieux vaut plutôt aller vers de nouvelles
compétences vertes données au nouveau Parquet européen. »
Côté siège, les rapporteurs souhaitent voir créées des juridictions pour
la protection de l’environnement, « qui disposeraient d’une spécificité
statutaire et auraient vocation à donner à notre système judiciaire un
dispositif solide permettant d’appréhender les contentieux de l’environnement
d’une manière générale », a précisé Delphine Agoguet.
« Nous proposons donc de créer un juge dont l’office serait
systémique », a rapporté l’inspectrice de la justice, qui aurait
compétence en matière pénale et civile, pourrait agir dans l’urgence, et
jusqu’au stade de l’exécution des peines qu’il prononce et des mesures de
réparation qu’il ordonne. Un juge « qui aurait une vision panoptique du
litige et à tous les stades », a-t-elle insisté.
Si la spécialité semble actée pour le pénal, en l’état des débats, la
compétence civile d’un juge spécialisé n’est quant à elle pas encore acquise,
s’est toutefois inquiétée Delphine Agoguet. Pourtant, depuis plus de
15 ans, la directive européenne 2004/35/CE du 21 avril 2004 fixe un cadre
commun de responsabilité environnementale. « Or, sa transposition en
France en 2008 n’a pas permis de reprendre la philosophie et l’architecture de
ce régime de responsabilité », a regretté Delphine Agoguet. La
directive s’appuie sur le principe du pollueur-payeur, avec une responsabilité
fondée sur la réalisation du dommage et la menace imminente. Elle oblige
l’exploitant à supporter le coût des mesures préventives et prévoit un
mécanisme de responsabilité civile sans faute des entreprises quand
l’entreprise pratique des activités dangereuses.
Fait intéressant, la France a fait l’objet d’une mise en demeure de la
Commission européenne au motif que sa législation nationale ne permettait pas
de demander à l’autorité compétente de prendre des mesures de réparation des
dommages environnementaux. « Ce qui est dit en creux par la Commission,
c’est que la France devrait davantage judiciariser la responsabilité
environnementale des entreprises, et qu’en l’état, ce contrôle de la
responsabilité environnementale est essentiellement exercé par l’autorité
administrative et par la police administrative », a commenté Delphine
Agoguet.
Celle-ci a précisé que la France, pour se conformer, a légiféré, donnant
lieu à la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la nature, de la
biodiversité et des paysages (qui a introduit, dans le Code civil, des
dispositions destinées à confirmer la notion de préjudice écologique et à en
encadrer la réparation) et à la loi du 28 mars 2017 sur le devoir de vigilance
envers les entreprises.
Seulement, depuis 2016, pas plus de 10 actions en réparation du préjudice
écologique ont été engagées devant les tribunaux judiciaires français, et
aucune action de groupe environnementale n’a été formée. Par ailleurs, aucune
de ces lois ne prévoit un juge dédié à ces sujets. Une lacune importante aux
yeux de la magistrate, qui a de nouveau estimé qu’il était important
d’instituer ce juge et de lui confier des compétences pas uniquement pénales,
mais aussi en matière civile, « pour donner de la cohérence au régime
de responsabilité civile environnementale des entreprises ».
Transformer
la gouvernance
Toutefois, selon Vincent Delbos, tous ces changements seraient
« vains », a-t-il assuré, sans une transformation profonde de
la gouvernance pour créer un « écosystème judiciaire et administratif »
autour de plusieurs axes.
Sur le plan pénal, cela implique que toute la chaîne pénale soit
restructurée, renforcée, spécialisée. Ce qui passe, selon les rapporteurs, par
la création d’un service national d’enquête judiciaire écologique.
Autre axe envisagé : le rapprochement entre police administrative et
judiciaire, a évoqué Vincent Delbos. L’inspecteur de la justice a pointé du
doigt la dualité des ordres de juridictions : « On a des polices
administratives sous contrôle du juge administratif et des polices judiciaires
conduites sous l’autorité des procureurs de la république et des juges
d’instruction ; or les deux fonctionnent de façon cloisonnée. Pour que cela
marche, il faut qu'il puisse y avoir des points d’information, des partages de
données, car c’est à ce prix qu’on aboutira à une réelle efficacité de la
protection de l’environnement. » Deux expériences conduites dans les
Bouches-du-Rhône et en Outre-mer sont actuellement axées autour d’un tel
rapprochement. « Nous avons proposé leur systématisation dans le cadre
de comités opérationnels de défense écologique, pour avoir, au niveau local, un
lieu dans lequel mettre sur la table les stratégies de contrôle, les priorités,
les objectifs, et institutionnaliser les passerelles », a fait valoir
Vincent Delbos.
Enfin, ce dernier a prôné un accès facilité des citoyens à la justice.
Malgré la signature, par la France, de la Convention d’Aarhus sur l’accès à la
justice, en 1998, le magistrat a déploré que sur de nombreux aspects, notre
État était « très loin du compte dans ce domaine ». Il l’a
martelé : il faut plus de points d’information sur les droits des citoyens,
mais aussi des lieux dans lesquels favoriser tout ce qui relève de la
médiation. « Notre idée, c’est un point d’accès pour l’environnement »,
a-t-il synthétisé. Et depuis le dépôt du rapport, leurs auteurs ont eu une idée
: créer des maisons de la justice et du droit vertes.
Pour un
accès à la justice plus effectif
« Ce qui ressort et qui est important pour nous, c’est que le
rapport se concentre non seulement sur les moyens de faciliter l’accès à la
justice aux citoyens, aux ONG, etc., mais aussi sur les moyens pour le rendre
plus effectif », a réagi Anaïs Berthier, directrice pour l’Europe de
l’ONG ClientEarth. Pour commenter les propositions formulées par les inspecteurs
de la justice, chercheurs, praticiens et représentants d’organisations étaient
également réunis lors de cette ultime journée de conférences.
Si les ONG et les associations font la démarche de porter l’action devant
les tribunaux, elles se heurtent ensuite « au manque de formation,
d’expertise, de compétence », a en effet développé Anaïs Berthier.
« Le droit n’est pas appliqué », s’est-elle désolée, faisant
référence au nombre élevé de procédures d’infraction initiées par la Commission
européenne contre la France en matière environnementale, ainsi qu’au nombre
croissant d’actions contentieuses portées devant les juridictions.
Pour Antoine Gatet, juriste environnementaliste pour la fédération France
Nature Environnement, le rapport a pour autre mérite de rappeler que la
question de la justice environnementale est une question de démocratie
environnementale. Le juriste a admis qu’il y avait aujourd'hui, avec le
mécanisme de l’agrément des associations environnementales, « une
reconnaissance, par le ministère de la Justice, du rôle juridique et
contentieux que peuvent jouer les associations », toutefois, a-t-il
pointé, « il y a toujours une chape de secret, car dans ce droit
processuel, il y a des libertés à garantir, et notamment la présomption
d'innocence ». « On a l’impression que les services de police,
les procureurs, les préfets, surjouent ce volet : cela concerne la justice, pas
le public, donc cela doit être couvert du sceau du secret », a encore
considéré Antoine Gatet. Selon le juriste, les institutions ne sont pas
suffisamment acculturées aux questions environnementales, et devraient être
beaucoup plus ouvertes. « On a l’expérience du terrain : si les
procureurs spécialisés dans le domaine de l’environnement existent en théorie,
sur le terrain, cela est très rare. » Le constat est donc de nouveau
le même : les instruments existent, ils manquent encore d’effectivité. « Le
rapport est bien en cela, car il ne propose pas tant de rajouter des moyens,
plutôt qu’ils produisent des effets », a souligné Antoine Gatet.
« On
doit prévenir plutôt que guérir »
Pour Laurent Fonbaustier, professeur de droit public à l’université
Paris-Saclay, qui a livré ses remarques sous la forme d’une vidéo diffusée lors
des débats, le rapport met en exergue qu’il faut absolument faciliter un référé
environnemental en matière administrative, et s’interroger sur la façon dont le
juge peut, face à une situation d’extrême urgence, « déployer toute la
palette qu’il a, de l’injonction à l’astreint »”.
« Il ne faut pas perdre de vue que l’on doit “prévenir plutôt que
guérir”. Or, le plus souvent, les contentieux concernent des affaires déjà
nées. Mais il faut que tout le monde comprenne que le droit de l’environnement
est philosophiquement fondé sur la prévention des atteintes à l’environnement.
Tout doit être fait pour que le juge administratif puisse mettre l’accent dans
son action sur la logique de prévention des atteintes. Le référé et l’urgence
vont en ce sens », a insisté Laurent Fonbaustier.
La difficulté majeure, a-t-il jugé, est celle liée au fait que les juges
doivent dire le droit. Cela supposerait que le droit soit parfaitement
cohérent, accessible y compris au juge, et non contradictoire. Pourtant, les
normes que le juge doit appliquer ne vont pas souvent dans la même direction :
ainsi en va-t-il, par exemple, de la balance systématique entre écologie et
économie. « Il y a des logiques de conciliation qui président au
raisonnement des juges, et qui se font rarement au profit de l’environnement,
dans les faits. Il suffit de regarder comment ils appréhendent les mesures
compensatoires, correctives, palliatives. Le juge ne mesure pas toujours la
gravité de la situation, de l’urgence à affronter », a soutenu le
professeur.
Avocat associé chez Seattle avocats, Sébastien Mabile a, comme Laurent
Fonbaustier, martelé que la prévention était « le principe cardinal du
droit de l’environnement ». « On n’est pas en mesure de
tout réparer : il faut rester humble par rapport à la nature - certains
dommages sont graves et parfois irréversibles », a-t-il rappelé.
L’avocat a reproché une mauvaise application de l’article 3 de la Charte de
l’environnement selon lequel « Toute personne doit, dans les conditions
définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à
l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences », ainsi
que du principe de développement durable « éviter-réduire-compenser ».
Il l’a dit à plusieurs reprises : la prévention, c’est l’action. « Quand
on met en demeure Casino pour défaut de vigilance en matière de prévention des
feux en Amazonie, il faut réclamer des mesures précises, détaillées, à cette
entreprise », a-t-il illustré.
Sébastien Mabile a par ailleurs fait remarquer que les outils en place
n’étaient pas forcément adaptés à la matière environnementale. Ainsi, a-t-il
considéré, le trouble manifestement illicite et le dommage imminent « s’adaptent
mal », car le dommage trop lointain ou le lien de causalité entre le
risque et le dommage potentiel est difficile à établir. En revanche, les
dispositifs spécifiques sont davantage à même de porter leurs fruits, à
l’instar du référé spécifique aux milieux aquatiques, en matière pénale, a cité
l’avocat. Référé auquel « la chambre criminelle, dans un arrêt du 28
janvier 2020, a donné toute sa portée », s’est-t-il réjoui, soulignant
« la qualité de la jurisprudence » de ladite chambre en
matière de droit de l’environnement, en ce qu’elle fait « preuve
parfois d’audace et de décisions très bien motivées ».
Le rôle de
l’État montré du doigt
Pour Sébastien Mabile, le référé pénal aurait donc vocation à être élargi
à l’ensemble des dommages. Au contraire de Laurent Fonbaustier qui souhaiterait
que le référé administratif soit pleinement utilisé en matière
environnementale, l’avocat a considéré que le référé administratif était
« inefficace », ne répondant pas aux exigences de la
Convention d’Aarrhus d’avoir un recours rapide, efficace et effectif. Sébastien
Mabile a témoigné à ce titre d’une « expérience amère » vécue
l’an dernier, en Guyane, « territoire qui concentre beaucoup de
défaillances en matière de protection de l’environnement ». « Nous
avions attaqué une autorisation d’exploitation d’une mine d’or délivrée par un
préfet, qui nous semblait affectée de nombreux vices. Nous en référons devant
le tribunal administratif de Cayenne, et selon une jurisprudence constante, le
juge dit que l’urgence n’est pas caractérisée. Nous portons l’affaire devant le
Conseil d’État, sans succès. Nous attendons finalement 12 mois pour avoir accès
à un juge pour apprécier de la légalité de cette autorisation d’exploitation.
Or, c’était le temps nécessaire pour exploiter une mine d’or, a raconté
l’avocat. Un km² de forêts primaires a été détruit sans que l’impact n’ait
été évalué, or ces dommages sont irréversibles, faute d’avoir eu accès à un
juge dans un délai raisonnable. »
L’avocat a donc tiré la sonnette d’alarme : parfois c’est l’État lui-même
qui, en délivrant des autorisations d’exploitation, est à l’origine des
dommages causés à l’environnement.
Et quand il ne les cause pas, il n’agit en tout cas pas en conséquence et
n’applique pas les sanctions administratives qui devraient s’imposer, a fait
valoir Antoine Gatet. Le juriste a en effet estimé que la fonction du préfet en
matière de sanction était elle aussi « largement défaillante ».
« Le préfet doit gérer des questions complexes, et le procureur de la
République est bien content qu’il s’en occupe. Sauf que les préfets considèrent
généralement qu’en discutant avec les acteurs économiques, il est possible de
résoudre les problèmes. Ils demandent donc souvent à leurs services de ne pas
dresser de mises en demeure ou de ne pas faire de rapports en manquements. D’où
le taux de 80 % d’alternatives aux poursuites, et surtout de “sanctions
administratives” qui ne sont jamais appliquées. » Le juriste a ainsi
salué la volonté, discutée dans le rapport, de faire en sorte que le volet
« sanctions administratives » soit assuré par une autorité
administrative indépendante, et a également approuvé la proposition de créer un
délit de mise en danger de l’environnement : « Il est normal que
cela soit pénalisé et que les entreprises en répondent devant les juridictions
judiciaires. » Une considération sur laquelle tous les intervenants
ont semblé s’entendre.
Bérengère Margaritelli