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La crème des inventions culinaires

La crème des inventions culinaires
Publié le 23/12/2022 à 09:50

Parmi les quelque 10 millions de documents ayant le statut d’archives historiques conservés par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), un bon nombre touche à un domaine cher aux Français : celui de l’alimentation en général et du « bien manger » en particulier. Nicolas Appert, Jean-Baptiste André Godin, Charles Christofle et Auguste Escoffier, quatre figures de l’innovation au service de la cuisine française, ont notamment déposé des marques et brevets, conservés dans les archives de l’INPI.

Des milliers de brevets d’invention, de marques de fabrique et de commerce ou encore de dessins & modèles témoignent de l’évolution, non seulement de la cuisine, mais aussi du partage du repas, au XIXe siècle. Quatre individus y ont notamment œuvré : Nicolas Appert, Jean-Baptiste André Godin, Charles Christofle et Auguste Escoffier. 

Les découvertes et les activités de ces entrepreneurs hors pair – officiant pourtant dans des domaines très différents – participent à moderniser les techniques et les pratiques culinaires. Ils contribuent ainsi à la naissance de la « gastronomie » telle que la définit Brillat-Savarin en 1823 dans sa Physiologie du Goût. Trait d’union entre les quatre hommes : tous ont pris soin de protéger leurs découvertes et les activités qui en découlent, de la conservation ou cuisson des aliments jusqu’à leur préparation puis leur présentation sur la table.

Aux origines de la boîte de conserve

Le XIXe siècle est celui des grandes découvertes. Le vaste domaine de l’alimentation n’y échappe pas. Profitant des avancées d’autres domaines industriels comme celui de la chimie ou de la métallurgie, encouragés par la poussée démographique, l’amélioration de la santé et de l’hygiène et les mouvements culturels, d’inexorables changements s’opèrent dans la manière de se nourrir et de cuisiner. La production du sucre de betterave, la création des premières laiteries industrielles ou l’invention de la margarine, brevetée en 1869, n’en sont que quelques exemples.

Dès 1895, un ingénieux confiseur met au point un système de conservation des aliments à l’aide de la chaleur. Nicolas Appert (1749-1841) invente le procédé de stérilisation qui porte aujourd’hui son nom : l’appertisation. À cette époque, on conserve encore les aliments par salage, fumage, dans de l’alcool, du vinaigre, de la graisse ou encore du sucre. Ces procédés ne permettent qu’une conservation partielle et ne gardent pas les substances dans leur intégralité. L’appertisation permet désormais une bonne conservation : en bouteille tout d’abord puis dans des boîtes hermétiques, les fameuses boîtes de conserve. 

À partir de là, des préparations tels que les pâtés, les plats préparés, mais aussi les produits frais comme le poisson, les fruits de mer, les fruits ou les légumes, se gardent plus longtemps. Ils peuvent ainsi voyager et s’échanger plus facilement. De nouveaux produits apparaissent et le champ des recettes s’élargit. Si Appert laisse son nom à son procédé, son patronyme reste également attaché aux différents repreneurs et exploitants de sa découverte : les maisons Prieur-Appert ou encore Chevallier-Appert feront de la production de boîte de conserve leur spécialité jusqu’au début du XXe siècle.

Tout feu tout flamme

La maîtrise de la cuisson est également un atout important quand on est derrière les fourneaux. Jules Gouffé, cuisinier renommé, à l’origine du livre de recettes tel qu’on le conçoit aujourd’hui, décrit dans son Livre de cuisine, en 1867, trois espèces de feux pour divers types de cuissons : le « feu de marmite » doux et continu pour le pot-au-feu, le « feu de grillade » qui doit toujours être égal et le « feu de rôti » ou « feu soutenu ». Dans le même temps, le braisage et le poêlage font leur apparition. Le fourneau de cuisine, qui est à l’origine un ouvrage clos, maçonné en pierre ou en brique, est dérivé des anciens fours où la cuisson se faisait dans l’espace intérieur chauffé, le feu étant contenu dans un foyer fermé. La cuisson s’y effectue par l’intermédiaire des braises qu’il contient. Cette forme d’ouvrage s’est appelée le potager, où l’on y confectionne le potage. 

Au XXe siècle, les potagers sont progressivement remplacés par des poêles ou des fourneaux plus modernes dont la partie contenant les braises, puis le charbon, est composée de plaques de fonte. Ils sont pensés pour être multifonctionnels et, outre le chauffage, ceux installés dans les cuisines deviennent des « cuisinières » avec même la possibilité de produire de l’eau chaude. L’un des principaux acteurs de ce changement est Jean-Baptiste André Godin (1817-1888). Industriel éclairé, inspiré par le socialisme utopique, il imagine des créations qui s’adaptent suivant leur utilisation. Les cuisinières Godin révolutionnent l’espace de la cuisine toute entière, elles deviennent un élément à part entière des foyers, des plus aisés tout d’abord jusqu’aux plus modestes, en passant par les restaurants.

Un service hors pair

L’apparition et le développement de ces nouveaux établissements, dont certains deviennent de véritables lieux du plaisir gustatif, participent également à l’évolution de la cuisine et à lui faire prendre la voie de la « grande » cuisine. Dans les années 1810, pour faciliter le service, certains maîtres d’hôtel introduisent le service dit « à la russe » au cours duquel les plats sont servis un par un. Parallèlement, la bourgeoisie s’empare de la table pour en faire l’un des symboles de sa réussite sociale. Et vis-à-vis de ses convives, on ne brille pas que dans l’assiette : le service de table et une table bien dressée participent aussi au plaisir de la dégustation. Assiettes, couverts ou encore verres, chaque pièce fait l’objet de maintes déclinaisons suivant son usage ou ce qu’il contient : soupe, poisson, viande, fromage, desserts, escargots, huîtres, etc. 

À l’instar de Charles Christofle (1805-1863), certains orfèvres en font une de leurs spécialités. Christofle perfectionne ainsi les techniques de fabrication des couverts et brevète même un réchaud propre au service de la table en 1846. Pour la célèbre Maison – dont l’activité perdure encore aujourd’hui –, l’art de la table est bel est bien un art, et elle tend à le démontrer par ses créations d’exception.

Des mets d’exception

Côté recettes, même si les préparations culinaires ne sont théoriquement pas brevetables, on observe quelques exceptions, comme la préparation des escargots de Bourgogne et des petits escargots gris de vigne au vin blanc de Chablis, brevetée en 1890, qui peut encore en faire saliver certains. On dénombre également diverses compositions et méthodes de gâteaux, comme celle de voyage dite « le chaumontais », brevetée en 1882, ou encore la fabrication d’une terrine, dite « pâté parisien », en 1874. 

En 1880, le maître d’hôtel Auguste Sacaron dépose un brevet pour la confection d’un pâté de foies gras en croute dont la pâte est comestible. Véritable innovation, puisqu’à l’origine, les pâtes ne sont pas destinées à être mangées, mais permettent de conserver la viande plus longtemps. Le « roi des cuisiniers et cuisinier des rois », Auguste Escoffier (1846-1935), n’est pas en reste. Révolutionnaire dans la manière de cuisiner, Escoffier considère qu’un bon repas doit être tout aussi agréable à déguster que léger à digérer. Grâce à lui, l’art culinaire connaît un vaste mouvement de simplification. Il dépose entre autres un brevet pour une machine perfectionnée à tourner les fruits et légumes dite « l’express » ou encore une double crème parfumée aux fruits. En véritable homme d’affaires, il enregistre également ses créations, mais aussi son nom en tant que marque de fabrique et de commerce.

En classant le « repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010, l’UNESCO célèbre la cuisine et le partage des repas comme une véritable pratique culturelle. Comme souvent, cette pratique sociale est liée à l’évolution des sciences et des techniques. Au XXe siècle surtout, des innovations viennent bouleverser pour longtemps la production, la conservation, la transformation mais aussi la distribution et la présentation des aliments sur la table des Français. Témoins clés de ces mutations, les archives historiques conservées par l’INPI constituent aujourd’hui le passage obligé pour qui veut en reconstituer l’histoire.

 

Steeve Gallizia,

Chargé de valorisation des archives patrimoniales à l’INPI

 

Légende et crédit photo : brevet d’invention déposé le 8 mars 1872 par Jean-Baptiste-André Godin pour une cuisinière en fonte, ses organes accessoires et les procédés nouveaux de construction servant à sa fabrication (1BB87600, archives INPI)



 


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