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Le juge, les éoliennes et la préservation du patrimoine naturel : zoom sur l'actualité jurisprudentielle

Le juge, les éoliennes et la préservation du patrimoine naturel : zoom sur l'actualité jurisprudentielle
Publié le 03/11/2022 à 12:07
 

La jurisprudence abondante en la matière, qui s’inscrit dans un contexte normatif renouvelé, met en avant une approche casuistique du juge. Une revue des principales décisions rendues récemment permet d’obtenir un aperçu des moyens pouvant être efficacement soulevés contre ces projets, bien qu’une difficulté demeure : celle de la démolition des infrastructures illégales.

 

 

À l’approche de l’hiver, la crise énergétique à laquelle la France s’apprête à faire face relance plus que jamais la politique volontariste des pouvoirs publics en faveur des énergies renouvelables et en particulier des éoliennes.

 

Ces dernières années, les paysages français ont vu se développer un nombre inédit de champs d’éoliennes. La France comptait environ 13 500 éoliennes en 2018, contre près de 19 000 début 2022, s’insérant de manière très inégale dans les paysages. De nombreuses nouvelles infrastructures sont encore en projet.

 

Cet accroissement sans précédent des demandes d’autorisation soulève de vives oppositions et suscite un important contentieux, de sorte que depuis le début de l’année 2022, le Conseil d’État se prononce sur un projet éolien chaque mois.

 

Un contexte normatif renouvelé

 

De la loi Climat et Résilience d’août 2021 à la loi 3DS de février 2022, les textes favorisant l’extension des infrastructures de production d’énergies renouvelables se multiplient. En septembre 2022, un nouveau projet de loi relatif à l’accélération de la production de ces énergies, visant leur « déploiement massif » et l’amélioration de « l’acceptabilité locale », est apparu.

 

Face aux pénuries projetées, le Gouvernement incite également les préfets à faciliter et accélérer l’instruction des dossiers en cours et à venir en s’assurant « qu’aucune instruction n’excède 24 mois » et même 18 mois pour le renouvellement des parcs éoliens existants (1).

 

Cette célérité dans l’instruction des demandes se couple avec l’accélération des procédures contentieuses, notamment depuis que les cours administratives d’appel sont compétentes en premier de dernier ressort pour statuer en la matière. D’ailleurs, ces cours ont récemment étendu leur compétence aux contentieux indemnitaires tendant à la réparation des préjudices résultant de ces décisions (2).

 

Le contexte normatif évolue également sous l’impulsion du Conseil d’État qui a, d’une part, condamné l’État à une astreinte historique pour retard dans l’exécution de ses obligations en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (3) et, d’autre part, consacré une nouvelle avancée en jugeant que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé présentait le caractère d’une liberté fondamentale (4).

 

La casuistique du juge dont il convient de tirer les enseignements

 

Dans ce contexte normatif renouvelé, le juge dispose d’une importante marge de manœuvre et développe une approche casuistique.

 

L’analyse de la jurisprudence récente relative à l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme qui permet à l’autorité compétente de refuser d’autoriser un projet « portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants » démontre que ces dispositions demeurent un levier efficace contre des projets éoliens. Les juridictions opèrent toutefois un contrôle factuel des caractéristiques du projet et des lieux avoisinants, les conduisant tantôt à annuler le projet (5), tantôt à le confirmer (6).

 

Dans ce cadre, par une décision récente relative à un projet éolien, le Conseil d’État a précisé que pour caractériser une atteinte au caractère des lieux, l’autorité administrative devait prendre en compte la co-visibilité du projet avec les bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient au titre de la loi (7).

 

L’article L. 511-1 du Code de l’environnement, dans sa version en vigueur depuis le 25 août 2021 qui vise à prévenir les « dangers et inconvénients pour la commodité du voisinage », a également justifié plusieurs annulations de projet. La récente décision du Conseil d’État du 14 octobre 2022 n’a pas remis en cause l’analyse faite par la cour administrative d’appel de Nantes sur ce fondement pour annuler le projet éolien de Noyal-Muzillac (8). À l’inverse, en juillet 2022, le Conseil d’État a rejeté le recours contre un projet au regard de ces mêmes dispositions (9).

 

Par ailleurs, dans son appréciation, le juge ne s’arrête pas à la qualification d’« espace de respiration visuelle » donnée par les documents d’urbanisme, mais ajoute une appréciation concrète de la configuration du site, parfois au terme d’une visite des lieux en vue de déterminer les effets d’encerclement, d’étalement et de comblement des espaces de respiration susceptibles d’être provoqués par le projet de parc éolien (10).

 

Enfin, la jurisprudence récente confirme que les moyens relatifs à l’impact des projets sur la faune sont eux aussi efficaces pour contester les projets. Par exemple, le Conseil d’État a récemment confirmé sur ce fondement l’annulation d’un arrêté d’autorisation de construire un parc éolien dans l’Hérault (11). C’est également sur le fondement de l’insuffisance de l’étude d’impact au regard de la protection d’espèces protégées que le Conseil d’État a annulé l’autorisation relative aux éoliennes de Bernagues.

 

La démolition de l’éolienne illégale : une difficulté persistante

 

L’affaire des éoliennes de Bernagues est l’occasion d’évoquer une difficulté majeure que présente ce contentieux : celle de la démolition des infrastructures en cas d’annulation de l’autorisation par le juge.

 

Dans cette affaire, tout comme dans celle des éoliennes de Noyal-Muzillac, les autorisations ont été annulées par le juge alors même que les éoliennes étaient déjà en place. Bien que la jurisprudence consacre l’absence de droit acquis à exploiter une éolienne (12), ces hypothèses constituent souvent une impasse.

 

La démolition des constructions édifiées en application d’une autorisation annulée postérieurement par le juge administratif relève, dans certains cas, du juge judiciaire. C’est ainsi que suite à l’annulation par la cour administrative d’appel de Marseille de l’autorisation délivrée par le préfet, le tribunal judiciaire de Montpellier (13) a ordonné la démolition des éoliennes de Bernagues : une première en France.

 

Cependant, ce jugement a bien vite été renversé par la cour d’appel de Montpellier (14). Cet arrêt aboutit à une incohérence juridique : les éoliennes, bien qu’illégales, ne pourraient pas être démolies.

 

Le contentieux administratif étant marqué par le caractère non suspensif des recours, afin de tenter d’éviter ces situations, l’importance est alors grande pour les opposants à ces projets d’assortir leurs recours d’autres procédures, et notamment de référés suspension.

 

Alexandre Riquier,

Avocat en droit public au barreau de Paris

 

1) Instruction du 16 septembre 2022 relative notamment à l’accélération du développement des projets d’énergie renouvelable.

2) CAA Toulouse, 30 mars 2022, n° 19TL24375 ; CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 19NC00481.

3) CE, 4 août 2021, commune de Grandes Sainthes, n° 428409.

4) CE, 20 septembre 2022, n° 451129.

5) CE, 19 juillet 2022, n° 451324 ; CAA de Versailles, 11 avril 2022, n° 20VE03265.

6) CE, 15 avril 2021, n° 430497, 430498 et 430500.

7) CE, 22 septembre 2022, n°455658.

8) CAA Nantes, 15 février 2022, n° 20NT03738.

9) CE, 21 juillet 2022, n° 437044.

10) CAA Douai, 18 juillet 2022, n° 21DA00631.

11) CE, 10 mars 2022, n° 439784.

12) CAA Nantes, 20 mars 2022, n° 20NT03690.

13) TJ Montpellier, 19 février 2021, n° RG18/03961.

14) CA Montpellier, 3 juin 2021, n° 21/01649.

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