La
jurisprudence abondante en la matière, qui s’inscrit dans un contexte normatif
renouvelé, met en avant une approche casuistique du juge. Une revue des
principales décisions rendues récemment permet d’obtenir un aperçu des moyens
pouvant être efficacement soulevés contre ces projets, bien qu’une difficulté
demeure : celle de la démolition des infrastructures illégales.
À
l’approche de l’hiver, la crise énergétique à laquelle la France s’apprête à
faire face relance plus que jamais la politique volontariste des pouvoirs
publics en faveur des énergies renouvelables et en particulier des éoliennes.
Ces
dernières années, les paysages français ont vu se développer un nombre inédit
de champs d’éoliennes. La France comptait environ 13 500 éoliennes en
2018, contre près de 19 000 début 2022, s’insérant de manière très inégale
dans les paysages. De nombreuses nouvelles infrastructures sont encore en
projet.
Cet
accroissement sans précédent des demandes d’autorisation soulève de vives
oppositions et suscite un important contentieux, de sorte que depuis le début
de l’année 2022, le Conseil d’État se prononce sur un projet éolien chaque
mois.
Un
contexte normatif renouvelé
De
la loi Climat et Résilience d’août 2021 à la loi 3DS de février 2022, les
textes favorisant l’extension des infrastructures de production d’énergies
renouvelables se multiplient. En septembre 2022, un nouveau projet de loi
relatif à l’accélération de la production de ces énergies, visant leur « déploiement
massif » et l’amélioration de « l’acceptabilité locale »,
est apparu.
Face
aux pénuries projetées, le Gouvernement incite également les préfets à
faciliter et accélérer l’instruction des dossiers en cours et à venir en
s’assurant « qu’aucune instruction n’excède 24 mois » et même
18 mois pour le renouvellement des parcs éoliens existants (1).
Cette
célérité dans l’instruction des demandes se couple avec l’accélération des
procédures contentieuses, notamment depuis que les cours administratives
d’appel sont compétentes en premier de dernier ressort pour statuer en la
matière. D’ailleurs, ces cours ont récemment étendu leur compétence aux
contentieux indemnitaires tendant à la réparation des préjudices résultant de
ces décisions (2).
Le
contexte normatif évolue également sous l’impulsion du Conseil d’État qui a,
d’une part, condamné l’État à une astreinte historique pour retard dans
l’exécution de ses obligations en matière de réduction des émissions de gaz à
effet de serre (3) et, d’autre part, consacré une nouvelle avancée en
jugeant que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et
respectueux de la santé présentait le caractère d’une liberté fondamentale (4).
La
casuistique du juge dont il convient de tirer les enseignements
Dans
ce contexte normatif renouvelé, le juge dispose d’une importante marge de
manœuvre et développe une approche casuistique.
L’analyse
de la jurisprudence récente relative à l’article R. 111-27 du Code de
l’urbanisme qui permet à l’autorité compétente de refuser d’autoriser un projet
« portant atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants »
démontre que ces dispositions demeurent un levier efficace contre des projets
éoliens. Les juridictions opèrent toutefois un contrôle factuel des
caractéristiques du projet et des lieux avoisinants, les conduisant tantôt à
annuler le projet (5), tantôt à le confirmer (6).
Dans
ce cadre, par une décision récente relative à un projet éolien, le Conseil
d’État a précisé que pour caractériser une atteinte au caractère des lieux,
l’autorité administrative devait prendre en compte la co-visibilité du projet
avec les bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils
bénéficient au titre de la loi (7).
L’article
L. 511-1 du Code de l’environnement, dans sa version en vigueur depuis le 25 août
2021 qui vise à prévenir les « dangers et inconvénients pour la
commodité du voisinage », a également justifié plusieurs annulations
de projet. La récente décision du Conseil d’État du 14 octobre 2022 n’a pas
remis en cause l’analyse faite par la cour administrative d’appel de Nantes sur
ce fondement pour annuler le projet éolien de Noyal-Muzillac (8). À l’inverse,
en juillet 2022, le Conseil d’État a rejeté le recours contre un projet au
regard de ces mêmes dispositions (9).
Par
ailleurs, dans son appréciation, le juge ne s’arrête pas à la qualification d’« espace
de respiration visuelle » donnée par les documents d’urbanisme, mais
ajoute une appréciation concrète de la configuration du site, parfois au terme
d’une visite des lieux en vue de déterminer les effets d’encerclement,
d’étalement et de comblement des espaces de respiration susceptibles d’être
provoqués par le projet de parc éolien (10).
Enfin,
la jurisprudence récente confirme que les moyens relatifs à l’impact des
projets sur la faune sont eux aussi efficaces pour contester les projets. Par
exemple, le Conseil d’État a récemment confirmé sur ce fondement l’annulation
d’un arrêté d’autorisation de construire un parc éolien dans l’Hérault (11). C’est
également sur le fondement de l’insuffisance de l’étude d’impact au regard de
la protection d’espèces protégées que le Conseil d’État a annulé l’autorisation
relative aux éoliennes de Bernagues.
La
démolition de l’éolienne illégale : une difficulté persistante
L’affaire
des éoliennes de Bernagues est l’occasion d’évoquer une difficulté majeure que
présente ce contentieux : celle de la démolition des infrastructures en
cas d’annulation de l’autorisation par le juge.
Dans
cette affaire, tout comme dans celle des éoliennes de Noyal-Muzillac, les
autorisations ont été annulées par le juge alors même que les éoliennes étaient
déjà en place. Bien que la jurisprudence consacre l’absence de droit acquis à
exploiter une éolienne (12), ces hypothèses constituent souvent une impasse.
La
démolition des constructions édifiées en application d’une autorisation annulée
postérieurement par le juge administratif relève, dans certains cas, du juge
judiciaire. C’est ainsi que suite à l’annulation par la cour administrative d’appel
de Marseille de l’autorisation délivrée par le préfet, le tribunal judiciaire
de Montpellier (13) a ordonné la démolition des éoliennes de Bernagues :
une première en France.
Cependant,
ce jugement a bien vite été renversé par la cour d’appel de Montpellier (14).
Cet arrêt aboutit à une incohérence juridique : les éoliennes, bien
qu’illégales, ne pourraient pas être démolies.
Le
contentieux administratif étant marqué par le caractère non suspensif des
recours, afin de tenter d’éviter ces situations, l’importance est alors grande
pour les opposants à ces projets d’assortir leurs recours d’autres procédures,
et notamment de référés suspension.
Alexandre Riquier,
Avocat en droit public au barreau de Paris
1) Instruction du 16
septembre 2022 relative notamment à l’accélération du développement des projets
d’énergie renouvelable.
2) CAA Toulouse, 30 mars
2022, n° 19TL24375 ; CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 19NC00481.
3) CE, 4 août 2021, commune
de Grandes Sainthes, n° 428409.
4) CE, 20 septembre 2022,
n° 451129.
5) CE, 19 juillet 2022,
n° 451324 ; CAA de Versailles, 11 avril 2022, n° 20VE03265.
6) CE, 15 avril 2021,
n° 430497, 430498 et 430500.
7) CE, 22 septembre 2022,
n°455658.
8) CAA Nantes, 15 février
2022, n° 20NT03738.
9) CE, 21 juillet 2022,
n° 437044.
10) CAA Douai, 18 juillet
2022, n° 21DA00631.
11) CE, 10 mars 2022,
n° 439784.
12) CAA Nantes, 20 mars
2022, n° 20NT03690.
13) TJ Montpellier, 19
février 2021, n° RG18/03961.
14) CA Montpellier, 3 juin
2021, n° 21/01649.