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Le label délivré par l’AMF aux émetteurs de jetons : équilibre entre avantage compétitif et protection des investisseurs

Le label délivré par l’AMF aux émetteurs de jetons : équilibre entre avantage compétitif et protection des investisseurs
Publié le 16/08/2020 à 11:00


 

Partenariat entre l’Université Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés


L’Université Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un partenariat concernant la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de décisions de jurisprudence par les étudiants du Master II droit des affaires. Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous la supervision d’enseignants dans le Master.

 

 

Plus de 20 milliards de dollars ont été levés1 dans le cadre des « Initial Coin Offerings » (ICO)2, définies comme des opérations de levées de fonds par émission de jetons numériques (« tokens »), via la technologie blockchain ou tout autre dispositif d’enregistrement électronique partagé. Elles permettent le financement de projets « early stage » par le grand public, en contrepartie de quoi, les investisseurs obtiennent des jetons d’utilisation du service faisant l’objet du projet (« utility tokens »). L’ICO est à la blockchain ce que l’introduction en Bourse appelée « Initial Public Offering » (IPO) est à la Bourse.


Apparue en 2014, cette « token économie » a donné lieu à une surmédiatisation produisant un engouement certain, voire une frénésie autour des ICO. Cette révolution qui a permis à de jeunes entreprises de bénéficier d’un financement important en phase d’amorçage a également attiré certains grands groupes industriels (Havas, Thalès et Airbus, sponsors du projet « Talao »).


Néanmoins, bien que considérée pour beaucoup comme le mode de financement de l’avenir, l’émission de jetons via la blockchain présente certains dangers. Le premier risque est lié à la grande volatilité du cours du token et des cryptomonnaies. En 2017, l’engouement autour de la blockchain a eu pour effet des valorisations élevées et déraisonnables d’ICO (affaire Tezos). Avec des valeurs aussi décorrélées de la réalité, la bulle spéculative a fini par dégonfler peu à peu, produisant des pertes pour les investisseurs. L’intérêt substantiel pour la blockchain s’est alors amoindri au regard de ce risque lié à la volatilité du token. Un autre facteur a freiné l’engouement autour des crypto-actifs et constitue le deuxième risque des ICO. Il s’agit de la prolifération d’arnaques et de fraudes avec, en l’absence de cadre juridique idoine, une protection inadaptée des investisseurs. Enfin, les transactions via la blockchain favorisent le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. De manière générale, il subsiste un manque de transparence sur le porteur de projet et les investisseurs.


Face à ces risques sérieux, certains pays ont décidé de l’interdiction pure et simple des ICO (Corée du Sud, Chine). D’autres ont soumis ces transactions au régime strict des offres au public de titres financiers (États-Unis). D’autres encore ont fait le choix d’un guide pratique (Suisse). La France, quant à elle, a été le premier pays à élaborer un cadre ad hoc et optionnel pour l’émission de ces nouveaux instruments de mobilisation de l’épargne. En effet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) est intervenue en proposant un cadre juridique adapté à ces offres au public de jetons, intégré à la loi PACTE promulguée le 22 mai 20193. Le régulateur a créé un visa optionnel octroyé sous certaines conditions aux porteurs de projets (I).


L’AMF a cherché un moyen d’atteindre un juste équilibre entre les intérêts des porteurs de projets et des investisseurs (II). En effet, d’un côté, les émetteurs de jetons profitent, du fait de l’optionalité du visa, d’une meilleure attractivité pour les projets innovants et sérieux et d’un avantage compétitif par rapport aux fraudeurs. D’un autre côté, cela permet aux investisseurs de bénéficier d’une protection contre les risques et de la garantie d’un projet sérieux. Ce nouveau cadre juridique complet en matière de crypto-actifs est susceptible de conférer à la France un avantage compétitif significatif pour attirer l’innovation.


 


I. La création par la loi PACTE d’un visa optionnel octroyé par l’AMF dans le cadre d’une offre au public de jetons


Avant la loi PACTE, des porteurs de projets avaient sollicité l’AMF, désireux de connaître le régime applicable aux offres au public de jetons, en l’absence de clarté réglementaire et législative. Afin d’attirer les projets sérieux en France par un régime favorable, mais également de faire face à la frénésie médiatique et aux risques de prolifération de projets douteux, l’AMF a souhaité encadrer les offres au public de jetons. Pour ce faire, elle a entamé une démarche de dialogue avec les entrepreneurs à l’aune d’une consultation publique, lancée le 26 octobre 20174. Cette consultation a donné lieu à la construction des principales orientations pour l’encadrement des offres au public de jetons. Cela a abouti à la promulgation de la loi PACTE le 22 mai 2019 qui a fourni un cadre juridique aux offres au public de jetons. Les articles L. 552-1 et s. du Code monétaire et financier, créés par la loi PACTE, définissent en premier lieu les jetons numériques (A), avant de préciser le régime correspondant (B).


 


A. La définition du jeton numérique par la loi PACTE


« Une offre au public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons » (article L. 552-3 nouveau du Code monétaire et financier). Afin d’attribuer aux offres au public de jetons un régime idoine, l’enjeu préalable a été de fournir une qualification appropriée des jetons, ce qui s’est avéré difficile, compte tenu du caractère hybride de l’offre au public de jetons. En effet, elle présente certaines ressemblances avec l’offre au public de titres financiers et de parts sociales, le capital investissement et le financement participatif.


L’article L. 552-2 nouveau du Code monétaire et financier a défini le jeton numérique comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». Le jeton tel qu’il est visé par le Code monétaire et financier correspond au jeton dit d’usage (« utility token »).


Il permet à l’investisseur de se voir octroyer un droit d’utilisation des biens ou services promus par l’émetteur de l’offre. Cette utilisation du service s’exerce ensuite à travers un droit sur une prestation, un droit à être référencé sur une plateforme, ou encore à un tarif préférentiel d’utilisation du service. Dès lors, le jeton consiste en une sorte de pré-achat des biens ou des services proposés par l’émetteur des tokens.


Qualifiés de biens incorporels, les jetons visés par le nouveau texte n’octroient pas à leur détenteur une créance envers le porteur de projet. En outre, ils n’accordent à leur détenteur ni droits financiers ni droits politiques. Autrement dit, l’investissement réalisé n’a pas d’effet dilutif sur le capital social de l’émetteur et n’octroie pas non plus de droits de vote au détenteur des jetons. Cela a été d’une importance capitale dans la détermination du régime des ICO. En effet, l’étape préliminaire a consisté à tenter d’assimiler les offres au public de jetons à un cadre juridique existant et notamment celui des instruments financiers au sens de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier. Du fait des caractéristiques des jetons, de leur diversité et de leur caractère évolutif, ils ne peuvent être qualifiés d’instruments financiers, contrairement aux « security tokens » qui seront soumis à la réglementation européenne « prospectus ». Comme les « utility tokens » n’ont pas été définis comme des instruments financiers, l’offre au public de jetons n’a pu, par conséquent, être soumise au régime de l’offre au public de titres financiers nécessitant la rédaction d’un prospectus visé par l’AMF.


 


B. La création par la loi PACTE d’un régime ad hoc pour les offres au public de jetons


Lors de la consultation lancée par l’AMF, un constat a été établi selon lequel, compte tenu des spécificités des opérations de création de jetons, un régime sui generis et optionnel semblait être le meilleur compromis. L’optionalité du visa, contrairement aux offres au public de titres financiers et de parts sociales nécessitant un visa obligatoire, a été préférable. En effet, cette optionalité accorde un avantage compétitif à l’émetteur permettant ainsi d’attirer les projets innovants. De plus, un encadrement obligatoire aurait impliqué un système de sanctions impossible à mettre en place.


Dès lors, la loi PACTE a instauré un nouveau cadre législatif et réglementaire pour les ICO, à savoir la mise en place d’un visa optionnel octroyé par l’AMF aux projets présentant certaines garanties. Le visa est déposé par l’AMF sur le document d’information à destination des investisseurs lors d’une opération d’ICO. Afin d’avoir l’approbation de l’AMF, le document contient « toute information utile au public sur l’offre et sur l’émetteur » (article L. 552-4 nouveau du Code monétaire et financier).


En examinant le document d’information, « l’AMF vérifie si l’offre envisagée présente les garanties exigées lors d’une offre destinée au public, et notamment que l’émetteur des jetons est constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France et met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre » (article L. 552-5 nouveau du Code monétaire et financier).


En instaurant ce nouveau régime sui generis qui présente la particularité de l’optionalité, l’AMF a souhaité concilier les intérêts du porteur de projet et les intérêts de l’investisseur, afin de faire de Paris la place mondiale en matière d’ICO.


 


II. Équilibre recherché par l’AMF entre avantage compétitif et protection des investisseurs


L’AMF, qui avait pour ambition d’encourager le développement de l’écosystème crypto-économique, a élaboré un visa optionnel à la fois avantageux pour les émetteurs disposant du label sur une opération (A) et protecteur des investisseurs (B).


 


A. L’avantage compétitif conféré aux projets d’ICO disposant du visa de l’AMF


L’avantage compétitif conféré aux émetteurs de jetons disposant d’un visa est sans nul doute un facteur d’attractivité de la France en matière d’offre de jetons au public.


Dans un environnement intermédié, les banquiers traditionnels manifestent une attitude frileuse lorsqu’il s’agit de financer des projets à un stade précoce de développement, puisqu’ils présentent parfois d’importants risques. De même, envisager une introduction en Bourse ou encore se tourner vers le Private Equity ne semble pas compatible avec un projet naissant qui comporte peu de garanties. De ce fait, de nombreuses start-up qui peinent à trouver des financements early-stage par le biais des systèmes traditionnels, s’orientent vers la technologie blockchain dont l’avantage est de supprimer les intermédiaires et ainsi de créer un lien direct entre les porteurs de projets et une communauté d’investisseurs. Le financement du projet est alors ouvert à toute personne à condition qu’elle possède des cryptomonnaies. Les initiateurs de projets ont ainsi pu lever des sommes considérables en un temps record via la blockchain et, ce, pendant la phase de démarrage. Cela aurait été moins facilité via les modes de financement traditionnels. Par conséquent, en incitant tous les utilisateurs à investir dans la « token économie », cet écosystème blockchain révolutionne la finance.


Contrairement aux introductions en Bourse et au capital investissement qui présentent de fortes contraintes, les ICO ont pour avantage de représenter un mode de sollicitation des investisseurs plus facile. Grâce à la désintermédiation propre à l’écosystème blockchain, les coûts sont minorés et les délais d’exécution des investissements considérablement réduits. Il est patent que cet aspect particulièrement avantageux fait concurrence aux autres méthodes de financement.


Lorsque les ICO se sont déployées au cours de l’année 2017, certaines ont engendré en quelques minutes une mobilisation de dizaines, voire de centaines de millions de dollars décorrélés de la réalité et induisant un nombre conséquent d’escroqueries. La bulle spéculative et les risques entourant la technologie blockchain formaient un frein à l’attractivité de l’outil. Le nouveau cadre législatif et réglementaire des offres au public de jetons permet donc de relancer l’attrait pour ce type d’opérations. Depuis la loi PACTE, les investisseurs ont la possibilité de différencier les projets sérieux et innovants disposant d’un visa et les autres projets qui représentent potentiellement certains dangers pour les détenteurs de cryptomonnaies. Les porteurs de projet sont incités à se doter du visa de l’AMF afin de démontrer le sérieux de leur projet et de bénéficier d’un avantage compétitif par rapport aux offres au public de jetons sans visa. Les émetteurs peuvent lever des fonds sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé sans disposer du label AMF. C’est sur initiative du porteur de projets que le document d’information est établi et examiné et le visa octroyé. Un régime obligatoire n’aurait pas engendré cette dichotomie qui existe depuis la loi PACTE entre projets sérieux et fraudes. Un régime obligatoire aurait risqué de faire fuir l’innovation. Le nouveau régime optionnel attire un écosystème sérieux, innovant et prometteur sur le territoire français. Plus il y aura de concurrence entre les projets, plus ce visa représentera un avantage compétitif majeur.


Dans la mesure où les détenteurs d’« utility tokens » sont généralement les utilisateurs du service futur, ces investisseurs peuvent représenter des ambassadeurs de ce service, ce qui accroît considérablement la légitimité du projet grâce à la publicité qui en est faite. Obtenir le label AMF est un atout supplémentaire pour le porteur de projet dans la stratégie de communication du service. Le visa accorde à l’émetteur de l’offre le bénéfice de voir son offre au public de jetons figurer sur une « liste blanche », communiquée par l’AMF sur son site Internet. L’approbation par l’AMF de l’offre présentée agit comme une publicité qui suscite ainsi la confiance des intéressés et incite à investir dans le service agréé. Les offres au public de jetons disposant du label AMF se démarquent et ont l’avantage sur les arnaques et escroqueries recensées quant à elles sur une « liste noire ».


Enfin, la loi PACTE dote les émetteurs de jetons d’un avantage considérable, à savoir un droit au compte renforcé. En raison de certains risques entourant les ICO, à savoir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les établissements de crédit sont peu enclins à donner aux émetteurs de jetons un accès aux services bancaires (article L. 312-1 du Code monétaire et financier). Les émetteurs de jetons se heurtent à de nombreux refus d’accès, ce qui freine l’attractivité de la France en matière d’ICO. Depuis la loi PACTE, les porteurs de projet, en demandant le visa AMF, doivent se soumettre aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui nécessitent l’identification des investisseurs (« know your custumer »). En contrepartie, ils peuvent se prévaloir auprès des établissements de crédit d’un droit au compte renforcé (article L. 312-23 nouveau du Code monétaire et financier), contrairement aux porteurs de projets dépourvus du visa. L’établissement de crédit garantit l’absence de discriminations à l’égard de l’initiateur de l’offre agréée. De surcroît, si des entraves au droit au compte surviennent au détriment du porteur de projet, l’établissement de crédit doit apporter une justification à ces entraves auprès de l’AMF et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).


Ces émissions de jetons correspondent à un mode particulièrement bénéfique de financement de l’économie. Elles favorisent l’innovation, concourent à la création d’activité et à l’essor accéléré de la technologie. Si les offres au public octroient un avantage compétitif aux porteurs de projets disposant du label AMF, elles octroient dans le même temps un avantage compétitif significatif à la France. En effet, afin d’obtenir ce visa, le projet, s’il est initié par un émetteur étranger, devra démontrer un lien de rattachement avec la France tel que l’existence d’un établissement ou d’une immatriculation en France.


Un autre facteur d’attractivité permettant de développer un écosystème innovant et sérieux sur le territoire français est garanti par la loi PACTE. Il s’agit de la protection des investisseurs.


 


B. La protection des investisseurs garantie par le visa de l’AMF


 


Parmi les risques que présentent les ICO, les arnaques prolifèrent sur le web décentralisé (ex. Bitcoin, Onecoin), la surmédiatisation produit un effet de bulle spéculative et des projets voient le jour alors qu’ils ne présentent aucune pertinence à être initiés sur la blockchain. Des investisseurs non avertis sont démarchés de façon agressive à l’aide de publicités leur promettant un rendement élevé et certain, alors que ces plateformes sont parfois totalement fictives. Le risque pour les investisseurs non avertis de perdre leur mise est conséquent. Cela engendre la désillusion du grand public et à terme, un frein à l’activité en matière de développement de l’innovation. Le bureau de protection de l’épargne de l’AMF recevant de nombreux appels téléphoniques de la part d’investisseurs escroqués (forex, options binaires, CFD, diamants d’investissement), l’AMF a dû prendre des mesures. Que ce soit par l’information et l’accompagnement des investisseurs, ou que ce soit par l’élaboration d’une réglementation protectrice, l’AMF a toujours eu le souci de protéger les épargnants contre ces risques. Le visa optionnel constitue un gage de sécurité pour les investisseurs, car il offre certaines garanties. L’AMF est amenée à vérifier que l’offre présente ces garanties et que l’émetteur est constitué sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France (article L. 552-5 nouveau du Code monétaire et financier).


La première garantie consiste à considérablement réduire ces risques et le manque d’informations sur l’offre au public de jetons. Ce label garantit à l’investisseur le sérieux d’un projet grâce à la transparence et la communication autour des offres au public de jetons. En effet, la loi PACTE prévoit que « les émetteurs établissent un document destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur. […] Ce document d’information et les communications à caractère promotionnel relatives à l’offre au public présentent un contenu exact, clair et non trompeur et permettent de comprendre les risques afférents à l’offre » (article L. 552-4 nouveau du Code monétaire et financier). Ce document doit présenter de manière exhaustive tous les aspects de l’offre dont la description détaillée du projet, les caractéristiques de l’offre (prix, nombre de jetons à émettre…), les risques afférents à l’offre, les modalités de souscription, etc. Un contenu exhaustif et compréhensible permet au public de prendre une décision d’investissement éclairée. La transparence est essentielle parce qu’elle suscite la confiance des acteurs et constitue ainsi une garantie pour l’investisseur. Enfin, le fait que l’AMF examine le document en contrôlant la conformité du projet aux exigences légales et réglementaires, qu’elle interroge l’émetteur de jetons, demande des rectifications ou des précisions, et qu’elle délivre son visa, représente une garantie importante pour les investisseurs. En effet, l’instruction méticuleuse du projet par l’AMF apporte la certitude de la sécurité de l’opération.


De surcroît, « si, après avoir apposé son visa, l’Autorité des marchés financiers constate que l’offre proposée au public n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues […], elle peut ordonner qu’il soit mis fin à […] toute communication à caractère promotionnel concernant l’offre, et retirer son visa dans les conditions précisées par son règlement général » (article L. 552-6 nouveau du Code monétaire et financier). En sus de la « liste noire » publiée pour mettre en garde le public, des sanctions pénales pourront être prononcées à l’encontre de l’émetteur diffusant des informations inexactes ou trompeuses ou laissant croire qu’il a obtenu le visa de l’AMF. Enfin, les moyens de communication agressifs (démarchage bancaire et financier) des prestataires sans agrément sont interdits en matière de fourniture de services sur actifs numériques.


La deuxième garantie du label AMF vise à la sécurisation des fonds levés par un mécanisme de séquestre. Dans le cadre de la protection des investisseurs contre les risques de fraude, l’AMF devra s’assurer que les émetteurs souhaitant obtenir le visa mettent en place « tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre » (article L. 552-5 nouveau du Code monétaire et financier). Pour ce faire, plusieurs techniques sont pratiquées, telles qu’un séquestre au moyen d’un porte-monnaie électronique verrouillé par plusieurs signatures, une fiducie ou un système de clés cryptographiques.


Plus les garanties fournies au projet sont importantes, plus l’investisseur sera enclin à accorder sa confiance au porteur de projet et à investir, d’autant plus que le régulateur aura exercé un contrôle méticuleux. Si l’AMF s’assure que l’offre remplit les conditions et présente les garanties nécessaires, elle ne prétend toutefois pas évaluer la qualité intrinsèque du projet. Le visa est un gage de sécurité, mais il n’est pas un gage de succès et de profit pour l’investisseur. En effet, tous les projets n’ont pas forcément un intérêt à être réalisés sur la blockchain et de ce fait, ils échouent. En outre, certains émetteurs de jetons ont tendance à gonfler leurs ambitions, ce qui peut constituer un risque de pertes pour l’investisseur qui n’a pas l’opportunité d’évaluer la comptabilité de la société, s’agissant très souvent de start-up. Ayant toujours le souci de la protection de l’épargnant, l’AMF tient à informer les investisseurs de ces risques. Le document d’information contiendra à ce titre un avertissement au public.


Les épargnants frileux à investir peuvent désormais être rassurés, eu égard à la garantie du sérieux du projet par le visa de l’AMF. Ils peuvent ainsi, en toute sécurité, être les premiers à miser sur des projets innovants et prometteurs. L’investissement leur permet de bénéficier ensuite d’un double avantage. Le premier intérêt est spéculatif, car dans l’hypothèse où le token prend de la valeur, cela engendre une plus-value à la revente. Le second intérêt est utilitaire dans la mesure où les investisseurs jouissent d’un droit d’usage sur le service (« utility token »). De ce fait, ils deviennent pleinement investis en tant qu’acteurs du financement de l’économie.


 


Pour conclure


La clarté législative et réglementaire autour des offres au public de jetons se traduit par un développement sain de projets qui s’inscrivent dans une démarche de progrès des technologies et de l’innovation. Grâce au visa optionnel délivré par l’AMF aux projets sérieux et innovants, on s’oriente vers une professionnalisation de l’écosystème. Alors que l’AMF a délivré son premier visa en décembre 2019, cette dernière est sollicitée, depuis la promulgation de la loi PACTE, par des porteurs de projets désireux de réaliser une offre au public de jetons et de bénéficier d’un avantage compétitif. Le public est ensuite incité à investir dans ces projets exempts de fraudes, car garantis par le visa de l’AMF. Ce nouveau cadre législatif et réglementaire positionne la France comme l’un des grands acteurs mondiaux en termes d’offres au public de jetons et comme un modèle pour la régulation européenne à venir. Cette « token économie » est susceptible de connaître un avenir très prometteur pour la France, et ce, grâce à la loi PACTE.


Un autre levier de croissance se développe et fait l’objet d’un intérêt exponentiel de la part du public. Les « Security Token Offerings » (STO) représentent des émissions sur la blockchain d’instruments financiers, contrairement aux ICO qui ne donnent lieu qu’à un droit d’usage sur le service. La réglementation traditionnelle en matière d’émission d’instruments financiers (règlement européen « prospectus ») impose l’intervention d’intermédiaires professionnels des marchés financiers, apportant ainsi une garantie aux investisseurs. Or, la blockchain est un environnement dont le mode de fonctionnement est décentralisé, c’est-à-dire dépourvu d’intermédiaires. Alors que la nécessité d’un cadre juridique idoine aux opérations de STO se fait ressentir, l’AMF a avancé une piste. La création d’un « Digital Lab » européen permettrait aux autorités nationales de lever certaines exigences issues de la réglementation actuelle (règlement européen « prospectus ») en contrepartie de garanties adaptées à cette nouvelle technologie qu’est la blockchain5. Quoi qu’il en soit, une réflexion est à mener afin de poursuivre le développement de cet écosystème, tout en évitant de créer de nouveaux risques pour les investisseurs.

 

Éléonore Mortini, Master 214 Droit des affaires de l’université Paris-Dauphine, supervisée par Sophie Schiller, professeure de Droit privé à l’Université Paris-Dauphine.

 

 

1) Principalement en 2017 et durant les trois premiers trimestres de 2018.

2) « ICO Françaises, un nouveau mode de financement ? », Caroline Le Moign, site web de l’AMF, novembre 2018.

3) Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

4) « Synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICO) et point d’étape sur le programme Unicorn », site web de l’AMF, 22 février 2018.

5) « Analyse juridique sur l’application de la règlementation financière aux security tokens et précisions sur les tableaux d’affichage », site web de l’AMF, 6 mars 2020.

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