DROIT

Le rôle régulateur des partenaires sociaux : le cas de France Travail

Le rôle régulateur des partenaires sociaux : le cas de France Travail
Publié le 16/04/2024 à 19:00

Alors que le taux de syndicalisation est de 8% dans le secteur privé et de 18% dans le secteur public, les conseillers d'État ont voulu se concentrer sur la place des organisations professionnelles dans l'élaboration du droit du travail.

Afin de cerner le sujet, le 5 avril dernier, le Palais royal a réuni différents acteurs du monde de l'emploi pour le colloque « État et partenaires sociaux : organisation et régulation du monde du travail ».

« Nous avons une défiance révolutionnaire envers les corps intermédiaires » a énoncé Didier Rolland-Tabuteau, Vice-Président du Conseil d'État, en guise d’introduction. Cette défiance proprement française, fait la particularité du droit du travail à la française. La Révolution a aboli les corporations et les coalitions ouvrières (Loi Le Chapelier et Décret D'Allarde en 1791), laissant ainsi à la loi une place centrale pour l'établissement des normes. Francis Lamy, président de la section sociale du conseil d’État, explique en effet que nous sommes partis d'un système « légicentré » qui a laissé, depuis quarante ans, plus d'importance aux conventions collectives et aux accords d'entreprise. Le nombre d'accords d'entreprises a doublé de 2015 à 2022 ajoute par ailleurs le directeur général du travail au ministère, Pierre Ramain.

L’autre révolution, l'industrielle, voit éclore une organisation du travail différente. Le paritarisme a été institué dans les conseils des Prud'hommes (1848), cogérés par les représentants des salariés et ceux des employeurs à nombre égal. La reconnaissance du droit de grève en 1864, est aussi un tournant dans l’évolution des négociations, avant même que ne soit autorisée la création de syndicats professionnels par la loi Waldeck-Rousseau en 1884.

Les organisations professionnelles ont pris une place importante au cours du 19ème siècle, avec l’avènement du tripartisme. Ce système de gestion partagée interroge également sur la place de l'État dans la réglementation du droit du travail.

Ce régime, ailleurs que dans l’hexagone, n'existe qu'en Espagne selon l'avocat au conseil d'État, Antoine Lyon-Caen. Les branches se sont auto-constituées à partir de la loi de 1951 précise encore Pierre Ramain. Aujourd’hui, l'État intervient dans la création des branches professionnelles, opérant ainsi une rupture dans la normalisation du travail entre le passé et le présent. L'État doit-il impulser la norme, ou doit-il intervenir uniquement en cas de carence ?

« Le ministre s'est vu attribué la création de branche »

Jean-Denis Combrexelle, président de section honoraire, explique que « le ministre s'est vu attribué la création de branche ». La mise en œuvre de cette création est désormais imposée par l'État aux secteurs concernés et aux organisations professionnelles qui les représentent.

Néanmoins, « la particularité de la situation française, c'est qu'il n'y a pas de définition de la branche » selon Maître Lyon-Caen. On sait seulement que la branche professionnelle est un champ d'application d'une convention collective. C'est donc par voie ministérielle que ce champ est fixé. L'arrêté de représentativité définit alors les acteurs appelés à négocier. Florence Sautejeau, déléguée générale de l'Union des transports publics et ferroviaires, ajoute que c'est ensuite aux partenaires sociaux que l'État confie l'élaboration du cadre social.

La CMP (commission mixte paritaire) est l'organe qui délibère sur l'extension d'une convention collective à un secteur entier. La commission est composée des syndicats de salariés et des organisations patronales représentants la branche qui la concerne. Mais, elle est présidée par un fonctionnaire du ministère. Le rôle de l'État peut être facilitateur en CMP, lorsqu'il s'impose en modérateur. Il peut aussi exercer une pression sur les partenaires sociaux. Florence Sautejeau en a été témoin, au moment de la création de branche ferroviaire.

Le ministère du Travail décide s'il est opportun de créer ou non une branche. Il détermine si elle est utile, avant d’inviter les partenaires sociaux à la table des négociations, afin de créer une convention collective. Le ministre soumet les organisations professionnelles à des objectifs fixés par l'État. En conséquence, les partenaires sociaux doivent satisfaire des intérêts qui dépassent leurs fonctions initiales. Ceux-ci incluent par exemple des critères de compétitivité des entreprises et l'absence de concurrence déloyale entre elles.

Cette situation pose parfois des problèmes, notamment concernant le domaine ferroviaire dont la branche a été créée depuis quelques années. Ce secteur avait déjà son cadre réglementaire souligne Florence Sautejeau. Avant 2019, subsistait un monopôle.

Il a donc fallu changer complètement le cadre conventionnel antérieur en composant avec les nouveaux entrants sur le marché – des entreprises privées et publiques de tailles variables –. Le législateur a alors laissé aux organisations professionnelles le soin de définir des normes supplémentaires par le jeu de la négociation entre les partenaires sociaux.

Un autre souci est lié à la maitrise du calendrier par les pouvoirs publics. L'État impose que les négociations aillent vite au moment de la création d’une branche, alors qu'une telle naissance devrait bénéficier d’un temps de dialogue social suffisant.

La restructuration des branches professionnelles en 2020 a rebattu les cartes de la négociation collective et des conventions qui s'en sont suivies. Pour Denis Gravouil, secrétaire général de la confédération générale des travailleurs (CGT), les fusions de plusieurs branches n'étaient pas opportunes alors que les organisations professionnelles étaient en mesure d'assurer un dialogue social suffisant à la création d'un cadre.

L'implication amoindrie des organisations professionnelles dans la création des normes

Les partenaires sociaux ont montré leur pertinence dans la conception du droit social. Pourtant dans les faits, leur implication dans la transformation de ce même droit est amoindrie en raison de la maitrise sa production par l'État. Pour maître Lyon-Caen, « la loi professionnelle est moins que jamais le produit de l'activité des partenaires sociaux ».

Le dialogue social, qui se fait avec les organisations professionnelles représentatives, permet de limiter l’incidence des réformes au gré des différentes sensibilités politiques. En somme, la négociation entre les partenaires sociaux apparait comme garante d'une forme de sécurité juridique. Selon Francis Lamy, « L'avantage par rapport à la norme étatique, c'est de créer une norme sociale durable ». De son côté, « la loi fixe les effets des accords collectifs », plutôt que les règles contenues dans ces accords.

Gérard Larcher, Président du Sénat et ancien Ministre du travail poursuit en évoquant l'article L1 du Code du travail. Réformé en 2007, ce texte instaure le principe de concertation préalable des partenaires sociaux avant de légiférer. L’article L1 a été porté par Gérard Larcher lui-même au Parlement. Il commente : « Je crois à la liberté d'entreprendre mais avec le progrès social, ce qui sous-entend l'intervention des partenaires sociaux ».

L'article L1 prévoit la construction d'un agenda, un temps réservé aux partenaires, puis un vote fidèle au résultat de la négociation. L'ancien ministre interroge les conseillers d'État : « Faut-il aller plus loin et étatiser ? »

Les partenaires sociaux négocient les conventions et cogèrent les organes qui ont une délégation de service public – comme c'est le cas de France Travail – en application des conventions qu'ils ont eux-mêmes signés. Ce sont eux qui négocient et qui gèrent majoritairement, explique Pascal Lagrue, secrétaire confédéral au secteur du développement de force ouvrière (FO), parce que ces organes sont financés par les cotisations sociales. L'étatisation n'est donc pas à l'ordre du jour.

Une gouvernance de France Travail moins dépendante de l'État que chez nos voisins

Le tripartisme français, en comprenant un partage entre syndicats de salariés, organisations patronales et pouvoirs publics, se distingue des systèmes de cogestions britannique et allemand. Pour le président Lamy, concernant le paritarisme de gestion des organismes sociaux « ce qui frappe, c'est le poids croissant de l'État ». Or « Qui, mieux que nous, partenaires sociaux, est capable de connaître des spécificités des métiers et des conditions de travail, de nos entreprises ? » rebondit Florence Sautejeau.

Charline Nicolas, Directrice générale adjointe de France Travail, voit un décalage entre le discours politique et la réalité de l’agence pour l'emploi. Sa gestion tripartite, imaginée avant sa création, ne serait que relative. Le conseil d'administration n'était que la « chambre d'enregistrement » des décisions ministérielles selon l'ancien directeur général de l'ANPE Michel Bernard. Cette gestion tripartite résulte de la convention entre l'État, l'Unédic – l'organe de gestion de l'assurance chômage administré par les partenaires sociaux –, et France Travail.

Pôle emploi, aujourd'hui remplacé par France Travail, était né de la fusion de l'ASSEDIC (Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce), géré paritairement par les représentants des employeurs et ceux des salariés, et de l'ANPE (Agence nationale pour l'emploi) en 2008. Après ce regroupement, Pôle emploi n’était pas placé sous la tutelle du ministère du travail.

C’est pourquoi, le conseil d'administration de France Travail est désormais moins lié aux exigences du ministère dans l'exercice de ces attributions puisque l'État (minoritaire) y possède cinq sièges sur dix-neuf. France Travail, tout comme Pôle emploi (comme le souligne son rapport public de 2009), reste toutefois un établissement public. La convention tripartite 2024-2027 est en passe d'être signée entre l'Unédic, France Travail et l'État. Elle dessine notamment les enjeux de formation et l'aide aux petites entreprises.

Antonio Desserre

 

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