DROIT

Le sport bousculé par la liberté d'expression et le genre des athlètes

Le sport bousculé par la liberté d'expression et le genre des athlètes
Publié le 15/03/2024 à 07:00

Alors que le Comité international olympique a décidé, le 8 décembre dernier, d'autoriser les athlètes russes à participer aux Jeux olympiques qui se profilent à Paris, une réflexion sur les droits fondamentaux des sportifs s’instaure.

Le Laboratoire du droit du sport et l'Université de Bourgogne ont organisé, le 4 mars dernier, une conférence intitulée « Sport et droit international des droits humains ». Ont été abordées les questions relatives à l'accès aux compétitions selon le genre, ainsi que la liberté d'expression des sportifs à l'occasion des rencontres internationales. Des sujets qui amènent à redéfinir le droit du sport lui-même au regard des changements sociaux qu'implique l'inclusion des genres et des nationalités.

La Lex sportiva (principes transnationaux du sport) est établie indépendamment des organisations intergouvernementales. Ce sont des organisations non-gouvernementales comme les fédérations sportives, le CIO, les arbitres internationaux et l'Agence mondiale antidopage qui créent la Lex sportiva.

Deux ordres juridiques évoluent de façon autonome, mais le droit interétatique (et donc indirectement des États) s'impose aux règles établies par les organisations privées du sport. Ces organisations privées appliquent-elles les droits fondamentaux garantis par les organisations intergouvernementales ?

La Ligue de football professionnel a établi un règlement des compétitions d’après lequel l'accès aux stades est refusé aux supporters qui affichent des bannières discriminatoires ou des soutiens politiques, selon Noémie Garcia, doctorante à l'Université de Perpignan. Ce principe de non-discrimination est déjà établi par les États-membres du Conseil de l'Europe et sanctionné en cas de violation par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Qu'elle soit sociale ou nationale, l'inclusion dans le sport est motivée par ce même principe qui permet à tout individu de pratiquer une activité physique. Cependant, la garantie des droits fondamentaux ne se limite pas à l'observation dudit principe. Elle concerne aussi la liberté d'expression.

En 2021, la CEDH brandissait un carton jaune au TAS (Tribunal arbitral du sport) en l'invitant à mieux considérer les droits humains énoncés dans la Convention européenne, et tout particulièrement la liberté d'expression. Si la Lex sportiva est autonome, elle n'en est pas moins soumise à l'article 10 de ladite convention, explique Noémie Garcia.

La justice arbitrale du sport n'est pas instituée par les pouvoirs publics. Il incombe aussi aux États-membres du conseil de l'Europe de garantir ces libertés fondamentales. « Avec la massification de l'accès aux spectacles sportifs, la question du maintien de l'ordre s'est naturellement posée aux pouvoirs publics », indique Charles Bresson de l'Université de Perpignan. Les autorités peuvent prendre des mesures administratives à l'encontre des hooligans en raison des risques de trouble à l'ordre public dans les stades par exemple.

Ces mesures peuvent être la dissolution d'associations loi 1901 comme ce fut le cas dans l'affaire des Boulogne boys contre France jugée par la CEDH (7 mars 2011). Il s'agissait d'une association de supporters du Paris Saint-Germain dissoute pour des atteintes à l'ordre public. La Cour européenne a interprété souplement l'article 11 de la Convention européenne (relatif à la liberté d'association) parce que cela concernait une association de supporters, et non un parti politique, précise Charles Bresson.

La liberté d'expression des sportifs restreinte par l'exigence de neutralité

Les libertés individuelles comme l'expression des sportifs peuvent être limitées par le contexte international. La décision du CIO d'inclure les compétiteurs russes aux Jeux de Paris a fortement déplu à l'athlète de skeleton Vladyslav Heraskevych. Le compétiteur ukrainien s'était déjà fait connaître aux JO de 2022 pour avoir affiché le message « Pas de guerre en Ukraine » (cf : Eurosport).

La manifestation des opinions politiques des compétiteurs internationaux est aussi restreinte par l'exigence de neutralité du sport (énoncée dans la Charte olympique). Cette neutralité est exigée pour satisfaire à l'inclusion nationale. Les compétiteurs russes sont admis pour éviter une discrimination des athlètes, mais à la condition qu'ils respectent cette neutralité politique. Les participants ne pourront pas, suivant la décision du CIO, afficher leur soutien à la guerre ou faire de la propagande.

Dans un autre contexte de conflit, l'UEFA (Union des associations footballistiques d'Europe) a sanctionné le club de Barcelone en 2015 suite au port de l'étoile de l'indépendance catalane par des joueurs.

Comme l'explique encore Noémie Garcia, la CEDH recherche à savoir si l'expression employée par les compétiteurs est une incitation à la violence ou à l'intolérance. L'illumination du stade de Munich aux couleurs LGBT+ pendant l'Euro de 2021 a notamment suscité une vive polémique. Il ne s'agissait néanmoins pas d'un appel à la haine ou à la violence, mais à promouvoir une identité. Genre ou nationalité, l'athlète se trouve dans chacun des cas limités à concourir dans une catégorie qui lui correspond selon les critères imposés.

La participation aux jeux conditionnée par la nationalité

Que l'athlète manifeste son genre ou sa nationalité, les éléments qui déterminent la catégorie du compétiteur ne seront jamais parfaits considèrent les intervenants. Julien Dechaud (Université de Grenoble) prend l'exemple de certains rugbymen de l'équipe d'Irlande qui ont la nationalité néozélandaise. Le critère de la nationalité du participant est donc souplement défini.

Cette souplesse pourrait aussi être de mise pour les catégories de genres afin d'éviter toute exclusion d'une compétition. Les critères d'accès à la catégorie féminine ou masculine pourraient toutefois souffrir d'un défaut, celui de l'iniquité entre compétiteurs de la même catégorie.

L'accès aux compétitions sportives limité par le genre du sportif

« L'organisation de la compétition sportive repose sur un principe qui est fondamental, celui de l'équité », rappelle Julien Dechaud. Il existe plusieurs catégories regroupant les athlètes afin de satisfaire à ce principe. Ces catégories sont le sexe, l’âge, le poids et la situation de handicap. La distinction selon le genre est fondée sur le fait que les hommes sont notamment avantagés par la taille et la force par rapport aux femmes.

Le Tribunal arbitral du sport a affirmé que la testostérone est un facteur clé de la performance (2015, décision Dutee Chand). Cependant, la testostérone ne détermine pas le sexe du sportif. « Il existe, en matière de sport, une présomption de non-avantage. » Au regard de cette présomption, la seule apparence physique ne détermine pas plus le genre du compétiteur. En conséquence, comment déterminer autrement que par le taux de testostérone la catégorie d'une personne transgenre ?

Le CIO a émis comme lignes directrices (sur l'intersexuation dans le sport, 2021) l'obligation pour les athlètes de concourir dans la catégorie de genre qui correspond le mieux à leur identité sexuelle. Ces mêmes lignes directrices énoncent que chaque fédération internationale a la possibilité d'établir des normes d'admission dans le but qu'aucun athlète ne bénéficie d'un avantage injuste et disproportionné au sein de sa catégorie. Ce pourrait être le cas des personnes transgenres ou intersexes qui auraient un taux de testostérone élevé. C'est donc aux fédérations de déterminer les critères, pour ces personnes, d'accéder à ces catégories.

« On ne peut pas simuler d'être transgenre », selon Julien Dechaud. Les personnes transgenres ne peuvent pas participer aux compétitions féminines si elles ont connu une puberté masculine après l’âge de 12 ans et demi et si elles ont un taux de testostérone limité.

Certains sportifs ont donc recours à la prise d'hormones pour pouvoir atteindre un seuil satisfaisant afin de pouvoir concourir dans une catégorie. Le Tribunal fédéral suisse, notamment, a jugé en 2020 que les sportives n'ont l'obligation de réduire leurs taux de testostérone que si elles souhaitent concourir.

La Cour européenne des droits de l'Homme (juillet 2023) a affirmé que les athlètes transgenres n'ont en réalité d'autres choix que d'accepter une réglementation qui les affecte dans leurs identités personnelles et qui impliquent que leur consentement n'est pas libre. La condition d'avoir un taux de testostérone minimal pour concourir implique un risque sérieux de dopage chez les athlètes.

Une lutte antidopage peu garante des droits humains

Comme pour le taux de testostérone, le taux d'EPO (érythropoïétine) augmente les capacités sportives. Ce taux est naturellement élevé chez certains sportifs (ex : les Soudanais). Pourtant, Peter Bol, coureur originaire du Soudan, a été suspecté de dopage après avoir été contrôlé positif au test de dépistage. Le droit créé pour garantir l'équité entre les compétiteurs pâtit du risque d'exclure des athlètes malgré leur absence d'intention de tricher.

La lutte antidopage est aussi confrontée à l'EPO bio-similaire qui est autorisée depuis 8 ans. Cet EPO est semblable à un médicament. Sa présence est « absolument indétectable » détaille Hélène Tourard, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne. « Il y a une difficulté dans la lutte antidopage sur ce type de question, qui n'est pas au niveau des recherches scientifiques qui sont là en faveur de certains sportifs », conclut-elle.

Le Tribunal arbitral du sport reste vigilant en matière de droits humains dans la lutte antidopage. Les arbitres ont rendu une décision invalidant l'utilisation du passeport biologique de la joueuse de tennis Simona Halep. Le TAS a considéré que ce filet antidopage, qui allait cette fois beaucoup plus loin que la seule détermination d'un taux, était trop peu protecteur des droits des compétiteurs.

Une autre question qui se pose en filigrane de cette conférence, c'est de savoir comment faire respecter les droits de l'Homme que les États ont créés par des conventions internationales si la Lex sportiva est du ressort des organismes privés. « Le régime mondial antidopage se base sur le code mondial antidopage qui est un document de fondation privée de droit suisse », selon Sitsofé Jude-Vianney Kitty de l'Université de Caen. Ce document est toutefois opposable aux États depuis 2005. La Convention de l'UNESCO sur la lutte antidopage a rendu obligatoire l'application de ce code.

Antonio Desserre

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