Alors que le Comité international olympique
a décidé, le 8 décembre dernier, d'autoriser les athlètes russes à participer
aux Jeux olympiques qui se profilent à Paris, une réflexion sur les droits
fondamentaux des sportifs s’instaure.
Le Laboratoire du droit du sport et
l'Université de Bourgogne ont organisé, le 4 mars dernier, une conférence
intitulée « Sport et droit international des droits humains ». Ont
été abordées les questions relatives à l'accès aux compétitions selon le genre,
ainsi que la liberté d'expression des sportifs à l'occasion des rencontres
internationales. Des sujets qui amènent à redéfinir le droit du sport lui-même
au regard des changements sociaux qu'implique l'inclusion des genres et des
nationalités.
La Lex sportiva (principes
transnationaux du sport) est établie indépendamment des organisations
intergouvernementales. Ce sont des organisations non-gouvernementales comme les
fédérations sportives, le CIO, les arbitres internationaux et l'Agence mondiale
antidopage qui créent la Lex sportiva.
Deux ordres juridiques évoluent de façon
autonome, mais le droit interétatique (et donc indirectement des États)
s'impose aux règles établies par les organisations privées du sport. Ces
organisations privées appliquent-elles les droits fondamentaux garantis par les
organisations intergouvernementales ?
La Ligue de football professionnel a
établi un règlement des compétitions d’après lequel l'accès aux stades est
refusé aux supporters qui affichent des bannières discriminatoires ou des
soutiens politiques, selon Noémie Garcia, doctorante à l'Université de
Perpignan. Ce principe de non-discrimination est déjà établi par les États-membres
du Conseil de l'Europe et sanctionné en cas de violation par la Cour européenne
des droits de l'Homme (CEDH).
Qu'elle soit sociale ou nationale,
l'inclusion dans le sport est motivée par ce même principe qui permet à tout
individu de pratiquer une activité physique. Cependant, la garantie des droits
fondamentaux ne se limite pas à l'observation dudit principe. Elle concerne
aussi la liberté d'expression.
En 2021, la CEDH brandissait un carton
jaune au TAS (Tribunal arbitral du sport) en l'invitant à mieux considérer les
droits humains énoncés dans la Convention européenne, et tout particulièrement
la liberté d'expression. Si la Lex sportiva est autonome, elle n'en est
pas moins soumise à l'article 10 de ladite convention, explique Noémie Garcia.
La justice arbitrale du sport n'est pas
instituée par les pouvoirs publics. Il incombe aussi aux États-membres du
conseil de l'Europe de garantir ces libertés fondamentales. « Avec la
massification de l'accès aux spectacles sportifs, la question du maintien de
l'ordre s'est naturellement posée aux pouvoirs publics », indique Charles
Bresson de l'Université de Perpignan. Les autorités peuvent prendre des mesures
administratives à l'encontre des hooligans en raison des risques de trouble à
l'ordre public dans les stades par exemple.
Ces mesures peuvent être la dissolution
d'associations loi 1901 comme ce fut le cas dans l'affaire des Boulogne boys
contre France jugée par la CEDH (7 mars 2011). Il s'agissait d'une
association de supporters du Paris Saint-Germain dissoute pour des atteintes à
l'ordre public. La Cour européenne a interprété souplement l'article 11 de la
Convention européenne (relatif à la liberté d'association) parce que cela
concernait une association de supporters, et non un parti politique, précise
Charles Bresson.
La liberté d'expression des sportifs
restreinte par l'exigence de neutralité
Les libertés individuelles comme
l'expression des sportifs peuvent être limitées par le contexte international.
La décision du CIO d'inclure les compétiteurs russes aux Jeux de Paris a
fortement déplu à l'athlète de skeleton Vladyslav Heraskevych. Le compétiteur
ukrainien s'était déjà fait connaître aux JO de 2022 pour avoir affiché le
message « Pas de guerre en Ukraine » (cf : Eurosport).
La manifestation des opinions politiques
des compétiteurs internationaux est aussi restreinte par l'exigence de
neutralité du sport (énoncée dans la Charte olympique). Cette neutralité est
exigée pour satisfaire à l'inclusion nationale. Les compétiteurs russes sont
admis pour éviter une discrimination des athlètes, mais à la condition qu'ils
respectent cette neutralité politique. Les participants ne pourront pas, suivant
la décision du CIO, afficher leur soutien à la guerre ou faire de la
propagande.
Dans un autre contexte de conflit, l'UEFA
(Union des associations footballistiques d'Europe) a sanctionné le club de
Barcelone en 2015 suite au port de l'étoile de l'indépendance catalane par des
joueurs.
Comme l'explique encore Noémie Garcia, la
CEDH recherche à savoir si l'expression employée par les compétiteurs est une
incitation à la violence ou à l'intolérance. L'illumination du stade de Munich
aux couleurs LGBT+ pendant l'Euro de 2021 a notamment suscité une vive
polémique. Il ne s'agissait néanmoins pas d'un appel à la haine ou à la
violence, mais à promouvoir une identité. Genre ou nationalité, l'athlète se
trouve dans chacun des cas limités à concourir dans une catégorie qui lui
correspond selon les critères imposés.
La participation aux jeux conditionnée
par la nationalité
Que l'athlète manifeste son genre ou sa
nationalité, les éléments qui déterminent la catégorie du compétiteur ne seront
jamais parfaits considèrent les intervenants. Julien Dechaud (Université de
Grenoble) prend l'exemple de certains rugbymen de l'équipe d'Irlande qui ont la
nationalité néozélandaise. Le critère de la nationalité du participant est donc
souplement défini.
Cette souplesse pourrait aussi être de
mise pour les catégories de genres afin d'éviter toute exclusion d'une
compétition. Les critères d'accès à la catégorie féminine ou masculine
pourraient toutefois souffrir d'un défaut, celui de l'iniquité entre compétiteurs
de la même catégorie.
L'accès aux compétitions sportives limité
par le genre du sportif
« L'organisation de la compétition
sportive repose sur un principe qui est fondamental, celui de l'équité », rappelle
Julien Dechaud. Il existe plusieurs catégories regroupant les athlètes afin de
satisfaire à ce principe. Ces catégories sont le sexe, l’âge, le poids et la
situation de handicap. La distinction selon le genre est fondée sur le fait que
les hommes sont notamment avantagés par la taille et la force par rapport aux
femmes.
Le Tribunal arbitral du sport a affirmé
que la testostérone est un facteur clé de la performance (2015, décision Dutee
Chand). Cependant, la testostérone ne détermine pas le sexe du sportif. « Il
existe, en matière de sport, une présomption de non-avantage. » Au regard
de cette présomption, la seule apparence physique ne détermine pas plus le
genre du compétiteur. En conséquence, comment déterminer autrement que par le
taux de testostérone la catégorie d'une personne transgenre ?
Le CIO a émis comme lignes directrices
(sur l'intersexuation dans le sport, 2021) l'obligation pour les athlètes de
concourir dans la catégorie de genre qui correspond le mieux à leur identité
sexuelle. Ces mêmes lignes directrices énoncent que chaque fédération
internationale a la possibilité d'établir des normes d'admission dans le but
qu'aucun athlète ne bénéficie d'un avantage injuste et disproportionné au sein
de sa catégorie. Ce pourrait être le cas des personnes transgenres ou
intersexes qui auraient un taux de testostérone élevé. C'est donc aux
fédérations de déterminer les critères, pour ces personnes, d'accéder à ces
catégories.
« On ne peut pas simuler d'être
transgenre », selon Julien Dechaud. Les personnes
transgenres ne peuvent pas participer aux compétitions féminines si elles ont
connu une puberté masculine après l’âge de 12 ans et demi et si elles ont un
taux de testostérone limité.
Certains sportifs ont donc recours à la
prise d'hormones pour pouvoir atteindre un seuil satisfaisant afin de pouvoir
concourir dans une catégorie. Le Tribunal fédéral suisse, notamment, a jugé en
2020 que les sportives n'ont l'obligation de réduire leurs taux de testostérone
que si elles souhaitent concourir.
La Cour européenne des droits de l'Homme
(juillet 2023) a affirmé que les athlètes transgenres n'ont en réalité d'autres
choix que d'accepter une réglementation qui les affecte dans leurs identités
personnelles et qui impliquent que leur consentement n'est pas libre. La
condition d'avoir un taux de testostérone minimal pour concourir implique un
risque sérieux de dopage chez les athlètes.
Une lutte antidopage peu garante des
droits humains
Comme pour le taux de testostérone, le
taux d'EPO (érythropoïétine) augmente les capacités sportives. Ce taux est
naturellement élevé chez certains sportifs (ex : les Soudanais). Pourtant,
Peter Bol, coureur originaire du Soudan, a été suspecté de dopage après avoir
été contrôlé positif au test de dépistage. Le droit créé pour garantir l'équité
entre les compétiteurs pâtit du risque d'exclure des athlètes malgré leur
absence d'intention de tricher.
La lutte antidopage est aussi confrontée
à l'EPO bio-similaire qui est autorisée depuis 8 ans. Cet EPO est semblable à
un médicament. Sa présence est « absolument indétectable » détaille
Hélène Tourard, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne. « Il
y a une difficulté dans la lutte antidopage sur ce type de question, qui n'est
pas au niveau des recherches scientifiques qui sont là en faveur de certains
sportifs », conclut-elle.
Le Tribunal arbitral du sport reste
vigilant en matière de droits humains dans la lutte antidopage. Les arbitres
ont rendu une décision invalidant l'utilisation du passeport biologique de la
joueuse de tennis Simona Halep. Le TAS a considéré que ce filet antidopage, qui
allait cette fois beaucoup plus loin que la seule détermination d'un taux,
était trop peu protecteur des droits des compétiteurs.
Une autre question qui se pose en
filigrane de cette conférence, c'est de savoir comment faire respecter les
droits de l'Homme que les États ont créés par des conventions internationales
si la Lex sportiva est du ressort des organismes privés. « Le
régime mondial antidopage se base sur le code mondial antidopage qui est un
document de fondation privée de droit suisse », selon Sitsofé Jude-Vianney
Kitty de l'Université de Caen. Ce document est toutefois opposable aux États
depuis 2005. La Convention de l'UNESCO sur la lutte antidopage a rendu
obligatoire l'application de ce code.
Antonio
Desserre