À la suite d'une réforme
progressive sur la protection des personnes vulnérables, le rôle des notaires a
pris de l’ampleur dans ce périmètre. Le modèle français paraît complexe, comment
se traduit-il en pratique ?
L'université Panthéon-Sorbonne
vient d’accueillir un séminaire consacré à ce thème. Les intervenants ont
souligné l'opacité des différentes mesures de protection prescrites par la loi.
Ils ont aussi remarqué un renforcement du devoir de vigilance des notaires dans
le cadre spécifique des tutelles. Pour les mesures plus récemment créées que
sont l'habilitation familiale et le mandat de protection future, ces officiers
ministériels ont aussi un rôle important à jouer puisqu'ils en sont souvent les
promoteurs.
100 000 nouvelles mesures de
protection en 2023
En 2016, un rapport de la
Cour des comptes alertait sur les défaillances de la loi en matière de
protection des majeurs vulnérables. Face à la recrudescence des demandes de
mesures de ces dernières années. Le législateur a réagi en vue d'éviter un
engorgement des tribunaux. Le Parlement a donc adopté en 2019 une loi
instaurant des aménagements aux mesures de protection. Si le
nombre de demandes de protections n'a pas fléchi depuis, il est encore trop
tôt pour savoir si les saisines du juge pour le contrôle des mesures déjà
prononcées diminuent. Si moins d'autorisations d'actes au cours des tutelles
incombent au juge des contentieux de la protection, les recours des protégés
contre ces mêmes autorisations prises par les mandataires judiciaires
pourraient augmenter.
À l'origine, la curatelle
n'était qu'une assistance dans les actes courants d'administration du majeur
protégé (ex : gestion des ressources financières, renouvellement d'un
bail) tandis que la tutelle était la représentation de la personne vulnérable,
y compris pour certains actes dits « de disposition ». C'est-à-dire
les décisions fondamentales comme la vente immobilière ou la clôture d'un
compte bancaire.
Depuis l'adoption de la loi
du 23 mars 2019, la distinction des différents régimes de protection est
devenue « assez floue » pour Christophe Vernières, Professeur
à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Dorénavant, le curateur outrepasse la
simple assistance du protégé et peut aussi le représenter en formant des actes
en son nom, comme le faisait le tuteur avec l’ancienne loi. Les décrets
d'application de la nouvelle loi n'ont été publiés que récemment (jusqu'à cette
année).
Concernant la tutelle
spécifiquement, les juges ne sont plus toujours saisis pour les actes de
disposition, déléguant ainsi aux tuteurs et aux notaires une responsabilité
accrue. Les intervenants redoutent une augmentation des contentieux en
responsabilité à l'encontre des notaires.
Quid des moyens qui leur sont
octroyés pour l'élargissement de leurs fonctions ?
Une déjudiciarisation des
tutelles au profit du notaire
Depuis 2019, le tuteur peut
« tout seul » accepter la succession dévolue au protégé. Il doit
cependant s'assurer auprès du notaire que les créances du défunt sont
supérieures à ses dettes. À la différence d'une succession classique, le
notaire doit aussi vérifier que le tuteur n'accepte pas lui-même la succession
si elle est déficitaire. Le texte dispose que le notaire doit, dans cette
situation, établir une attestation par laquelle il certifie que le patrimoine
contient significativement plus d'actif que de passif. En matière patrimoniale,
la réforme n'a pas modifié que le choix de la succession, mais aussi le partage
d'un immeuble. L'accord préalable du juge des contentieux de la protection
(nouveau juge des tutelles depuis 2020) n'est plus requis.
Le notaire devient donc le
seul interlocuteur, tiers à la mesure de protection, qui veille à éviter un
abus de faiblesse. Dans ces deux situations, « le notaire se retrouve
substitué au juge », conclut Christophe Vernières.
Dans la loi nouvelle, le
législateur étend la liberté du majeur sous protection à se
pacser, se marier et à divorcer. Auparavant, le protégé devait obtenir
l'accord du juge avant de s'engager dans l'un ou l'autre de ces actes. Depuis, « le
juge se trouve un peu évincé ». Le notaire a donc désormais une
responsabilité accrue dans la recherche du consentement du protégé.
Le seul palliatif à la
déjudiciarisation du mariage, c'est qu'il ne concerne pas seulement le notaire,
mais aussi les tuteurs/curateurs. « Le majeur protégé doit simplement
informer préalablement son tuteur ou son curateur afin qu'il puisse s'y opposer »,
poursuit le professeur.
La disposition la plus
surprenante de la réforme, est l'attribution au notaire du contrôle des comptes
de gestion des majeurs protégés dans le cadre des tutelles et des curatelles.
Auparavant, cette surveillance était effectuée par le greffier-en-chef. Le
décret du 3 juillet dernier est venu ajouter cette fonction aux officiers
ministériels.
Concernant la tutelle et la
curatelle, le notaire voit son office fondamentalement modifié. Néanmoins,
cette modification n'est que partielle en considération du droit étranger.
Nathalie Baillon Wirtz, professeure à l'université Reims Champagne-Ardenne,
évoque le cas de la Belgique. En plus de conseiller sur les mesures de
protection adéquates, les notaires belges ont pour charge de les inscrire sur
un registre central géré par eux. Cette mission n'est pas dévolue aux notaires
français.
En France, parmi les mesures
de protection que prononce le juge, le mandat de protection future et
l'habilitation familiale ont été créés respectivement en 2007, puis en 2016. Le
mandat de protection future est l'acte par lequel un majeur, protégé ou non,
convient de laisser la gestion ultérieure de ses biens ou de sa personne à un
tiers. Il doit être notarié si le mandataire est amené à vendre un bien
immobilier. Le juge, lui, n'intervient dans la conclusion d'un mandat de
protection future que si la personne vulnérable a été mise sous tutelle.
Selon une enquête du Conseil
supérieur du notariat en décembre 2021, le nombre de mandats de protections
futures était de 15 000 par an. Ces chiffres sont faibles comparés au Québec où
la mesure est très répandue (44% des Québécois auraient souscrit à un tel
mandat) et plus de 60 000 établis en Belgique, selon le professeur Vernières,
pour une population bien inférieure.
En France, l'habilitation
familiale ne peut se cumuler à une autre mesure de protection et consiste en
une représentation actuelle de la personne vulnérable par un proche. Elle ne
nécessite pas de contrôle judiciaire, bien qu'elle soit prononcée par un juge
et qu'elle ne soit pas contractuelle. Ces nouvelles mesures sont encore peu
sollicitées dans l'hexagone, car les Français connaissent la protection des
majeurs essentiellement par des mesures contrôlées par le juge et à son
initiative.
« C'est le notaire qui
est l'instigateur »
Pour les deux mesures
précitées, la proposition provient souvent du notaire. « Dans le mandat
de protection future, c'est le notaire qui est l'instigateur. Il détecte chez
son client une inaptitude et recherche la mesure adéquate pour protéger au
mieux les intérêts de ce dernier. »
Il peut aussi proposer une
habilitation familiale où il a un rôle élargi puisqu'il doit chercher à savoir
si son client est déjà protégé par une mesure. Or, une habilitation familiale
générale est publiée officiellement, contrairement à une habilitation spéciale.
Le notaire doit donc investiguer par ses propres moyens pour assurer la
sécurité juridique de l'acte.
Le « désordre »
pointé par le professeur Vernières à propos des différents régimes de
protection français pourrait trouver son terme dans l'inspiration du système
belge.
De l'autre côté des Ardennes,
le législateur a prévu deux mesures uniques de protection bien distinctes l'une
de l'autre. Il s'agit de l'administration judiciaire que le juge décide en
nommant un administrateur qu'il contrôle, et le mandat extrajudiciaire qui ne
fait pas appel au magistrat. Depuis 2018, ce mandat porte sur la gestion du
patrimoine, mais aussi sur la protection de la personne, explique Nathalie
Baillon Wirtz. Ces deux mesures simplifient les procédures et la compréhension
pour les majeurs vulnérables de leurs droits, sans pour autant être rigides,
puisque des aménagements restent possibles. Au mandat extrajudiciaire, peut
être ajoutée une déclaration de préférence, qui est l'équivalent du mandat de
protection future français. Une personne de confiance peut aussi être désignée
dans le mandat. Cette dernière aura pour obligation de surveiller les actes
effectués par le mandataire. Étant contractuels, le mandat extrajudiciaire et
la déclaration de préférence sont des actes solennels, et leur établissement
relève donc du notaire.
Plus que dans notre droit, la
Belgique fait prévaloir sur la mesure le principe de l'autonomie de la
personne, par lequel, même dans le cadre d'une mesure de protection, le majeur
protégé conserve sa capacité juridique. Il ne la perd « qu'en cas
d'exception ultime » selon la professeure Baillon Wirtz.
En France, pour rechercher le
consentement de la personne vulnérable, le notaire se mue parfois en juge et
réclame des certificats médicaux circonstanciés de ses clients. C'est le seul
moyen dont il dispose pour s'assurer de la lucidité du majeur vulnérable au
moment de signer un mandat de protection future ou d'un état de santé déclinant
pour une directive anticipée. En effet, pour cette dernière, un majeur, même
s'il est protégé, peut, malgré la méconnaissance de ce principe de l'autonomie,
décider seul d'un acte médical le concernant si son état le permet, en vertu de
l'article 459 du Code civil.
Antonio
Desserre