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Licenciement : la menace du pénal prend-elle le dessus ?

Licenciement : la menace du pénal prend-elle le dessus ?
Publié le 16/02/2024 à 07:00

L’emploi a été bousculé par l'accroissement du télétravail et la création du barème Macron qui encadre le montant à verser en cas de licenciement. Aujourd’hui, les menaces d’action au pénal semblent servir de plus en plus de levier de négociation en droit du travail.

Le cabinet Voltaire Avocats a organisé fin janvier une rencontre qui traitait du sujet. À cette occasion, David Guillouet et François Hubert ont évoqué les différentes menaces qui pèsent sur l'employeur dans le cadre du licenciement.

« On a eu notre première grève de télétravailleurs. C'étaient des informaticiens qui ont lâché leurs claviers » s'étonne David Guillouet.

Le travail à distance imposé, lors de la pandémie de coronavirus, a-t-il eu un impact sur les risques d'aller au pénal avec des salariés ? David Guillouet répond par la négative. Toutefois, sa pratique a ajouté de la complexité à la complexité dans la gestion des ressources humaines, notamment dans le calcul des heures. Le travail partiellement effectué à distance s’est généralisé.

Mais la crise sanitaire et ses mesures induites n'ont pas été les seuls facteurs d’appesantissement de la gestion juridique et administrative. Sont aussi en cause la création de nouvelles infractions pénales et la simplification d'accès des poursuites contre ces mêmes infractions pour le salarié.

L'inflation législative fossoyeuse du salariat ?

« Les entreprises d'intérim anglo-saxonnes qui souhaitent s'installer en France se voient appliquer un droit pénal qu'elles ne comprennent pas ». Au contraire d'un droit du travail très libéral qui existe dans certains États, la France conserve sa tradition de droit écrit, et le droit du travail n'y échappe pas. Particulièrement pointé du doigt par de nombreux employeurs, le Code du travail est jugé, par certains d'entre eux, trop lourd d'application.

« L'inflation législative n'épargne pas le droit du travail, et les DRH les premiers ont appris à naviguer en décidant quels risques ils allaient prendre en dirigeant. »  Selon David Guillouet, le législateur est incapable de simplifier le droit en abrogeant des dispositions qui ne servent à rien. Une norme est ainsi remplacée par une autre qui est censée être simplifiée alors qu'elle ne l'est pas plus. Cet excès normatif complique la gestion du travail dans l'entreprise.

Ainsi, certaines agences d'intérim se transforment en marketplace et font appel à des travailleurs en free-lance plutôt qu'à des personnes en recherche d'emploi. Moins coûteuse que le paiement des charges salariales, et moins risquée qu'une procédure pénale dans le cadre d'une relation employeur-employé, la pratique se diffuse largement. Il n'est plus question de solliciter les ressources humaines, mais le service des achats, en conclut l'avocat.

L'inflation législative du droit pénal du travail est donc un frein à l'emploi et au salariat puisqu'elle incite l'entreprise à sous-traiter plutôt qu'à recruter. Il y a par exemple une recrudescence des appels aux managers de transition. Par ailleurs, un paradoxe apparait, pour les cadres qui s'occupent du recrutement, d’être eux-mêmes remplacés par des professionnels extérieurs à l'entreprise.

En plus de compliquer la tâche des employeurs, l’inflation législative donne plus de moyens au salarié de se revendiquer victime d'une infraction ou d'une autre qui n'existait pas antérieurement devant les juridictions pénales.

Avec les infractions nouvellement codifiées, et les procédures pour agir désormais connues des salariés, les menaces contre l'employeur ne cessent d'augmenter. « Dans 30% à 40% des dossiers, il y a ce type de menaces » conclut l’avocat.

La stratégie d’évitement du barème Macron

Les risques psycho-sociaux peuvent avoir un effet ricochet sur la matière pénale. Le barème dit « Macron » fixe un plafond aux dommages et intérêts à verser en cas de licenciement. Il peut être dérogé via des qualifications particulières, notamment les harcèlements (moral ou sexuel), la discrimination, ainsi que l'atteinte aux libertés fondamentales et au droit d'expression. « Ces dossiers explosent devant les tribunaux, et la presse s'en fait l'écho. Donc, il y a une stratégie de contournement de ce barème. »

Le harcèlement est en tête des infractions les plus couramment invoquées par le salarié, et le harcèlement moral au travail est même spécifiquement répréhensible depuis son entrée dans le Code pénal en 2014 (art L222-33-2 CP). Les avocats des salariés n'ont donc plus à invoquer l'atteinte au principe civil de bonne foi contractuelle contre l'entreprise, mais menacent l'employeur (personne physique) de poursuites. En effet, dans ce dernier cas, la poursuite est personnelle en vertu du principe pénal « Nul n'est responsable que de son propre fait. ». Cette menace est réelle parce qu'elle est plus dissuasive que la poursuite civile de l'entreprise (personne morale).

Avec l'évolution du Code pénal et du Code du travail (qui dispose également de son propre article sur le harcèlement), depuis les années 2000 à aujourd'hui, la défense a donc évolué vers le champ pénal. « Il y a 10 ou 15 ans certains managers toxiques étaient intouchables parce qu'ils avaient de bons résultats. Désormais, les entreprises ont pris acte de ce problème et ont fait évoluer leurs process en conséquence. »

Alors que le délit d'entrave était auparavant la seule infraction réellement invoquée par le salarié, désormais « il y a la menace de l'action pénale qui se multiplie ». Avant, était reproché à l'employeur un manquement (sur le plan civil) de non-respect de ses obligations contractuelles qui se traduisait par une prise d'acte ou une résiliation judiciaire. Maintenant, c'est différent. Le salarié allègue l'existence d'une infraction pénale dont il serait victime. Par exemple, le travail dissimulé, est devenu un motif que l'employé invoque fréquemment à l'encontre de l'employeur depuis la médiatisation récurrente de certaines affaires condamnant des chefs d'entreprise à de la prison ferme.

Parmi ces infractions apparaît la violation des droits fondamentaux du salarié. « L'atteinte à la liberté d'expression est de plus en plus invoquée. La Cour de cassation est très vigilante contre l'employeur sur ce sujet. »

Le développement de la protection des lanceurs d'alertes concerne le droit du travail. Les mesures de rétorsions de l'employeur contre le salarié qui enclenche une procédure d'alerte sont prohibées. Certains employés profitent des mécanismes de protection et les utilisent comme menace contre leur entreprise de dévoiler des informations confidentielles.

Les recours de l'employeur contre les menaces abusives

La menace du pénal à l'encontre de l'employeur, « ça pourrait aussi être pour se débarrasser d'un collègue ». Ainsi, dans le cadre du harcèlement, qui peut être vertical (employeur et salarié), ou horizontal (entre salariés), la menace de dépôt de plainte par l’employé constitue aussi un argument utilisé afin d'écarter un autre salarié de son poste. « L'employeur dispose d'un recours contre cela. Au titre de son pouvoir disciplinaire, il peut mettre en place une enquête interne pour vérifier la réalité des faits allégués » explique Maître Hubert.

Il peut aussi répliquer sur le même terrain que le salarié, en présentant lui-même des arguments de droit pénal. Un salarié a été licencié pour avoir prétendu être victime d'un harcèlement de la part de son employeur, non avéré par la suite. Le 6 juin 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a retenu qu'une déstabilisation de l'entreprise due à cette accusation mensongère a pu justifier une rupture immédiate du contrat de travail.

« Il existe le recours contre la calomnie ou la diffamation publique ou privée contre l'employeur ou contre un autre salarié. » Contre la diffamation, le salarié peut invoquer l'exception de vérité s'il la démontre, explique encore François Hubert. Si les faits allégués existent, la diffamation n'est ainsi pas caractérisée. Et il « peut aussi bénéficier d'une immunité s'il s'agit d'une dénonciation ».

Cependant, cette immunité a été écartée par la Chambre criminelle le 26 novembre 2019, car l'alerte a été donnée à d'autres personnes que les intéressés. Néanmoins, la Cour européenne des droits de l'Homme, particulièrement vigilante sur les droits de la défense et sur la protection du salarié qui la rapporte, a considéré, le 18 janvier dernier, que le juge français devait être plus souple concernant l'octroi de cette immunité.

« Le chantage est aussi une infraction concernée par la menace faite par le salarié, tout comme sa tentative » selon François Hubert. « Demander de l'argent contre quelque chose, c'est du chantage » soutient David Guillouet. Les entreprises doivent donc vérifier en interne la réalité des faits allégués pour se défendre et ne pas hésiter à attaquer pour chantage le salarié qui se prétend victime d'une infraction si c’est faux.

La preuve obtenue de façon déloyale est admise

Le recours au pénal peut avoir un intérêt, car le rapport de la preuve est du ressort des services de police et de gendarmerie sous le contrôle du procureur de la République. Et les salariés peuvent ensuite utiliser ces preuves pour aller revendiquer leurs droits devant le conseil des prud'hommes, explique François Hubert.

Néanmoins, selon l'arrêt de la Cour de cassation du 22 décembre dernier, le rapport déloyal de la preuve est désormais admis, dans les procès civils. Cette décision majeure, qui rejoint la ligne de la Cour européenne des droits de l'Homme, a été prise en assemblée plénière, constituée de l'ensemble des chambres, dont sociale. L'évolution de la défense du salarié vers le pénal sera peut-être ralentie par cet arrêt au profit de l'action prud’homale, qui suffira, à elle seule, au rapport plus facile de la preuve. La jurisprudence française a donc fait un pas en direction de l'action civile du salarié.

« Un nouvel indicateur, tel que l'égalité homme-femme, devrait encore bousculer le droit dans l'entreprise. » Bien sûr, les menaces de poursuivre au pénal risquent d'augmenter sur ce point pour éviter un licenciement ou mieux l'indemniser. Mais l'égalité homme-femme concerne aussi beaucoup les accusations de discrimination à l'embauche et à la promotion sociale malgré les progrès de certains emplois en faveur de l’égalité.

Antonio Desserre

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