L’emploi a été bousculé par
l'accroissement du télétravail et la création du barème Macron qui encadre le
montant à verser en cas de licenciement. Aujourd’hui, les menaces d’action au
pénal semblent servir de plus en plus de levier de négociation en droit du travail.
Le cabinet Voltaire Avocats a
organisé fin janvier une rencontre qui traitait du sujet. À cette occasion, David Guillouet et François Hubert ont évoqué les différentes
menaces qui pèsent sur l'employeur dans le cadre du licenciement.
« On a eu notre première
grève de télétravailleurs. C'étaient des informaticiens qui ont lâché leurs
claviers » s'étonne David Guillouet.
Le travail à distance imposé,
lors de la pandémie de coronavirus, a-t-il eu un impact sur les risques d'aller
au pénal avec des salariés ? David Guillouet répond par la négative.
Toutefois, sa pratique a ajouté de la complexité à la complexité dans la
gestion des ressources humaines, notamment dans le calcul des heures. Le
travail partiellement effectué à distance s’est généralisé.
Mais la crise sanitaire et
ses mesures induites n'ont pas été les seuls facteurs d’appesantissement de la
gestion juridique et administrative. Sont aussi en cause la création de
nouvelles infractions pénales et la simplification d'accès des poursuites contre
ces mêmes infractions pour le salarié.
L'inflation législative fossoyeuse
du salariat ?
« Les entreprises d'intérim
anglo-saxonnes qui souhaitent s'installer en France se voient appliquer un
droit pénal qu'elles ne comprennent pas ». Au
contraire d'un droit du travail très libéral qui existe dans certains États, la
France conserve sa tradition de droit écrit, et le droit du travail n'y échappe
pas. Particulièrement pointé du doigt par de nombreux employeurs, le Code du
travail est jugé, par certains d'entre eux, trop lourd d'application.
« L'inflation
législative n'épargne pas le droit du travail, et les DRH les premiers ont
appris à naviguer en décidant quels risques ils allaient prendre en
dirigeant. » Selon
David Guillouet, le législateur est incapable de simplifier le droit en
abrogeant des dispositions qui ne servent à rien. Une norme est ainsi remplacée
par une autre qui est censée être simplifiée alors qu'elle ne l'est pas plus.
Cet excès normatif complique la gestion du travail dans l'entreprise.
Ainsi, certaines agences
d'intérim se transforment en marketplace et font appel à des travailleurs en
free-lance plutôt qu'à des personnes en recherche d'emploi. Moins coûteuse que
le paiement des charges salariales, et moins risquée qu'une procédure pénale
dans le cadre d'une relation employeur-employé, la pratique se diffuse
largement. Il n'est plus question de solliciter les ressources humaines, mais
le service des achats, en conclut l'avocat.
L'inflation législative du
droit pénal du travail est donc un frein à l'emploi et au salariat puisqu'elle
incite l'entreprise à sous-traiter plutôt qu'à recruter. Il y a par exemple une
recrudescence des appels aux managers de transition. Par ailleurs, un paradoxe
apparait, pour les cadres qui s'occupent du recrutement, d’être eux-mêmes
remplacés par des professionnels extérieurs à l'entreprise.
En plus de compliquer la
tâche des employeurs, l’inflation législative donne plus de moyens au salarié
de se revendiquer victime d'une infraction ou d'une autre qui n'existait pas
antérieurement devant les juridictions pénales.
Avec les infractions
nouvellement codifiées, et les procédures pour agir désormais connues des
salariés, les menaces contre l'employeur ne cessent d'augmenter. « Dans
30% à 40% des dossiers, il y a ce type de menaces » conclut l’avocat.
La stratégie d’évitement du
barème Macron
Les risques psycho-sociaux peuvent
avoir un effet ricochet sur la matière pénale. Le barème dit
« Macron » fixe un plafond aux dommages et intérêts à verser en cas
de licenciement. Il peut être dérogé via des qualifications particulières,
notamment les harcèlements (moral ou sexuel), la discrimination, ainsi que
l'atteinte aux libertés fondamentales et au droit d'expression. « Ces
dossiers explosent devant les tribunaux, et la presse s'en fait l'écho. Donc,
il y a une stratégie de contournement de ce barème. »
Le harcèlement est en tête
des infractions les plus couramment invoquées par le salarié, et le harcèlement
moral au travail est même spécifiquement répréhensible depuis son entrée dans
le Code pénal en 2014 (art L222-33-2 CP). Les avocats des salariés n'ont donc
plus à invoquer l'atteinte au principe civil de bonne foi contractuelle contre
l'entreprise, mais menacent l'employeur (personne physique) de poursuites. En
effet, dans ce dernier cas, la poursuite est personnelle en vertu du principe
pénal « Nul n'est responsable que de son propre fait. ». Cette menace
est réelle parce qu'elle est plus dissuasive que la poursuite civile de
l'entreprise (personne morale).
Avec l'évolution du Code
pénal et du Code du travail (qui dispose également de son propre article sur le
harcèlement), depuis les années 2000 à aujourd'hui, la défense a donc évolué
vers le champ pénal. « Il y a 10 ou 15 ans certains managers toxiques
étaient intouchables parce qu'ils avaient de bons résultats. Désormais, les
entreprises ont pris acte de ce problème et ont fait évoluer leurs process en
conséquence. »
Alors que le délit d'entrave
était auparavant la seule infraction réellement invoquée par le salarié,
désormais « il y a la menace de l'action pénale qui se multiplie ».
Avant, était reproché à l'employeur un manquement (sur le plan civil) de
non-respect de ses obligations contractuelles qui se traduisait par une prise
d'acte ou une résiliation judiciaire. Maintenant, c'est différent. Le salarié
allègue l'existence d'une infraction pénale dont il serait victime. Par
exemple, le travail dissimulé, est devenu un motif que l'employé invoque
fréquemment à l'encontre de l'employeur depuis la médiatisation récurrente de
certaines affaires condamnant des chefs d'entreprise à de la prison ferme.
Parmi ces infractions
apparaît la violation des droits fondamentaux du salarié. « L'atteinte
à la liberté d'expression est de plus en plus invoquée. La Cour de cassation
est très vigilante contre l'employeur sur ce sujet. »
Le développement de la
protection des lanceurs d'alertes concerne le droit du travail. Les mesures de
rétorsions de l'employeur contre le salarié qui enclenche une procédure
d'alerte sont prohibées. Certains employés profitent des mécanismes de
protection et les utilisent comme menace contre leur entreprise de dévoiler des
informations confidentielles.
Les recours de l'employeur
contre les menaces abusives
La menace du pénal à
l'encontre de l'employeur, « ça pourrait aussi être pour se débarrasser
d'un collègue ». Ainsi, dans le cadre du harcèlement, qui peut être
vertical (employeur et salarié), ou horizontal (entre salariés), la menace de
dépôt de plainte par l’employé constitue aussi un argument utilisé afin
d'écarter un autre salarié de son poste. « L'employeur dispose d'un
recours contre cela. Au titre de son pouvoir disciplinaire, il peut mettre en
place une enquête interne pour vérifier la réalité des faits allégués »
explique Maître Hubert.
Il peut aussi répliquer sur
le même terrain que le salarié, en présentant lui-même des arguments de droit
pénal. Un salarié a été licencié pour avoir prétendu être victime d'un
harcèlement de la part de son employeur, non avéré par la suite. Le 6 juin 2012,
la chambre sociale de la Cour de cassation a retenu qu'une déstabilisation de
l'entreprise due à cette accusation mensongère a pu justifier une rupture
immédiate du contrat de travail.
« Il existe le recours
contre la calomnie ou la diffamation publique ou privée contre l'employeur ou
contre un autre salarié. » Contre la diffamation, le
salarié peut invoquer l'exception de vérité s'il la démontre, explique encore
François Hubert. Si les faits allégués existent, la diffamation n'est ainsi pas
caractérisée. Et il « peut aussi bénéficier d'une immunité s'il s'agit
d'une dénonciation ».
Cependant, cette immunité a
été écartée par la Chambre criminelle le 26 novembre 2019, car l'alerte a été
donnée à d'autres personnes que les intéressés. Néanmoins, la Cour européenne
des droits de l'Homme, particulièrement vigilante sur les droits de la défense
et sur la protection du salarié qui la rapporte, a considéré, le 18 janvier
dernier, que le juge français devait être plus souple concernant l'octroi de
cette immunité.
« Le chantage est aussi
une infraction concernée par la menace faite par le salarié, tout comme sa
tentative » selon François Hubert. « Demander de
l'argent contre quelque chose, c'est du chantage » soutient David
Guillouet. Les entreprises doivent donc vérifier en interne la réalité des
faits allégués pour se défendre et ne pas hésiter à attaquer pour chantage le
salarié qui se prétend victime d'une infraction si c’est faux.
La preuve obtenue de façon
déloyale est admise
Le recours au pénal peut
avoir un intérêt, car le rapport de la preuve est du ressort des services de
police et de gendarmerie sous le contrôle du procureur de la République. Et les
salariés peuvent ensuite utiliser ces preuves pour aller revendiquer leurs
droits devant le conseil des prud'hommes, explique François Hubert.
Néanmoins, selon l'arrêt de
la Cour de cassation du 22 décembre dernier, le rapport déloyal de la preuve
est désormais admis, dans les procès civils. Cette décision majeure, qui
rejoint la ligne de la Cour européenne des droits de l'Homme, a été prise en
assemblée plénière, constituée de l'ensemble des chambres, dont sociale.
L'évolution de la défense du salarié vers le pénal sera peut-être ralentie par
cet arrêt au profit de l'action prud’homale, qui suffira, à elle seule, au
rapport plus facile de la preuve. La jurisprudence française a donc fait un pas
en direction de l'action civile du salarié.
« Un nouvel indicateur,
tel que l'égalité homme-femme, devrait encore bousculer le droit dans
l'entreprise. » Bien sûr, les menaces de poursuivre au pénal
risquent d'augmenter sur ce point pour éviter un licenciement ou mieux
l'indemniser. Mais l'égalité homme-femme concerne aussi beaucoup les
accusations de discrimination à l'embauche et à la promotion sociale malgré les
progrès de certains emplois en faveur de l’égalité.
Antonio Desserre