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Mobilisation générale pour la Justice : une justice à bout de souffle

Mobilisation générale pour la Justice : une justice à bout de souffle
Publié le 16/12/2021 à 17:07

Magistrats, personnels de greffe, fonctionnaires et avocats étaient mobilisés, le 15 décembre dernier, à Bercy et dans toute la France, contre une justice au rabais, un "justice malade", et réclame des effectifs supplémentaires. Réuni, le monde judiciaire dénonce des conditions de travail jugées indignes, en réponse à l’appel de 3 000 magistrats et d’une centaine de greffiers publié dans Le Monde le 23 novembre dernier. L’expression d’un malaise de longue date qui ressurgit aujourd’hui, après le suicide en août dernier de Charlotte, jeune magistrate de 29 ans. 

 



Elle s’appelait Charlotte. Elle était juge. Après deux années d’exercice, Charlotte s’est suicidée, le 23 août dernier. Elle avait 29 ans.

Depuis ce drame illustrant les conditions d’exercice précaires auxquelles la justice doit faire face, les professionnels de justice ne décolèrent pas. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 23 novembre dernier, 3 000 magistrats et de 100 greffiers faisaient part de leur mal-être et de leur surcharge de travail. Un appel signé depuis par les deux tiers (plus de 7 500) des magistrats français, mais aussi 1 500 fonctionnaires de greffes, et près de 500 auditeurs de justice. Un appel également soutenu par les avocats et les fonctionnaires qui partagent ce constat d’une justice à bout de souffle.

S’est ensuivi un appel à une mobilisation générale pour la justice. Les professions se sont ainsi rassemblées le 15 décembre dernier devant le ministère de l’Économie, marquant symboliquement le manque de moyens alloués à la justice, mais aussi devant les sièges de cours d’appel et tribunaux, dans toute la France.

L’ordre judiciaire dénonce les conditions indignes dans lesquelles ces professionnels exercent leurs missions et parlent d’une « justice chronométrée, trop lente pour répondre aux besoins et parfois sans effets réels ». Un avis partagé par la ligue des droits de l’homme, qui constate elle aussi « dans son exercice de défense des droits de l’homme à quel point la justice est rendue dans des conditions dégradées ».  




Mobilisation générale pour la Justice, le 15 décembre 2021, à Paris (crédit : CNB)




Une mobilisation générale sans précédent

La tribune du Monde a fait consensus. Les professionnels de justice sont nombreux à s’être retrouvés dans cette description d’une justice dégradée, venant expliquer cette mobilisation inédite. L’appel a été lancé par 17 organisations, notamment les deux principaux syndicats de magistrats, le Syndicat de la Magistrature et l’USM, syndicat majoritaire qui appelait pour la première fois de son histoire à la grève, mais aussi l'AFMIFNUJA, l’ACE, le SAF, ou encore la CNA. Une coordination historique, à la hauteur du mal-être exprimé.

La Conférence nationale des Premiers présidents, la Conférence nationale des procureurs généraux, la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires et la Conférence nationale des procureurs de la République, partageant également ces constats et préoccupations exprimés dans l’appel publié dans Le Monde, ont également soutenu le mouvement. Évoquant eux aussi « une justice qui se perd à vouloir tout faire dans un temps limité », ils dénoncent, dans un communiqué commun, le manque d’accompagnement méthodique des réformes toujours plus complexes, mais aussi une défaillance informatique*, ou encore l’insuffisance budgétaire et humaine allouée aux juridictions. Ils pointent l’épuisement du professionnel, et parlent alors d’ « insécurité juridique » ; une situation qui nourrit à leur sens « un sentiment de défaillance à l’égard de l’autorité judiciaire insuffisamment défendue par la parole publique ». « Cette situation ne peut pas continuer ainsi », déclarent-ils.

Un mouvement également soutenu par les avocats, le barreau de Paris et le CNB en tête, lequel a adopté, lors de son Assemblée générale des 9 et 10 décembre derniers, une motion « sur l’appel des magistrats et greffiers et la justice à bout de souffle ». Le Conseil parle d’un « mouvement sans précédent » qui ne peut interpeller le gouvernement pour une prise de conscience réelle.

 





Les magistrats rassemblés devant Bercy réclament plus de moyens pour la Justice (crédit : CNB)




« 20 ans d’abandon humain et budgétaire de la justice »

Ce raz-le-bol des professions de justice, le garde des Sceaux dit le soutenir. Lors d’une conférence de presse portant sur la situation des juridictions, organisée en réaction le 13 décembre à la Chancellerie, Éric Dupond-Moretti a débuté en affirmant que parler depuis plusieurs jours de la situation du système judiciaire en France était « une très bonne chose ». Selon lui, il faut en effet faire connaître ces difficultés, tout en examinant les actions déjà mises en place, et en menant une réflexion les solutions, un triptyque indispensable à la réflexion, souligne-t-il. Le garde des Sceaux souhaite en effet que la réflexion soit menée « dans la clarté, au cœur d’un débat honnête ».  Rappelons qu'en France, pour 100 000 habitants, on compte 3 procureurs, 11 juges et 34,1 « personnels non juge », alors que la moyenne européenne se situe à 11 procureurs, 18 juges et 60,9 « personnels non juge »… des chiffres qui serviront de constat.

Pour sa défense, le ministre de la Justice n’hésite pas à mettre les actions du gouvernement en avant, à commencer par la hausse du budget : +8 % en 2021, à laquelle s’ajoute une nouvelle augmentation de 8 % attendue pour 2022. Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le budget de la justice a ainsi été augmenté de 18 % depuis 2017. Aussi, au micro de Léa Salamé sur France Inter le 15 décembre, le ministre s'est dit alors surpris du moment où intervient cette contestation. Mais le budget ne fait pas tout : « Ce n'est pas parce que les chiffres sont en augmentation qu'ils atteignent ce dont la justice a besoin ! » lui a répondu Emmanuel Raskin, le président de l’ACE, sur Twitter.

Un avis soutenu par le ministre, chiffres du rapport de l’inspection générale de la justice à l’appui rappelle ces chiffres : un tiers des stocks en 1re instance et 10 % des stocks en appel seraient dus au manque de moyens. Quid des stocks restants ? interroge Éric Dupond-Moretti sur France Inter. Problème de répartition du travail et souci managérial, expliquait-il. En outre, celui qui, en ce contexte de campagne présidentiel, craint l’instrumentalisation de ce mouvement, y voit surtout le résultat de « 20 ans d’abandon humain et budgétaire de la justice ».

 



Eric Dupond-Moretti promet plus d'auditeurs de justice 

L’USM attend en effet une augmentation des moyens humains qui « sont notoirement insuffisants. Si ce n'était pas le cas, les horaires de travail des magistrats seraient décents, leurs temps de repos respectés, les justiciables seraient mieux écoutés, les délais de jugement seraient raisonnables et les audiences notamment correctionnelles se termineraient avant la nuit », décrit le syndicat.

Le ministre s’est dit « prêt à regarder les choses en face », souhaitant améliorer l’institution judiciaire dans son fonctionnement quotidien en jugeant la situation « avec lucidité et responsabilité ». Affirmant que les États généraux de la Justice lancés en octobre sont justement conçus pour améliorer la justice de notre pays, le garde des Sceaux a demandé également aux professionnels de justice du temps. Un outil doit en effet être mis en place pour déterminer le nombre de magistrats et greffiers dont la France a besoin, mais la Cour des comptes estime que son développement demanderait plus de trois années...

D’ici là, Éric Dupond-Moretti a annoncé que le prochain concours de l’ENM serait celui de la plus grande promotion de l’école, avec 380 auditeurs et 80 postes en plus pour le concours complémentaire. Mais encore une fois, des nouvelles recrues tarderont à arriver, alors que pour l’ordre judiciaire, il y a urgence...


 * À ce titre, le ministre de la Justice a rappelé le développement de l’équipement informatique des tribunaux, mené en 2017 (fibre optique, wifi et visioconférence).


Constance Périn

 


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