CULTURE

Ouagadougou, 1987 : qui assassine le président Burkinabé ?

Ouagadougou, 1987 : qui assassine le président Burkinabé ?
Le crocodile est un animal sacré, vénéré au Burkina Faso (lac de Bazoulé). (c) Étienne Madranges
Publié le 14/09/2025 à 07:00

EMPREINTES D'HISTOIRE. Notre chroniqueur nous fait faire une incursion en Afrique dans un pays, celui des « hommes intègres », où les traditions se mêlent aux légendes mais où, surtout, les troubles et les émeutes n’ont cessé d’alterner ces dernières décennies avec des périodes calmes. Il évoque ici le procès d’un président de la République qui a fait assassiner un autre président de la République, son prédécesseur.

Les faits se déroulent dans une ancienne colonie française de l’Afrique Équatoriale Française, la Haute Volta, bordée au nord par le Mali et par le fleuve Volta, devenue indépendante en 1960, habitée en grande partie par les descendants du royaume Mossi.

L’hymne national est alors joyeux et populaire. Le refrain proclame : « Nous te ferons et plus forte, et plus belle / À ton amour nous resterons fidèles / Et nos cœurs vibrant de fierté / Acclameront ta beauté / Vers l'horizon lève les yeux / Frémis aux accents tumultueux / De tes fiers enfants tous dressés / Promesses d'avenir caressées ».

Le drapeau, s’inspirant de l’ancienne puissance coloniale, est tricolore à trois bandes horizontales : bleue, blanche et rouge.

Un rêve révolutionnaire

On surnomme ce chrétien, ancien enfant de chœur, le Che Guevara africain. Son père a combattu dans l’armée française et il a étudié dans un prytanée militaire avant de devenir officier. En janvier 1983, alors que son pays s’appelle encore la Haute Volta, le capitaine Thomas Sankara, militant marxiste, farouche adversaire du néocolonialisme et de la France, est un éphémère premier ministre, rapidement écarté et mis sous surveillance.

En août 1983, Sankara s’empare du pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Un an plus tard, la Haute Volta devient sous son autorité le Burkina Faso, le « pays des hommes intègres ». Les chefs coutumiers perdent leur pouvoir féodal, des comités révolutionnaires sont mis en place. Des opposants sont fusillés. Le sort des femmes est singulièrement amélioré. Le nouveau chef d’Etat ne se déplace qu’en Renault 5 ou en Peugeot 205 et ne se sépare jamais de son pistolet automatique Makarov…

Sankara s’oppose frontalement à la France dont il dénonce « l’impérialisme ». Recevant d’ailleurs le président François Mitterrand dans le cadre d’une visite officielle, il lui reproche d’avoir reçu en France des dictateurs et lui fait un cours de morale sur les droits de l’homme.

Sankara fait adopter un nouvel hymne national dont il écrit les paroles aux accents révolutionnaires, la Ditanyé (Hymne de la victoire), qui commence ainsi : « Contre la férule humiliante il y a déjà mille ans, / La rapacité venue de loin les asservir il y a cent ans. / Contre la cynique malice métamorphosée / En néocolonialisme et ses petits servants locaux / Beaucoup flanchèrent et certains résistèrent. / Mais les échecs, les succès, la sueur, le sang / Ont fortifié notre peuple courageux / et fertilisé sa lutte héroïque » et dont le refrain proclame : « Et une seule nuit a rassemblé en elle / L'histoire de tout un peuple. / Et une seule nuit a déclenché sa marche triomphale : / Vers l'horizon du bonheur. / Une seule nuit a réconcilié notre peuple / Avec tous les peuples du monde, / À la conquête de la liberté et du progrès / La Patrie ou la mort, nous vaincrons !

Le drapeau du Burkina Faso change de couleurs dès l’arrivée de Sankara au pouvoir : le bleu-blanc-rouge est remplacé par deux bandes horizontales, rouge et verte, avec une étoile dorée à cinq branches au milieu. Le rouge symbolise la lutte pour l’indépendance, le vert l’espoir et l’abondance, et le jaune de l’étoile se réfère aux richesses minières mais aussi au commandement révolutionnaire.

Le rêve brisé

Le 15 octobre 1987, une rafale d’armes automatiques déchire le silence relatif de la capitale africaine aux trois millions d’habitants. Tandis qu’il préside une réunion du Conseil de l’Entente ayant pour ordre du jour la création d’un parti politique unique, le président Sankara s’effondre sous les balles d’un commando qui vient d’abattre les six membres de sa garde rapprochée. Cinq membres du cabinet tombent à ses côtés. Son chauffeur est lui aussi assassiné. Les corps sont aussitôt jetés dans une fosse commune.


Le parc Laongo du Burkina Faso accueille les sculptures d’artistes africains sur granit et s’enrichit chaque année de nouvelles œuvres ; à droite Thomas Sankara sculpté par Omar Pouyé. © Étienne Madranges

Le soir de la tuerie, la radio nationale annonce que Blaise Compaoré remplace Thomas Sankara, « décédé de mort naturelle ». Bien que soupçonné d’être l’instigateur de l’assassinat de son prédécesseur, Blaise Compaoré se fait élire président de la République en 1991, en 1998, en 2005 et en 2010. Il reste ainsi au pouvoir pendant 27 ans.

Ces années de pouvoir sont marquées par le faible taux de participation aux élections en raison du boycott des opposants, par l’assassinat du journaliste très médiatique Norbert Zongo connu pour critiquer le régime, par le soutien à des mouvements armés africains et des milices. Le frère du président, François Compaoré, fera l’objet d’un mandat d’arrêt international après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.

Blaise Compaoré est cependant contraint de quitter son pays en 2014 et de se réfugier en Côte d’Ivoire à la suite d’un soulèvement populaire et de manifestations multiples en réaction à sa volonté de modifier la constitution pour pouvoir se présenter à un cinquième mandat. En décembre 2015, la justice militaire burkinabé entame une procédure à l’encontre de Compaoré, accusé d’être le commanditaire de l’assassinat de Sankara.

Réputé méticuleux et intransigeant, le juge d’instruction François Yaméogo (ce lieutenant-colonel est aujourd’hui directeur de la justice militaire du Burkina Faso et expert auprès de l’ONU) est désigné. Ancien officier de police judiciaire, breveté commando, ce magistrat est sorti vice-major de sa promotion de l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM).

Il lance plusieurs mandats d’arrêt internationaux mais la Côte d’Ivoire refuse d’extrader le président fugitif devenu citoyen ivoirien. Le magistrat organise une reconstitution des faits et s’intéresse aux éventuelles implications étrangères de la France, du Togo et de la Côte d’Ivoire. Le président Emmanuel Macron autorise la levée du secret défense, mais les documents fournis par la France n’apportent rien de particulier. En 2021, il est décidé d’organiser un procès criminel devant une juridiction militaire.

Le procès

La juridiction compétente est la première chambre du tribunal militaire du Burkina Faso siégeant à Ouagadougou. Le président de la juridiction est le juge Urbain Meda, un magistrat expérimenté qui a présidé plusieurs tribunaux de grande instance, notamment ceux de Ouagadougou et Dori. On lui reconnaît un sens aigu de l’équité, du bon sens, une capacité à maintenir l’ordre et permettre des débats sereins, et à gérer de façon pragmatique les audiences. Il est assisté par une magistrate et trois juges militaires, difficilement désignés car certains se sont désistés.

Le lieu retenu pour organiser le procès est une salle de banquets d’une capacité de 400 places. Le dossier d’instruction comporte 20 000 pages. On reproche à Compaoré et à deux autres accusés l’assassinat de Sankara mais aussi un attentat contre la sûreté de l’État. Les débats se tiennent à partir d’octobre 2021. Compaoré refuse de se présenter devant ses juges, dénonçant une procédure inéquitable. En février, le parquet militaire requiert à l’encontre de l’ancien président une peine de 30 ans d’emprisonnement.

34 ans après la mort de Sankara, Blaise Compaoré est condamné à la prison à perpétuité, de même que deux de ses complices. Il est vrai que la contumace entraîne la peine maximale. Son avocat, le Français Pierre-Olivier Sur, interrogé par France 24 le 6 avril 2022, ne mâche pas ses mots. L’ancien bâtonnier de Paris critique le jugement, évoquant un « simulacre de procédure » et « une mauvaise justice ». Il fait allusion à « la poubelle de l’histoire judiciaire » et dit préférer à d’éventuels recours devant des juridictions internationales un « processus de réconciliation nationale » nécessité par « la continuité de l’histoire » et la volonté des citoyens souhaitant voir revenir Compaoré dans son pays où il sera accueilli « avec tendresse ».


Images du Burkina Faso traditionnel. © Étienne Madranges

Actuellement, le Burkina Faso est toujours au cœur de vives tensions régionales et les déplacements des étrangers y sont déconseillés. La circulation en centre-ville de Ouagadougou y est proscrite la nuit. Les populations des divers territoires du pays sont régulièrement l’objet d’attaques ou de déplacements.

Les forces armées terrestres du pays, notamment l’unité Guépard et les BIR (Bataillons d’Intervention Rapide que la presse nationale burkinabé appelle « les forces combattantes »), soutenues par des avions de chasse, réalisent de nombreuses interventions contre les groupes terroristes qui pullulent dans la région.

Le coup d’État de janvier 2022, suivi de l’arrivée au pouvoir en septembre 2022 du capitaine Ibrahim Traoré, a porté au pouvoir une junte militaire qui a reporté les élections, initialement prévues en juillet 2024. Plus de la moitié du pays échappe au contrôle de l’exécutif qui accentue sa répression à l’encontre des médias et des opposants.

Il reste à espérer qu’avec cette instabilité persistante, le « pays des hommes intègres »…  ne se désintègre pas !

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 268


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