JUSTICE

PODCAST. Raphaël Nedilko : « Un cold case, au départ, ça n’en est pas un »

PODCAST. Raphaël Nedilko : « Un cold case, au départ, ça n’en est pas un »
Publié le 09/01/2024 à 16:37

Aujourd’hui major de police, Raphaël Nedilko a résolu plusieurs cold cases, dont certains très anciens. Dans le dernier épisode de notre podcast, loin des lieux communs, cet ancien de la Crim’ nous parle de l’importance des constatations sur une scène de crime, de l’aspect chronophage de certaines procédures, de ce que cela fait, d’être régulièrement confronté à la mort, mais aussi de la découverte la plus mémorable de sa carrière.




Raide comme la justice

Épisode 4 : "L'officier de police judiciaire
résout tout grâce à l'ADN"


Maigret, Engrenages ou plus récemment Sambre en France, mais aussi Les experts, Esprits criminels, True Detective, Mindhunter de l’autre côté de l’Atlantique, ou encore les excellentes The Killing ou Bron chez les Scandinaves : depuis des années, les séries policières fascinent et semblent ne pas connaître la crise. Souvent servies par des flics hauts en couleur quand ils ne sont pas torturés, elles mettent en scène une police judiciaire aux méthodes parfois originales, qui parvient à résoudre une affaire particulièrement sordide et complexe en 45 minutes d’épisode.

Et puis, il y a la « vraie » vie, celle où le quotidien frénétique de la PJ, « qui vire vite à l’enfer » - « sur une seule et même journée, on place en garde-à-vue une personne dans un dossier, on en interroge une autre dans une autre affaire » -, vient se heurter au temps long de certaines enquêtes et de tout le volet d’actes et de procédures. « Oui, il y a l’énergie du démarrage : quand un meurtre est constaté, l’équipe se focalise sur ce nouveau dossier pendant une à deux semaines, le temps que dure la flagrance… Avant que ça ne bascule sur une enquête préliminaire ou sur l’ouverture d’une instruction judiciaire ».

Si la réalité de la PJ est donc un peu moins caricaturale et beaucoup plus complexe qu’elle n’est dépeinte à l’écran, Raphaël Nedilko, aujourd’hui major de police en qualité de chef de l’unité des enquêtes générales au commissariat de Chalon-sur-Saône, n’a pas peur de parler de « vocation » pour qualifier le métier qu’il a choisi et qu’il exerce avec dévouement malgré l’âpreté de ses fonctions, comme il l’admet sans détour dans le dernier épisode de notre podcast.

« J’ai voulu me mêler à la matière criminelle »

Le flic de 51 ans à la stature aussi imposante qu’elle dégage une grande douceur se souvient comme si c’était hier de sa première immersion dans l’univers judiciaire. Un premier contact qui se fait dans la douleur, puisqu’il remonte à sa jeune adolescence, quand sa grand-mère, la seule qu’il lui restait, est sauvagement tuée par son propre chien, comme le conclura finalement l’enquête. Il entend parler d’autopsie, et apprend que le corps de son aïeule est trop mutilé pour qu’il puisse la revoir une dernière fois.

« Pour moi, ça a été la rupture brutale de l’enfance innocente. Je me retrouvé propulsé dans monde d’adultes, ça a été dur à vivre », se remémore-t-il. Si dur que le jeune Raphaël perd l’intégralité de ses cheveux peu après. « Ce choc psychologique a été si profond que c’est la raison pour laquelle, inconsciemment, j’ai voulu connaître cette ambiance d’enquête, de mort, d’autopsie ». Longtemps après, quand il résout l’affaire Christelle Maillery, dont la mère a été empêchée de voir le cadavre, cela crée des liens « particuliers » entre elle et lui. Cette douleur-là, il la connaît bien.

Son intérêt pour le crime, Raphaël Nedilko l’explique aussi par sa volonté d’être présent dans les moments clef qui opposent les victimes, leurs familles et les mis en cause ; mais aussi d’œuvrer à établir à charge et à décharge les éléments d’un dossier, afin que les personnes à qui revient la prise de décision en termes de sanction pénale aient entre les mains « tous les éléments pour pouvoir prendre la juste décision », assure-t-il. Il ajoute que la question de la mort humaine l’a « toujours intimement imprégné ». « J’ai toujours pensé que les personnes qui meurent ont un enseignement à nous apporter, alors j’ai voulu me mêler à la matière criminelle ».


Le major de police Raphaël Nedilko a résolu plusieurs cold cases en 30 ans de carrière

Alors, sa toute première enquête criminelle le marquera forcément, d’autant qu’il y joue un rôle majeur. A cette époque, il est élève gardien de la paix, en stage à la brigade des mineurs de la PJ de Dijon. C’est une affaire plutôt glauque, en préliminaire, qui concerne un viol commis sur une mineure 14 ans trisomique par son oncle. Enfin, a priori. Car l’enquête finit par déterminer que cet oncle, le frère de la mère, était en réalité le père biologique de l’adolescente.

C’est en cuisinant le mis en cause, qui niait en bloc les viols allégués, que Raphaël Nedilko réussit à le faire passer aux aveux – simplement, dit-il, à l’issue d’une « conversation humaine », presque la même « relation privilégiée » qu’il aura des années plus tard avec Pascal Jardin qui, dans la cour du commissariat de Bordeaux, en 2014, lui avouera avoir tué Christelle Blétry de 123 coups de couteaux en 1993.

Le Quai des orfèvres : « un rêve »

Avant d’intégrer (réellement, cette fois) la PJ de Dijon en 2008 puis de rejoindre le commissariat de Chalon-sur-Saône, Raphaël Nedilko a été pendant sept ans enquêteur à la Crim, à Paris. « Le Quai des orfèvres*, ça a toujours été un rêve », nous confie-t-il dans Raide comme la Justice.

Sauf qu’à la brigade criminelle, on n’y rentre pas comme ça : il faut être coopté. L’anecdote est singulière : alors que Raphaël Nedilko est affecté à l’ordre public et à la circulation, c’est un de ses bons amis, un certain Philippe Conticini, chef de cuisine de renom, qui lui présente un membre de la brigade criminelle, Francis Bechet. Le même Francis Bechet qui, quelque temps plus tôt, a réussi à arracher des aveux au « tueur de l’est parisien », Guy Georges.

Puis, pour voir s’il « fait l’affaire », on lui fait passer un stage de formalisme procédural en matière criminelle. Il obtient sa mutation en janvier 2021, après avis favorable. « J’étais simple gardien de la paix, et j’ai été renvoyé sur les bancs de la formation universitaire car il a fallu que je devienne officier de police judiciaire ».

De ses mentors, Raphaël Nedilko dit avoir « tout appris humainement et professionnellement », et notamment de Francis Bechet, toujours lui, un « chef de groupe avec beaucoup d’humilité » et avec un « sens très terrien de l’enquête de police ». « Il partait du principe que tous les membres d’un groupe, quels que soient son grade et son ancienneté, devaient savoir tout faire ».

Des constatations de scène de crime au cordeau

Un mantra que l’OPJ a aujourd’hui fait sien. Tout faire, oui… mais bien. Il avoue volontiers dans son ouvrage être perfectionniste, pointilleux, et tant pis pour ceux à qui ça ne conviendrait pas. Si ses collègues se sont plus d’une fois moqués de ses constatations-fleuves, opérées avec une méthode presque militaire, il ne varie pas d’un iota dans sa façon de faire, apprise au fil des années auprès des procéduriers, ces fonctionnaires spécialement chargés de la mise en forme de la procédure.

Son secret ? Le niveau de détail, « pour qu’une personne extérieure au dossier puisse se retrouver plongée dans une scène de crime comme si elle s’y trouvait ». Ce qui peut aller de la description exacte de la forme de traces de sang au type d’ampoule précis d’un lampadaire qui se trouverait sur la scène de crime. « Ensuite, j’ai à cœur de les relire encore et encore quelques semaines après les avoir faites, avec toujours un regard critique : je me dis que la prochaine fois je rentrerai plus dans le détail, avec un effet boule de neige, car il faut toujours sortir de sa zone de confort et faire mieux. »

Quand il arrive à la PJ de Dijon, Raphaël Nedilko constate des manquements dans certaines procédures qui se trouvent au point mort. Or, « quand l’enquête démarre, si les constatations sont insuffisantes, les investigations calent très vite, et quand on arrive à l’audition du mis en cause, il y a des éléments qu’on ne peut pas lui opposer ».

Alors il propose au centre régional de formation de mettre en place une valise pédagogique pour former les jeunes OPJ aux constats sur les morts criminelles ou suspectes. Pas de quoi se reposer sur ses lauriers pour autant. « Quand on veut revendiquer le droit de donner des conseils aux collègues, il faut être encore meilleur, se remettre en permanence en question ».

L’ADN, « élément d’identification » qui ne se suffit pas à lui-même

Le fonctionnaire de police en face de nous a une élocution fluide, un débit rythmé, il va droit au but et ne perd pas de temps. Il faut dire qu’il n’en est pas à sa première interview, loin de là. Il connaît même une médiatisation croissante depuis qu’il a résolu deux cold cases particulièrement anciens : l’affaire Christelle Maillery (1986) et l’affaire Christelle Blétry pré-citée (1996), dont il évoque l’aboutissement libérateur pour les familles des victimes dans son livre, L’Obstiné, confessions du flic qui exhume les cold cases, paru en mars 2023.

Il nous explique qu’avec les cold cases, il faut appréhender l’enquête « comme si elle s’était produite la veille ». « Quand les faits se sont produits 25 ans avant que je ne fasse ma première lecture, c’est compliqué. Il faut convertir son système de lecture, sachant qu’une procédure diligentée dans les années 80 n’est pas la même que celle qu’on diligenterait aujourd’hui, qu’on n’était pas dotés des mêmes technologies, que l’ADN, il n’en était pas question ».

L'OPJ évoque l’affaire Christelle Maillery (1986) et l’affaire 
Christelle Blétry (1996) dans son livre paru en mars 2023

Il dit jeter systématiquement un œil critique sur le dossier, en analysant la conjonction des éléments qui ont fait qu’un dossier nouveau est devenu un cold case. « Car un cold case, au départ, ça n’en est pas un », martèle-t-il. « Aujourd’hui on est convaincus qu’avec nos nouveaux logiciels, nos nouvelles technologies, notre façon d’interroger les gens, les cold cases, ce n'est plus pour nous. Mais c’est une erreur : il y a des dossiers qui deviennent des cold cases à cause de manquements, d’insuffisances du fait des policiers ». Alors, il faut tout reprendre et ratisser large : refaire le point, lancer des revues de presse, reprendre les auditions. Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, « ce que les témoins ont dit à l’époque, même 25 ans après, ils s’en souviennent ».

Quant au rôle de l’ADN, s’il s’agit selon lui de « quelque chose de formidable, un élément d’identification avec un taux de vérité énorme : les derniers aménagements des lois et des techniques permettent de faire des portraits génétiques, des recherches en parentèle… » ; l’OPJ se montre prudent. « Malgré sa force scientifique, ce n’est qu’un élément d’identification. Ce qui donne à la présence de l’ADN sur une scène de crime une valeur probante, c’est l’enquête de police, qui doit être une colonne vertébrale très solide. On peut avoir toutes les machines puissantes qu’on veut, si on ne sait pas dérouler une enquête de police, on est dans le mur. Il ne faut donc pas négliger les actes traditionnels de l’enquête, car faute de solidité, les enquêtes peuvent s’effondrer ».

« J’ai payé le prix de mon investissement »

Quand on lui demande ce que ça lui fait, d’être régulièrement confronté à l’horreur et à la mort, Raphaël Nedilko a tout de suite une réponse qui tombe, comme un couperet : « ça fait mal ». Il déroule la liste de ses maux : burn out, dépression, infarctus du myocarde, divorce… « Je pense avoir payé le prix de mon investissement », lâche-t-il finalement.

Il évoque aussi le « traumatisme vicariant », ce traumatisme par procuration dont il souffre. « Quand vous êtes dépositaire d’une autorité publique et que vous espérez pouvoir aider les gens à se sortir de la souffrance qui est la leur et que vous n’y arrivez pas, vous endossez cette souffrance ». Le major de police énumère encore : il a vu des centaines de cadavres et d’autopsies, interrogé une multitude de mis en cause, rencontré de nombreuses familles de victimes en pleurs. « L’éponge, je l’ai faite », résume-t-il.

Quid alors du suivi psychologique ? « On a de nos jours la prévention des jours psychosociaux, et plein de bonnes choses ont été mises en place, mais il reste beaucoup à faire ». L’OPJ se souvient que lorsqu’il rentre dans la police en 1996, il s’agit alors de la deuxième corporation au sommet des statistiques sur le suicide après le bâtiment. Près de 30 ans après, Raphaël Nedilko pointe toujours un mal-être profond dans la police, qui tient, dit-il, « à l’aigreur du quotidien, à tout le terrible, ce qui vous est jeté au visage à longueur de journée ».

« Il y a aussi le manque de soutien, le manque de solidarité dans nos rangs, car il ne faut pas penser que cela vient forcément du sommet mais cela peut se produire aussi entre nous, entre personnes du même grade ». Pour le major de police, c’est un « problème d’humanité », plus généralement. « On doit remettre au cœur de nos équations ce paramètre humain : il y a un travail énorme à faire [sur ce point] ».

Engagé jusqu’au bout

On n’oublie pas de faire remarquer à Raphaël Nedilko qu’il y a une certaine contradiction qui gouverne la façon dont les Français perçoivent son métier : à la fois lui colle à la peau une image violente, impulsive, celle des fameuses « violences policières », et à la fois l’étiquette « PJ » et tout le cortège de fantasmes que celle-ci emporte.

Sur cette ambivalence, le ton de l’OPJ se durcit. Il dénonce des généralités. « Quand les gens n’ont pas envie de savoir qui ils ont en face d’eux, ils les cantonnent à des clichés, des caricatures ». Généralités qu’il ne laisse pas l’atteindre. « On peut traiter les policiers de tous les noms - alcooliques, racistes, analphabètes -, je ne m’arrête pas à ça ».

Il confie : « Après 30 ans de police, j’ai connu la police à papa. Aujourd’hui, les jeunes qui sortent sont des policiers 2.0. Et au quotidien, les gens qui m’entourent sont admirables, qui ont comme tout le monde leurs jugements hâtifs mais qui se remettent en question ». Et n’oublie pas de rappeler la pression qui règne sur les policiers : « On est bordés par des textes ; on est l’administration la plus contrôlée en France, la plus sanctionnée. Alors quand j’entends dire que les policiers sont des assassins, ce qui revient à dire qu’ils se lèveraient le matin avec l’envie d’ôter la vie, c’est ridicule. Des collègues qui commettent des erreurs, il y en a. Mais de là à savoir si c’est une maladresse, un trop plein ou un franchissement de ligne rouge, il faut toujours contextualiser, et ça, c’est à l’enquête de le déterminer. »

Arrivé dans la police avec des yeux « pleins d’étoiles », dit-il, des désillusions, l’OPJ admet en avoir eu beaucoup également. Ce qui ne l’empêche pas de « [se] battre » pour que les personnes qu’il manage en tant que chef d’unité puissent vivre leur métier à la hauteur de la vocation qui est la leur. Car pour lui, un policier qui n’a pas la vocation, « il faut qu’il passe son chemin, qu’il fasse autre chose – c’est une possibilité qui doit lui être donnée ». S’il est parfois en colère, s’il est souvent éprouvé, Raphaël Nedilko n’en désire pas moins rester engagé jusqu’au bout. « Je continuerai en gardant mon amour intact pour la profession et pour notre triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité ».

Bérengère Margaritelli

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