Aujourd’hui
major de police, Raphaël Nedilko a résolu plusieurs cold cases, dont certains
très anciens. Dans le dernier épisode de notre podcast, loin des lieux communs,
cet ancien de la Crim’ nous parle de l’importance des constatations sur une scène
de crime, de l’aspect chronophage de certaines procédures, de ce que cela fait,
d’être régulièrement confronté à la mort, mais aussi de la découverte la plus
mémorable de sa carrière.
| | | | Épisode 4 : "L'officier de police judiciaire résout tout grâce à l'ADN" |
|
| | |
|
|
Maigret,
Engrenages ou plus récemment Sambre en France, mais aussi Les experts, Esprits
criminels, True Detective, Mindhunter de l’autre côté de l’Atlantique, ou
encore les excellentes The Killing ou Bron chez les Scandinaves : depuis
des années, les séries policières fascinent et semblent ne pas connaître la
crise. Souvent servies par des flics hauts en couleur quand ils ne sont pas
torturés, elles mettent en scène une police judiciaire aux méthodes parfois
originales, qui parvient à résoudre une affaire particulièrement sordide et
complexe en 45 minutes d’épisode.
Et
puis, il y a la « vraie » vie, celle où le quotidien frénétique de la PJ, « qui
vire vite à l’enfer » - « sur une seule et même journée, on
place en garde-à-vue une personne dans un dossier, on en interroge une autre
dans une autre affaire » -, vient se heurter au temps long de certaines
enquêtes et de tout le volet d’actes et de procédures. « Oui, il y a l’énergie
du démarrage : quand un meurtre est constaté, l’équipe se focalise sur ce
nouveau dossier pendant une à deux semaines, le temps que dure la flagrance… Avant
que ça ne bascule sur une enquête préliminaire ou sur l’ouverture d’une instruction
judiciaire ».
Si la
réalité de la PJ est donc un peu moins caricaturale et beaucoup plus complexe
qu’elle n’est dépeinte à l’écran, Raphaël Nedilko, aujourd’hui major de police
en qualité de chef de l’unité des enquêtes générales au commissariat de Chalon-sur-Saône, n’a pas peur de
parler de « vocation » pour qualifier le métier qu’il a choisi et qu’il
exerce avec dévouement malgré l’âpreté de ses fonctions, comme il l’admet sans
détour dans le dernier épisode de notre podcast.
« J’ai voulu me mêler à
la matière criminelle »
Le flic de 51 ans à la
stature aussi imposante qu’elle dégage une grande douceur se souvient comme si
c’était hier de sa première immersion dans l’univers judiciaire. Un premier
contact qui se fait dans la douleur, puisqu’il remonte à sa jeune adolescence, quand
sa grand-mère, la seule qu’il lui restait, est sauvagement tuée par son propre
chien, comme le conclura finalement l’enquête. Il entend parler d’autopsie, et
apprend que le corps de son aïeule est trop mutilé pour qu’il puisse la revoir
une dernière fois.
« Pour moi, ça a été
la rupture brutale de l’enfance innocente. Je me retrouvé propulsé dans monde d’adultes,
ça a été dur à vivre », se remémore-t-il. Si dur que le jeune Raphaël perd
l’intégralité de ses cheveux peu après. « Ce choc psychologique a été
si profond que c’est la raison pour laquelle, inconsciemment, j’ai voulu
connaître cette ambiance d’enquête, de mort, d’autopsie ». Longtemps
après, quand il résout l’affaire Christelle Maillery, dont la mère a été
empêchée de voir le cadavre, cela crée des liens « particuliers »
entre elle et lui. Cette douleur-là, il la connaît bien.
Son intérêt pour le crime, Raphaël
Nedilko l’explique aussi par sa volonté d’être présent dans les moments clef
qui opposent les victimes, leurs familles et les mis en cause ; mais aussi
d’œuvrer à établir à charge et à décharge les éléments d’un dossier, afin que les
personnes à qui revient la prise de décision en termes de sanction pénale aient entre
les mains « tous les éléments pour pouvoir prendre la juste décision »,
assure-t-il. Il ajoute que la question de la mort humaine l’a « toujours
intimement imprégné ». « J’ai toujours pensé que les personnes
qui meurent ont un enseignement à nous apporter, alors j’ai voulu me mêler à la
matière criminelle ».
Le major de police Raphaël Nedilko a résolu plusieurs cold cases en 30 ans de carrière
Alors, sa toute première
enquête criminelle le marquera forcément, d’autant qu’il y joue un rôle majeur.
A cette époque, il est élève gardien de la paix, en stage à la brigade des
mineurs de la PJ de Dijon. C’est une affaire plutôt glauque, en préliminaire, qui
concerne un viol commis sur une mineure 14 ans trisomique par son oncle. Enfin,
a priori. Car l’enquête finit par déterminer que cet oncle, le frère de la mère,
était en réalité le père biologique de l’adolescente.
C’est en cuisinant le mis en
cause, qui niait en bloc les viols allégués, que Raphaël Nedilko réussit à le faire
passer aux aveux – simplement, dit-il, à l’issue d’une « conversation
humaine », presque la même « relation privilégiée » qu’il
aura des années plus tard avec Pascal Jardin qui, dans la cour du commissariat
de Bordeaux, en 2014, lui avouera avoir tué Christelle Blétry de 123 coups de
couteaux en 1993.
Le
Quai des orfèvres : « un rêve »
Avant
d’intégrer (réellement, cette fois) la PJ de Dijon en 2008 puis de rejoindre le
commissariat de Chalon-sur-Saône, Raphaël Nedilko a été pendant sept ans enquêteur
à la Crim, à Paris. « Le Quai des orfèvres*, ça a toujours été un
rêve », nous confie-t-il dans Raide comme la Justice.
Sauf
qu’à la brigade criminelle, on n’y rentre pas comme ça : il faut être
coopté. L’anecdote est singulière : alors que Raphaël Nedilko est affecté à l’ordre
public et à la circulation, c’est un de ses bons amis, un certain Philippe
Conticini, chef de cuisine de renom, qui lui présente un membre de la brigade criminelle,
Francis Bechet. Le même Francis Bechet qui, quelque temps plus tôt, a réussi à
arracher des aveux au « tueur de l’est parisien », Guy Georges.
Puis,
pour voir s’il « fait l’affaire », on lui fait passer un stage
de formalisme procédural en matière criminelle. Il obtient sa mutation en
janvier 2021, après avis favorable. « J’étais simple gardien
de la paix, et j’ai été renvoyé sur les bancs de la formation universitaire car
il a fallu que je devienne officier de police judiciaire ».
De ses mentors, Raphaël
Nedilko dit avoir « tout appris humainement et professionnellement »,
et notamment de Francis Bechet, toujours lui, un « chef de groupe avec beaucoup
d’humilité » et avec un « sens très terrien de l’enquête de
police ». « Il partait du principe que tous les membres d’un
groupe, quels que soient son grade et son ancienneté, devaient savoir tout
faire ».
Des constatations de scène de
crime au cordeau
Un mantra que l’OPJ a aujourd’hui
fait sien. Tout faire, oui… mais bien. Il avoue volontiers dans son ouvrage
être perfectionniste, pointilleux, et tant pis pour ceux à qui ça ne
conviendrait pas. Si ses collègues se sont plus d’une fois moqués de ses
constatations-fleuves, opérées avec une méthode presque militaire, il ne varie pas d’un iota dans sa façon de faire, apprise au fil
des années auprès des procéduriers, ces fonctionnaires spécialement chargés de
la mise en forme de la procédure.
Son secret ? Le niveau
de détail, « pour qu’une personne extérieure au dossier puisse se
retrouver plongée dans une scène de crime comme si elle s’y trouvait ». Ce
qui peut aller de la description exacte de la forme de traces de sang au type d’ampoule
précis d’un lampadaire qui se trouverait sur la scène de crime. « Ensuite,
j’ai à cœur de les relire encore et encore quelques semaines après les avoir
faites, avec toujours un regard critique : je me dis que la prochaine fois
je rentrerai plus dans le détail, avec un effet boule de neige, car il faut toujours
sortir de sa zone de confort et faire mieux. »
Quand il arrive à la PJ de
Dijon, Raphaël Nedilko constate des manquements dans certaines procédures qui
se trouvent au point mort. Or, « quand l’enquête démarre, si les constatations
sont insuffisantes, les investigations calent très vite, et quand on arrive à l’audition
du mis en cause, il y a des éléments qu’on ne peut pas lui opposer ».
Alors il propose au centre
régional de formation de mettre en place une valise pédagogique pour former les
jeunes OPJ aux constats sur les morts criminelles ou suspectes. Pas de quoi se
reposer sur ses lauriers pour autant. « Quand on veut revendiquer le
droit de donner des conseils aux collègues, il faut être encore meilleur, se
remettre en permanence en question ».
L’ADN, « élément d’identification »
qui ne se suffit pas à lui-même
Le fonctionnaire de police en
face de nous a une élocution fluide, un débit rythmé, il va droit au but et ne
perd pas de temps. Il faut dire qu’il n’en est pas à sa première interview,
loin de là. Il connaît même une médiatisation croissante depuis qu’il a résolu
deux cold cases particulièrement anciens : l’affaire Christelle Maillery (1986)
et l’affaire Christelle Blétry pré-citée (1996), dont il évoque l’aboutissement
libérateur pour les familles des victimes dans son livre, L’Obstiné,
confessions du flic qui exhume les cold cases, paru en mars 2023.
Il nous explique qu’avec les
cold cases, il faut appréhender l’enquête « comme si elle s’était produite
la veille ». « Quand les faits se sont produits 25 ans avant
que je ne fasse ma première lecture, c’est compliqué. Il faut convertir son
système de lecture, sachant qu’une procédure diligentée dans les années 80 n’est
pas la même que celle qu’on diligenterait aujourd’hui, qu’on n’était pas dotés
des mêmes technologies, que l’ADN, il n’en était pas question ».
L'OPJ évoque l’affaire Christelle Maillery (1986) et l’affaire
Christelle Blétry (1996) dans son livre paru en mars 2023
Il dit jeter systématiquement
un œil critique sur le dossier, en analysant la conjonction des éléments qui
ont fait qu’un dossier nouveau est devenu un cold case. « Car un cold
case, au départ, ça n’en est pas un », martèle-t-il. « Aujourd’hui
on est convaincus qu’avec nos nouveaux logiciels, nos nouvelles technologies, notre
façon d’interroger les gens, les cold cases, ce n'est plus pour nous. Mais c’est
une erreur : il y a des dossiers qui deviennent des cold cases à
cause de manquements, d’insuffisances du fait des policiers ». Alors,
il faut tout reprendre et ratisser large : refaire le point, lancer des revues
de presse, reprendre les auditions. Car contrairement à ce qu’on pourrait
croire, « ce que les témoins ont dit à l’époque, même 25 ans après, ils
s’en souviennent ».
Quant au rôle de l’ADN, s’il
s’agit selon lui de « quelque chose de formidable, un élément d’identification
avec un taux de vérité énorme : les derniers aménagements des lois et des techniques
permettent de faire des portraits génétiques, des recherches en parentèle… » ;
l’OPJ se montre prudent. « Malgré sa force scientifique, ce n’est qu’un
élément d’identification. Ce qui donne à la présence de l’ADN sur une scène de
crime une valeur probante, c’est l’enquête de police, qui doit être une colonne
vertébrale très solide. On peut avoir toutes les machines puissantes qu’on
veut, si on ne sait pas dérouler une enquête de police, on est dans le mur. Il ne faut donc pas
négliger les actes traditionnels de l’enquête, car faute de solidité, les
enquêtes peuvent s’effondrer ».
« J’ai payé le prix
de mon investissement »
Quand on lui demande ce que
ça lui fait, d’être régulièrement confronté à l’horreur et à la mort, Raphaël
Nedilko a tout de suite une réponse qui tombe, comme un couperet : « ça
fait mal ». Il déroule la liste de ses maux : burn out, dépression,
infarctus du myocarde, divorce… « Je pense avoir payé le prix de mon
investissement », lâche-t-il finalement.
Il évoque aussi le « traumatisme
vicariant », ce traumatisme par procuration dont il souffre. « Quand
vous êtes dépositaire d’une autorité publique et que vous espérez pouvoir aider
les gens à se sortir de la souffrance qui est la leur et que vous n’y arrivez
pas, vous endossez cette souffrance ». Le major de police énumère
encore : il a vu des centaines de cadavres et d’autopsies, interrogé une
multitude de mis en cause, rencontré de nombreuses familles de victimes en
pleurs. « L’éponge, je l’ai faite », résume-t-il.
Quid alors du suivi psychologique ?
« On a de nos jours la prévention des jours psychosociaux, et plein de bonnes
choses ont été mises en place, mais il reste beaucoup à faire ». L’OPJ
se souvient que lorsqu’il rentre dans la police en 1996, il s’agit alors de la
deuxième corporation au sommet des statistiques sur le suicide après le
bâtiment. Près de 30 ans après, Raphaël Nedilko pointe toujours un mal-être
profond dans la police, qui tient, dit-il, « à l’aigreur du quotidien, à
tout le terrible, ce qui vous est jeté au visage à longueur de journée ».
« Il y a aussi le
manque de soutien, le manque de solidarité dans nos rangs, car il ne faut pas
penser que cela vient forcément du sommet mais cela peut se produire aussi entre
nous, entre personnes du même grade ». Pour le major de police, c’est
un « problème d’humanité », plus généralement. « On
doit remettre au cœur de nos équations ce paramètre humain : il y a un
travail énorme à faire [sur ce point] ».
Engagé jusqu’au bout
On n’oublie pas de faire
remarquer à Raphaël Nedilko qu’il y a une certaine contradiction qui gouverne
la façon dont les Français perçoivent son métier : à la fois lui colle à la
peau une image violente, impulsive, celle des fameuses « violences
policières », et à la fois
l’étiquette « PJ » et tout le cortège de fantasmes que celle-ci emporte.
Sur cette ambivalence, le ton
de l’OPJ se durcit. Il dénonce des généralités. « Quand les gens n’ont
pas envie de savoir qui ils ont en face d’eux, ils les cantonnent à des clichés,
des caricatures ». Généralités qu’il ne laisse pas l’atteindre. « On
peut traiter les policiers de tous les noms - alcooliques, racistes, analphabètes
-, je ne m’arrête pas à ça ».
Il confie : « Après
30 ans de police, j’ai connu la police à papa. Aujourd’hui, les jeunes qui sortent
sont des policiers 2.0. Et au quotidien, les gens qui m’entourent sont admirables,
qui ont comme tout le monde leurs jugements hâtifs mais qui se remettent en
question ». Et n’oublie pas de rappeler la pression qui règne sur les
policiers : « On est bordés par des textes ; on est l’administration
la plus contrôlée en France, la plus sanctionnée. Alors quand j’entends dire que
les policiers sont des assassins, ce qui revient à dire qu’ils se lèveraient le
matin avec l’envie d’ôter la vie, c’est ridicule. Des collègues qui commettent
des erreurs, il y en a. Mais de là à savoir si c’est une maladresse, un trop
plein ou un franchissement de ligne rouge, il faut toujours contextualiser, et
ça, c’est à l’enquête de le déterminer. »
Arrivé dans la police avec des
yeux « pleins d’étoiles », dit-il, des désillusions, l’OPJ
admet en avoir eu beaucoup également. Ce qui ne l’empêche pas de « [se]
battre » pour que les personnes qu’il manage en tant que chef d’unité
puissent vivre leur métier à la hauteur de la vocation qui est la leur. Car
pour lui, un policier qui n’a pas la vocation, « il faut qu’il passe
son chemin, qu’il fasse autre chose – c’est une possibilité qui doit lui être
donnée ». S’il est parfois en colère, s’il est souvent éprouvé, Raphaël
Nedilko n’en désire pas moins rester engagé jusqu’au bout. « Je
continuerai en gardant mon amour intact pour la profession et pour notre triptyque
républicain : liberté, égalité, fraternité ».
Bérengère
Margaritelli