Alors que le projet de
loi pour la confiance dans l’institution judiciaire fait débat en France, et
surtout son article 1er consacré à la diffusion des procès, un
colloque proposait, le mois dernier, de porter son regard à l’international.
Entre le modèle américain et la justice pénale internationale, la publicité des
procès s’affirme comme une garantie de transparence… sous réserve de ne pas
être instrumentalisée. Compte rendu.
Depuis une semaine, la commission des lois de l’Assemblée nationale examine
le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Le texte
comprend une mesure phare : l'enregistrement vidéo des procès à des
fins pédagogiques. Selon le garde des Sceaux, tous les procès pourraient être
visés, que ce soit « les audiences de la Cour de cassation, du Conseil
d'État, des juridictions administratives, les audiences pénales ou civiles,
mais aussi les audiences qui ne sont aujourd'hui pas ouvertes au public et pour
lesquelles il faudra demander l'autorisation. » éric Dupond-Moretti l’a assuré :
ces procès ne seront diffusés que lorsqu'ils « auront connu leur
épilogue définitif », et avec l’accord des parties. Ce dans une
« visée pédagogique », « face à une vraie
méconnaissance du fonctionnement de la justice » et afin de « rétablir
la confiance des Français ».
Si la mesure, en rupture avec la tradition française, fait débat dans le
monde juridique, le 2 avril, un colloque organisé par l’École de droit de l’université
Clermont Auvergne s’est intéressé de près au sujet de la publicité des procès,
notamment à travers un prisme international.
Aux USA, des affaires très médiatisées
Pour la professeure de droit public Marie-élisabeth
Baudoin, les projets en cours en France amènent naturellement à tourner le
regard outre-Atlantique. Elle prévient toutefois que « comparaison
n’est pas raison, d’autant plus du fait des spécificités liées au système
américain et au fédéralisme ». Aux USA, le champ d’étude est vaste,
notamment car les réglementations diffèrent au niveau des États fédérés et de
l’État fédéral.
Marie-élisabeth Baudoin
rappelle que l’Histoire américaine s’est fait l’écho de nombreuses affaires
très médiatisées. Est notamment resté « gravé dans les mémoires »
le retentissant procès d’OJ Simpson, célèbre joueur de football soupçonné du
meurtre de son ex-femme. En 1995, ce procès a tenu l’Amérique en haleine durant
neuf mois, « principalement en raison de la couverture médiatique qui
en a été faite et de la présence de caméras à l’intérieur de la salle
d’audience », résume la professeure de droit. Celle-ci estime que sa
retransmission télévisée a donné l’image « d’une justice-divertissement ».
Pourtant, avant cela, filmer les procès était un phénomène assez récent aux
États-Unis, puisque la Cour suprême avait seulement statué quelques années plus
tôt, dans une décision du 26 janvier 1980, Chandler v. Florida, que les
États pouvaient adopter des lois autorisant les caméras dans les tribunaux.
La publicité des procès, un droit historiqueoutre-Atlantique
Marie-élisabeth Baudoin
explique que la publicité des procès a été garantie par la Constitution
américaine dès 1791 : le 6e amendement prévoit entre
autres que dans toute poursuite criminelle, l’accusé a le droit d’être jugé
« promptement et publiquement ».
Historiquement, la consécration de ce droit à un procès public s’explique
par la méfiance traditionnelle des Anglo-Américains à l’égard des procès
secrets. Avec sa « chambre étoilée » (tribunal institué sous la
dynastie Tudor, qui refusait les témoignages favorables aux accusés et avait
recours à la torture pour extorquer des aveux), l’Angleterre, aux 15e et
16e siècles, a laissé l’image « d’une justice
arbitraire, instrument aux mains d’un pouvoir politique contre ses opposants »,
souligne la professeure. Autre exemple : les lettres de cachet, ordres
particuliers intimés par le roi sous la monarchie française. « Ces
institutions symbolisaient une menace pour la liberté, et la première raison
d’être d’un procès public est de protéger contre toute tentative d’utiliser les
tribunaux comme des instruments de persécution, ajoute Marie-élisabeth Baudoin. C’est ce que va
dire la Cour suprême dans une décision de 1948. »
Le principe de publicité s’est vu par ailleurs paré de différentes
finalités, notamment énoncées dans une décision de 1980, Richmond newspapers
v. Virginia. Certaines sont liées à la justice et au procès, d’autres
s’adressent plus largement à la société. Marie-élisabeth Baudoin énumère : il s’agit ainsi de garantir
au défendeur un jugement équitable et précis de sa culpabilité ou de son
innocence, d’apporter une démonstration publique de l’équité, de décourager le
parjure et les décisions fondées sur un parti pris, mais aussi d’éduquer le public
à propos du système de justice pénale, de conforter la légitimité de ce
dernier, et d’avoir un effet prophylactique.
Mais la plus haute juridiction américaine n’en est pas restée là,
puisqu’elle a également jugé que le droit à un procès public était si fondamental
pour l’équité du système contradictoire qu’il était protégé de manière
indépendante contre toute privation par l’État, en vertu de la clause de
procédure régulière (« due process clause ») du 14e amendement.
Elle n’a pas manqué non plus, à une autre occasion, d’opérer une certaine
interprétation du 1er amendement, consacré entre autres à la
liberté de parole et de la presse, considérant que le droit d’accès du public
aux procès pénaux et aux dossiers était implicite à la liberté d’expression et
avait une fonction essentielle dans une société démocratique. Il était question
ici d’une affaire de meurtre. La Cour de Virginie avait décidé que le procès se
déroulerait à huis clos, mais la Cour suprême a estimé que dans le cadre des
procès, les garanties apportées à la liberté d’expression et à la liberté de la
presse interdisaient au gouvernement de fermer les portes des salles
d’audience. En 1984 et 1986, c’est sur ce même fondement que la Cour a consacré
le droit d’accès à la section des jurés et aux procédures préliminaires.
La Cour suprême pose des limites
Marie-élisabeth Baudoin
tempère : cette protection constitutionnelle « ne signifie pas un
droit absolu ». « Il y a des limites au droit à un procès
public, qui sont la condition de la garantie d’un procès équitable »,
poursuit la professeure. En vertu de la jurisprudence de la Cour suprême, dans
certaines circonstances, la publicité peut être injustement préjudiciable à
l’accusé, et dans ces cas, le huis clos est alors possible pour protéger la confidentialité,
la dignité ou encore la sécurité – par exemple dans des affaires de terrorisme
ou de gangs. Ces hypothèses sont toutefois restreintes, puisque selon les
termes mêmes de la Cour, la présomption de publicité ne peut être levée que par
un intérêt prépondérant fondé sur la constatation que le huis clos est
essentiel pour préserver des valeurs supérieures, et adapté pour servir cet
intérêt. La plus haute juridiction a par exemple considéré, notamment en 1965
et 1966, qu’une couverture médiatique était si perturbatrice qu’elle portait
atteinte à l’intégrité, à l’ordre et à la fiabilité de la procédure
judiciaire.
En outre, « le droit d’accès du public ne couvre pas les procédures
devant le grand jury – dont le bon déroulement dépend précisément de sa
procédure secrète – et n’a jamais été reconnu par la Cour suprême pour les
procès civils ou les procès des mineurs », indique Marie-élisabeth Baudoin.
Au final, une « liberté illimitée » des
médias ?
Des principes que les spécificités du système américain viennent cependant
largement nuancer. La professeure rapporte en effet que dans le cadre du
fédéralisme, certains États fédérés et leurs cours « ont pu faire des
choix différents et reconnaître l’accès du public aux procès civils ou des
mineurs ». Pour Marie-élisabeth
Baudoin, les limites à la publicité des procès sont donc assez ténues. D’autant
que la Cour suprême semble avoir du mal à consentir des restrictions à la
liberté d’expression reconnue à la presse.
La professeure prend pour exemple la célèbre décision de 1965 Estes v.
Texas. Dans cette affaire, la Cour a certes considéré que le droit à un
procès équitable figurait parmi les plus fondamentaux de tous les droits, et
que la vie ou la liberté de tout individu ne devrait pas être mise en danger par
les actions d’un média d’information. Mais en s’appuyant sur le 1er amendement,
elle a, dans le même temps, annulé l’injonction du tribunal qui interdisait la
publication d’informations susceptibles de porter préjudice à un procès
ultérieur. La haute juridiction a donc « confirmé la doctrine
américaine du “prior restraint”, c’est-à-dire la présomption
d’inconstitutionnalité d’une restriction préventive à la liberté d’expression »,
relate Marie-élisabeth
Baudoin.
Cette « primauté » dont paraît bénéficier la liberté de la presse
au détriment du droit à un procès équitable inquiète certains juristes
américains, comme Gavin Phillipson, qui refuse une « liberté illimitée
des médias », et selon lequel la couverture médiatique d’un procès
conduit à trahir l’objectif du 1er amendement et, par ricochet,
à sacrifier le 6e amendement.
Surmédiatisation : le « rule
of law » en danger
Gavin Phillipson parle d’ailleurs de « trial by media » :
pour lui, les procès ne sont plus faits par la justice, mais par les médias,
rapporte Marie-élisabeth Baudoin.
Un point de vue partagé par la professeure, qui pointe leur influence sur le
cours des procès.
Plusieurs études sociologiques montrent notamment que la publicité avant un
procès influence les jurés contre les défendeurs : le pourcentage
d’accusés reconnus coupables est, dans cette hypothèse, beaucoup plus élevé. De
même, des sondages et enquêtes montrent que la présence des caméras « rend
les témoins nerveux, les jurés moins attentifs. Les juges et avocats peuvent
être tentés de “paraître” plus que de juger et plaider, et enfin,
l’autorisation de filmer étant accordée par le président du tribunal, elle est
liée à sa volonté de se montrer, d’avoir un rôle politique, une tribune à sa
disposition », reprend Marie-élisabeth
Baudoin.
Elle alerte : l’excès de médiatisation pourrait mettre en danger le
« rule of law » (l’État de droit). La professeure souligne que la
controverse autour du rôle des médias dans les tribunaux n’est certes pas
nouvelle, mais elle a pris une ampleur avec l’évolution des technologies :
« Le droit à un procès public a été consacré très tôt, mais depuis, la
société a évolué, les médias ont évolué, ce qui a fait naître des dangers pour
la justice », affirme-t-elle.
Si, au niveau fédéral, l’article 53 des règles fédérales sur la procédure
pénale interdit les caméras dans les salles d’audience, tout comme sont
interdites les photos, il y a cependant des exceptions prévues, notamment un
programme pilote mis en place entre 2011 et 2014. D’autre part, certains États
autorisent les chaînes de télévision à enregistrer et à filmer des procès en
vertu de leur propre législation. En 1997, en Californie, les médias se sont
ainsi vu accorder le droit de filmer une exécution en direct. Pour Marie-élisabeth Baudoin, c’est un risque de
transformer la justice « en spectacle », « d’autant
que le public a semblé apprécier », regrette-t-elle. La professeure
évoque aussi la chaîne « Court TV », créée par l’avocat et
journaliste Steven Brill en 1991, et sur laquelle les Américains ont ainsi pu
suivre le fameux procès d’OJ Simpson. Jusqu’en 2007, la chaîne a diffusé en
direct plus de 700 procès. En parallèle, « la téléréalité s’est elle
aussi emparée du phénomène judiciaire », raconte Marie-élisabeth Baudoin. Dans l’émission très
populaire « Judge Judy », l’ancienne magistrate Judy Sheindlin
présente ainsi des affaires civiles réelles mais dans le cadre d’un tribunal
simulé. « Alors que la vraie justice, rejoint le programme télé, la
question de la publicité au sens de rendre public, se pose. Ici, on se trouve
plutôt dans la surmédiatisation, et, dans ce cadre, il s’agit surtout d’enjeux
commerciaux des chaînes télé privées », lance la professeure. Quant à
savoir si une justice-spectacle serait à craindre en France, elle se veut rassurante :
à ses yeux, il s’agit d’une culture judiciaire spécifique aux USA, et d’une
certaine conception de la liberté d’expression propre à ce pays.
Justice pénale internationale : des infractions hors du
commun
Mais la publicité n’est pas l’apanage des États-Unis. Elle joue même un
rôle crucial également en matière de justice pénale internationale.
C’est Thomas Herran, maître de conférences en droit privé et sciences
criminelles à l’université de Bordeaux, qui s'attaque au sujet : « On
peut même dire qu’il s’agit d’une attraction touristique : on peut visiter
des Cours, assister à sa petite audience, et c’est un spectacle qui produit
même parfois des images sensationnelles. » Thomas Herran fait
notamment référence au suicide d’un accusé lors de l’une des dernières
audiences du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) :
au moment de la lecture du verdict, celui-ci avait ingéré un poison et avait
trouvé la mort sur place, au vu de tous.
Pour le maître de conférences, la question de la publicité se pose « avec
une acuité particulière » s’agissant de la justice pénale
internationale, car « d’autres enjeux entrent en considération ».
D’abord, du fait de la singularité des infractions devant ces juridictions
spécifiques, puisque ce sont des infractions particulièrement graves, d’une
grande ampleur, et souvent commises par des personnalités qui occupent des
fonctions particulières. « En découlent forcément des conséquences
politiques, sociales, économiques qui dépassent largement le seul cadre de
l’auteur et victimes de l’infraction », met en exergue Thomas Herran.
Outre leur rôle traditionnel de juger, les juridictions pénales internationales
jouent donc un rôle historique voire politique, « puisqu’elles
participent à l’écriture de l’Histoire », considère-t-il.
Or, selon lui, la nature de ces infractions devrait conduire à imposer une
publicité réduite alors même que la nature des faits renforce les risques et
les menaces pour la vie et la sécurité des témoins et des victimes. La nature
des faits conduit en effet nécessairement au traitement d’informations
relatives à la sécurité nationale.
En-dehors de la singularité des infractions, le maître de conférences
souligne la singularité des juridictions qui les traitent. « Juridictions
hybrides qui s’inspirent de la civil law et de la common law,
elles connaissent des règles relatives à la publicité elles aussi singulières »,
expose Thomas Herran.
Audiences, décisions et documents diffusés : une
publicité singulière
S’agissant des « expressions » de la publicité, les formes
qu’elle emprunte sont relativement traditionnelles, décrit le maître de
conférences. En revanche, la manière dont ces formes sont mises en œuvre est un
peu plus particulière.
D’abord, il y a la publicité des débats, qui existe depuis les premières
expériences de la justice pénale internationale : le procès de Nuremberg,
pour l’essentiel, était public. Pourtant, il ne s’agissait pas d’une règle
prévue par le statut du tribunal. Elle apparaissait seulement « en
creux, au détour d’une règle de procédure qui concernait le maintien de l’ordre
au procès. Il était écrit que tout appelé ou toute personne pourrait être
exclu(e) des audiences publiques. » Mis à part cette disposition, il
n’était pas fait référence à la publicité. Toutefois, au moment de l’ouverture
du procès, le président du tribunal a annoncé clairement qu’il s’agissait d’un
procès public. Nuremberg a ainsi donné lieu à pas moins de 403 audiences
publiques. Si elle n’était pas prévue pour Nuremberg, dans les juridictions contemporaines,
la publicité est néanmoins consacrée dans l'ensemble des textes, remarque
Thomas Herran. Ils prévoient que la publicité des audiences s’applique aux
formations de jugement, mais également, concernant la Cour pénale
internationale (CPI), la publicité des débats s’applique aux chambres
préliminaires – les formations juridictionnelles chargées de rendre les
décisions dans la phase d’enquête et de confirmer les charges, lors de la phase
préalable au jugement.
Si la publicité des audiences n’a rien de caractéristique, l’originalité
apparaît en revanche dans le fait que les audiences sont enregistrées et
diffusées, souligne le maître de conférences. D’ailleurs, dès Nuremberg, les
procès étaient filmés – certains passages, en tout cas – puis diffusés. « Cette
culture a été conservée et développée », observe-t-il. Ainsi, les
Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) diffusent en
direct leurs audiences sur leur site Internet. Les Chambres africaines
extraordinaires (CAE) qui ont jugé Hissène Habré ont quant à elles vu leurs
audiences enregistrées et diffusées à la télé sénégalaise. Concernant la CPI,
différents textes prévoient que toutes les audiences sont enregistrées, et que
les audiences publiques sont diffusées soit en direct, soit de manière
différée. De l’avis de Thomas Herran, cette généralisation de la diffusion des
débats « au-delà du prétoire » peut s’expliquer par plusieurs
raisons. D’abord, pour compenser l’éloignement des juridictions pénales
internationales, car l’internationalité nuit à la proximité de la justice. En
effet, les personnes concernées plus ou moins directement par les procès ne se
trouvent généralement pas sur place. « Cela s’explique aussi par la
fonction historique et mémorielle des juridictions pénales internationales »,
ajoute le maître de conférences. Enfin, ces juridictions se reconnaissent
elles-mêmes une fonction « éducative », comme cela a notamment été
indiqué à l’occasion d’un arrêt rendu en 1995 par le tribunal pénal pour
l’ex-Yougoslavie.
Thomas Herran évoque un autre trait d’originalité : la publicité des
décisions. Celles-ci sont non seulement publiques et publiées, « mais
cela ne se limite pas aux décisions, puisque dans la plupart des formations, la
publicité est élargie à l’ensemble des documents publics – communications,
rapports, enquêtes, procédures de réparation... », précise-t-il.
En cause, affirme le maître de conférences, « une volonté de
transparence poussée à son paroxysme, de la pédagogie, voire une communication
politique pour montrer l’utilité et le fonctionnement de la Cour ».
Par cette publicité exacerbée, la Cour tente donc de promouvoir « une
justice pénale internationale fortement atténuée ces dernières années ».
D’autant qu’en publiant les procédures de réparation, les juridictions
cherchent également à informer les victimes potentielles, mais non connues, de
l’existence de ces procédures.
Quelques problèmes d’effectivité
Cette publicité souffre cependant de « problèmes d’effectivité »,
note Thomas Herran. Elle se heurte à plusieurs défis. Il y a notamment la
complexité de la justice pénale internationale, et le fait qu’une seule affaire
puisse donner lieu à plusieurs dizaines de décisions. « Autant dire que
dans cette hypothèse, trop de publicité nuit à la publicité »,
commente le maître de conférences, qui indique toutefois que plusieurs actions
sont entreprises pour contourner cette difficulté, à l’instar du recours
généralisé au communiqué de presse, ou encore la création d’une base de données
des décisions et des documents publics.
Autre obstacle : la langue. Les juridictions internationales ont vocation à
s’adresser à la communauté internationale. Pour autant, les documents et
décisions ne sont pas systématiquement traduits dans toutes les langues, même
les langues officielles de travail, rapporte Thomas Herran.
Il y a aussi des limites à la publicité prévues par les juridictions. Par
exemple, l’article 79 du règlement de preuve et de procédure des tribunaux
pénaux internationaux énumère comme limites l’ordre public et les bonnes mœurs,
la sécurité, la protection des victimes et des témoins, ou encore l’intérêt de
la justice. En revanche, la CPI ne prévoit pour sa part aucune disposition
énumérant de telles exceptions à la publicité. « Pour les trouver, il
faut se reporter à différents textes. On va retrouver les limites classiques,
celles tenues à la protection des victimes et des témoins, qui peuvent donner
lieu, selon le cas, soit à un huis clos partiel, soit à un huis clos total.
Toutefois, le huis clos n’est pas de droit : c’est la Cour qui l’autorise »,
développe Thomas Herran. Ce dernier dresse le constat que la politique de la
publicité est donc très élargie chez la Cour pénale internationale, et le huis
clos plutôt relégué au second plan – à quelques exceptions près, puisqu’il est
automatique, même sans demande, lorsque les audiences portent sur des éléments
de preuve produits pour établir la réalité du consentement de victimes de
violences sexuelles, par exemple. Ou encore lorsqu’un témoin, dans le cadre de
son témoignage, est susceptible de s’auto-incriminer. Ou bien, en raison d’un
motif concernant la protection des renseignements touchant à la sécurité
nationale. « Mais pour compenser ces atteintes à la publicité, la
Cour va essayer de limiter autant que possible l’effet de ces exceptions sur la
publication des dossiers », signale Thomas Herran. La Cour fait ainsi
peser sur les parties l’obligation de déposer des documents expurgés de leurs
requêtes confidentielles, afin de permettre leur publication. Elle demande
également aux greffes de déposer un résumé de toute décision procédurale pour
disposer d’un dossier complet. « Il y a donc une vraie démarche de la
CPI et des autres juridictions pour assurer une publicité augmentée »,
insiste-t-il.
Une publicité à la nature « ambiguë »
Ce qui a pour conséquence, dit-il, « de faire naître une ambiguïté
sur la question de la nature de la publicité ».
En effet, pour le maître de conférences, il paraît difficile d’apporter une
réponse sur le point de savoir s’il s’agit d’un droit fondamental, d’un
principe directeur ou d’une simple règle… Surtout qu’il existe « une
certaine disparité entre juridictions », et que des évolutions ont eu
lieu, spécifie Thomas Herran. « Si l’on met de côté les Chambres
extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, qui semblent reléguer la
publicité à une simple règle de procédure, il semblerait que la publicité
puisse s’apparenter à un droit fondamental chez les autres formations. »
En effet, à la lecture des statuts, selon le maître de conférences, il n’y a
« pas de doute possible ». Tous les statuts présentent la
publicité comme un droit fondamental reconnu à l’accusé, droit autonome « bien
distinct du droit au procès équitable ». Néanmoins, la jurisprudence
semble nier cette autonomie et faire de la publicité davantage une garantie du
procès équitable, soutient Thomas Herran. Le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie, dans sa décision de 1995, a ainsi présenté la publicité comme
composante du procès équitable. La CPI a pour sa part affirmé, dans l’une de
ses décisions, que le droit à un procès équitable était un droit fondamental de
chaque accusé. Dans la phrase suivante, elle précise toutefois que le fait de
condamner l’accusé à un procès sur la base d’accusations dissimulées au public
constituerait une violation importante de son droit au procès équitable.
« En conséquence, il semblerait que la jurisprudence considère la
publicité comme une garantie du procès équitable, c’est-à-dire un mécanisme
permettant d’assurer son effectivité. »
Quant au fait de savoir si la publicité constitue un principe directeur,
Thomas Herran indique que cette notion n’est « pas forcément
universelle ». « On peut dire que d’un point de vue formel, la
CPI en tout cas reconnaît que la publicité est un principe »,
précise-t-il. À plusieurs reprises, elle a ainsi eu l’occasion de préciser que
l’article 76 énonçait « un principe de publicité des débats ».
Puis, dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour a pu qualifier ce principe
tantôt de « général » (lors d’une décision 2013) tantôt de
« fondamental » (lors d’une décision 2014), et, encore plus
récemment, de « primordial » (2018). « Même si elle ne
le dit pas expressément, nous serions tentés de penser que ce principe de
publicité coche l’ensemble des cases qui permet d’identifier un principe
directeur comme on le connaît en droit français », argue Thomas
Herran.
En tout cas, aux yeux du maître de conférences, la justice pénale
internationale organise une publicité augmentée qui lui semble « justifiée
par rapport à la spécificité de la justice pénale internationale ».
« Mais la frontière entre publicité augmentée et publicité
instrumentalisée à des fins politiques est mince, et nous avons parfois l’impression
que la justice pénale internationale s’adonne davantage à une apparente
publicité qu’à une réelle publicité. » De quoi donner à réfléchir.
Bérengère Margaritelli