Un imposant monument sculpté
par Chapu lui est dédié dans la Salle des Pas Perdus du Palais de Justice de
Paris*. Son père, Pierre-Nicolas, a défendu le maréchal Ney. Pierre-Antoine
Berryer, avocat comme son père, qu’il a secondé lors du procès Ney, est donc
surnommé Berryer fils. On le décrit parfois comme un « fascinateur de la parole ».
C’est un tribun, qui aime
célébrer les mots ! Cambronne, auquel on attribue un célèbre mot, lui doit
son acquittement. Ses magnifiques plaidoiries en faveur de Chateaubriand
marquent les esprits.
Il est l’auteur d’un traité,
« Leçons et modèles d’éloquence
judiciaire », publié en 1838.
Il représente avec force la
noblesse du métier d’avocat en ce qu’il met un point d’honneur à défendre ses
adversaires politiques, tel le prince Louis-Napoléon Bonaparte, futur empereur,
dont il combat les idées puisqu’il est royaliste.
Il défend des princes mais
aussi des ouvriers typographes poursuivis pour délit de coalition. Il défend
toutes les libertés. Il s’intéresse au développement du réseau ferroviaire.
Député de la Haute-Loire puis
des Bouches-du-Rhône, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, membre de
l’Académie française, c’est dans le Gâtinais, dans un coin verdoyant de la
vallée de l’Essonne où alternent champs de graminées et pacages parviflores,
qu’il fixe sa principale demeure. Il acquiert en effet le château d’Augerville,
un édifice ayant appartenu à Jacques Cœur, grand argentier de Charles VII,
reconstruit par sa petite-fille, Marie Cœur. Il le transforme.
C’est ainsi que le Tout-Paris,
le monde littéraire et l’élite des cercles artistiques se retrouvent à
Augerville-la-Rivière, dans le Loiret, où règne l’hospitalité et où
s’enchaînent festivités, concerts, créations poétiques et représentations
théâtrales. Piano et violoncelle y résonnent. Alfred de Musset y passe.
L’élégance, les bonnes
convenances et la franchise sont de mise. Pimpesouées et personnages patelins
ne sont pas invités !
Berryer, passionné de musique,
frissonnant en écoutant Mozart, y reçoit Liszt et son ami Rossini.
Il y accueille son cousin, le
peintre Delacroix**, lequel évoque la bonté de son hôte.
Le talentueux avocat aime le
raffinement. Il aime le billard et tous les jeux, de cartes, de hasard,
d’intelligence… Il s’acharne à gagner mais il sait perdre quelqu’argent face au
curé d’Augerville afin de lui permettre de financer les œuvres de la paroisse.
Il aime l’humour et les vieilles chansons.
Il investit dans le village.
Dès lors, une bonne partie de
l’église augervilloise du XIe siècle réédifiée au XVIe siècle par Marie Cœur
est consacrée à la famille Berryer : tombes dans la crypte, plaques
funéraires multiples… Et, en regardant attentivement la voûte du chœur, on découvre
en forme de clef de voûte ajoutée un « B
couronné » entouré de « AD
MDCCCLXIV », c’est-à-dire « en l’An du Seigneur (AD = Anno Domini) 1864 » (illustration).
Berryer est décédé en 1868. Cela signifie que ce « B couronné » a été
inséré dans le décor de l’église du vivant du séduisant orateur, qui, par son
mécénat, a permis la restauration de cet édifice religieux.
Il décède à Augerville et est
enterré dans une crypte sous l’église. Sur la pierre tombale, érigée à
l’intérieur, figure cette épitaphe : « pectus est quod facit disertos ». Ce précepte est tiré d’une
phrase de Quintilien, rhéteur latin du Ier siècle, admirateur de Cicéron, qui,
dans son « Institution oratoire » (livre X chap. VII), écrit en
réalité : « pectus est enim
quod disertos facit, et vis mentis », que l’on peut traduire
par : « car c’est le cœur,
c’est la force de l’esprit (ou du sentiment) qui rend éloquent »
(Vauvenargues, utilisant cette formule, a écrit que « les grandes pensées
viennent du cœur »).
à l’extérieur, une petite
chapelle est adossée au mur de l’église, dans un minuscule cimetière (bien que
sur un terrain communal, il est à usage privé), abritant l’entrée vers la
crypte et le tombeau de Berryer. Au fronton est inscrite la phrase latine
« Expecto donec veniat immutatio mea »,
extraite du verset 14 du chapitre 14 du livre de Job de l’Ancien
Testament : « Si l’homme une
fois mort pouvait revivre, J’aurais de l’espoir tout le temps de mes
souffrances, Jusqu’à ce que mon état vînt à changer. »
Le 7 décembre 1868, ses
funérailles sont grandioses. Plus de 3 000 personnes se pressent à
Augerville. Élus, avocats, magistrats, artistes, académiciens, typographes et
charpentiers, journalistes se recueillent autour de la dépouille du fervent
catholique, maître incontesté de l’art oratoire, et partagent un émouvant oremus. Le cercueil porte pour seul
drapeau la robe noire froissée aux trous épars témoignant d’une longue
carrière, d’incessants déplacements et de la gestuelle accompagnant le souffle
puissant du foudre d’éloquence.
Pierre-Antoine Berryer ? À
la ville, un monument de l’histoire judiciaire… à la campagne, un monument de
l’histoire patrimoniale et culturelle ! Pour la postérité, un monument de
la liberté, un avocat donnant à la parole son véritable lustre...
Un Français illustre !
Étienne Madranges,
Avocat à la cour,
Magistrat honoraire,
* Voir à ce sujet notre chronique dans le JSS n° 76 du
7 octobre 2017
** Voir notre chronique consacrée à Delacroix dans le JSS n°
27 du 25 avril 2020
En haut, le monument dédié à Berryer au Palais de Justice de Paris, la chapelle protégeant l’accès à la crypteet au caveau de Berryer jouxtant, dans un petit cimetière privé, l’église d’Augerville-la-Rivière (45), la pierre tombale sur laquelle figure l’épitaphe « pectus est quod facit disertos », en bas la clef de voûte dans le chœur de l’église avec le B couronné et la date de 1864, et le château d’Augerville qui fut la demeure de Berryer.