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Quel célèbre fugitif soviétique réfugié chez un grand peintre mexicain tomba amoureux de l’épouse de ce dernier, une artiste dont l’art était « un ruban autour d’une bombe » ?

Quel célèbre fugitif soviétique réfugié chez un grand peintre mexicain tomba amoureux de l’épouse de ce dernier, une artiste dont l’art était « un ruban autour d’une bombe » ?
Publié le 03/05/2020 à 11:00


Frida Kahlo. Tout est multiple chez cette femme peintre.

Ses origines. Elle a des ancêtres allemands, espagnols, indiens, mexicains.

Ses noms. Née en 1907 Magdalena Frida Carmen Khalo Calderon, elle se fait appeler Frida Kahlo, et, pendant la Seconde Guerre mondiale, Frieden (paix, en allemand).

Ses souffrances et ses blessures. Son père était épileptique. Victime de poliomyélite à l’âge de six ans, elle est gravement blessée dans un accident de bus en 1925 alors qu’elle est étudiante et subit de nombreuses fractures ainsi qu’une perforation de l’abdomen qui lui interdiront d’être mère (elle fera des fausses couches) et lui feront porter des corsets, avant de la rendre accroc à la morphine.

Ses autoportraits. Elle en a peint 55, soit un tiers de sa production artistique. Elle n’y sourit jamais car elle déteste son sourire. On décrit ses œuvres, parfois sombres bien que très colorées, échos de ses souffrances, comme poignantes ou bouleversantes.

Ses couleurs. Cheveux, sourcils, yeux sont noirs. Sa maison, la Casa azul de son père, où elle naît et où elle meurt, qui est son véritable univers créatif, est bleue (en 1958, quatre ans après sa mort, elle sera transformée en musée). Ses tableaux montrent parfois des rouges soutenus et des camaïeux de vert.

Ses rêves. Elle voulait être médecin, mais son accident l’en a empêchée. Adhérente du parti communiste mexicain, elle aurait aimé obtenir l’émancipation des femmes mexicaines. Elle se bat pour la liberté de l’art. À la fin de sa vie, les douleurs transformeront ses rêves en cauchemars.

Ses voyages, aux États-Unis, en France, où elle détestera Paris, ville sale, ses surréalistes et ses « intellectuels pourris ».

Ses amours. Avec Diego, qu’elle épouse, dont elle divorce, qu’elle ré-épouse (« l’union d’un éléphant et d’une colombe » aurait dit sa famille). Avec Jacqueline, l’épouse d’André Breton, lequel écrit : « l’art de Frida Kahlo est un ruban autour d’une bombe ». Avec Joséphine Baker, l’icône de la « Revue nègre » aux seins nus et à la ceinture de bananes qui évoquera sa propre bisexualité de façon subliminale dans sa chanson « J’ai deux amours ». Joséphine née en réalité Freda Josephine McDonald. Frida avec Freda donc ! Avec Nickolas, un photographe. Et… avec Léon !

Léon Trotski. Juif ukrainien né Lev Davodovitch Bronstein, le héros bolchevik, fondateur de l’Armée rouge, animateur de l’Internationale communiste, a été chassé d’URSS par Staline et privé de sa citoyenneté. Expulsé en 1929 vers la Turquie, il trouve refuge en France puis en Norvège. Finalement expulsé de Norvège, le père de la révolution soviétique arrive avec sa seconde épouse Natalia Sedova en 1937 au Mexique à l’invitation de Diego Rivera, célèbre peintre muraliste, qui réalise de grandes fresques sur les édifices publics, et surtout, militant communiste qui a convaincu le président mexicain de lui accorder asile. Il y est accueilli par l’épouse de Rivera, Frida Kahlo. Il semble heureux de fouler la terre mexicaine, où, 27 ans plus tôt, s’est déroulée la révolution de 1910-1911 à l’instigation d’Emiliano Zapata, meneur de guérilla, grand amateur de femmes (il en eut 27), de combats de coqs, de cognac et de cigares, mais surtout défenseur des paysans privés de terres.

Né en 1879, Léon est âgé de 58 ans. Il n’a plus que trois ans à vivre. Il a une belle prestance et des cheveux argentés. Frida a presque 30 ans. Sa beauté séduit le réfugié. Frida aime la liberté, le vin, le sexe. Elle préfère le costume national au sarrau. Elle est bafouée par son mari Diego, qui couche avec sa sœur. Léon aime la sensualité de son hôtesse. Ils deviennent les amants de Coyoacan, utilisant tous les subterfuges des amants mariés : escalade d’un mur au moyen d’une échelle avec l’agilité d’un stégophile, dialogue en anglais pour que l’épouse trompée ne puisse comprendre. Leur liaison est brève. Mais Léon a singulièrement pris du retard dans la rédaction de sa biographie de Lénine.

Elle lui offre un tableau, qu’elle lui dédicace : « Avec tout mon amour ». Elle décrira plus tard cette période comme « l’une des meilleures choses qui lui soit arrivée ».

Le 20 août 1940, Léon Trotski reçoit le compagnon de la sœur de sa secrétaire, Franck. Il fait chaud, et pourtant Franck porte un épais manteau imperméable, sous lequel il dissimule des armes. Léon ne se méfie pas, car le garçon est un habitué de la maison qui s’est rendu sympathique et dévoué. Mais Franck est en réalité Ramon, un tueur recruté par le NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures), la police politique aux ordres de Staline. Il a déjà assassiné des trotskistes. Sa mère, cubaine et communiste, a combattu avec les républicains espagnols en 1936. Ramon porte un violent coup de pic à glace dans la tempe de Léon, qui ne meurt pas sur le coup et a le temps d’exiger de ses gardes du corps qu’ils laissent son agresseur en vie afin qu’il puisse « raconter son histoire ». Séduisant et séducteur, il a réussi à entrer dans l’intimité de sa victime en devenant le fiancé de la sœur de sa secrétaire, d’origine russe. Trotski décède le lendemain des suites de la blessure crânienne ayant provoqué une hémorragie fatale. Condamné à 20 ans d’emprisonnement, Ramon sera libéré en 1960 et sera fait héros de l’Union soviétique.

Dépressive, après avoir subi une amputation de la jambe due à la gangrène, Frida meurt d’une pneumonie en 1954 après avoir écrit « Viva la vida ». Ses cendres ont été déposées dans une urne qui a la forme de son visage. Le visage éternel d’une artiste talentueuse et militante, acerbe et superbe, à la vie amoureuse et douloureuse.


Légende photo : Autoportrait (1938) de Frida Kahlo, seul tableau de l’artiste exposé dans un musée européen, au Centre Pompidou, peint sur aluminium, la Casa azul, musée Frida Kahlo à Mexico (Mexique), une partie du décor peint par Diego Rivera sur les murs de la présidence de la république à Mexico.


Étiennes Madranges, Avocat à la cour, magistrat honoraire


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