ACTUALITÉ

Quelle célèbre artiste, sculptée par Rodin sous les traits de Marianne, se sculpte elle-même sous les traits de Méduse ?

Quelle célèbre artiste, sculptée par Rodin sous les traits de Marianne, se sculpte elle-même sous les traits de Méduse ?
Publié le 10/05/2020 à 11:00
Camille et Auguste. Ils ont 24 ans d’écart. Ils ont en commun des ciseaux, un marteau. L’art des courbes. L’attrait du marbre. Un talent exceptionnel, surtout.

 Tous deux aiment reproduire les corps.

Leur rapprochement est prompt. Leur relation est tumultueuse. Leur histoire se termine mal. Pour elle !

Pour Auguste, « le corps humain courbé en arrière est comme un ressort, comme un bel arc sur lequel Éros ajuste ses flèches invisibles ». Les flèches invisibles d’Éros ! Il est vrai qu’Auguste est né à Paris, rue… de l’Arbalète ! Admirateur de Michel Ange, il crée « L’âge d’Airain ».

Pour Camille, née dans le Tardenois, le travail de la glaise est une passion. Elle est formidablement soutenue par son père, mais vilipendée par sa mère, qui déteste cet attrait pour l’art et ne cesse de lui décocher des flèches assassines. Une mère qui la fera interner ! En 1882, elle parfait sa formation auprès du sculpteur Alfred Boucher. Son frère cadet, Paul Claudel, futur diplomate, académicien et écrivain de renom, va bientôt intégrer le lycée Louis-le-Grand où il aura pour camarades de classe Léon Daudet et Romain Rolland avant de rencontrer la foi catholique un soir de Noël, à Notre-Dame de Paris.

1882. Une année éducative et artistique ! Celle des lois Jules Ferry sur l’enseignement primaire obligatoire et laïc de 6 à 13 ans, celle de la création de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, celle de la création de l’École du Louvre et du Musée Grévin, celle de la fondation de l’Union centrale des arts décoratifs.

Camille Claudel a 18 ans lorsqu’elle rencontre pour la première fois, en 1882, Auguste Rodin.

Deux ans plus tard, Camille se rapproche d’Auguste en intégrant son atelier.

Elle rejoint ainsi le groupe des élèves et des assistants fidèles et attentifs. Pas en intruse !

En disciple, disciplinée et sans ruse.

Elle claudique, car un léger handicap de naissance l’aboituse.

Jamais il ne s’en amuse.

Leurs ciseaux s’entrecroisent, de façon diffuse.

Elle a du génie. Peut-être il en abuse.

Rapidement, elle devient sa muse.

Elle l’inspire, l’étonne par ses facilités, ses capacités, sa dextérité.

Leurs sentiments infusent.

En 1886, il lui écrit : « Je n'en puis plus, je ne puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l'atroce folie. C'est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t'aime avec fureur. Ma Camille sois assurée que je n'ai aucune femme en amitié, et toute mon âme t'appartient. »

Ils se nourrissent de leur virtuosité mutuelle. On ne sait si le plus âgé épie la plus jeune. Peut-être…

Il sculpte le visage de l’égérie. Elle devient Marianne, la France… Les compliments fusent.

Voilà la Nation représentée sous les traits de la jeune Picarde née aux Portes de la Champagne.

Elle sculpte avec une rare virtuosité le visage de son pygmalion. Il ne dit pas s’il l’apprécie ou le récuse.

Ce remarquable visage, reproduit dans un style naturaliste, sera plus tard le modèle exposé partout dans le monde lors d’évènements liés à l’œuvre de Rodin.

Le critique d’art Octave Mirbeau est sous le charme. Il écrit : « … nous voilà en présence de quelque chose d’unique, une révolte de la nature : la femme de génie ! ».

Un jour, le maître s’éloigne, sans regret ni excuse.

Elle réalise alors une œuvre monumentale, Persée et Gorgone, se représentant sous les traits de Méduse.

Méduse, qui tue d’un regard. La seule mortelle des trois sœurs Gorgone. Décapitée par Persée, fils de Zeus, offrant sa tête à Athéna, qui a son temple à Syracuse.

Elle aimerait bien conserver Auguste, mais l’amant lui préfère Rose. Il refuse.

Alors, de tous les maux elle l’accuse.

Elle ne se lave plus, ne change plus de vêtements. Elle les use.

Elle réalise une sculpture intitulée « L’âge mûr » où elle figure en « implorante », qui inspirera à son frère Paul ces mots : « Ma sœur Camille. Implorante, humiliée, à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, c'est ainsi qu'elle s'est représentée. Implorante, humiliée, à genoux, et nue ! Tout est fini ! ».

Les verres d’alcool, sans doute elle les écluse.

Certains journalistes l’abandonnent dans leurs critiques. Celui de la Chronique des Arts écrit le 9 novembre 1907, avec une incroyable absence de perspicacité : « Mlle Claudel est romantique. Elle immole la forme sur l’autel de l’expression… Elle demande à la matière de signifier tant de choses, que celle-ci fait des grimaces au lieu de faire de la beauté. Ces anatomies déchiquetées, cette sculpture inégale, ampoulée, tourmentée, cérébrale, causent des grincements de dents plutôt qu’une satisfaction esthétique… ».

En 1909, atteinte de délires, elle exprime sa haine de celui qui pour elle avait été plus qu’un Céladon, dénonçant, pêle-mêle, les « copains » de Rodin, les huguenots, les francs-maçons ; elle gribouille qu’elle se trouve « dans la position d’un chou qui est mangé par les chenilles ».

Elle finit recluse. Chez elle d’abord. Dans un asile ensuite. Définitivement recluse !

Paul Claudel vient la voir épisodiquement. Il écrit en 1942 : « Ma pauvre sœur Camille va de plus en plus mal, et me fait prévoir sa mort qui sera une délivrance. Trente ans de prison chez les fous, de 48 à 78 ans. Je me rappelle cette jeune fille splendide, pleine de génie, mais d’un caractère violent, indomptable… ». Puis, un mois avant sa mort : « amer, amer regret de l’avoir aussi longtemps abandonnée ».

Elle meurt, seule, le 21 octobre 1943. Personne n’assiste à son enterrement. Son corps est mis dans une fosse commune.

Camille ? Une artiste aux mains d’or créant des bronzes, un talent durablement inscrit dans le marbre, incontestablement une femme de génie !

 

 

Étienne Madranges, avocat à la cour, magistrat honoraire

 

 

 

Légende photo : Persée et la Gorgone (1897, marbre, Camille Claudel), détail (la Gorgone), Camille Claudel, la France (2 sculptures réalisées par Auguste Rodin), Rodin par Camille Claudel (1897) ; ces œuvres sont exposées au Musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine (Aube)


0 commentaire
Poster

Nos derniers articles