L'avocat, à la différence d'un DRH parfois chargé d'enquêter, est tenu au respect de son serment qui l'oblige à conserver son indépendance vis-à-vis de son client et son impartialité. Mais Mickaël Klein, avocat enquêteur, déplore que le droit au silence du salarié amené à témoigner ou à répondre des charges qui pèsent sur lui ne soit inscrit dans aucun texte.
« Dans
les matières qui intéressent la santé et la sécurité, s'est dessiné
progressivement un devoir d'enquête pour les situations de harcèlement moral ou
sexuel, et des discriminations », explique Sabrina Mraouahi, maître de
conférences à l'Université de Strasbourg, lors d'une conférence organisée par le barreau de Paris et l'AFDT, association française de droit du travail et de la Sécurité sociale, lundi 20 janvier. L'évolution récente de la protection
des lanceurs d'alerte obligeant l'employeur à agir amène en effet à un accroissement des
enquêtes internes.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a par ailleurs rendu une décision le 28 février 2018 par laquelle elle affirme que l'employeur qui a connaissance de faits susceptibles d'être sanctionnés disciplinairement peut procéder à une enquête interne (EI). Il peut ainsi déléguer cette mission à un avocat. Plus qu'un pouvoir de l'employeur, enquêter est même un devoir disposé dans la Loi Sapin 2 lorsque des représentants du personnel l'alertent des atteintes aux libertés individuelles ou de dangers graves et imminents, notamment relatifs à la santé des salariés.
Les avocats en droit du travail peuvent
donc se frayer un avenir dans ce domaine. « La discipline des enquêtes
internes est un parfait exemple des nouvelles activités de la profession
d’avocat, qui naissent d’une évolution du droit » déclarait le Conseil
national des barreaux en 2020. Aucune loi ne prévoit la création et la
définition du rôle de l'avocat investigateur. Le législateur est resté muet sur
l'encadrement de ces missions d'enquête confiées par l'employeur.
En l'absence de texte clair, il revient donc
à chaque employeur de prendre les devants et d'encadrer la procédure d'EI. « Le
Code du travail est d'un faible secours. À défaut de fournir un modèle
procédural commun, c'est donc à l'employeur de définir les conditions de ces
investigations, lui conférant une certaine liberté. Cette liberté est source
d'insécurité juridique. » relève la professeure.
En outre, les juridictions ont eu à se
prononcer sur les limites de l'enquête interne, posant un périmètre général à
ne pas dépasser par l'avocat enquêteur.
Les éléments tirés de l'enquête sont
admissibles devant le conseil des prud'hommes parce qu'en matière sociale, les
juridictions appliquent le principe de liberté de la preuve. Ce principe a été
rappelé par la Cour de cassation le 14
février dernier. Dans le silence de la loi, la liberté qu'a
l'employeur est peu à peu précisée et orientée par la jurisprudence adoptée par
les juges statuant sur les droits de la défense du salarié mis en cause.
Au stade de l'enquête interne, il n'y a
pas d'obligation légale imposée à l'avocat investigateur de respecter les
droits de la défense quant au recueil des preuves. Certains droits de la
défense du salarié ne sont en effet relégués qu'à la phase disciplinaire,
c'est-à-dire à l'issue de l'EI, lorsque celle-ci révèle l'existence d'une faute
du salarié et que l'employeur poursuit.
« L'enquête interne
n'est pas intégrée à la procédure disciplinaire »
L'enquête menée à l'encontre
d'un salarié à son insu est recevable selon la Cour de cassation (arrêt du 17
mars 2021). Ne sont donc pas exigés de l'avocat enquêteur les principes
applicables aux poursuites disciplinaires qui garantissent au salarié le droit
de se faire assister lors de l'entretien préalable à une sanction.
Le salarié mis en cause
pourra, au moment de cet entretien, contredire les éléments retenus dans l'EI.
Son droit à répondre n'impose donc pas qu'il soit entendu au cours de
l'enquête, selon l'arrêt de la chambre sociale du 19 avril 2023. « Il
faut donc retenir que si une mauvaise enquête n'est pas nécessairement
illicite, seule une bonne enquête éclairera de manière convaincante les juges »,
en conclut la professeure Mraouahi sur ce point.
Faut-il imposer le principe
du contradictoire dès l'enquête, malgré le pouvoir ultérieur du juge d'écarter
la preuve rapportée ? Concernant des faits de harcèlement, la Défenseure
des droits (avis
du 11 juillet dernier) considère que l'employeur doit entendre une
personne au cours de l'EI si son interrogatoire est utile à la manifestation de
la vérité. La cour d'appel de Pau a jugé, le 24 avril 2014, que l'absence du
salarié à un entretien au cours de l'enquête interne implique une sanction
disciplinaire.
En revanche, Mickaël
Klein, avocat enquêteur, déplore que le droit au silence du salarié amené à témoigner
ou à répondre des charges qui pèsent sur lui ne soit inscrit dans aucun texte
officiel et n'ait encore fait l'objet d'aucune jurisprudence. Les avocats
enquêteurs ont pour habitude, bien que rien ne les y oblige, de dire au salarié
qu'il peut se taire ou arrêter à tout moment l'interrogatoire.
L'avocat, à la différence
d'un juriste, peut proposer de mener les interrogatoires dans son cabinet
plutôt que dans les locaux de l'entreprise. Les victimes, témoins et mis en
cause peuvent y parler plus facilement. Le système est encore perfectible
puisque le secret professionnel de l'avocat n'est dû qu'à son client, mais « ça
permet de libérer la parole ».
En outre, si le secret
professionnel n'est pas dû aux salariés, la confidentialité de leurs
informations, elle, demeure protégée par le droit à la vie privée pendant
l'enquête (arrêt du Conseil d'État du 2 mars 2020) que l'avocat n'est pas censé
méconnaitre.
S'il est entendu au cours de
l'EI, le salarié ne bénéficie ni des garanties du droit disciplinaire, ni des
droits de la défense pénale, pour ce qui relève pourtant des infractions de
harcèlement ou de discrimination.
L'avocat qui investigue se
trouve donc dans une zone grise concernant les limites de son pouvoir de
questionner l'employé mis en cause. Le même arrêt du Conseil d'État précise que
l'ampleur des moyens adoptés pour collecter la preuve pendant l'enquête doit
être proportionnée aux faits reprochés. Le salarié bénéficie donc de droits
dans sa défense qui ne sont pas codifiés, mais qui sont reconnus par le juge
administratif pour ce qui relève des risques d'atteintes à ses libertés
fondamentales.
Les avocats investigateurs
soucieux de l'objectivité des enquêtes
À la fin de l'enquête,
l'avocat rend un rapport. Aucune obligation de l'employeur n'est prévue pour sa
communication au Comité social et économique. Maître Klein évoque pourtant le
fait que les membres du CSE sont tenus à la discrétion et qu'ils sont associés
aux démarches de prévention en matière de santé et de sécurité. Sabrina
Mraouahi relate par ailleurs que les juges du fond estiment que l'implication
du CSE dans l'enquête est un indice d'impartialité de l'EI. Il est rare que les
comités saisissent le juge pour demander la communication du rapport à
l'employeur.
L'avocat, à la différence
d'un DRH parfois chargé d'enquêter, est tenu au respect de son serment qui
l'oblige à conserver son indépendance vis-à-vis de son client et son
impartialité. Concernant la probité, « À l'ANAES (Association nationale
des avocats enquêteurs en droit social) on a voulu mettre la déontologie au
cœur de la pratique de l'enquête interne » déclare Nathalie Attias,
avocate au barreau de Paris et présidente de l’association. Elle évoque le
faible risque de conflit d'intérêt grâce au respect de la déontologie.
Faut-il privilégier les
avocats enquêteurs plutôt que les experts habilités par le CSE qui sont tenus à
une stricte déontologie ? Selon la présidente de l'association, les
experts n'ont pas les mêmes compétences et n'apportent pas les mêmes réponses.
Les experts habilités sont plutôt sollicités pour enquêter sur les risques
psycho-sociaux au sein de l'entreprise.
La loi Sapin 2 dispose
que l'enquêteur doit être impartial. L'objectivité et l'impartialité de
l'enquêteur découlent du devoir d'indépendance des avocats qui est inscrit dans
le règlement intérieur national de la profession. Cette indépendance est
renforcée si l'avocat qui enquête, n'est pas celui qui conseille l'entreprise. « On
ne peut pas être à la fois l'avocat de l'entreprise et enquêter sur des faits
qui vont permettre à son client de pouvoir appuyer une procédure de
licenciement parce que l'avocat qui conseille l'entreprise ne va pas être
indépendant vis-à-vis du déroulement de l'enquête interne. »
Mickaël Klein, qui défend
prioritairement des salariés ,est réservé sur la possibilité de l'avocat
enquêteur à agir en conservant une neutralité. « Je pense qu'on ne fait
pas appel à notre cabinet ou à un cabinet de défense des employeurs par
hasard ». La défense d'une partie plus qu'une autre, surtout à Paris,
une ville dans laquelle l'avocat est contraint de se spécialiser et de choisir
son camp, implique une part de subjectivité dans l'enquête.
« Avocat enquêteur ce
n'est pas un nouveau métier, c'est une pratique un peu nouvelle, mais qui
s'inscrit dans le devoir de conseil de l'avocat ». Une
des plus-values de ces avocats investigateurs, selon Nathalie Attias, est la
qualification juridique des faits sur lesquels ils travaillent.
Le rôle de l'avocat enquêteur
et la procédure de l'EI sont encore méconnus dans beaucoup entreprises. Une
réglementation spécifique au déroulement de l'enquête interne permettrait
d'éclaircir certains aspects, comme celui du recueil des preuves dans le
respect des droits du salarié, afin d'éviter qu'elles soient écartées par le
juge. A toutes fins utiles, le CNB met à disposition un
support sur les droits de la défense dans les EI.
Antonio
Desserre