JUSTICE

Quelles leçons tirer du statut de repenti italien ?

Quelles leçons tirer du statut de repenti italien ?
Le statut français créé en 2014 n'accompagne que 42 personnes et leurs proches
Publié le 27/05/2024 à 14:47
Ministre de la Justice et sénateurs s’accordent pour développer le recours aux repentis dans la lutte contre le trafic de drogue en s’inspirant du modèle italien. La justice transalpine s’appuie depuis 40 ans sur ces collaborateurs de justice pour casser les réseaux de délinquants. Un système rôdé, loin du statut français défaillant.

Le 28 avril, dans les colonnes de La Tribune dimanche, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a affirmé vouloir repenser le statut de repenti dans la lutte contre les narcotrafics. Son exemple : l’Italie. Alors que le système français de protection des collaborateurs de justice, créé en 2014, n’accompagne que 42 personnes et leurs proches, le dispositif transalpin protège aujourd’hui plus d’un millier d’anciens délinquants. Avec leurs familles, ce sont entre 5 000 et 6 000 personnes qui sont assistées.

Au-delà des chiffres, le statut italien de collaborateur de justice est un précieux succès pour les autorités locales. D’abord pensée pendant les années de plomb des décennies 70 et 80 pour contrer le terrorisme politique, l’idée d’une protection des délinquants qui se confieraient à la justice s’est rapidement étendue à la lutte anti-mafia. C’est dans ce cadre que les pentiti ont été les plus utiles. Leurs informations ont en effet permis de briser l’omerta qui régnait autour de ces organisations criminelles très secrètes.

« Le fonctionnement détaillé de la mafia en interne était quasiment inconnu des autorités, explique Vincenzo Scalia, professeur de sociologie criminelle à l’université de Florence. Les premiers repentis ont permis de lever le voile sur un certaines zones d’ombres déterminantes. » Parmi les cas les plus connus, celui de Tommaso Buscetta, dont les révélations ont été immortalisées dans le film Le Traître de Marco Bellocchio. Buscetta a été un des premiers repenti et ses informations sur Cosa Nostra ont notamment abouti au maxi-procès de Palerme en 1986 et ses 360 condamnations.

Une justice proactive

Si Tommaso Buscetta est un des premiers mafieux à être identifié sous le statut de repenti puis protégé - il finit sa vie de mort naturelle aux Etats-Unis, malgré les nombreuses menaces de mort -, il n’est pas le premier à parler. En 1973, le mafioso Leonardo Vitale avait déjà voulu parler à la police. Il s’était lui-même rendu aux autorités pour expliquer le fonctionnement de la mafia sicilienne mais n’avait pas été cru. La justice l’avait même déclaré « psychologiquement inapte ».

Le fait qu’une dizaine d’années plus tard les confessions de Buscetta soient entendues traduit une prise de conscience : des masses d’informations peuvent être tirées de sources internes au trafic. Une des conditions d’efficacité du dispositif italien repose ainsi sur le volontarisme des autorités, en l'occurrence pour Buscetta, des magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino. « Le juge Falcone avait identifié Tommaso Buscetta comme un des perdants de la guerre des clans en Sicile, rappelle Vincenzo Scalia. Il avait ciblé son profil avant d’aller au Brésil où il était caché pour essayer de le convaincre. » Voyant sa famille restée en Italie toujours plus menacée, le trafiquant avait fini par céder.

C’est donc l’identification d’un profil susceptible de parler et la force de conviction du magistrat qui ont permis la collaboration de Buscetta. Ce volontarisme de la justice dans les phases de recherche et de passage aux aveux est parfois oublié. Le terme “repenti”, emprunté à la religion chrétienne, évoque d’ailleurs l’idée qu’un délinquant va de lui-même trouver les autorités pour confier ses erreurs. Ce qui est loin d’être toujours le cas.

La réussite du modèle italien se trouve également dans la complémentarité des différentes méthodes de recueil d’information. Le recours aux repentis n’est pas un remède miracle pour lutter contre les trafics organisés mais un élément complété par l’investigation, l’infiltration, etc. Multiplier les outils pour accumuler les renseignements, mais surtout les vérifier. « Il est primordial de se donner les moyens de recouper les informations délivrées par le repenti, insiste Vincenzo Scalia. C’est une garantie pour rendre efficace les collaborations de délinquants avec la justice. » En effet, au moment de juger les responsables comme pour déterminer la protection du repenti, la justice doit pouvoir prouver les éléments avancés.

La mise en lumière des failles françaises

C’est devant ce constat que la commission d’enquête du Sénat sur les narcotrafics, qui a rendu ses conclusions le 14 mai dernier, a formulé plusieurs propositions, consciente que la réponse doit prendre plusieurs formes. Rejoignant le garde des Sceaux, elle propose notamment d’améliorer le dispositif de recours aux collaborateurs de justice.

En France, le statut de repenti est récent. Il n’a été voté qu’en 2004 et a attendu dix ans avant d’être effectif. Les quelques personnes accompagnées se sont avérées utiles aux enquêteurs mais les autorités n’ont jamais vraiment investi dans un recours aux repentis jugé trop coûteux. Par ailleurs, la complexité du millefeuille procédural consubstantiel à ces dossiers ne facilite pas le développement du dispositif.

Mais les sénateurs soulignent surtout l’impasse juridique de l’actuel statut. Celui-ci exclut aujourd’hui, a priori, les délinquants ayant eux-mêmes commis des infractions. L’article 132-78 du Code pénal prévoit ainsi une exemption de peine pour « la personne qui a permis d’éviter la réalisation de l’infraction et, le cas échéant, d’en identifier les autres auteurs ou complices. » De fait, la justice ne peut pas s’attendre à des témoignages de criminels haut placés dans la hiérarchie d’un trafic. Le président de la commission d’enquête Jérôme Durain, lors de la présentation du rapport, expliquait même que « certains délinquants qui aident la justice ne voient pas leur peine réduite ». Difficile, dans ce contexte, d’en convaincre d’autres de parler.

Des contextes différents

Reste une question : s’inspirer du modèle italien, résolument efficace pour affronter la mafia, est-il pertinent dans le contexte français des narcotrafics ? « Ces trafics forment des économies hyper spécialisées et des réseaux protéiformes où les modalités d'association sont plutôt opportunistes. La comparaison avec la mafia n’est pas vraiment pertinente, reconnaît Jérôme Durain. En revanche, il est évident que le système italien est beaucoup plus efficace que le nôtre. »

Pas de certitude, donc, sur l’adéquation du système de repentis avec la lutte contre les narcotrafics en France. Vincenzo Scalia se montre néanmoins optimiste. « Certes, il n’y a pas de réelle mafia en France, mais le recours aux repentis a aussi fait ses preuves dans d’autres pays, aux États-Unis par exemple. Cela peut toujours aider les autorités à enquêter », assure le professeur de sociologie criminelle.

Dans la mesure où l’organisation des trafics français est mieux connue que celle de la mafia, l’apport des collaborateurs de justice ne se fera pas sur ce point. Ils pourront surtout permettre de mieux cibler le haut de la hiérarchie criminelle, dont les chefs de réseau.

Louis Faurent

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