POLITIQUE

Quelles suites budgétaires et politiques après le renversement du gouvernement ?

Quelles suites budgétaires et politiques après le renversement du gouvernement ?
Publié le 05/12/2024 à 19:38

Le vote de la motion de censure du gouvernement Barnier a renforcé la crise politique du pays. Entre continuité de la vie nationale, loi de finances spéciale, démission du président et mise en place de la proportionnelle, analyse et perspectives des différents événements qui pourraient intervenir dans les prochaines semaines.

Cela semblait inéluctable : le gouvernement de Michel Barnier a été renversé après le vote, mercredi 4 décembre, d’une motion de censure signée par le Nouveau Front populaire (NFP), à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Michel Barnier a donc remis sa démission et celle de son gouvernement ce jeudi matin, que le Président de la République a acceptée. Que peut-il désormais se passer ?

D’abord, le gouvernement démissionnaire gère « les affaires courantes », jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement. Une notion peu précise et qui n’est pas présente dans le texte de la constitution de la Cinquième république, au contraire de la Quatrième. Le Conseil d’État parle, dans un arrêt de 1952, d’un « principe traditionnel de droit public ». « Pour schématiser, il s’agit notamment des actes nécessaires au fonctionnement de l’État et son administration permettant d’en assurer la continuité, ou alors des actes nécessaires au regard de l’urgence potentielle. Il s’agit donc d’actes d’une portée politique théoriquement très réduite », détaille Pierre-Louis Paillot, doctorant en droit constitutionnel. L’auteur de la thèse « Mutations et dynamiques de l'initiative parlementaire : étude de la vitalité démocratique du Parlement sous la Cinquième République » cite en contre-exemples le projet de loi sur la fin de vie ou la révision constitutionnelle sur la question néo-calédonienne.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, considéré comme rejeté après le vote de la motion de censure, pourrait être de retour au Parlement : « À partir du moment où le texte a été adopté par le Sénat, on pourrait le reprendre sur cette version pour une nouvelle lecture, ou le nouveau gouvernement pourrait récupérer le texte du Sénat en l’état et le redéposer », estime Bertrand Mathieu, professeur spécialiste de droit constitutionnel et ancien conseiller d’État. Une troisième option est également possible avec le dépôt d’un projet de budget totalement différent.

Un projet de loi de finances spécial pour percevoir les impôts

Reste que le budget, qui doit être adopté au plus tard le 19 décembre pour être applicable, n’a que très peu de chances d’être prêt à temps. « Dans notre situation, la préparation et le dépôt d'un nouveau PLF semble factuellement improbable dans un délai si court, même en cas de nomination rapide du nouveau chef de gouvernement et du gouvernement », assure Mathieu Disant, agrégé des facultés de droit, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, consultant et expert international.

Situation la plus plausible selon le professeur : l’utilisation de l’article 45 de loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui permet au Premier ministre, qu’il soit en place ou démissionnaire au titre de la gestion des affaires courantes, de déposer un projet de loi de finances spécial afin de pouvoir percevoir les impôts : « Les dépenses seraient ouvertes par décrets du Premier ministre, sur la base des crédits votés pour l'exercice 2024, ceux-ci étant donc simplement reconduits, avec les effets pervers liés à ce que ni le barème de l'impôt, ni les crédits seront indexés sur l'inflation, et le report de diverses mesures urgentes, notamment celles en faveur de l'agriculture et de la défense », explique Mathieu Disant. Un dispositif qui « sauve l’essentiel, permet la continuité de la vie nationale et évite la catastrophe d’une discontinuité budgétaire ». Charge ensuite au Parlement de voter en bonne et due forme une loi de finances 2025 au cours de l'année, le temps écoulé n'étant pas rattrapé.

Une rétroactivité pourrait néanmoins s’appliquer dans la loi de finances, par exemple en matière de trop-perçus, sous réserve d’une interprétation favorable du Conseil constitutionnel. « Le principe de non-rétroactivité s’applique assez peu en matière budgétaire, détaille Bertrand Mathieu. Elle a dans ce cadre comme limites la protection des situations légalement acquises et la confiance légitime. Mais il est évident que les contribuables peuvent s’attendre à ce que leur situation soit modifiée par la loi de 2025. »

Toutefois il faut pour cela que le texte spécial soit adopté avant le 19 décembre, ce qui n’est pas du tout assuré. « Mais la nécessité de la continuité de la vie nationale prévaudrait, au besoin, sur la lettre de l'article 45 de la LOLF, pour permettre une loi spéciale, sous réserve de l'appréciation qu'en donnerait le Conseil constitutionnel », nuance le Mathieu Disant. En dernier recours, la méthode des « douzièmes provisoires », peut octroyer au gouvernement le droit de percevoir les recettes et d’engager les dépenses équivalentes à 1/12e du budget de l’année précédente « Ressusciter cette vieille pratique n'est pas glorieux mais révélateur de la situation politique régressive », juge le professeur.

Une proportionnelle intégrale « ne ferait qu’aggraver la situation »

Quelle pourrait alors être la suite des événements ? Si certains envisagent une démission du président de la République, une telle option « a un intérêt institutionnel modéré, dans la mesure où sa démission ne résoudrait pas la crise, estime Pierre-Louis Paillot. L’impasse du budget tient à la composition actuelle du Parlement en trois blocs, et celui-ci ne peut pas être dissous dans l’année qui suit une dissolution précédente. Le Parlement en l’état survivra donc à l’hiver, et donc aux discussions sur le PLF et le PLFSS. »

La mise en place de la proportionnelle intégrale a également émergé ces derniers jours. Là encore, cela pourrait ne pas aboutir à l’effet escompté. « Cela ne ferait qu’aggraver la situation. On peut très bien se retrouver avec la proportionnelle intégrale dans une situation équivalente à celle que l'on connaît aujourd'hui, redoute Bertrand Mathieu. Le problème, c'est la stratégie des partis et la fragmentation actuelle du corps électoral. » Le constitutionnaliste propose d’effectuer des modifications de la loi fondamentale dans le futur pour stabiliser la situation, comme la dissolution automatique en cas de censure du gouvernement. « Mais elle demande une réforme constitutionnelle, chose que l’on ne peut pas faire » dans la composition actuelle du Parlement.

L’annonce présidentielle la plus logique tiendrait en la nomination d’un Premier ministre, par respect de la Constitution et de son rôle de garant de la continuité de l’État, et avec pour objectif que ce nouveau chef du gouvernement ne soit pas renversé aussi rapidement que Michel Barnier. « S’il parle pour ne pas le faire, ce serait presque parler pour ne rien dire », estime Bertrand Mathieu.

Alexis Duvauchelle

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