Le vote de la motion de
censure du gouvernement Barnier a renforcé la crise politique du pays. Entre continuité
de la vie nationale, loi de finances spéciale, démission du président et mise
en place de la proportionnelle, analyse et perspectives des différents
événements qui pourraient intervenir dans les prochaines semaines.
Cela semblait inéluctable :
le gouvernement de Michel Barnier a été renversé après le vote, mercredi 4
décembre, d’une motion de censure signée par le Nouveau Front populaire (NFP),
à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le projet
de loi de financement de la sécurité sociale.
Michel Barnier a donc remis
sa démission et celle de son gouvernement ce jeudi matin, que le Président de
la République a acceptée. Que peut-il désormais se passer ?
D’abord, le gouvernement démissionnaire
gère « les affaires courantes », jusqu’à la nomination d’un nouveau
gouvernement. Une notion peu précise et qui n’est pas présente dans le texte de
la constitution de la Cinquième république, au contraire de la Quatrième. Le Conseil
d’État parle, dans un arrêt de 1952, d’un « principe traditionnel de
droit public ». « Pour schématiser, il s’agit notamment des
actes nécessaires au fonctionnement de l’État et son administration permettant
d’en assurer la continuité, ou alors des actes nécessaires au regard de
l’urgence potentielle. Il s’agit donc d’actes d’une portée politique
théoriquement très réduite », détaille Pierre-Louis Paillot, doctorant
en droit constitutionnel. L’auteur de la thèse « Mutations et
dynamiques de l'initiative parlementaire : étude de la vitalité démocratique du
Parlement sous la Cinquième République » cite en contre-exemples le projet
de loi sur la fin de vie ou la révision constitutionnelle sur la question
néo-calédonienne.
Le projet de loi de
financement de la sécurité sociale, considéré comme rejeté après le vote de la
motion de censure, pourrait être de retour au Parlement : « À partir du
moment où le texte a été adopté par le Sénat, on pourrait le reprendre sur
cette version pour une nouvelle lecture, ou le nouveau gouvernement pourrait
récupérer le texte du Sénat en l’état et le redéposer », estime Bertrand
Mathieu, professeur spécialiste de droit constitutionnel et ancien conseiller d’État.
Une troisième option est également possible avec le dépôt d’un projet de budget
totalement différent.
Un projet de loi de finances
spécial pour percevoir les impôts
Reste que le budget, qui doit
être adopté au plus tard le 19 décembre pour être applicable, n’a que très peu
de chances d’être prêt à temps. « Dans notre situation, la préparation
et le dépôt d'un nouveau PLF semble factuellement improbable dans un délai si
court, même en cas de nomination rapide du nouveau chef de gouvernement et du
gouvernement », assure Mathieu Disant, agrégé des facultés de droit, professeur
à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, consultant et expert international.
Situation la plus plausible
selon le professeur : l’utilisation de l’article 45 de loi organique
relative aux lois de finances (LOLF) qui permet au Premier ministre, qu’il soit
en place ou démissionnaire au titre de la gestion des affaires courantes, de
déposer un projet de loi de finances spécial afin de pouvoir percevoir les
impôts : « Les dépenses seraient ouvertes par décrets du Premier
ministre, sur la base des crédits votés pour l'exercice 2024, ceux-ci étant
donc simplement reconduits, avec les effets pervers liés à ce que ni le barème
de l'impôt, ni les crédits seront indexés sur l'inflation, et le report de
diverses mesures urgentes, notamment celles en faveur de l'agriculture et de la
défense », explique Mathieu Disant. Un dispositif qui « sauve l’essentiel,
permet la continuité de la vie nationale et évite la catastrophe d’une
discontinuité budgétaire ». Charge ensuite au Parlement de voter en
bonne et due forme une loi de finances 2025 au cours de l'année, le temps
écoulé n'étant pas rattrapé.
Une rétroactivité pourrait
néanmoins s’appliquer dans la loi de finances, par exemple en matière de
trop-perçus, sous réserve d’une interprétation favorable du Conseil constitutionnel.
« Le principe de non-rétroactivité s’applique assez peu en matière
budgétaire, détaille Bertrand Mathieu. Elle a dans ce cadre comme
limites la protection des situations légalement acquises et la confiance légitime.
Mais il est évident que les contribuables peuvent s’attendre à ce que leur situation
soit modifiée par la loi de 2025. »
Toutefois il faut pour cela que le
texte spécial soit adopté avant le 19 décembre, ce qui n’est pas du tout assuré.
« Mais la nécessité de la continuité de la vie nationale prévaudrait,
au besoin, sur la lettre de l'article 45 de la LOLF, pour permettre une loi
spéciale, sous réserve de l'appréciation qu'en donnerait le Conseil
constitutionnel », nuance le Mathieu Disant. En dernier recours, la
méthode des « douzièmes provisoires », peut octroyer au gouvernement le
droit de percevoir les recettes et d’engager les dépenses équivalentes à 1/12e
du budget de l’année précédente « Ressusciter cette vieille pratique
n'est pas glorieux mais révélateur de la situation politique régressive »,
juge le professeur.
Une proportionnelle intégrale
« ne ferait qu’aggraver la situation »
Quelle pourrait alors être la
suite des événements ? Si certains envisagent une démission du président
de la République, une telle option « a un intérêt institutionnel modéré,
dans la mesure où sa démission ne résoudrait pas la crise, estime Pierre-Louis
Paillot. L’impasse du budget tient à la composition actuelle du Parlement en
trois blocs, et celui-ci ne peut pas être dissous dans l’année qui suit une
dissolution précédente. Le Parlement en l’état survivra donc à l’hiver, et donc
aux discussions sur le PLF et le PLFSS. »
La mise en place de la
proportionnelle intégrale a également émergé ces derniers jours. Là encore,
cela pourrait ne pas aboutir à l’effet escompté. « Cela ne ferait qu’aggraver
la situation. On peut très bien se retrouver avec la proportionnelle intégrale
dans une situation équivalente à celle que l'on connaît aujourd'hui, redoute
Bertrand Mathieu. Le problème, c'est la stratégie des partis et la
fragmentation actuelle du corps électoral. » Le constitutionnaliste
propose d’effectuer des modifications de la loi fondamentale dans le futur pour
stabiliser la situation, comme la dissolution automatique en cas de censure du
gouvernement. « Mais elle demande une réforme constitutionnelle, chose
que l’on ne peut pas faire » dans la composition actuelle du
Parlement.
L’annonce présidentielle la
plus logique tiendrait en la nomination d’un Premier ministre, par respect de
la Constitution et de son rôle de garant de la continuité de l’État, et avec
pour objectif que ce nouveau chef du gouvernement ne soit pas renversé aussi
rapidement que Michel Barnier. « S’il parle pour ne pas le faire, ce
serait presque parler pour ne rien dire », estime Bertrand Mathieu.
Alexis
Duvauchelle