Ruth
Bader Ginsburg, juge à la Cour Suprême des États-Unis, s’en est allée le 18
septembre 2020. Elle avait 87 ans. Pourquoi les hommages pour saluer sa mémoire
sont-ils unanimes ? Parce que Ruth Bader Ginsburg était une femme d’exception,
et parce que le combat de sa vie passée à défendre les minorités, l’égalité
entre les femmes et les hommes et les droits humains est un combat universel.
Ruth Bader Ginsburg fut la vigie infatigable du respect de la Constitution
américaine, la plus ancienne Constitution écrite encore en vigueur dans le
monde (1).
Une femme d’exception
À
87 ans, Ruth Bader Ginsburg était aussi célèbre qu’une pop star américaine, y
compris auprès des jeunes générations. En 2009, le magazine Forbes l’a reconnue parmi les 100 femmes
les plus puissantes au monde. En 2012, ce fut au tour de Glamour de lui
décerner le prix de « Femme de l’Année ». En 2015, le magazine Time l’a choisie parmi les 100 femmes
les plus influentes au monde, et en 2016, Fortune l’a désignée comme étant l’un
des plus grands leaders mondiaux. Il faut dire que son parcours est
exceptionnel. À son entrée à la Harvard Law School en 1956, le doyen de sa
promotion lui demanda pour quelle raison elle venait prendre la place d’un
homme, rare étudiante au sein d’une promotion de 500 étudiants… Elle comprit
très vite que la place des femmes n’était pas acquise mais qu’il fallait la
conquérir.
Une
combattante des droits humains
Ruth
Bader Ginsburg fut tout à la fois professeure de droit, avocate, militante des
droits humains, magistrate puis juge à la Cour Suprême, nommée à cette fonction
en 1993 par le président Bill Clinton. Qui mieux qu’elle, grande juriste
habituée à analyser les textes en profondeur et en même temps femme de terrain,
avait cette capacité à comprendre les conséquences profondes et multiples des
inégalités et des discriminations ? Professeure de droit, elle a milité pour
l’égalité des salaires entre les professeurs femmes et hommes. Avocate à une
époque où la profession était réservée aux hommes, elle a fondé, dans les
années 70, la « Women’s Rights Project
», une association destinée à défendre le droit des femmes, et notamment
l’avortement. Elle a ainsi traité plusieurs centaines de cas de discriminations
fondées sur le genre et obtenu des décisions qui ont souvent changé la vie de
millions de femmes. En plus de 27 ans de carrière en tant que juge à la Cour
Suprême des États-Unis, elle a largement contribué à faire évoluer la jurisprudence
en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Une stratège
hors pair aux opinions dissidentes affirmées
La défense
des hommes
En
prenant la défense des hommes lorsqu’elle considérait qu’ils étaient victimes
de discriminations, elle a convaincu à plusieurs reprises la Cour Suprême que
la question de l’égalité des genres était directement liée au respect du 14e
Amendement de la Constitution américaine, qui stipule que tous les individus
doivent être protégés par les lois de manière identique. En réalité, en gagnant
des affaires dans lesquelles les hommes avaient été discriminés, elle avait
ouvert la voie à la Cour Suprême pour faire respecter l’égalité de genre en
faveur des femmes. En 1996, dans la célèbre affaire United States v. Virginia, la quasi-totalité des juges de la Cour
Suprême reconnut, sur le fondement de la violation du 14e Amendement précité,
que l’académie militaire de VMI (the
Virginia Military Institute) ne pouvait plus continuer à refuser les femmes
dans ses rangs.
Ses opinions
dissidentes étaient d’une force intellectuelle remarquable
La
tradition de publier les opinions dissidentes des juges à la Cour Suprême fait
partie du fonctionnement de la justice américaine. En cela, on est loin de la
réserve exigée des membres du Conseil constitutionnel en France. Les opinions
dissidentes de Ruth Bader Ginsburg ont été largement analysées, au point de
faire parfois la Une des journaux. Il faut dire que l’impact des opinions
dissidentes est considérable puisqu’elles peuvent aller jusqu’à faire modifier
la loi. Ce fut d’ailleurs le cas dans la célèbre affaire Ledbetter v. Goodyear Tire & Ribber Co (2007) qui a conduit le
Congrès, après la publication d’une opinion dissidente de Ruth Bader Ginsburg,
à allonger la durée de la prescription des actions en justice, permettant aux
femmes de revendiquer l’égalité salariale lorsqu’elles sont discriminées. Ruth
Bader Ginsburg affichait ses opinions dissidentes jusque dans les tenues
qu’elle portait. Elle avait l’habitude de choisir un « collier » différent pour
marquer son désaccord avec les juges de la Cour Suprême, et arborait son jabot
blanc sur sa robe noire de juge lorsque son opinion rejoignait celle de la
majorité de la Cour. Ses choix vestimentaires étaient tellement symboliques
qu’ils ont été reproduits dans de célèbres photographies et dessins comportant
la légende « I dissent » (« Je suis en désaccord »).
Ruth
Bader Ginsburg était dans la lumière sans jamais l’avoir recherchée. Elle
observait avec un humour décalé son effigie qui ornait les objets du quotidien
et savait que des fans avaient même tatoué son portrait sur leur corps ! Mais
Ruth Bader Ginsburg était bien plus qu’une icône. Elle était la gardienne des
libertés fondamentales et des droits humains. C’est un combat quotidien et universel
pour lequel nos sœurs et nos frères dans le monde se battent parfois au prix de
leur vie.
Anne Durez,
Présidente de l’association «
Femmes de Loi, Femmes d’Exception »
1) La
Constitution des États-Unis d’Amérique est entrée en vigueur en 1789. Elle
comprend 7 articles et 27 amendements.