Encadré par une
réglementation stricte, le marché des dispositifs médicaux (DM) en France fait
face à des défis majeurs. Si ces règles garantissent la qualité et la sécurité
des produits, elles imposent aussi des contraintes qui freinent la
compétitivité des entreprises, notamment des PME qui représentent 93 % de la
filière. Entre innovation et complexité administrative, les acteurs du secteur
alertent sur les risques de ralentissement du marché et de restrictions d’accès
aux innovations pour les patients et les établissements de santé.
Identifier les principales
problématiques et vulnérabilités du secteur. Tel est l’enjeu de la consultation
nationale lancée en décembre dernier par la Direction générale des entreprises
(DGE) et la direction générale de la Santé (DGS), destinée aux opérateurs
économiques de la filière du dispositif médical (DM). Les réponses fournies
serviront de base à l’élaboration d’une feuille de route pour réduire les
tensions et ruptures d’approvisionnement et, in fine, améliorer la
disponibilité des produits pour les patients, dans un contexte de forte
dépendance de la filière aux fournisseurs étrangers, notamment non-européens. Thierry
Herbreteau, président de Peters Surgical, rappelle ainsi que « le
marché des DM en France a cette particularité qu’il est à plus de 90 % composé
de TPE/PME/ETI. Aussi, le marché domestique devrait être naturellement le
premier marché avant même de se lancer à l’exportation. Car pour pénétrer les
marchés internationaux, la référence au marché français est un prérequis ».
Une vaste consultation des
entreprises du DM
Le questionnaire proposé «
permettra d’identifier les processus de fabrication et les produits les plus
dépendants, les intrants et composants particulièrement sujets aux tensions d’approvisionnements,
ainsi que leur provenance », mais aussi de mieux comprendre « les
situations de tensions d’approvisionnement, les solutions appliquées et/ou
envisagées » par les entreprises et « les conséquences sur leurs
activités », explique le ministère de l’Économie, des Finances et de la
Souveraineté industrielle et numérique. Cette consultation est également «
l’occasion de faire le point sur le marquage CE et l’impact de la
réglementation européenne ».
Les problématiques auxquelles
sont confrontées les entreprises du secteur du DM sont en effet multiples
(industrielles, commerciales…) dans un secteur sensible (la santé), encadré par
des règles spécifiques, aussi bien en France qu’à l’échelle européenne. Dans un
marché où l’innovation est primordiale, ce cadre réglementaire peut
paradoxalement constituer un frein au développement des entreprises. La mise en
conformité aux exigences de l’Union européenne, bien que garantissant un haut
niveau de sécurité pour les patients, génère des coûts et des délais
supplémentaires pour les industriels. Comme le souligne Thierry Herbreteau, « le
marché des DM en France est à plusieurs titres difficile : pour les sociétés
qui produisent en France, les coûts de production sont en moyenne deux fois
supérieurs à la moyenne européenne, les coûts de travail chargés sont eux aussi
parmi les plus élevés des pays industrialisés ».
Dispositif médical : de quoi
parle-t-on exactement ?
Pour rappel, selon le
règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux, un DM est « tout
instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif ou autre article
destiné à être utilisé chez l’homme à des fins médicales ».
« Cela couvre une large
gamme de produits, allant des pansements et seringues aux implants
orthopédiques et équipements de diagnostic de haute technologie comme les IRM
ou les robots chirurgicaux », détaille Dorothée Camus, responsable
Accès au marché du Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies
médicales), la principale organisation représentative des entreprises du
secteur en France. Ces dispositifs sont soumis à des exigences de certification
strictes avant leur mise sur le marché, garantissant leur conformité en termes
de sécurité et d’efficacité.
« En effet, tous les
dispositifs médicaux doivent obtenir un marquage CE, garantissant leur
conformité aux exigences du règlement 2017/745, complète Cécile Vaugelade,
directrice des Affaires technico-réglementaires du Snitem. Ce marquage est
essentiel pour assurer la libre circulation des produits en Europe et repose
sur un processus d’évaluation rigoureux et de surveillance tout au long de la
vie du produit impliquant le fabricant, un organisme notifié (chargé de la
certification) et une autorité compétente, en France, l’ANSM ». Le
cadre réglementaire impose une traçabilité des dispositifs, avec l’attribution
d’un identifiant unique et des obligations précises pour chaque acteur de la
chaîne de distribution.
Une réglementation en
évolution permanente
Depuis les années 1990, la
réglementation européenne des dispositifs médicaux a connu plusieurs
évolutions, aboutissant à la refonte complète du cadre juridique avec le
règlement (UE) 2017/745 (MDR) et le règlement (UE) 2017/746 (IVDR), pour les DM
de diagnostic in vitro. Entrés en vigueur le 26 mai 2021 pour le premier et un
an après pour le deuxième, ces textes renforcent notamment les exigences de
sécurité et de performance, de démonstration de conformité, de transparence et
de surveillance post-commercialisation des DM, y compris pour ceux déjà mis sur
le marché précédemment. « Cette évolution implique des délais de mise sur le
marché plus longs et des coûts supplémentaires pour les fabricants ; ce qui
impacte particulièrement les PME, souvent moins bien armées pour absorber ces
surcoûts », souligne Cécile Vaugelade. « Et surtout, le coût
réglementaire est plus important qu’ailleurs avec très souvent des
règlementations européennes qui sont transposées en sus par la France (MDR
& CSRD) », ajoute Thierry Herbreteau.
L’un des points clés de cette
réglementation concerne la classification des dispositifs médicaux, qui repose
sur quatre classes de risque (I, IIa, IIb et III). « De nombreux dispositifs
ont été reclassés dans une catégorie supérieure, impliquant des exigences de
certification plus strictes. Par exemple, les implants du rachis sont passés de
la classe IIb à la classe III », ajoute Cécile Vaugelade.
Un autre effet notable de
cette réforme est l’augmentation des exigences en matière d’évaluation
pré-clinique et clinique. Par exemple, les fabricants d’implants orthopédiques
doivent systématiquement fournir des études cliniques approfondies et des données
renforcées sur la durabilité et la biocompatibilité des matériaux, rallongeant
ainsi considérablement le délai de mise sur le marché. « Pour certains
dispositifs déjà commercialisés depuis des années, il est nécessaire de
produire des études complémentaires à celles réalisées dans l’ancien cadre
réglementaire, ce qui allonge encore les délais de mise en conformité »,
poursuit Cécile Vaugelade. Les délais de certification ont donc augmenté. Ils
sont passés en moyenne à plus de 18 mois aujourd’hui.
Le résultat de cette
complexité administrative est sans appel : « La réindustrialisation est
à l’arrêt, or c’est elle qui fait vivre nos entreprises du DM (fabricants et
sous-traitants) en région. Nos dépenses de santé, qui sont pourtant à un niveau
élevé (11-12 % du PIB), ne favorisent ni la souveraineté économique ni la
souveraineté sanitaire », regrette Thierry Herbreteau. La
réglementation française applique directement les règles européennes mais
introduit parfois des particularités supplémentaires, notamment en matière
environnementale ou de pratiques hospitalières spécifiques. « La grande
majorité de la commande de santé est publique, or les appels d’offres ne
favorisent en aucune façon le « travailler, produire et investir en France »,
ce qui constitue une menace directe sur l’avenir du secteur », insiste
Thierry Herbreteau.
Les DM numériques et
connectés pris en charge par l’Assurance maladie doivent quant à eux répondre
aux exigences du MDR et aux spécificités françaises, comme l’obtention d’un
certificat délivré par l’Agence du numérique en santé (ANS). Le certificat
reste valable tant que les éventuelles améliorations/modifications du DM
n’impactent pas les exigences du référentiel. En revanche, le marquage CE doit
être renouvelé tous les 5 ans. Cette superposition de normes peut compliquer
davantage la mise sur le marché des dispositifs médicaux.
Pas de spécificité en matière
de droit commercial
Il n’y a pas de spécificité
propre au secteur du DM en matière de droit commercial. Les entreprises doivent
se conformer aux mêmes règles que celles en vigueur dans d’autres secteurs
économiques.
Cela comprend : la lutte
contre les ententes et abus de position dominante, interdisant exclusivités
abusives et prix excessifs ; le contrôle des concentrations, imposant la
notification des fusions.
« Les règles en matière de
distribution (au sens commercial, c’est-à-dire achat/vente) sont les mêmes que
pour les autres produits, confirme Carine Faudon-Hubner, directrice des affaires
juridiques et questions éthiques du Snitem. Les relations commerciales entre
fournisseurs et distributeurs (au sens commercial) sont régies par le code de
commerce et le code de la commande publique pour les achats publics ».
Contrairement aux médicaments, il n’y a pas de monopole pharmaceutique sur le
DM. « En revanche, la vente de certains DM comme les lentilles et verres,
les audioprothèses ou les prothèses sur mesures est réglementée ». La vente
en ligne de DM est également réglementée avec un délai de rétractation destiné
à l’acheteur en ligne.
Le 12 décembre 2024, la cour
d’appel de Paris a ainsi, par exemple, confirmé l’amende de 125 millions
d’euros infligée par l’Autorité de la concurrence à l’entreprise Luxottica,
fabricant de lunettes (1) pour restriction de la liberté tarifaire des
opticiens et interdiction de la vente en ligne. Il était, entre autres, fait
grief à l’entreprise de s'être entendue, depuis au moins 2005, avec l’ensemble
de ses distributeurs pour fixer le prix de vente aux consommateurs et faire
obstacle à la libre fixation des prix par le libre jeu de la concurrence, en
violation du code de commerce et du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne.
Cependant, en pratique, la
réglementation peut également entraîner des distorsions de concurrence,
notamment dans les appels d’offres hospitaliers, régis par le Code de la
commande publique. Ces appels d’offres garantissent en principe égalité de
traitement et transparence, mais favorisent souvent les grands groupes capables
d’absorber les coûts de mise en conformité et d’assurer un suivi réglementaire
rigoureux, au détriment des PME plus fragiles financièrement.
L’accès au remboursement : un
parcours du combattant
Le remboursement par
l’Assurance maladie constitue un enjeu central pour les fabricants de
dispositifs médicaux. Comme l’indique Dorothée Camus, « le marquage CE est
une première montagne à franchir, mais le remboursement est une deuxième
montagne ».
En effet, pour être pris en
charge, les DM à usage individuel doivent être inscrits sur la Liste des produits
et prestations remboursables (LPP) après évaluation par la Haute autorité de
santé (HAS). Les tarifs étant négociés avec le Comité économique des produits
de santé (CEPS). Pour les DM non remboursés, la fixation des tarifs est libre.
Leur non prise en charge par l’Assurance maladie peut toutefois freiner leur
utilisation.
Ces critères de remboursement
influencent directement les stratégies commerciales des industriels qui doivent
parfois renoncer à commercialiser certains produits faute de conditions
financières viables en France. Le processus de validation, long et complexe,
conduit de nombreux fabricants à privilégier des marchés plus réactifs, comme
les États-Unis.
Une baisse d’attractivité du
marché européen
« La complexité croissante
du cadre réglementaire freine l’innovation et pousse certains fabricants à
privilégier d’autres marchés que le marché européen, comme les États-Unis,
constate Cécile Vaugelade, directrice des affaires technico-réglementaires. Cette
situation soulève des interrogations sur la compétitivité de l’Europe face à
des régions où les procédures d’homologation et de mise sur le marché sont plus
souples et plus rapides ».
Le secteur des dispositifs
médicaux est donc soumis à une régulation stricte garantissant la sécurité des
patients et l’équité du marché. Toutefois, l’accumulation des contraintes
économiques et réglementaires fragilise l’innovation et restreint l’accès des
nouveaux entrants. Face à cette situation, les industriels français risquent de
se retrouver à la traîne dans la course à l’innovation : « Le danger
principal est effectivement que nous connaissions de plus en plus de ruptures
d’approvisionnement sur notre marché domestique, sachant qu’aujourd’hui déjà
les États-Unis captent plus de 80 % des innovations en santé, insiste
Thierry Herbreteau. A commencer par les start-ups en santé qui n’hésitent
pas à se lancer de plus en plus sur le marché américain ou à lever des fonds
aux États-Unis pour se lancer ».
Un ajustement des règles
apparaît nécessaire pour favoriser une concurrence saine sans freiner le
développement technologique et l’accès aux soins L’enjeu est de trouver un
équilibre entre les impératifs de régulation et la nécessité de soutenir
l’innovation et le dynamisme économique du secteur.
Peggy
Cardin (Agence PI+)
(1) Luxottica détient,
fabrique et commercialise en propre des marques telles que Ray-Ban, Persol et
Oakley ; il dispose également d'un portefeuille important de marques de luxe,
comme Chanel, sous contrat de licence, ou encore Armani, Michael Kors et
Valentino.
(2) Ordonnance n°2017-49 du
19 janvier 2017 ratifiée par la loi n°2019-776 du 24 juillet 2019, complétée
par un décret et quatre arrêtés, les deux derniers ayant été publiés en
septembre 2020.