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Risque médical : les indemnisations en hausse continue

Risque médical : les indemnisations en hausse continue
Publié le 21/12/2024 à 07:00

Ces dernières années, les bilans des assureurs en responsabilité civile professionnelle des soignants affichent des tendances globalement similaires : une sinistralité stable, une hausse continue des montants d’indemnisation fixés par les juridictions civiles et un recours important aux procédures amiables. Explications.

En octobre 2024, le tribunal administratif de Nantes a condamné le centre hospitalier (CH) de la Vendée à verser près de 200 000 euros à un patient, estimant qu’il y avait eu une perte de chance en raison d’un retard de diagnostic. Deux mois plus tôt, l’hôpital de Seclin (Hauts-de-France) faisait, lui aussi, les gros titres. Hospitalisée pour la pose d’une prothèse de genou, une patiente y a contracté une infection nosocomiale, conduisant à l’amputation de sa jambe. Montant du dédommagement : 1 million d’euros.

En 2023, un cas d’asphyxie fœtale, impliquant un gynécologue obstétricien et une clinique, a abouti à une indemnisation de 15,8 millions d'euros, peut-on lire dans le bilan annuel de la mutuelle d’assurances du corps de sante´ français (MACSF) en matière de responsabilité médicale. « Sur l’année 2023, les indemnisations allouées par les juridictions civiles ont atteint 62 millions d'euros, soit 34 % de plus qu’en 2022 », souligne le docteur Thierry Houselstein, directeur médical de la MACSF. 21 % des décisions rendues par les tribunaux civils ont octroyé des indemnisations supérieures à 100 000 euros et huit dossiers ont abouti à une indemnisation supérieure à un million d’euros.

Indemnisation : une hausse qui s’installe

« Au fil des ans, nous constatons une hausse considérable des postes de préjudice tels que les séquelles fonctionnelles, les atteintes à l’intégrité physique et psychique ou encore les souffrances endurées, note Thierry Houselstein. Bien que l’évaluation expertale reste conforme, la main des magistrats qui fixe l’indemnité se fait de plus en plus lourde. Enfin, certains coûts, comme la majoration tierce personne pour les patients nécessitant une aide quotidienne à vie, ont particulièrement explosé. »

Pour Bruno Zandotti, avocat associé d'Abeille Avocats et spécialiste en responsabilité médicale et droit de la santé, les raisons de ces majorations sont également à chercher dans la hausse générale du coût de la vie. « Elles sont sensiblement similaires en volume d’augmentation, qu’il s’agisse des juridictions administratives, judiciaires ou de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales*, précise-t-il. Traditionnellement, les juridictions administratives indemnisent moins que le tribunal judiciaire. Aujourd’hui, l’écart entre les deux tend à se réduire progressivement. »

Résolution amiable versus décision de justice

Malgré ces hausses, la MACSF enregistre un recul des décisions de justice en 2023 (-16 %). « Les plaintes civiles représentent environ 20 % des déclarations, les plaintes pénales 3 % et ordinales 5 % », indique Thierry Houselstein. Dans le détail, le contentieux pénal a abouti à sept relaxes et à quatre condamnations à des peines de prison avec sursis d’un à trois ans. Les procédures civiles sont légion avec 346 décisions, dont 70 % ayant donné lieu à la condamnation des professionnels de santé mis en cause.

« Les patients privilégient cependant les procédures d’indemnisation amiable, constate le directeur médical de la MACSF. Elles représentent 40 % des déclarations et les commissions de conciliation, 31 %. »

Depuis dix ans, les avis rendus par les commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI), créées par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, rendent plus d’avis que les tribunaux. « Elles ont pris une part importante au fil des ans, précise Bruno Zandotti qui constate désormais une stabilisation de leur volume. Une part de cette augmentation du recours à la CCI est indépendante de la responsabilité médicale au sens classique du terme. Elle s’explique par des prises en charge spécifiques et importantes, comme celles relatives à la Dépakine, au Médiator ou aux infections liées à la Covid-19. »

Stabilité de la sinistralité

La sinistralité, qui traduit la fréquence du nombre de sinistres en dommages corporels et matériels pour 100 sociétaires, a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années. « Cela reflète en partie l’évolution des mentalités, observe maître Bruno Zandotti. Les gens considèrent désormais qu’ils ont le droit d’être guéris et pas seulement soignés. Après une période de forte hausse, la sinistralité est stable depuis quatre ou cinq ans environ ». Un constat qui fait écho au bilan de la MACSF en matière de responsabilité médicale, lequel montre que la majoration de sinistralité est à peu près équivalente au nombre d’assurés et s’établit à 0,74 % en 2023 contre 0,76 % en 2022. Mais la sinistralité reste très hétérogène selon les spécialités.

La chirurgie, discipline exposée

En valeur absolue, les médecins généralistes, les chirurgiens orthopédiques et les ophtalmologistes ont déclaré le plus de sinistres auprès de la MACSF en 2023, mais les mises en cause les plus fréquentes concernent les chirurgiens. En particulier, la neurochirurgie et la chirurgie du rachis, la chirurgie orthopédique, et la chirurgie viscérale et digestive qui enregistrent, depuis plusieurs années, les taux de sinistralité les plus élevés. « La chirurgie du rachis et l’orthopédie sont des chirurgies dites fonctionnelles, ce qui explique que le résultat soit parfois différent de l’attendu, détaille le directeur médical de la MACSF. Certaines spécialités exercent avec une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête. En moyenne, un neurochirurgien est remis en cause tous les 18 mois. »

« Les dossiers les plus lourds et les plus coûteux concernent généralement l’obstétrique, l’anesthésie et, nous le constatons également, la neurochirurgie, confirme Vittoria Ouvrard, avocate au sein du cabinet Abeille et spécialiste en droit de la santé.

Des disciplines sous surveillance

Dans une moindre proportion, la MACSF enregistre une légère augmentation de la sinistralité chez les sage-femmes, les kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes. « Les mises en cause dans le domaine de la chirurgie dentaire sont fréquentes, précise le docteur Houselstein. Cela s’explique en partie par le reste à charge financier important qui peut générer des doléances indemnitaires de la part des patients. »

Même si le nombre de sinistres reste marginal, la médecine esthétique fait l’objet d’une attention particulière, « notamment les traitements au laser qui suscitent un nombre croissant de réclamations », ajoute Thierry Houselstein. Même constat pour maître Ouvrard : « Il y a de plus en plus de procédures ordinales liées au développement de la médecine esthétique. Ce n’est pas une spécialité et tous les médecins peuvent l’exercer. Les Ordres de santé s’emparent du sujet. Les contentieux avec la Caisse primaire d’assurance maladie, liés à des abus et sur cotations d’actes, augmentent également de manière significative. »

En volume, les affaires liées aux infections nosocomiales ou à un problème d’information sont, de manière générale, les plus importantes, indiquent les représentants du cabinet Abeille Avocats. « La question de l’information implique le renversement de la charge de la preuve, précise maître Zandotti. Le médecin doit apporter la preuve qu’il a dûment informé son patient. Il y a également beaucoup de sujets autour de la complétude des dossiers médicaux. »

Nouvelles pratiques, nouveaux risques ?

Évolution des modes d’exercice, compétences élargies, numérique… Le système de santé vit de nombreuses transformations qui ne sont pas sans conséquences sur la responsabilité médicale. « Nous sommes attentifs à de nombreux sujets, dont celui du récent statut d’infirmier en pratique avancée (IPA), des soignants à mi-chemin entre le médecin et l’infirmier, souligne le directeur médical de la MACSF. Pour l’instant, nous n’avons pas eu de mise en cause. La montée en puissance des outils numériques, le domaine médical appelle également à la vigilance. Nous avons beaucoup regardé la téléconsultation à partir du déconfinement. Pour l’instant, les réclamations restent très marginales. Idem pour la télétransmission. »

Si les mises en cause et les contentieux liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle en médecine n’occupent pas (encore) les tribunaux, cela questionne. Le non-recours à l’IA doit-il être considéré comme une perte de chance pour le patient ? Quelle responsabilité en cas d’erreur ou de dysfonctionnement de l’IA ? « Ces problématiques sont d’ores et déjà source de défis juridiques et éthiques notamment en matière de responsabilité médicale », conclut Bruno Zandotti.

Géraldine Bouton
Pi+

* Créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) est un établissement public dont la mission est d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide et gratuit - des victimes d’accidents médicaux.

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