Ces dernières années, les
bilans des assureurs en responsabilité civile professionnelle des soignants
affichent des tendances globalement similaires : une sinistralité stable, une
hausse continue des montants d’indemnisation fixés par les juridictions civiles
et un recours important aux procédures amiables. Explications.
En octobre 2024, le
tribunal administratif de Nantes a condamné le centre hospitalier (CH) de la
Vendée à verser près de 200 000 euros à un patient, estimant qu’il y avait eu
une perte de chance en raison d’un retard de diagnostic. Deux mois plus tôt, l’hôpital
de Seclin (Hauts-de-France) faisait, lui aussi, les gros titres. Hospitalisée
pour la pose d’une prothèse de genou, une patiente y a contracté une infection
nosocomiale, conduisant à l’amputation de sa jambe. Montant du dédommagement :
1 million d’euros.
En 2023, un cas d’asphyxie
fœtale, impliquant un gynécologue obstétricien et une clinique, a abouti à une
indemnisation de 15,8 millions d'euros, peut-on lire dans le bilan annuel de la
mutuelle d’assurances du corps de sante´ français (MACSF) en matière de
responsabilité médicale. « Sur l’année 2023, les indemnisations allouées par
les juridictions civiles ont atteint 62 millions d'euros, soit 34 % de plus
qu’en 2022 », souligne le docteur Thierry Houselstein, directeur médical de
la MACSF. 21 % des décisions rendues par les tribunaux civils ont octroyé des
indemnisations supérieures à 100 000 euros et huit dossiers ont abouti à une
indemnisation supérieure à un million d’euros.
Indemnisation : une hausse
qui s’installe
« Au fil des ans, nous
constatons une hausse considérable des postes de préjudice tels que les
séquelles fonctionnelles, les atteintes à l’intégrité physique et psychique ou
encore les souffrances endurées, note Thierry
Houselstein. Bien que l’évaluation expertale reste conforme, la main des
magistrats qui fixe l’indemnité se fait de plus en plus lourde. Enfin, certains
coûts, comme la majoration tierce personne pour les patients nécessitant une
aide quotidienne à vie, ont particulièrement explosé. »
Pour Bruno Zandotti,
avocat associé d'Abeille Avocats et spécialiste en responsabilité médicale et
droit de la santé, les raisons de ces majorations sont également à chercher
dans la hausse générale du coût de la vie. « Elles sont sensiblement
similaires en volume d’augmentation, qu’il s’agisse des juridictions
administratives, judiciaires ou de l’Office national d'indemnisation des
accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales*, précise-t-il.
Traditionnellement, les juridictions administratives indemnisent moins que le
tribunal judiciaire. Aujourd’hui, l’écart entre les deux tend à se réduire
progressivement. »
Résolution amiable versus
décision de justice
Malgré ces hausses, la
MACSF enregistre un recul des décisions de justice en 2023 (-16 %). « Les
plaintes civiles représentent environ 20 % des déclarations, les plaintes
pénales 3 % et ordinales 5 % », indique Thierry Houselstein. Dans le
détail, le contentieux pénal a abouti à sept relaxes et à quatre condamnations
à des peines de prison avec sursis d’un à trois ans. Les procédures
civiles sont légion avec 346 décisions, dont 70 % ayant donné lieu à la
condamnation des professionnels de santé mis en cause.
« Les patients
privilégient cependant les procédures d’indemnisation amiable, constate le directeur médical de la MACSF. Elles représentent 40 % des
déclarations et les commissions de conciliation, 31 %. »
Depuis dix ans, les avis
rendus par les commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI), créées par
la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, rendent plus d’avis que les tribunaux. «
Elles ont pris une part importante au fil des ans, précise Bruno Zandotti
qui constate désormais une stabilisation de leur volume. Une part de cette augmentation
du recours à la CCI est indépendante de la responsabilité médicale au sens
classique du terme. Elle s’explique par des prises en charge spécifiques et
importantes, comme celles relatives à la Dépakine, au Médiator ou aux
infections liées à la Covid-19. »
Stabilité de la
sinistralité
La sinistralité, qui
traduit la fréquence du nombre de sinistres en dommages corporels et matériels
pour 100 sociétaires, a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années. «
Cela reflète en partie l’évolution des mentalités, observe maître Bruno
Zandotti. Les gens considèrent désormais qu’ils ont le droit d’être guéris
et pas seulement soignés. Après une période de forte hausse, la sinistralité
est stable depuis quatre ou cinq ans environ ». Un constat qui fait écho au
bilan de la MACSF en matière de responsabilité médicale, lequel montre que la
majoration de sinistralité est à peu près équivalente au nombre d’assurés et
s’établit à 0,74 % en 2023 contre 0,76 % en 2022. Mais la sinistralité reste
très hétérogène selon les spécialités.
La chirurgie, discipline
exposée
En valeur absolue, les
médecins généralistes, les chirurgiens orthopédiques et les ophtalmologistes
ont déclaré le plus de sinistres auprès de la MACSF en 2023, mais les mises en
cause les plus fréquentes concernent les chirurgiens. En particulier, la neurochirurgie
et la chirurgie du rachis, la chirurgie orthopédique, et la chirurgie viscérale
et digestive qui enregistrent, depuis plusieurs années, les taux de
sinistralité les plus élevés. « La chirurgie du rachis et l’orthopédie sont
des chirurgies dites fonctionnelles, ce qui explique que le résultat soit
parfois différent de l’attendu, détaille le directeur médical de la MACSF. Certaines
spécialités exercent avec une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête.
En moyenne, un neurochirurgien est remis en cause tous les 18 mois. »
« Les dossiers les plus
lourds et les plus coûteux concernent généralement l’obstétrique, l’anesthésie
et, nous le constatons également, la neurochirurgie, confirme Vittoria Ouvrard, avocate au sein du cabinet Abeille et
spécialiste en droit de la santé.
Des disciplines sous
surveillance
Dans une moindre
proportion, la MACSF enregistre une légère augmentation de la sinistralité
chez les sage-femmes, les kinésithérapeutes et les chirurgiens-dentistes. «
Les mises en cause dans le domaine de la chirurgie dentaire sont fréquentes,
précise le docteur Houselstein. Cela s’explique en partie par le reste à
charge financier important qui peut générer des doléances indemnitaires de la
part des patients. »
Même si le nombre de
sinistres reste marginal, la médecine esthétique fait l’objet d’une attention
particulière, « notamment les traitements au laser qui suscitent un nombre
croissant de réclamations », ajoute Thierry Houselstein. Même constat pour
maître Ouvrard : « Il y a de plus en plus de procédures ordinales liées au
développement de la médecine esthétique. Ce n’est pas une spécialité et tous
les médecins peuvent l’exercer. Les Ordres de santé s’emparent du sujet. Les
contentieux avec la Caisse primaire d’assurance maladie, liés à des abus et sur
cotations d’actes, augmentent également de manière significative. »
En volume, les affaires
liées aux infections nosocomiales ou à un problème d’information sont, de
manière générale, les plus importantes, indiquent les représentants du cabinet
Abeille Avocats. « La question de l’information implique le renversement de
la charge de la preuve, précise maître Zandotti. Le médecin doit
apporter la preuve qu’il a dûment informé son patient. Il y a également
beaucoup de sujets autour de la complétude des dossiers médicaux. »
Nouvelles pratiques,
nouveaux risques ?
Évolution des modes
d’exercice, compétences élargies, numérique… Le système de santé vit de
nombreuses transformations qui ne sont pas sans conséquences sur la
responsabilité médicale. « Nous sommes attentifs à de nombreux sujets, dont
celui du récent statut d’infirmier en pratique avancée (IPA), des soignants à
mi-chemin entre le médecin et l’infirmier, souligne le directeur médical de
la MACSF. Pour l’instant, nous n’avons pas eu de mise en cause. La
montée en puissance des outils numériques, le domaine médical appelle également
à la vigilance. Nous avons beaucoup regardé la téléconsultation à partir du
déconfinement. Pour l’instant, les réclamations restent très marginales. Idem
pour la télétransmission. »
Si les mises en cause et
les contentieux liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle en médecine
n’occupent pas (encore) les tribunaux, cela questionne. Le non-recours à l’IA
doit-il être considéré comme une perte de chance pour le patient ? Quelle
responsabilité en cas d’erreur ou de dysfonctionnement de l’IA ? « Ces
problématiques sont d’ores et déjà source de défis juridiques et éthiques
notamment en matière de responsabilité médicale », conclut Bruno Zandotti.
Géraldine Bouton
Pi+
* Créé par la loi du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé,
l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections
Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) est un établissement public
dont la mission est d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide
et gratuit - des victimes d’accidents médicaux.