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SÉRIE « LE DÉFI DE L’EAU ». Ressource en eau en France : un état des lieux préoccupant

SÉRIE « LE DÉFI DE L’EAU ». Ressource en eau en France : un état des lieux préoccupant
Publié le 29/04/2024 à 15:22

La question de l'eau est un sujet central et croissant. C’est la raison pour laquelle, dans cette nouvelle série, le cabinet d’avocats Huglo Lepage a choisi d’aborder, pour le JSS, la question sous l’angle de la ressource comme sur celui des usages, sans oublier la qualité et donc la pollution impactée par les effets du dérèglement climatique. La réduction de la ressource en eau, surtout en eau disponible, rend inévitables les changements d'usage pour éviter les conflits les plus lourds et mettre en place le plus rapidement possible des solutions d'adaptation.

·        Ressource en eau en France : un état des lieux préoccupant ;



En mars 2024, France Stratégie a publié un rapport extrêmement documenté sur les usages de l’eau dans l’Hexagone, qui montre à quel point le sujet est majeur pour le vivant, bien sûr, mais aussi pour les activités économiques, qu’elles soient énergétiques, agricoles ou industrielles.

Où en est la ressource en eau en 2024 ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que l'état des lieux est plus que préoccupant.

La base du calcul est celle de l'eau renouvelable - soit 0,01% de l'eau sur terre -  qui provient de l’évapotranspiration (évaporation des eaux de surface et des terres, transpiration des plantes). Cette évapotranspiration monte dans l'atmosphère se condense pour former des nuages et retombe sous forme de précipitations.

L’eau renouvelable est donc celle issue des précipitations dans un territoire auquel s'ajoutent les flux entrants des territoires voisins dont on retire l'évapotranspiration. Elle représente 40 % de l'eau précipitée en France.

Ce volume d'eau renouvelable s’est élevé entre 1990 et 2018 à 210 milliards de m3, soit 33 milliards de m² de moins que dans la période de 1990 – 2001 soit une baisse de 14 % en 20 ans. Elle s’explique  essentiellement par la réduction des précipitations; la situation, par exemple des Pyrénées Orientales est particulièrement catastrophique. Mais également, la réduction des glaciers et la baisse des chutes de neige réduit le débit de certains fleuves comme le Rhône qui a vu son débit choir de 30 %, avec pour corollaire une pollution plus concentrée.

Face à cette réduction de la ressource, qu'en est-il des prélèvements ? Tout d'abord, il faut distinguer l’eau prélevée et l'eau consommée. Le prélèvement d'eau correspond au volume d'eau douce extrait définitivement ou temporairement d'une source souterraine ou de surface et transportée sur les lieux d'usage. L'eau consommée  est celle qui ne retourne pas directement à la ressource - c’est à dire aux eaux de surfaces et aux nappes soit du fait de l'évapotranspiration, soit du fait de l'utilisation.

L’eau prélevée : un concept à manier avec précaution

Les 31 milliards de m3 d'eaux prélevées peuvent paraître modestes par rapport aux 210 milliards de ressources disponibles. Mais la grande difficulté vient de ce que la comparaison moyennée n'a que peu d'intérêt.

En effet, à l’évidence, tous les territoires ne sont pas impactés la même manière et dans certains territoires, les prélèvements peuvent être supérieurs à la ressource disponible.

Par ailleurs au cours de l'année, les ressources évoluent, se réduisent considérablement en période d'étiage et peuvent donc devenir préoccupantes du fait de leur insuffisance.

D'autre part, si la distinction eau prélevée et eau consommée est importante, il ne faut jamais oublier que l'eau qui est prélevée n'est pas restituée toujours dans les mêmes conditions bactériologiques et chimiques de celles dans lesquelles elle a été prélevée. L'eau peut être restituée  polluée par des produits chimiques ou il peut également s'agir de pollutions bactériologiques ou microbiennes. L’eau très abondante utilisée dans les centrales nucléaires est restituée à une température plus élevée qui peut avoir des conséquences sur les écosystèmes et même des usages de l’eau en aval .

Enfin, le moment du prélèvement et le moment de la restitution peuvent être différents dans le temps. A ceci s'ajoute le fait que la restitution ne se fait pas nécessairement dans les mêmes conditions que le prélèvement. Ainsi, le concept d’eau prélevée doit être manié avec précaution car il recouvre une réalité qui est différente de l’eau avant le prélèvement.

Une surexploitation de l’eau l’été

Pour apprécier l’existence ou non d’une surexploitation, l’agence européenne de l’environnement a défini un indice d'exploitation de la ressource en eau qui est  le rapport entre la consommation d'eau sur un territoire et la ressource renouvelable disponible.

On considère qu'il y a surexploitation lorsque l'indice dépasse 40 %. En moyenne, la France en est loin, sauf l’été, dans le pourtour méditerranéen, où cet indice peut dépasser 40 %, ce qui  porte directement atteinte aux besoins des écosystèmes. Ceux-ci  sont précisés dans la définition de débits minimums dans les cours d'eau qui sont imposés dans la réglementation pour préserver les équilibres écologiques et permettre également le fonctionnement économique en aval.

Les débits d'étiage  résultent d’accords sur des débits minimum que les acteurs du territoire acceptent de laisser dans les cours d'eau. Mais ce débit est davantage fixé en fonction des besoins des acteurs que de ceux des écosystèmes et la définition d’un niveau mensuel ajoute aux conséquences souvent négatives de ce niveau pour les milieux

Peut-on augmenter les volumes d’eau ?

La question de l'augmentation des volumes d’eau douce disponible se pose donc de manière évidente comme celle d’une meilleure utilisation de l’eau potable. Notre prochain article sera, du reste, consacré à la question de l’utilisation des  eaux grises et des eaux de pluie aux lieux et place de l’eau potable chaque fois que cela est possible.

Mais, en amont, est-il possible d’augmenter les volumes d’eau douce ? Deux systèmes existent.

Le premier est largement utilisé dans les pays du Sud et il s'agit du dessalement de l'eau de mer. Ce système est très peu utilisé en France et conséquences écologiques ne sont pas neutres qu’il s’agisse d’une très forte consommation énergétique ou des rejets des saumures.

La deuxième méthode est celle des stockages d’eau. La France compte 670 000 retenues et réserves d’artificielles : les barrages, les retenues en dérivation, les retenues collinaires.

Les réserves sont alimentées, outre les eaux de pluie, par le pompage dans les cours d’eau ou dans les nappes. Elles servent à la production d’électricité bien sûr mais aussi la régulation des crues, l'alimentation en eau potable ou à l'irrigation.

Il existe aujourd'hui un suivi par satellite qui permet d'avoir des informations en temps réel sur les volumes, les taux de remplissage et les utilisations. La capacité de stockage cumulée s'élève à 18 milliards de m3 en France avec de grandes variations dans le temps selon les conditions météo.

Ces stockages ne sont pas sans incidence sur les milieux : contribution à la rupture des continuités écologiques, dégradation de la qualité de l'eau du fait de la prolifération bactérienne et algale, modification du cycle de l'eau en augmentant la quantité d'eau évaporée et en diminuant de fait la quantité d'eau dans les milieux aquatiques, risque de drainage des milieux et de disparition des zones humides…

Les transferts interbassins sont limités compte tenu de leur coût et de leur faible acceptabilité. En conséquence, la masse d'eau disponible ne peut évoluer que très modérément dans le sens d'une augmentation et c'est plutôt une réduction qu'il faut attendre.  Le travail est donc à faire du côté des prélèvements et de la consommation.

Des prélèvements très irréguliers

Compte tenu de ce qui précède, et de la baisse à prévoir, c’est évidemment dans les usages que les efforts doivent être accomplis.

L’observatoire national des prélèvements quantitatifs en eau de l'Office français de la biodiversité recense les prélèvements de l’ordre de 10 000 m³ par an (7 000 m³ dans les zones en tension, ce qui exclut les forages domestiques très modestes individuellement mais qui dans les zones sous pression peuvent avoir un effet collectif non négligeable).

Les prélèvements se répartissent de la manière suivante en France : énergie : 47 %, eau domestique : 14 %, agriculture : 11 %, canaux : 18 %, industrie construction : 8 % (dont les data centers qui sont de très gros consommateurs, tertiaire marchand : 1 %, loisirs : 1 %.

Les prélèvements se font de manière très irrégulière dans toute la France.

Ainsi, sur le secteur de la production d'énergie qui représente 47 % des prélèvements, 80 % se situent dans le bassin Rhône Méditerranée en raison de la très forte concentration de centrales nucléaires dans la vallée du Rhône.

Les prélèvements agricoles sont concentrés sur le même bassin Rhône-Méditerranée, le Bassin Loire-Bretagne et l'Adour-Garonne à hauteur de 87 %.

Cette grande disparité explique les différences d’un bassin à l’autre avec des extrêmes en termes de prélèvements de 0,9 % dans le bassin Artois-Picardie le plus faible de France et 16,5 % en Rhône-Méditerranée.

14 milliards de m3 pour le secteur énergétique

Le secteur énergétique est le premier secteur en termes de prélèvements dans les eaux de surface à hauteur de 14 milliards de m3. Cette eau sert au refroidissement des centrales nucléaires, avec de fortes disparités entre celles qui sont dotées d’aéroréfrigérants qui fonctionnent en circuit fermé et celles qui n’en sont pas dotées qui rejettent beaucoup plus d’eaux réchauffées,  chimiquement et radiologiquement chargées.

L’utilisation de l’eau passe, selon France stratégie, de 233 m3/kWh pour les secondes à 11 m³ kWh pour les premières, soit 10 fois moins. Ce sont essentiellement les premiers systèmes à circuit ouvert qui sont présents dans la vallée du Rhône, expliquant que cela représente 75 % des prélèvements du secteur énergétique et 38 % du total des prélèvements.

S’agissant des prélèvements à usage agricole, ne sont en réalité comptabilisés que ceux qui concernent l'irrigation car les prélèvements destination des animaux restent marginaux et ne sont pas comptabilisés

En 2020, 3 milliards de m3 ont été prélevés pour l'irrigation dans la France métropolitaine, soit 11 % des prélèvements totaux majoritairement dans les eaux de surface (58 %). Cela représente 2 000 m3 d'eau prélevée par hectare de surface irriguée.

Les cultures de surface sont les légumes, les vergers et le soja, le maïs et les pommes de terre qui demandent le plus d'eau. Mais, calculé globalement, c'est le maïs qui représente la plus grosse consommation d'eau irriguée soit 39 % des surfaces irriguées en France, alors que les fruits et légumes ne représentent que 15 %. Ceci devrait très clairement à l'avenir poser la question  du bien-fondé du maintien de ce type de culture extrêmement coûteuse en eau dont l’usage est l’alimentation du bétail. Rappelons en effet que  si 44 % de l'eau d'irrigation sert à l'alimentation humaine, 39 % sert à l'alimentation animale. Là aussi, la question du bol alimentaire et de la part de viande dans ce bol alimentaire est très clairement posée.

L'étude démontre qu'entre 2010 et 2020 le nombre d’exploitations ayant recours à l’irrigation a considérablement augmenté en particulier dans le bassin Artois Picardie. L’augmentation des températures explique cette tendance à la hausse avec un record d’irrigation dans les bassins Loire Bretagne Adour Garonne.

Concernant les eaux domestiques, les prélèvements sont stables à environ 14% des prélèvements totaux et se font  essentiellement dans les eaux souterraines. Il n’en demeure pas moins que la pratique des forages domestiques s’accroît sans que la réglementation ne soit respectée puisqu’il semblerait que forages sur 50 seulement ne soit déclarés.

Cette situation a bien entendu très difficile la comptabilité du nombre de mètres cubes prélevés qui seraient de l’ordre de 200 millions de mètres cubes par an soient 5 % du volume d’eau potable prélevée pour l’usage domestique

Les prélèvements industriels sont, pour leur part, finalement très modestes en termes quantitatifs par rapport à ce qui précède. Ils concerne essentiellement la chimie , la pharmacie et l'alimentaire avec une baisse des prélèvements totaux liés à la désindustrialisation mais aussi à l'amélioration des procédés.

Quant aux autres prélèvements, ceux pour le secteur tertiaire restent faibles, 67% des prélèvements pour les loisirs concernent les espaces verts, les stades, les golfs et la production de neige artificielle.

Il faut ajouter des prélèvements croissants pour les data center. Telle est donc la situation des prélèvements qui permet de voir sur quels secteurs il est possible d’agir de manière efficace pour alléger la charge des prélèvements.

Les fuites à l’origine de 20 % des prélèvements des eaux domestiques

Y a-t-il une différence lorsque l’on passe de l’eau prélevée à l’eau consommée? Comme on l'a rappelé précédemment, toute l'eau prélevée n'est pas consommée.

Si l’on regarde la répartition sectorielle des consommations, elle est très différente de celle des prélèvements. 62 % de l'eau consommée en France métropolitaine et en Corse l’est pour l'agriculture, sans restitution au milieu, puisqu’il y a une évapotranspiration.

Suivent l'énergie (14 %), l'eau domestique (12 %), l'industrie (9 %), le reste étant de l'ordre de 1%.

Les bassins versants où les consommations d'eau sont les plus élevées sont Adour-Garonne 1 milliard de m3, Rhône-Méditerranée 1,5 milliards de m3 et Loire-Bretagne 0,8 m3.

Quant à l'outre-mer, les prélèvements s'élèvent à 416 millions de m3 dont 61% destinés à la production d’eau potable pour les ménages, 21 % à l'irrigation agricole, 17% aux industries et seulement 1 % à l'énergie puisqu'il n'y a pas de centrale nucléaire.

Il faut donc reprendre chacun des secteurs dont il vient d’être question, en commençant par les eaux domestiques qui posent une vraie difficulté en raison des fuites des réseaux d’eau potable qui représenterait 20 % des prélèvements des eaux domestiques, sachant que la consommation d’eau des ménages est de l’ordre de 12 %. Quel que soit le choix comptable, et même si les fuites retournent au milieu par définition, il y a néanmoins des pertes et un coût pour les collectivités qui méritent un effort tout particulier.

Dans le secteur industriel, s'agissant des secteurs industriels, le plus gros consommateur est  la chimie pharmacie devant l'agroalimentaire qui représente 23 % de l'eau potable, puis la métallurgie 12 %, le textile 8 %, les déchets 2 % et le reste étant inférieur à 1 %.

Le nucléaire en circuit ouvert du fait de l'eau rejetée représente la consommation la plus élevée, l'évaporation forte additionnelle est importante et représente près de 1 % du volume rejeté dans la vallée du Rhône. Mais le nucléaire en circuit fermé  représente 22 % de la consommation nationale en raison du plus grand nombre de centrales.

L’eau à usage agricole, une question inflammable

Reste le plus gros consommateur d’eau : l’agriculture. Les consommations dépendent ici du système d'irrigation choisi. Le goutte-à-goutte et l’aspersion n’ont évidemment pas les mêmes conséquences en termes de consommation ; par ailleurs l’usage et l’utilité de l’irrigation varie beaucoup d'une culture à l'autre.

Ainsi, pour la vigne, l'irrigation est destinée à gérer le taux d'alcool du vin et les qualités organoleptiques alors que les grandes cultures de maïs ne peuvent se développer sans irrigation. Ceci explique que l’aspersion soit le mode d’irrigation le plus répandu, soit 87 % de la surface totale irrigable, alors que la micro-irrigation comprenant la micro-aspersion et le goutte-à-goutte ne représente que 8 %.

Certes, une partie de l'eau qui ruisselle rejoint les milieux mais la plus grande quantité de l’eau est absorbée par les plantes elles-mêmes.

La question de l’eau à usage agricole est éminemment inflammable et le sujet des méga bassines a été abondamment abordé lors des troubles récents ayant affecté le monde agricole.

Le surplus d’évaporation lié au stockage dans les plans d’eau artificiels est de l’ordre d’un milliard de m3 par an sur 18 milliards de capacité de stockage cumulée, soit 5 %. cette estimation n'est qu'une estimation qui permet néanmoins de comprendre que plus les retenues sont importantes, plus le surplus d'évaporation est considérable. La situation est particulièrement préoccupante lorsque les retenues sont alimentées par les nappes souterraines car il s’agit alors d’une perte sèche.

Ce très rapide état des lieux, établi une fois encore sur la base du rapport de France Stratégie, montre comment le sujet est majeur pour le vivant bien sûr, mais aussi pour les activités économiques, qu’elle soit énergétique agricole ou industrielle.

C’est la raison pour laquelle nous publierons régulièrement un certain nombre d’articles faisant le point des enjeux et des solutions s’il y en a concernant d’une part la ressource et sa qualité mais aussi les transformations que les activités humaines doivent inexorablement subir pour s’adapter aux temps nouveaux.

Corinne Lepage

Avocate fondatrice

Huglo Lepage avocats

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