SÉRIE
« RESTRUCTURING » (9). Dans cet article, le maître de conférences Bastien
Brignon se penche sur la responsabilité pour insuffisance d’actif du
représentant permanent d’une SAS, et à défaut, sur celle du représentant légale
de la personne morale dirigeante de la SAS.
Cass. com., 20 novembre 2024,
n° 23-17.842 F-B
Sans revenir sur la « saga »
du représentant permanent de la personne morale dirigeant une SAS, chacun sait
que le droit de la SAS ne connaît pas la notion de représentant permanent. En
effet, aucun texte ne définit de manière générale ce qu’est un représentant
permanent d’une personne morale. La notion de représentant permanent n’est pas
connue en droit spécial des sociétés, sauf en ce qui concerne la SA qui oblige
la personne morale administrateur ou membre de conseil de surveillance à
désigner « un représentant permanent qui est soumis aux mêmes conditions et
obligations et qui encourt les mêmes responsabilités civile et pénale que s’il
était administrateur en son nom propre, sans préjudice de la responsabilité
solidaire de la personne morale qu’il représente » (art. L 225-20 et L
225-76 C. com.). En dehors des SA, dans les sociétés dans lesquelles le
dirigeant peut être une personne morale, celle-ci est représentée dans
l’exercice de ses fonctions par son représentant légal, qui encourt les mêmes
responsabilités que la société dirigeante. « On peut donc se demander
pour quelle raison l’article L. 651-1 n’a étendu la responsabilité de la
personne morale dirigeante de celle en liquidation qu’à son représentant
permanent, notion apparue dans le droit des procédures collectives avec la loi
du 13 juillet 1967 » (D. Poracchia, note sous Cass. com., 13 décembre
2023, n° 21-14.579, F-B, RTDF n° 65 du 29 mars 2024). Cependant, la Cour de
cassation admet que les statuts d’une SAS puissent imposer une telle obligation
(Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.089, Rev. sociétés 2022, p. 291, note A.
Couret ; BJS mai 2022, n° BJS201a0, p. 27, note P.-L. Périn ; Gaz. Pal., 21
juin 2022, n° GPL437m2, p. 67, note D. Gallois-Cochet ; JCP E 2022, 1185, note
B. Dondero, Dr. sociétés 2022, comm. 107, note J.-F. Hamelin, Dr. et Patrimoine,
2023, n° 339, p. 44, obs. D. Poracchia).
Lorsque donc une SAS est
dirigée par une personne morale, dans la mesure où aucune obligation de
désigner un représentant permanent n'existe en cette situation, qui endosse les
responsabilités ?
Dans un arrêt de principe du
13 décembre 2023, la Cour de cassation a précisé, pour la première fois, qu'«
il résulte de la combinaison des articles L. 227-7, L. 651-1 et L. 651-2 du
Code de commerce que, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire
est une société par actions simplifiée (SAS) dirigée par une personne morale,
la responsabilité pour insuffisance d'actif, prévue par le troisième texte
précité, est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de
droit, mais aussi par le représentant légal de cette dernière, en l'absence
d'obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la
personne morale dirigeant au sein d'une SAS » (Cass. com., 13 décembre
2023, n° 21-14.579, F-B : JCP E 2024, 1167, note B. Dondero ; Dr. sociétés
2024, comm. 38, note J.-P. Legros ; Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. Th.
Duchesne ; RJDA 2024, n° 177 ; Gaz. Pal. 19 mars 2024, p. 78, obs. F. Reille ;
BJS mars 2024, p. 42, note N. Jullian ; Dr. sociétés 2024, comm. 38, note J.-P.
Legros ; BJE mars-avr. 2024, p. 51, note T. Favario ; RTDF 2024, p. 72, note D.
Poracchia ; JCP E 2024, 1116, n° 23, obs. A. Tehrani ; Gaz. Pal. 19 mars 2024,
p. 78, obs. F. Reille ; JCP E 2024, 1196, spéc. § n° 10, obs. V.
Perruchot-Triboulet). Par conséquent, lorsqu’une SAS en liquidation judiciaire
est dirigée par une personne morale, la responsabilité en cas d’insuffisance
d’actif est encourue par le représentant légal de cette personne morale en
l’absence de représentant permanent au sein de la SAS. Cette solution vise
évidemment à empêcher qu’une personne physique échappe à sa responsabilité en
se dissimulant derrière l’écran de la personne morale dirigeante. Elle est parfaitement
conforme à l'article L 651-1 du Code de commerce qui prévoit la responsabilité
pour insuffisance d'actif des représentants permanents des dirigeants personnes
morales, sans distinguer selon que leur désignation est d'origine légale ou
statutaire. Ainsi, si une personne morale dirigeante de SAS a désigné un
représentant permanent conformément aux statuts de la société, il ne fait aucun
doute que ce représentant peut être condamné en comblement de passif.
Mais si ce représentant
permanent n'est pas le représentant légal de la SAS, ce dernier peut-il aussi
être déclaré responsable ? Une lecture extensive de l'arrêt du 13 décembre 2023
pouvait laisser croire que oui, tandis qu’une interprétation a contrario
pouvait à l’inverse laisser penser que non puisque la Cour de cassation avait
précisé que la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant légal
de la personne morale dirigeante pouvait être engagée « en l’absence d’obligation
légale ou statutaire de désigner un représentant permanent ».
C’est cette précision
d’importance qu’apporte l’arrêt du 20 novembre 2024 qui considère, pour la
première fois, que la personne physique dirigeante d'une personne morale,
elle-même dirigeante d'une SAS placée en liquidation judiciaire, ne peut pas
voir sa responsabilité pour insuffisance d'actif engagée si elle n'a pas la
qualité de représentant permanent (Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-17842,
F–B : Dalloz actualité, 29 novembre 2024, obs. Th. Duchesne). Dans cette
affaire, une SAS ayant pour président une société de droit suisse est mise en
liquidation judiciaire. Le dirigeant personne physique de la société de droit
suisse est condamné en responsabilité pour insuffisance d'actif par une cour
d'appel aux motifs, d'une part, que l'article L 225-20 du Code de commerce, qui
impose à l'administrateur personne morale d'une société anonyme de désigner un
représentant permanent, ne s'applique pas à la SAS et, d'autre part, que le
dirigeant personne physique de la société dirigeante ne peut qu'avoir également
la qualité de dirigeant de droit de la SAS, en application de l'article L 227-7
du même Code, selon lequel les dirigeants de la personne morale dirigeante
d'une SAS encourent les mêmes responsabilités que s'ils étaient dirigeants en
leur nom propre. Le dirigeant condamné ne l'a néanmoins pas entendu ainsi dans
la mesure où les statuts de la SAS stipulaient que sa personne morale
présidente avait désigné un représentant permanent autre que lui-même, ce que
n'avait pas recherché la cour d'appel. Dès lors, en cette situation, seul ce
représentant permanent devait être considéré comme dirigeant de droit au sens
de l'article L. 651-2 du Code de commerce. La chambre commerciale donne raison
au pourvoi, en cassant l'arrêt d'appel. Après avoir rappelé qu'il résulte de
l'article L. 651-1 du Code de commerce que la responsabilité pour insuffisance
d'actif encourue au titre de l'article L. 651-2 du même code est applicable aux
personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales,
elle énonce que « lorsqu'une société par actions simplifiée est dirigée par
une personne morale qui a désigné un représentant permanent conformément aux
statuts de cette société, la personne physique dirigeant cette personne morale
ne peut voir sa responsabilité pour insuffisance d'actif engagée si elle n'a
pas également la qualité de représentant permanent ».
C’est désormais très
clair : la désignation comme représentant permanent, en application d'une
clause statutaire, d'une personne autre que le représentant légal exclut toute
responsabilité pour l'insuffisance d'actif de ce dernier. Dès lors, si un représentant
permanent a été nommé, c'est lui qui sera potentiellement poursuivi en
responsabilité pour insuffisance d'actif. En revanche, lorsqu'aucun
représentant permanent n'aura été nommé ou bien qu'une telle nomination n'aura
pas été prévue par les statuts, c'est le dirigeant personne physique de la
personne morale dirigeante qui pourra voir sa responsabilité engagée pour
insuffisance d'actif.
Dans ces conditions, la
nomination d'un représentant permanent ne peut qu'être conseillée puisque
celui-ci fait figure de « pare-feu » à la responsabilité du dirigeant de la
personne morale dirigeante de la SAS (T. Favario, note préc.). Mieux, si le
représentant permanent n'est pas le représentant légal de la SAS, ce dernier
peut bénéficier d’une immunité.
Toutefois, ce pare-feu est-il
total et cette immunité est-elle absolue ? Sans doute que non, et ce, en
raison tant de la notion de direction de fait (Cass. com., 3 octobre 2000, n°
96-15.514 : Bull. Joly Sociétés janv. 2001, p. 24, note P. Le Cannu pour
une SA où la désignation d'un représentant permanent est obligatoire) que de celle
de fraude, notions qui peuvent permettre d’atteindre, in fine, le
dirigeant, qui peut même voir sa responsabilité civile engagée pour faute sur
le fondement du droit commun ou du droit des sociétés (Cass. com., 28 mars
2000, n° 97-11.533, D. 2000, p. 227 ; RTD com. 2000. p. 655, obs. C.
Champaud et D. Danet ; RTD com. 2001, p. 452, obs. C. Champaud et D. Danet).
Bastien
Brignon