DROIT

Seul le représentant permanent de la personne morale dirigeante peut être condamné en insuffisance d'actif

Seul le représentant permanent de la personne morale dirigeante peut être condamné en insuffisance d'actif
Publié le 25/01/2025 à 07:00

SÉRIE « RESTRUCTURING » (9). Dans cet article, le maître de conférences Bastien Brignon se penche sur la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant permanent d’une SAS, et à défaut, sur celle du représentant légale de la personne morale dirigeante de la SAS

Pour commencer l'année 2025, la série restructuring nous entraine, sous la plume d'Adeline Cerati, Vincent Perruchot-Triboulet et Bastien Brignon, maîtres de conférences à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, sur le terrain de la jurisprudence qui préserve ou qui engage le patrimoine personnel du représentant d'entreprise.


 État caractérisé de cessation des paiements en cours de conciliation : dispense d’obligation de déclaration ; 
• 
La cessation de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel ne met pas fin à l’insaisissabilité de sa résidence principale ;
• Seul le représentant permanent de la personne morale dirigeante peut être condamné en insuffisance d’actif.
 

Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-17.842 F-B

Sans revenir sur la « saga » du représentant permanent de la personne morale dirigeant une SAS, chacun sait que le droit de la SAS ne connaît pas la notion de représentant permanent. En effet, aucun texte ne définit de manière générale ce qu’est un représentant permanent d’une personne morale. La notion de représentant permanent n’est pas connue en droit spécial des sociétés, sauf en ce qui concerne la SA qui oblige la personne morale administrateur ou membre de conseil de surveillance à désigner « un représentant permanent qui est soumis aux mêmes conditions et obligations et qui encourt les mêmes responsabilités civile et pénale que s’il était administrateur en son nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu’il représente » (art. L 225-20 et L 225-76 C. com.). En dehors des SA, dans les sociétés dans lesquelles le dirigeant peut être une personne morale, celle-ci est représentée dans l’exercice de ses fonctions par son représentant légal, qui encourt les mêmes responsabilités que la société dirigeante. « On peut donc se demander pour quelle raison l’article L. 651-1 n’a étendu la responsabilité de la personne morale dirigeante de celle en liquidation qu’à son représentant permanent, notion apparue dans le droit des procédures collectives avec la loi du 13 juillet 1967 » (D. Poracchia, note sous Cass. com., 13 décembre 2023, n° 21-14.579, F-B, RTDF n° 65 du 29 mars 2024). Cependant, la Cour de cassation admet que les statuts d’une SAS puissent imposer une telle obligation (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.089, Rev. sociétés 2022, p. 291, note A. Couret ; BJS mai 2022, n° BJS201a0, p. 27, note P.-L. Périn ; Gaz. Pal., 21 juin 2022, n° GPL437m2, p. 67, note D. Gallois-Cochet ; JCP E 2022, 1185, note B. Dondero, Dr. sociétés 2022, comm. 107, note J.-F. Hamelin, Dr. et Patrimoine, 2023, n° 339, p. 44, obs. D. Poracchia).

Lorsque donc une SAS est dirigée par une personne morale, dans la mesure où aucune obligation de désigner un représentant permanent n'existe en cette situation, qui endosse les responsabilités ?

Dans un arrêt de principe du 13 décembre 2023, la Cour de cassation a précisé, pour la première fois, qu'« il résulte de la combinaison des articles L. 227-7, L. 651-1 et L. 651-2 du Code de commerce que, lorsque la personne morale mise en liquidation judiciaire est une société par actions simplifiée (SAS) dirigée par une personne morale, la responsabilité pour insuffisance d'actif, prévue par le troisième texte précité, est encourue non seulement par cette personne morale, dirigeant de droit, mais aussi par le représentant légal de cette dernière, en l'absence d'obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent de la personne morale dirigeant au sein d'une SAS » (Cass. com., 13 décembre 2023, n° 21-14.579, F-B : JCP E 2024, 1167, note B. Dondero ; Dr. sociétés 2024, comm. 38, note J.-P. Legros ; Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. Th. Duchesne ; RJDA 2024, n° 177 ; Gaz. Pal. 19 mars 2024, p. 78, obs. F. Reille ; BJS mars 2024, p. 42, note N. Jullian ; Dr. sociétés 2024, comm. 38, note J.-P. Legros ; BJE mars-avr. 2024, p. 51, note T. Favario ; RTDF 2024, p. 72, note D. Poracchia ; JCP E 2024, 1116, n° 23, obs. A. Tehrani ; Gaz. Pal. 19 mars 2024, p. 78, obs. F. Reille ; JCP E 2024, 1196, spéc. § n° 10, obs. V. Perruchot-Triboulet). Par conséquent, lorsqu’une SAS en liquidation judiciaire est dirigée par une personne morale, la responsabilité en cas d’insuffisance d’actif est encourue par le représentant légal de cette personne morale en l’absence de représentant permanent au sein de la SAS. Cette solution vise évidemment à empêcher qu’une personne physique échappe à sa responsabilité en se dissimulant derrière l’écran de la personne morale dirigeante. Elle est parfaitement conforme à l'article L 651-1 du Code de commerce qui prévoit la responsabilité pour insuffisance d'actif des représentants permanents des dirigeants personnes morales, sans distinguer selon que leur désignation est d'origine légale ou statutaire. Ainsi, si une personne morale dirigeante de SAS a désigné un représentant permanent conformément aux statuts de la société, il ne fait aucun doute que ce représentant peut être condamné en comblement de passif.

Mais si ce représentant permanent n'est pas le représentant légal de la SAS, ce dernier peut-il aussi être déclaré responsable ? Une lecture extensive de l'arrêt du 13 décembre 2023 pouvait laisser croire que oui, tandis qu’une interprétation a contrario pouvait à l’inverse laisser penser que non puisque la Cour de cassation avait précisé que la responsabilité pour insuffisance d’actif du représentant légal de la personne morale dirigeante pouvait être engagée « en l’absence d’obligation légale ou statutaire de désigner un représentant permanent ».

C’est cette précision d’importance qu’apporte l’arrêt du 20 novembre 2024 qui considère, pour la première fois, que la personne physique dirigeante d'une personne morale, elle-même dirigeante d'une SAS placée en liquidation judiciaire, ne peut pas voir sa responsabilité pour insuffisance d'actif engagée si elle n'a pas la qualité de représentant permanent (Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-17842, F–B : Dalloz actualité, 29 novembre 2024, obs. Th. Duchesne). Dans cette affaire, une SAS ayant pour président une société de droit suisse est mise en liquidation judiciaire. Le dirigeant personne physique de la société de droit suisse est condamné en responsabilité pour insuffisance d'actif par une cour d'appel aux motifs, d'une part, que l'article L 225-20 du Code de commerce, qui impose à l'administrateur personne morale d'une société anonyme de désigner un représentant permanent, ne s'applique pas à la SAS et, d'autre part, que le dirigeant personne physique de la société dirigeante ne peut qu'avoir également la qualité de dirigeant de droit de la SAS, en application de l'article L 227-7 du même Code, selon lequel les dirigeants de la personne morale dirigeante d'une SAS encourent les mêmes responsabilités que s'ils étaient dirigeants en leur nom propre. Le dirigeant condamné ne l'a néanmoins pas entendu ainsi dans la mesure où les statuts de la SAS stipulaient que sa personne morale présidente avait désigné un représentant permanent autre que lui-même, ce que n'avait pas recherché la cour d'appel. Dès lors, en cette situation, seul ce représentant permanent devait être considéré comme dirigeant de droit au sens de l'article L. 651-2 du Code de commerce. La chambre commerciale donne raison au pourvoi, en cassant l'arrêt d'appel. Après avoir rappelé qu'il résulte de l'article L. 651-1 du Code de commerce que la responsabilité pour insuffisance d'actif encourue au titre de l'article L. 651-2 du même code est applicable aux personnes physiques représentants permanents des dirigeants personnes morales, elle énonce que « lorsqu'une société par actions simplifiée est dirigée par une personne morale qui a désigné un représentant permanent conformément aux statuts de cette société, la personne physique dirigeant cette personne morale ne peut voir sa responsabilité pour insuffisance d'actif engagée si elle n'a pas également la qualité de représentant permanent ».

C’est désormais très clair : la désignation comme représentant permanent, en application d'une clause statutaire, d'une personne autre que le représentant légal exclut toute responsabilité pour l'insuffisance d'actif de ce dernier. Dès lors, si un représentant permanent a été nommé, c'est lui qui sera potentiellement poursuivi en responsabilité pour insuffisance d'actif. En revanche, lorsqu'aucun représentant permanent n'aura été nommé ou bien qu'une telle nomination n'aura pas été prévue par les statuts, c'est le dirigeant personne physique de la personne morale dirigeante qui pourra voir sa responsabilité engagée pour insuffisance d'actif.

Dans ces conditions, la nomination d'un représentant permanent ne peut qu'être conseillée puisque celui-ci fait figure de « pare-feu » à la responsabilité du dirigeant de la personne morale dirigeante de la SAS (T. Favario, note préc.). Mieux, si le représentant permanent n'est pas le représentant légal de la SAS, ce dernier peut bénéficier d’une immunité.

Toutefois, ce pare-feu est-il total et cette immunité est-elle absolue ? Sans doute que non, et ce, en raison tant de la notion de direction de fait (Cass. com., 3 octobre 2000, n° 96-15.514 : Bull. Joly Sociétés janv. 2001, p. 24, note P. Le Cannu pour une SA où la désignation d'un représentant permanent est obligatoire) que de celle de fraude, notions qui peuvent permettre d’atteindre, in fine, le dirigeant, qui peut même voir sa responsabilité civile engagée pour faute sur le fondement du droit commun ou du droit des sociétés (Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-11.533, D. 2000, p. 227 ; RTD com. 2000. p. 655, obs. C. Champaud et D. Danet ; RTD com. 2001, p. 452, obs. C. Champaud et D. Danet).

Bastien Brignon

 

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