DROIT

TRIBUNE. La réforme du régime de péremption d’instance est attendue par les professionnels !

TRIBUNE. La réforme du régime de péremption d’instance est attendue par les professionnels !
Publié le 25/05/2024 à 10:50

La péremption d’instance est un moyen de défense nécessaire et efficace que les praticiens manipulent régulièrement, mais force est de constater que son régime juridique est compliqué et source d’insécurité juridique. La réforme annoncée, si elle permet de clarifier les choses et de combler les lacunes de ce régime juridique, est donc la bienvenue, estime Aurélien Gazel, counsel chez Swift Litigation.

Empruntée au latin peremptio, « destruction », la péremption est définie comme l’« anéantissement d’un acte ou perte d’un droit qui résulte de l’expiration d’un délai déterminé ou du non-exercice de ce droit pendant un certain temps »[1].

Juridiquement, il s’agit d’un incident d’instance régit par les articles 386 à 393 du Code de procédure civile ayant pour effet d’éteindre l’instance. L’article 386 du Code de procédure civile dispose ainsi que « L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ».

Un moyen de défense nécessaire et efficace

Applicable devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile[2], commerciale, sociale, rurale ou prud'homale[3] ainsi que devant le Juge de l’exécution[4], la péremption, qui a « pour objet de sanctionner le défaut de diligence des parties »[5], est un moyen de défense nécessaire et efficace que les avocats contentieux invoquent régulièrement.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, les « délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d’accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes : garantir la sécurité juridique en fixant un termes aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé »[6].

Il est donc admis que la péremption d’instance, qui tire les conséquences de l’absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l’affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l’instance s’achève dans un délai raisonnable, « ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable »[7].

Nécessaire donc, la péremption d’instance est au surplus très efficace car elle emporte « extinction de l’instance sans que l’on puisse jamais opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir »[8]. L’instance périmée se trouve ainsi dépourvue de tout effet interruptif de prescription[9] ce qui constitue un redoutable effet. A cet égard, il sera souligné que la péremption d’un simple commandement valant saisie immobilière en application de l'article R. 321-20 du Code des procédures civiles d’exécution est moins sévère puisqu’elle n'a pas pour conséquence d'anéantir l'effet interruptif de prescription attaché à la délivrance de ce commandement[10]. Cette différence de traitement s’explique par le fait que l’article 2243 du Code civil ne concerne que l’effet interruptif de prescription attaché à la demande en justice…

… mais un régime toutefois source d’insécurité juridique

Le régime de la péremption n’est toutefois pas aisé à maîtriser et est donc source de confusion et d’insécurité juridique. C’est pourquoi la profession est actuellement favorable à une réforme de la péremption pour que cette sanction reste équilibrée[11]. La jurisprudence antérieure au revirement du 7 mars 2024 conduisait en effet à ce que des parties qui avaient respecté l’ensemble des délais impératifs des décrets « Magendie » puissent se voir « opposer la péremption d’instance tant que le conseiller de mise en état n’avait pas fixé leur affaire, par l’effet de l’allongement dramatique des délais de procédure »[12], ce qui était particulièrement sévère et injuste.

Malheureusement le décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile n’a pas modifié le régime de la péremption. Cette situation a conduit la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir sollicité l’analyse du CNB en qualité d’amicus curiae, à opérer un revirement de jurisprudence par quatre arrêts remarqués du 7 mars 2024[13].

Les 4 arrêts du 7 mars 2024, revirement bienvenu mais insuffisant

Elle juge ainsi que « selon les articles 2, 386, 908, 909, 910-4 et 912 du code de procédure civile, ces quatre derniers dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en matière de procédure d'appel avec représentation obligatoire, lorsqu'elles ont accompli, conformément notamment aux dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'ensemble des charges leur incombant dans les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs prétentions respectives, les parties n'ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l'affaire, la direction de la procédure leur échappant alors au profit du conseiller de la mise en état. Il en résulte qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière ».

Cette solution est naturellement bienvenue mais – ainsi que l’Association Droit et Procédure l’a justement relevé – sa « transposition à la procédure de première instance reste incertaine en l’état des textes »[14]. Ce revirement est ainsi loin de régler toutes les difficultés et met en outre en exergue les difficultés rencontrées sur le terrain liées à l’absence de moyens suffisants de la justice qui conduit à un allongement tout à fait anormal et préjudiciable pour les justiciables des délais de procédure.

Ce revirement de jurisprudence salutaire n’est donc pas suffisant, le régime juridique de la péremption méritant encore d’être modifié.  Une nouvelle réforme est ainsi à l’étude et la Direction des affaires civiles et du Sceau a annoncé au second semestre 2024 un autre décret (« Magicobus 2024-2 ») – du nom du bus magique d’Happy Potter - portant diverses mesures de simplification de la procédure civile actuellement au stade de projet, qui doit notamment modifier le régime de la péremption d’instance[15].

Les praticiens attendent le décret Magicobus-2

Ce projet de décret est censé consacrer la jurisprudence selon laquelle la péremption ne peut plus être opposée aux parties après la clôture des débats[16] et prévoir que le délai de péremption ne court plus à compter de la demande de clôture ou de fixation de l’affaire à l’audience des plaidoiries faite par une partie. Le refus de clôture ou de la fixation par le juge de la mise en état ferait courir un nouveau délai de péremption[17], ce qui est évidemment souhaitable.

Les praticiens attendent par conséquent la version définitive du décret à intervenir et son entrée en vigueur, car, pour l’heure, si les conditions de la péremption d’instance sont bien identifiées, il n’en est pas exactement de même des causes d’interruption de la péremption alors que les effets de la péremption d’instance sont particulièrement redoutables.

Si le principe même de la péremption est nécessaire, comme évoqué précédemment, il convient toutefois d’éviter de basculer dans un « excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès »[18], d’autant qu’en cas de péremption d’instance, la responsabilité de l’avocat qui a fait preuve de négligence est évidemment susceptible d’être engagée. Les effets de la péremption d’instance étant redoutables, son régime juridique mérite d’être clarifié.

Le CNB veut aller plus loin

Le projet de décret Magicobus-2 va ainsi dans le bon sens mais le CNB a de son côté proposé d’aller plus loin en demandant d’une part, à ce que « le délai de péremption de l’instance ne court plus à compter de l’ordonnance de clôture ou de la fixation de l’affaire » et d’autre part, que l’article 386 du CPC soit modifié comme suit « l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit les diligences expressément mises à sa charge pendant deux ans »[19].

Il est vrai qu’une telle formulation serait plus équitable en ce que la péremption ne sanctionnerait plus que le praticien effectivement défaillant. Il n’est pas certain que cette proposition soit adoptée tant la tendance de ces dernières années est hélas d’ajouter de plus en plus d’obligations à la charge des avocats, qui certes portent la robe mais ne possèdent pour autant pas de baguette magique !

Aurélien Gazel

Counsel, Swift Litigation



[1] Dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition, 2022, définition de la péremption

[2] Les dispositions du CPC relatives à la péremption de l'instance ne sont en revanche pas applicables à l'action civile exercée par la victime devant la juridiction pénale (Civ. 2, 20 mai 1992, n°90-15496)

[3] Article 749 du CPC

[4] Article R121-5 du CPCE

[5] Com. 9 novembre 2004, n°01-16726

[6] CEDH, STUBBINGS ET AUTRES c. ROYAUME-UNI, 22 octobre 1996, 22083/93 & 22095/93, §51-52 et Civ. 2, 21 décembre 2023, n°21-2034

[7] Civ. 2, 16 décembre 2016, n°15-27917

[8] Article 389 du CPC

[9] L’article 2243 du Code civil dispose que « L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée »

[10] Civ. 2, 1er février 2018, n°1624732

[11] Le CNB qui a été consulté début juin 2023 sur le projet de décret portant réforme de la procédure d’appel avait indiqué que la profession souhaite une modification de l’article 386 du Code de procédure civile pour « prévoir que la péremption ne court pas tant que le conseiller de la mise en état n’a pas fixé l’affaire » . Lexis Nexis, Projet de décret portant réforme de la procédure d’appel : le compte n’y est pas pour le CNB – 17/07/2023

[12] Rapport d’information de la Commission des textes (AG du 19/01/2024) du CNB sur le Décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile

[13] Civ. 2, 7 mars 2024, n°21-19475, 21-19761, 21-20719 et 21-23230

[14] Flash Info du 18 mars 2024 de l’Association Droit et Procédure : Péremption, arrêt du 7 mars 2024, n°21-23230.

[15] Projet de décret portant diverses mesures de simplification de la procédure civile – CNB Commission des textes (AG 02/02/2024)

[16] Civ. 2, 17 mars 1986, n°84-14726

[17] Le projet de décret prévoit l’insertion d’un nouvel article 799-1 dans le CPC qui disposerait que :

« Le délai de péremption de l’instance ne court plus à compter de l’ordonnance de clôture.  Un nouveau délai court si l’ordonnance est révoquée.

Lorsque la clôture de l’instruction ou la fixation de l’affaire à l’audience des plaidoiries est demandée par une partie, le délai de péremption ne court plus à compter de cette demande. Si le juge de la mise en état refuse de clore l’instruction ou de fixer l’affaire, un nouveau délai de péremption court à compter de l’avis donné aux avocats de ce refus », étant souligné qu’une disposition similaire serait insérée aux articles 906-5 nouveau du CPC et 914-1 du CPC ainsi que dans le nouvel article R1454-19-5 du Code du travail.

[18] CEDH, 9 juin 2022, Xavier Lucas c France n°15567/20

[19] Projet de décret portant diverses mesures de simplification de la procédure civile – CNB Commission des textes (AG 02/02/2024)

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