DROIT

TRIBUNE. Non, la proposition de loi sur les fraudes en matière artistique ne constitue "pas [une] surenchère répressive gratuite"

TRIBUNE. Non, la proposition de loi sur les fraudes en matière artistique ne constitue
Publié le 07/04/2023 à 14:37

Face à certaines critiques ayant accueilli la proposition de loi sénatoriale du 16 mars 2023 portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, Gérard Sousi, président de l’Institut Art & Droit, et Yves Mayaud, vice-président de l’Institut Art & Droit, livrent un billet qui prend la défense d’un texte « clair, précis, bien rédigé, [répondant] en tous points à l’objectif recherché » et souligne que « [contrairement à ce qui lui est reproché,] tout ne devient pas répréhensible, et tous les acteurs du monde de l’art ne deviennent pas des suspects ».

Qui peut encore contester le développement, depuis plusieurs années, du nombre de faux et de fraudes constatées et dénoncées dans le marché de l’art ? Médias grand public en font régulièrement étalage et il n’est nul besoin ici de les évoquer. Quant aux revues spécialisées, elles ne manquent pas de commentaires pour vilipender les auteurs de ces méfaits, appelant par la même à de plus fortes sanctions.

Qui peut encore contester que notre arsenal pénal actuel comporte, selon l’expression en vogue, « des trous dans la raquette », et qu’il est inhabile à sanctionner toutes les formes de fraudes, au demeurant de plus en plus sophistiquées ? Certainement pas les juristes de profession, si l’on en croit leurs travaux et leurs demandes d’instruments répressifs sinon propres à éradiquer le fléau de la fraude, du moins à l’endiguer davantage.

Faut-il, en effet, rappeler les travaux du colloque de la Cour de cassation du 17 novembre 2017 au cours duquel, procureur général en tête, magistrats, Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), professeurs de droit, musées ont fait le constat de l’inadaptation, notamment, de la loi du 9 février 1895 relative aux fraudes en matière artistique (dite loi Bardoux) et de la nécessité de sa réforme ? Ceux menés par l’Institut Art et Droit de 2018 à 2022 (groupe de travail, colloque, publications, projet de proposition de loi), lesquels ont conduit au même constat et à la même demande de réforme de la loi Bardoux ?

Faut-il enfin rappeler les travaux en cours du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique sur le sujet et dont on attend le rapport ainsi que la position de la ministre de la Culture très favorable à une telle réforme, la considérant comme nécessaire ?

Certes, en l’espèce, nécessité ne fait pas loi, mais elle l’appelle.

Or, il se trouve qu’opportunément, le législateur, dont on critique souvent la lenteur de réaction voire l’immobilisme, s’est montré ouvert à la question. Le sénateur Bernard Fialaire a déposé le 5 décembre 2022 une proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique. Après passage en commission de la Culture du Sénat, la proposition fut adoptée par ce dernier à l’unanimité, le 16 mars 2023.

Cette proposition, aujourd’hui à l’examen de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, est juridiquement claire, précise, bien rédigée et répond en tous points à l’objectif recherché. N’est-elle pas nourrie de la compétence de l’équipe du sénateur, de celle des services du Sénat, de celle des personnalités auditionnées... et des travaux de l’Institut Art & Droit ?

Pourtant cette proposition de loi n’a pas les faveurs de tout le monde hors des prétoires de la République. Un billet d’humeur paru dans la Gazette Drouot du 31 mars 2023 en témoigne. Le ton et le fond répondent parfaitement à ce type d’exercice, tout en étant une invitation à prolonger le débat sur cette thématique essentielle. Il y est question de « catastrophe », de peines « extrêmement lourdes », d’une définition « extensive » de l’infraction, de « confusion juridique », de motivation « difficilement compréhensible »… Bref ! une entreprise apparemment vouée à l’échec, et surtout « menaçante » pour « l’ensemble du monde de l’art », parce que mal inspirée et mal construite.

À tant de défauts, nous répondrons d’abord que l’intervention du législateur en droit pénal est fondée sur un double principe constitutionnel : la nécessité et la proportionnalité. Une nécessité dictée par le besoin d’une réponse dans le domaine investi, ce qui est précisément le cas relativement aux fraudes concernées, les qualifications existantes (tromperie, escroquerie, recel, blanchiment…), contrairement aux affirmations de l’auteur du billet pré-cité, se révélant inadaptées à la spécificité des actions méritant d’être sanctionnées. Les travaux du Sénat l’ont démontré et font preuve, non d’une surenchère répressive gratuite, mais d’une approche raisonnable et raisonnée de ce que le marché de l’art, malheureusement, suscite de délinquance nouvelle, en rupture avec les pratiques du XIXe siècle.

Quant à la proportionnalité, elle se veut au service de la mesure, elle-même à la hauteur de l’existant, comme le prouve, par exemple et à l’évidence, la comparaison des peines retenues, et abusivement critiquées, avec celles de l’escroquerie, ce délit étant pourtant revendiqué comme un modèle à suivre. L’adoption d’un texte, quel qu’il soit, n’est pas le produit de la fantaisie, qui ferait négliger ces deux impératifs, sauf à prendre le risque d’une censure constitutionnelle, ce qui n’a jamais été l’objectif premier du législateur…

Sur les illustrations proposées par le rédacteur du billet pré-cité, destinées à faire craindre le pire, sous couvert de qualifications pénales dénoncées comme trop ouvertes, elles rejoignent difficilement la pertinence. Contrairement à ce qui est volontiers présenté, tout ne devient pas répréhensible, et tous les acteurs du monde de l’art ne deviennent pas des suspects : seuls des manquements participant d’une délinquance affirmée sont en cause, appuyée par une intention de fraude bien établie. La négligence, la simple défaillance sont étrangères au débat, et on ne saurait douter de la compétence de nos magistrats qui, loin de se laisser dominer « par l’existence d’une voix discordante », sauront donner aux faits leur juste dimension juridique, et être ainsi à l’origine d’une solide jurisprudence.

L’émotion n’est pas détachable de l’art, qui a inspiré tant de chefs-d’œuvre ! En revanche, elle est hors sujet lorsqu’il s’agit de faire état de l’objectivité d’une réforme…

 

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