Face à
certaines critiques ayant accueilli la proposition de loi sénatoriale du 16
mars 2023 portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en
matière artistique, Gérard Sousi, président de l’Institut Art & Droit, et
Yves Mayaud, vice-président de l’Institut Art & Droit, livrent un billet qui
prend la défense d’un texte « clair, précis, bien rédigé, [répondant]
en tous points à l’objectif recherché » et souligne que « [contrairement
à ce qui lui est reproché,] tout ne devient pas répréhensible, et tous les
acteurs du monde de l’art ne deviennent pas des suspects ».
Qui
peut encore contester le développement, depuis plusieurs années, du nombre de faux
et de fraudes constatées et dénoncées dans le marché de l’art ? Médias
grand public en font régulièrement étalage et il n’est nul besoin ici de les
évoquer. Quant aux revues spécialisées, elles ne manquent pas de commentaires
pour vilipender les auteurs de ces méfaits, appelant par la même à de plus
fortes sanctions.
Qui peut
encore contester que notre arsenal pénal actuel comporte, selon l’expression en
vogue, « des trous dans la raquette », et qu’il est inhabile à
sanctionner toutes les formes de fraudes, au demeurant de plus en plus
sophistiquées ? Certainement pas les juristes de profession, si l’on en croit
leurs travaux et leurs demandes d’instruments répressifs sinon propres à
éradiquer le fléau de la fraude, du moins à l’endiguer davantage.
Faut-il,
en effet, rappeler les travaux du colloque de la Cour de cassation du 17
novembre 2017 au cours duquel, procureur général en tête, magistrats, Office
central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), professeurs de
droit, musées ont fait le constat de l’inadaptation, notamment, de la loi du 9
février 1895 relative aux fraudes en matière artistique (dite loi Bardoux) et
de la nécessité de sa réforme ? Ceux menés par l’Institut Art et Droit de
2018 à 2022 (groupe de travail, colloque, publications, projet de proposition
de loi), lesquels ont conduit au même constat et à la même demande de réforme
de la loi Bardoux ?
Faut-il
enfin rappeler les travaux en cours du Conseil supérieur de la propriété littéraire
et artistique sur le sujet et dont on attend le rapport ainsi que la
position de la ministre de la Culture très favorable à une telle réforme, la
considérant comme nécessaire ?
Certes,
en l’espèce, nécessité ne fait pas loi, mais elle l’appelle.
Or,
il se trouve qu’opportunément, le législateur, dont on critique souvent la
lenteur de réaction voire l’immobilisme, s’est montré ouvert à la question. Le sénateur
Bernard Fialaire a déposé le 5 décembre 2022 une proposition de loi portant
réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique. Après
passage en commission de la Culture du Sénat, la proposition fut adoptée par ce
dernier à l’unanimité, le 16 mars 2023.
Cette
proposition, aujourd’hui à l’examen de la commission des Affaires culturelles
de l’Assemblée nationale, est juridiquement claire, précise, bien rédigée et répond
en tous points à l’objectif recherché. N’est-elle pas nourrie de la compétence
de l’équipe du sénateur, de celle des services du Sénat, de celle des
personnalités auditionnées... et des travaux de l’Institut Art &
Droit ?
Pourtant
cette proposition de loi n’a pas les faveurs de tout le monde hors des
prétoires de la République. Un billet d’humeur paru dans la Gazette Drouot
du 31 mars 2023 en témoigne. Le ton et le fond répondent parfaitement à ce type
d’exercice, tout en étant une invitation à prolonger le débat sur cette
thématique essentielle. Il y est question de « catastrophe »,
de peines « extrêmement lourdes », d’une définition « extensive »
de l’infraction, de « confusion juridique », de motivation « difficilement
compréhensible »… Bref ! une entreprise apparemment vouée à l’échec,
et surtout « menaçante » pour « l’ensemble du monde de
l’art », parce que mal inspirée et mal construite.
À
tant de défauts, nous répondrons d’abord que l’intervention du législateur en
droit pénal est fondée sur un double principe constitutionnel : la nécessité et
la proportionnalité. Une nécessité dictée par le besoin d’une réponse dans le
domaine investi, ce qui est précisément le cas relativement aux fraudes
concernées, les qualifications existantes (tromperie, escroquerie, recel,
blanchiment…), contrairement aux affirmations de l’auteur du billet pré-cité,
se révélant inadaptées à la spécificité des actions méritant d’être
sanctionnées. Les travaux du Sénat l’ont démontré et font preuve, non d’une
surenchère répressive gratuite, mais d’une approche raisonnable et raisonnée de
ce que le marché de l’art, malheureusement, suscite de délinquance nouvelle, en
rupture avec les pratiques du XIXe siècle.
Quant
à la proportionnalité, elle se veut au service de la mesure, elle-même à la
hauteur de l’existant, comme le prouve, par exemple et à l’évidence, la
comparaison des peines retenues, et abusivement critiquées, avec celles de
l’escroquerie, ce délit étant pourtant revendiqué comme un modèle à suivre.
L’adoption d’un texte, quel qu’il soit, n’est pas le produit de la fantaisie,
qui ferait négliger ces deux impératifs, sauf à prendre le risque d’une censure
constitutionnelle, ce qui n’a jamais été l’objectif premier du législateur…
Sur
les illustrations proposées par le rédacteur du billet pré-cité, destinées à
faire craindre le pire, sous couvert de qualifications pénales dénoncées comme
trop ouvertes, elles rejoignent difficilement la pertinence. Contrairement à ce
qui est volontiers présenté, tout ne devient pas répréhensible, et tous les
acteurs du monde de l’art ne deviennent pas des suspects : seuls des
manquements participant d’une délinquance affirmée sont en cause, appuyée par
une intention de fraude bien établie. La négligence, la simple défaillance sont
étrangères au débat, et on ne saurait douter de la compétence de nos magistrats
qui, loin de se laisser dominer « par l’existence d’une voix
discordante », sauront donner aux faits leur juste dimension
juridique, et être ainsi à l’origine d’une solide jurisprudence.
L’émotion
n’est pas détachable de l’art, qui a inspiré tant de chefs-d’œuvre ! En
revanche, elle est hors sujet lorsqu’il s’agit de faire état de l’objectivité
d’une réforme…