CULTURE

TRIBUNE. Rapidité et sécurité des transactions, principes fondamentaux du marché de l'art

TRIBUNE. Rapidité et sécurité des transactions, principes fondamentaux du marché de l'art
Publié le 24/03/2024 à 16:00

Sur un marché, le sens commerce pousserait à mener vite beaucoup de transactions. Celui de la prudence inviterait à prendre le temps de vérifier la légalité de chaque échange. En matière d’art, où placer le curseur entre ces deux objectifs contraires ?

Il n’aura échappé à personne que les biens meubles peuvent circuler physiquement et juridiquement (facture, reçus, certificats, actes sous-seings privés...) alors que les immeubles ne peuvent circuler que juridiquement et avec le formalisme de l’acte notarié.

L’immeuble est immobile comme son nom l’indique, lequel vient du latin « immobilis », traduit par « qui ne bouge pas » ; le terme meuble vient aussi du latin « movibilis » qui est la contraction de movere et mobilis, et se traduit par « qui peut être déplacé ».

Pendant longtemps l’immeuble, et plus précisément « la terre » a constitué, dans un monde rural et agricole le seul patrimoine des familles. Il fallait donc le protéger contre les cessions douteuses et appauvrissantes. C’est le droit civil qui se chargea de cette protection et s’en charge encore aujourd’hui. C’est pour cela qu’il est d’usage de dire que le droit civil est le « droit de la richesse immobile ». Pour protéger l’immeuble et son vendeur, quoi de mieux que l’acte notarié, les divers registres, les diagnostics et les délais qui font pester toute personne qui a un jour, vendu ou acheté un immeuble ? La sécurité juridique de la transaction est à ce prix : vérifier demande du temps même si la technologie actuelle donne un peu d’élan à la transaction.

Qu’en est-il des biens meubles ? Ceux que l’on peut appeler les marchandises (dont font partie œuvres d’art, objets de collection et antiquités), vont circuler et vite, entre les mains des marchands (lato sensu). Le but d’un marchand n’est généralement pas d’acheter pour stocker pendant des années, mais d’acheter pour revendre le plus tôt possible ; c’est d’ailleurs la répétition de l’acte d’achat pour revendre qui permet de qualifier juridiquement l’acte de commerce et celui qui l’effectue, de commerçant. Ce dernier a donc besoin de transactions qui puissent se faire très rapidement

La circulation et l’importance des transactions commerciales sont génératrices d’un « marché », ici du marché de l’art.

Ces marchands sont alors soumis au droit commercial (ou plus largement au droit des affaires) et ce droit est dit « droit de la richesse circulante ». Ce droit tend à favoriser davantage la rapidité des transactions.

Cependant, les marchands ont besoin aussi de transactions juridiquement sécurisées, qui ne soient pas remises en cause ; la conciliation des deux principes, rapidité et sécurité s’impose donc.

Rapidité et sécurité des transactions : une conciliation inévitable

Il faut savoir, en droit des affaires en général et en droit du marché de l’art en particulier, concilier les deux principes antagonistes que sont la rapidité des transactions et la sécurité des transactions. Ces deux principes sont autant de nature juridique qu’économique ; ils sont indissociables, inhérents à tout marché commercial, sont incontournables et constituent une « quasi-loi » du marché.

Ces deux principes s’imposent et s’opposent. En effet, la sécurité exige du temps, celui de procéder à de longues vérifications, à des formalités diverses, mais exige aussi des moyens matériels et financiers. Qui va piano, va sano. A l’inverse, la rapidité, elle aussi élément fondamental dans le marché de l’art, va s’exonérer de trop formalisme et de procédures longues et lourdes. Elle peut s’avérer dangereuse en ce qu’elle va conduire à négliger les précautions élémentaires et à occulter les risques générés par la transaction elle-même ou son contexte.

Il convient toutefois de concilier les deux, car l’on n’imagine pas des transactions commerciales dénuées de toute sécurité ou de toute rapidité.

Est alors nécessaire un marché de l’art régulé, transparent, sain et crédible pour attirer la confiance des acheteurs, laquelle fait le bonheur économique des vendeurs. Personne d’ailleurs, aucune profession du marché de l’art, ne revendique une totale absence de régulation, une totale absence d’obligations légales et déontologiques. Une maxime prévaut : « le marchand est une conscience qui accueille une confiance ». Un marché régulé va assurer la sécurité juridique des transactions en empêchant leur éventuelle remise en cause, voire leur nullité. Il évitera également que la transaction effectuée n’entraine des dommages pour les parties ou ne fasse tomber ces dernières sous le coup de la loi pénale. On aura alors recours à des moyens simplifiés et rapides pour assurer la sécurité de la transaction : informations précises données à l’acheteur, interrogation de fichiers, certificats d’expertises, factures…

Mais il faut également un marché dans lequel les biens culturels circulent rapidement, c’est le propre de tout marché.

Quand un marchand dispose de l’objet que veut un client, la transaction doit aller vite, aussi bien pour le vendeur professionnel que pour l’acheteur professionnel ou non.

Le vendeur ne veut pas faire attendre son client par peur de le perdre et veut encaisser rapidement le prix de vente et payer ses propres fournisseurs. De son côté, l’acheteur souhaite être en possession rapidement du bien acquis soit pour le revendre s’il est un professionnel, soit pour en jouir s’il est un collectionneur ou simple amateur.

C’est pour ces raisons qu’un professionnel du marché de l’art ne pourra jamais se satisfaire, pour assurer la sécurité juridique de la transaction, des moyens employés par le droit civil vus ci-dessus et qui sont autant de ralentisseurs de transactions. La vitesse est limitée en droit civil et débridée en droit commercial.

Admise la nécessité de conjuguer les deux principes, se pose alors la question de savoir quel poids donner à l’un et à l’autre ; c’est une question de dosage, de recherche d’un équilibre vertueux.

Rapidité et sécurité des transactions : un équilibre nécessaire

Il faut ici un savant dosage et surtout une bonne connaissance des métiers et de la pratique des professionnels du marché de l’art pour mettre le curseur de la balance au bon endroit.

Si l’on met trop l’accent sur la rapidité, la sécurité disparait et génère des risques déjà évoqués, celui de ne pas respecter les obligations légales imposées, celui de la nullité de la vente, celui de sanctions pénales, fiscales ou douanières notamment.

Mais si l’on privilégie la sécurité des transactions par la mise à charge des marchands de trop nombreuses obligations au nom de la régulation du marché de l’art, si l’on institue ici ou là le renversement de la charge de la preuve, si les lois font des marchands d’art des auxiliaires des instances de contrôle et de répression, alors les risques sont évidents : c’est la cessation d’activité imposée à certains et l’extraterritorialité salvatrice choisie par d’autres.

Quelle est la situation aujourd’hui ? A quel endroit précis est placé le curseur entre principe de rapidité et principe de sécurité des transactions ?

Il nous semble, mais nombre de professionnels du marché de l’art en sont certains pour le vivre tous les jours, que le curseur est mal placé et que la balance penche davantage coté sécurité par l’effet d’obligations trop pesantes et inadaptées à leurs professions.

Alors pourquoi tant d’obligations ? Difficile de ne pas voir un lien de causalité entre la charge des d’obligations et l’excès d’affirmations péremptoires qui courent depuis longtemps à propos du marché de l’art ! S’appuyant sur des chiffres contradictoires, sur des montants arbitraires et sur quelques affaires surmédiatisées, sont dénoncés régulièrement les maux présumés d’un marché qui serait par nature criminogène : opacité, insuffisance de régulation, porosité au blanchiment et au trafic de biens culturels, et contribution au financement du terrorisme et au trafic d’armes.

Mais d’obligations, point trop n’en faut, surtout de celles qui compliquent et paralysent, celles qui sont inadaptées à la profession ou à la taille de l’entreprise concernée et qui, de surcroit, coûtent cher quand elles ne sont pas matériellement impossibles à exécuter. Entre trop d’obligations et pas d’obligation du tout, il y a un équilibre à atteindre.

Le marchand d’art au sens large, est d’abord tenu des obligations générales qui pèsent sur tout vendeur dans un contrat de vente : obligations d’information et de conseil, de délivrance de la marchandise, de garantie contre les vices cachés et la non-conformité…

En outre, ce même marchand est astreint à des obligations supplémentaires spéciales, dictées par le fait que ses transactions relèvent du marché de l’art.

Ce marchand d’art sera alors tenu de participer à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : obligations posées par la Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme… » telle que modifiée par la 5? Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil.

Les obligations imposées par ce texte figurent désormais dans le Code monétaire et financier, notamment, (voir notamment, l’article L.561-2, 10°).

Il devra ainsi rechercher l’identité du bénéficiaire effectif de la transaction, la provenance du bien et des fonds et s’assurer de l’authenticité du bien objet de la transaction.

Ce n’est pas tout. Le Règlement (UE) 2019/880 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019, concernant l’introduction et l’importation de biens culturels (applicable, pour celles de ses dispositions qui entrent dans notre propos, au plus tard le 28 juin 2025) va lui imposer de nouvelles obligations destinées à renforcer la lutte contre le trafic international de biens culturels.

Pour importer certains biens culturels, les marchands devront présenter une licence d‘importation. À cette fin, ils devront faire une demande accompagnée des pièces et des informations attestant que les biens culturels en question ont été exportés conformément aux dispositions législatives et réglementaires édictées par le pays d’où sont exportés lesdits biens. À défaut d’exécution de leurs obligations, les marchands sont promis à des sanctions que le règlement veut « effectives, proportionnées et dissuasives ».

Pour satisfaire chacune de ces obligations, les marchands devront procéder à certain nombre de recherches et formalités et donc y consacrer efforts, moyens matériels et temps. Pourront-ils tous faire face à ces contraintes ?

À l’heure où la diminution du nombre de normes et formalités est promise aux agriculteurs, les professionnels du marché de l’art subissent l’inverse et ont, de ce fait, saisi les pouvoirs publics. Verront-ils leurs difficultés prises en compte ? Leurs demandes satisfaites ?

Pour obtenir gain de cause, les agriculteurs ont des tracteurs, les professionnels du marché de l’art n’ont à leur disposition que des tractations….

Gérard Sousi
président de l’Institut Art & Droit

0 commentaire
Poster
art

Nos derniers articles