Ghizlane Loukili, docteure en droit du numérique, se penche au sein de
cette tribune sur l’opportunité que représentent les jetons non fongibles dans
le secteur des assurances, bien que se pose la question de
« l’assurabilité » des NFT.
Même si
des acteurs diversifiés se lancent dans les NFT, les contours de ces derniers
restent difficiles à délimiter, et les questions soulevées par leur
développement sont encore nombreuses.
En leur
qualité de porteurs de risques, les assureurs les regardent comme une
potentielle nouvelle « matière assurable », mais les jetons suscitent
également de l’intérêt en raison des différentes potentialités qu'ils
pourraient offrir à leurs activités d’assureurs. Reste cependant la question de
l’assurabilité du NFT.
Le
développement et la pérennité de ce marché vont en partie dépendre de la
faculté des juristes à rassurer ses détenteurs pour lesquels les NFT
constituent souvent, et peut-être avant tout, un support d'investissement.
La mise en place de la confiance dans les jetons non fongibles par l’intermédiaire de
l’assurance apparaît comme un renfort pertinent à plusieurs égards.
Un outil renforçant l’efficience du domaine des assurances dans le
monde réel
La
technologie blockchain sur laquelle reposent les NFT est présentée
comme une révolution comparable à celle d'Internet, il est donc logique que les
assureurs s'intéressent aux applications pouvant en résulter pour leurs
propres activités. En effet, une fois tous les obstacles techniques levés,
et notamment celui concernant le tiers de confiance, la blockchain pourrait
également constituer un précieux certificat de détention afin d’assurer
une meilleure traçabilité et une optimisation de l’authentification. Le
NFT deviendra donc un outil en faveur des assureurs.
Plusieurs
constructeurs ont déjà annoncé vouloir associer leurs véhicules à un NFT
contenant l'ensemble des données du véhicule. Une première étape pour une intégration
« secure » de l’assurance dans le monde des NFT est
une couverture sélective. Ainsi, seuls les NFT on chain seront
assurés, autrement dit ceux dont l’intégralité du jeton vit sur la blockchain,
et donc qui présentent moins de risques.
Un outil renforçant l’efficience du domaine des assurances dans le
monde virtuel
Depuis 2021, les néoassureurs hongkongais
YAS MicroInsurance proposent des produits de micro-assurance pour couvrir les
propriétaires de NFT contre le vol et la perte de ces objets numériques.
Dans le domaine des assureurs, le NFT
peut être d’un grand renfort sur le volet prévention et
couverture, mais aussi sur le volet fidélisation de leur activité.
La technologie blockchain sur
laquelle les jetons reposent permet déjà une accélération des indemnisations et
une réduction des coûts de gestion grâce aux contrats intelligents qui
présentent la faculté de pouvoir s'exécuter automatiquement, sans
l'intervention d'un tiers, dès lors que survient un événement.
À terme, le développement progressif
de l'assurance paramétrique ou indicielle permettrait de se dispenser
de l'expert et de garantir une indemnisation forfaitaire rapide de l'assuré.
L’assureur du futur sera dans le métavers. Ainsi, dans le cadre de développement
de nouveaux services numériques pour proposer l'assurance du futur, l'assurance
de demain pourra s’en servir. Ce canal de distribution additionnel semble
désormais difficilement contournable, comme en témoigne l’exemple de l’assureur
sud-coréen Heungkuk Life Insurance ayant rejoint l’alliance
coréenne du métavers, qui a pour objectif de créer un métavers national.
Des lacunes juridiques à combler
La question de son assurabilité - autrement dit, « qu’est
ce qui est assuré concrètement dans le cas du NFT ? », ou encore, « quel
est l’objet de l’assurance ? » - est une question plus que complexe qui
se subdivise en droit en deux grands niveaux de questionnements.
Ainsi, à la question « qu’est ce qui est susceptible d’être
assuré ? », il apparaît évident que cette question doit être précédée
d’un prérequis, à savoir la définition de la notion de NFT. Elle doit définir
ces composantes et son fonctionnement. Une fois cet ensemble bien intégré
juridiquement, la seconde étape est donc envisageable.
La seconde question est une question corollaire à celle des
contours, mais également aux différents obstacles susceptibles de se dresser
pour couvrir les risques associés à ce nouveau type d'actifs.
Les jalons de « la matière assurable »
L'absence de recul des assureurs concernant l'objet assurable
est une réalité à déplorer qui rend d'autant plus difficile de prétendre à
l’assurabilité pour ceux qui le souhaiteraient, situation qui, de facto, accroît
les difficultés à dresser les contours de la matière assurable.
En effet, le jeton non fongible est difficile à qualifier avec
exactitude, même si ses caractéristiques le rapprochent d'un titre de droit.
Un raisonnement en deux temps peut être adopté en ce qui
concerne le NFT, pour en extraire la matière assurable : ce qu’il est et
ce qu’il n’est pas.
Un premier rapport rendu par le Conseil supérieur de la
propriété littéraire et artistique (CSPLA), publié le 12 juillet 2022, souligne
que les NFT ne seraient pas compatibles avec ce domaine. En effet, pour ses
rapporteurs, les NFT ne peuvent s'apparenter, sauf exception « ni à une
œuvre d'art au sens du Code de la propriété intellectuelle, son smart contract
ne pouvant, en l'état des capacités techniques observables, contenir le fichier
sous-jacent dans la blockchain [...], ni à un certificat d'authenticité, en
l'absence de tout tiers vérificateur de l'authenticité du fichier associé ou de
sa paternité ». L'absence de droits patrimoniaux sur l'œuvre numérique
associée pourrait fortement perturber le marché déjà fragile des NFT.
L'acquéreur se voit uniquement conférer un droit d'usage,
assorti de droits d'utilisation commerciale variables, ce qui peut paraître
relativement peu au regard de la somme souvent très importante déboursée lors
de l'acquisition et qui rend de ce fait la couverture assurantielle de ce type
de détention moins pertinente en l'absence de copyright.
La volonté des détenteurs de NFT d’être assurés est une question
importante. En sondant l’esprit de ces derniers, on peut se rendre compte qu’une
philosophie spéculative intégrée existe chez les acquéreurs. Ainsi, la perte de
valeur est un élément assimilé dès le départ.
La question de savoir si les détenteurs de NFT veulent eux-mêmes
s’acquitter d’une prime ayant pour finalité la couverture de certains risques,
s’ils se réalisent, reste entière. Quant à la question du NFT portant sur une
œuvre d’art unique, le raisonnement est autre car l’intérêt de l’assurance est
concret en cas de perte ou de vol.