DROIT

Un Conseil constitutionnel hors-les-murs « pour rendre concret un travail abstrait »

Un Conseil constitutionnel hors-les-murs « pour rendre concret un travail abstrait »
Publié le 07/02/2025 à 08:52

Dans le cadre d’une journée de déplacement hors de son siège parisien, le 4 février 2025, le Conseil constitutionnel s’est établi dans la cour d’appel de Versailles pour une audience publique sur deux questions prioritaires de constitutionnalité. Une manière pour les Sages de la rue de Montpensier de montrer concrètement auprès d’un plus large public leur travail sur les divers sujets dont ils sont saisis.

Depuis 2019, le Conseil constitutionnel se déplace occasionnellement hors de Paris pour mener une audience publique sur des questions prioritaires de constitutionnalité ; un dispositif qui permet de toucher un plus large public : « Des magistrats, des avocats, des enseignants, des étudiants, des élus locaux, le grand public, avec un côté éducation civique. Mais aussi de montrer qui sont les neuf membres du Conseil », indique Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel depuis 2016, interrogé à l’issue de cette audience publique. C’est la 12e du genre menée hors de la rue de Montpensier, siège de l’institution. « C’est rendre concret un travail abstrait », enchérit, pour sa part, Marc Cimamonti, procureur général près la cour d’appel de Versailles.

Droit des animaux

Au programme de cette audience publique, où la salle requise pour cette occasion a été bien remplie, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été traitées. La première concerne la conformité au droit des articles L.413-10 et L.413-11 du Code de l’environnement, relatif à la détention d’animaux non domestiques à des fins de divertissement ; la deuxième concerne la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit dans l’article 145-4-1 alinéa 1 du Code de procédure pénale.

Dans le cadre de la première QPC, Me Lyon-Caen, avocat de l’association One Voice, partie plaignante, plaide pour une intégration du droit des animaux dans le bloc de constitutionnalité, afin « d’interdire l’exercice de mauvais traitements en public envers les animaux ». Et plus précisément, de reprocher au législateur de ne pas avoir étendu « aux cirques fixes » l’interdiction d’exploitation, de détention et d’exposition au public d’animaux sauvages, qui s’applique seulement aux « cirques itinérants ». Citant divers penseurs ou hommes de lettres comme Emmanuel Kant ou Victor Hugo, Me Lyon-Caen tient à souligner auprès des Sages qu’améliorer la dignité des animaux s’inscrit dans la lignée des Lumières, via le principe de dignité humaine et le principe d’égalité, consacré dans la Constitution.

Par ailleurs, il prend appui sur la loi Grammont du 2 juillet 1850 - sous la IIe République -, relative aux mauvais traitements sur les animaux domestiques dans l’espace public, et par conséquent, l’avocat en appelle à une généralisation, montrant une adaptation aux évolutions « sociales et sociétales » de notre époque, comme l’ont fait la Belgique, la Suisse ou le Luxembourg, qui ont inscrit dans leur Constitution la protection animale.

En face, M. Canguilhem, qui représente le gouvernement, rappelle que la loi Grammont n’a pas été votée sous sa version originelle, mais via un amendement limitant le cadre sur uniquement les animaux domestiques. De même, pour marquer l’opposition à la requête formulée par One Voice, le représentant du gouvernement indique que le principe d’interdiction de mauvais traitement des animaux « n’a jamais été entériné par une loi républicaine antérieure à 1946 », car il n’y a pas eu d’interdiction de présence d’animaux sauvages dans les cirques fixes, et la loi ne les interdit dans les cirques itinérants que depuis quelques années.

Enfin, M. Canguilhem rappelle que le principe de dignité, inscrit dans la Constitution, est sur la personne humaine, pas sur les animaux, ni sur la sensibilité. Et si les animaux sont reconnus comme « des êtres vivants doués de sensibilité », ils demeurent, « juridiquement », rangés sous le régime des biens dans le cadre de l’article 515-14 du Code civil. Par conséquent, face à la plaidoirie de Me Lyon-Caen, qui appelle les membres du Conseil Constitutionnel à réhausser le bien-être animal, M. Canguilhem attire l’attention sur les conséquences « vertigineuses » d’une extension du principe de dignité dans le traitement juridique concernant les animaux et au rapport de l’être humain aux choses.

Droit au recours contre l’isolement

Dans le cadre de la deuxième QPC traitée lors de l’audience publique, il est question du droit au recours contre l’isolement dans le cadre de l’article 145-4-1 alinéa 1 du Code de procédure pénale. Me Ansary, avocate de Sébastien R., actuellement en détention, conteste cet alinéa, sous le motif de manque de clarté sur les modalités de traitement du recours contre l’isolement judiciaire et le délai légal de jugement du dit recours. Elle considère que cela n’est pas conforme aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à l’article 66 de la Constitution, relatifs aux libertés individuelles et à la sûreté ; mais aussi à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par rapport au droit « à un recours juridictionnel effectif ».

Pour appuyer son propos, Me Ansary évoque le cas de son client, placé en isolement sous régime de détention provisoire à la suite d’une ordonnance judiciaire du 7 mai 2024. Six jours plus tard, un droit au recours était formé, mais qu’il n’a été transmis qu’au président de la chambre d’instruction que le 25 juin 2024. Un mois plus tard (le 25 juillet 2024), le président de la chambre d’instruction a confirmé l’ordonnance d’isolement. En tout, plus de deux mois d’écart entre le recours posé et la décision prise à ce sujet.

Alors que dans le cadre de la détention provisoire, le Code de procédure pénale prévoit un « bref délai », de l’ordre de 10 à 15 jours, pour statuer sur un recours de mise ou de maintien en détention provisoire, ou de remise en liberté. Mais dans ce cas de non-respect de « délai raisonnable » pour statuer un recours, l’avocate déplore une absence de sanction à l’égard de la chambre d’instruction. Par ailleurs, elle fait remarquer que la mesure d’isolement est une « détention dans la détention ».

« Une prison dans la prison » prolonge ensuite Me Spinosi, représentant de l’Observatoire international des prisons, qui rappelle au passage que la Commission nationale consultative des droits de l’homme qualifie l’isolement de « torture blanche ». Mais qu’est-ce que l’isolement ? Me Spinosi le définit comme une mesure ne permettant aucun rapport social pour un détenu pour un temps indéterminé, le privant de diverses activités (sport, culture, enseignement, travail, etc.). L’avocat appuie son argumentaire sur une décision du Conseil d’État datant de 2003 pour qu’il y ait un recours contre une décision d’isolement et que cela soit contrôlé par un juge dans les plus brefs délais.

Pour le contradictoire, M. Canguilhem affirme que la mesure d’isolement n’est pas une « privation de liberté », seulement une modalité d’exécution de la détention provisoire ; et qu’il s’agit de « séparer le détenu des autres lorsque cela s’avère indispensable ». Toujours est-il, selon Canguilhem, que la fin d’une mesure d’isolement ne signifie pas la fin d’une détention provisoire. Par conséquent, il n’y aurait pas de raison à ce que le délai de décision par rapport à un recours sur une mesure d’isolement soit calqué sur le délai de recours sur une détention provisoire et que l’absence de délai sur l’isolement ne constituerait pas une atteinte au droit au recours juridictionnel effectif.

Les décisions sur ces deux QPC seront rendues par le Conseil Constitutionnel le 14 février prochain. Le déplacement est prévu pour l’occasion : M. Fabius, président du Conseil Constitutionnel, donnera la primauté aux étudiants de l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, avant de rendre son mandat de président de cette institution en mars prochain.

Jonathan Baudoin

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