Dans le
cadre d’une journée de déplacement hors de son siège parisien, le 4 février
2025, le Conseil constitutionnel s’est établi dans la cour d’appel de
Versailles pour une audience publique sur deux questions prioritaires de
constitutionnalité. Une manière pour les Sages de la rue de Montpensier de
montrer concrètement auprès d’un plus large public leur travail sur les divers sujets
dont ils sont saisis.
Depuis
2019, le Conseil constitutionnel se déplace occasionnellement hors de Paris
pour mener une audience publique sur des questions prioritaires de
constitutionnalité ; un dispositif qui permet de toucher un plus large
public : « Des magistrats, des avocats, des enseignants, des étudiants,
des élus locaux, le grand public, avec un côté éducation civique. Mais aussi de
montrer qui sont les neuf membres du Conseil », indique Laurent Fabius,
président du Conseil constitutionnel depuis 2016, interrogé à l’issue de cette
audience publique. C’est la 12e du genre menée hors de la rue de
Montpensier, siège de l’institution. « C’est rendre concret un travail
abstrait », enchérit, pour sa part, Marc Cimamonti, procureur général près
la cour d’appel de Versailles.
Droit
des animaux
Au
programme de cette audience publique, où la salle requise pour cette occasion a
été bien remplie, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont
été traitées. La première concerne la conformité au droit des articles L.413-10
et L.413-11 du Code de l’environnement, relatif à la détention d’animaux non
domestiques à des fins de divertissement ; la deuxième concerne la conformité
aux droits et libertés que la Constitution garantit dans l’article 145-4-1
alinéa 1 du Code de procédure pénale.
Dans le
cadre de la première QPC, Me Lyon-Caen, avocat de l’association One Voice,
partie plaignante, plaide pour une intégration du droit des animaux dans le
bloc de constitutionnalité, afin « d’interdire l’exercice de mauvais
traitements en public envers les animaux ». Et plus précisément, de
reprocher au législateur de ne pas avoir étendu « aux cirques fixes »
l’interdiction d’exploitation, de détention et d’exposition au public d’animaux
sauvages, qui s’applique seulement aux « cirques itinérants ». Citant
divers penseurs ou hommes de lettres comme Emmanuel Kant ou Victor Hugo, Me
Lyon-Caen tient à souligner auprès des Sages qu’améliorer la dignité des
animaux s’inscrit dans la lignée des Lumières, via le principe de dignité
humaine et le principe d’égalité, consacré dans la Constitution.
Par
ailleurs, il prend appui sur la loi Grammont du 2 juillet 1850 - sous la IIe
République -, relative aux mauvais traitements sur les animaux domestiques dans
l’espace public, et par conséquent, l’avocat en appelle à une généralisation,
montrant une adaptation aux évolutions « sociales et sociétales » de
notre époque, comme l’ont fait la Belgique, la Suisse ou le Luxembourg, qui ont
inscrit dans leur Constitution la protection animale.
En face,
M. Canguilhem, qui représente le gouvernement, rappelle que la loi Grammont n’a
pas été votée sous sa version originelle, mais via un amendement limitant le
cadre sur uniquement les animaux domestiques. De même, pour marquer
l’opposition à la requête formulée par One Voice, le représentant du
gouvernement indique que le principe d’interdiction de mauvais traitement des
animaux « n’a jamais été entériné par une loi républicaine antérieure à 1946
», car il n’y a pas eu d’interdiction de présence d’animaux sauvages dans les
cirques fixes, et la loi ne les interdit dans les cirques itinérants que depuis
quelques années.
Enfin,
M. Canguilhem rappelle que le principe de dignité, inscrit dans la
Constitution, est sur la personne humaine, pas sur les animaux, ni sur la
sensibilité. Et si les animaux sont reconnus comme « des êtres vivants doués
de sensibilité », ils demeurent, « juridiquement », rangés sous le
régime des biens dans le cadre de l’article 515-14 du Code civil. Par
conséquent, face à la plaidoirie de Me Lyon-Caen, qui appelle les membres du
Conseil Constitutionnel à réhausser le bien-être animal, M. Canguilhem attire
l’attention sur les conséquences « vertigineuses » d’une extension du
principe de dignité dans le traitement juridique concernant les animaux et au
rapport de l’être humain aux choses.
Droit au
recours contre l’isolement
Dans le
cadre de la deuxième QPC traitée lors de l’audience publique, il est question
du droit au recours contre l’isolement dans le cadre de l’article 145-4-1
alinéa 1 du Code de procédure pénale. Me Ansary, avocate de Sébastien R.,
actuellement en détention, conteste cet alinéa, sous le motif de manque de
clarté sur les modalités de traitement du recours contre l’isolement judiciaire
et le délai légal de jugement du dit recours. Elle considère que cela n’est pas
conforme aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, à l’article 66 de la Constitution, relatifs aux libertés
individuelles et à la sûreté ; mais aussi à l’article 16 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen par rapport au droit « à un recours
juridictionnel effectif ».
Pour
appuyer son propos, Me Ansary évoque le cas de son client, placé en isolement
sous régime de détention provisoire à la suite d’une ordonnance judiciaire du 7
mai 2024. Six jours plus tard, un droit au recours était formé, mais qu’il n’a
été transmis qu’au président de la chambre d’instruction que le 25 juin 2024.
Un mois plus tard (le 25 juillet 2024), le président de la chambre
d’instruction a confirmé l’ordonnance d’isolement. En tout, plus de deux mois
d’écart entre le recours posé et la décision prise à ce sujet.
Alors
que dans le cadre de la détention provisoire, le Code de procédure pénale
prévoit un « bref délai », de l’ordre de 10 à 15 jours, pour statuer sur
un recours de mise ou de maintien en détention provisoire, ou de remise en
liberté. Mais dans ce cas de non-respect de « délai raisonnable » pour
statuer un recours, l’avocate déplore une absence de sanction à l’égard de la
chambre d’instruction. Par ailleurs, elle fait remarquer que la mesure
d’isolement est une « détention dans la détention ».
« Une
prison dans la prison » prolonge ensuite Me Spinosi, représentant de l’Observatoire
international des prisons, qui rappelle au passage que la Commission nationale
consultative des droits de l’homme qualifie l’isolement de « torture blanche
». Mais qu’est-ce que l’isolement ? Me Spinosi le définit comme une mesure ne
permettant aucun rapport social pour un détenu pour un temps indéterminé, le
privant de diverses activités (sport, culture, enseignement, travail, etc.).
L’avocat appuie son argumentaire sur une décision du Conseil d’État datant de
2003 pour qu’il y ait un recours contre une décision d’isolement et que cela
soit contrôlé par un juge dans les plus brefs délais.
Pour le
contradictoire, M. Canguilhem affirme que la mesure d’isolement n’est pas une «
privation de liberté », seulement une modalité d’exécution de la
détention provisoire ; et qu’il s’agit de « séparer le détenu des autres
lorsque cela s’avère indispensable ». Toujours est-il, selon Canguilhem,
que la fin d’une mesure d’isolement ne signifie pas la fin d’une détention
provisoire. Par conséquent, il n’y aurait pas de raison à ce que le délai de
décision par rapport à un recours sur une mesure d’isolement soit calqué sur le
délai de recours sur une détention provisoire et que l’absence de délai sur
l’isolement ne constituerait pas une atteinte au droit au recours
juridictionnel effectif.
Les décisions
sur ces deux QPC seront rendues par le Conseil Constitutionnel le 14 février
prochain. Le déplacement est prévu pour l’occasion : M. Fabius, président
du Conseil Constitutionnel, donnera la primauté aux étudiants de l’université
Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, avant de rendre son mandat de président
de cette institution en mars prochain.
Jonathan Baudoin