Lors de la
3e édition des Rencontres du droit social, l’avocat Stéphane Bloch est
revenu sur les actualités marquantes des derniers mois. L’occasion de jeter un
coup d’œil dans le rétroviseur sur une année riche en évolutions juridiques.
Retracer une
année de droit social en 45 minutes ? C’est « un défi fou » adressé
par la directrice de la rédaction de Décideurs RH, Judith Aquien, à l’avocat
Stéphane Bloch (cabinet Ogletree Deakins), l’actualité du droit social
s’apparentant « à un tapis roulant, à une lessiveuse », juge
l’avocat lors de la troisième édition des Rencontres du droit social, mercredi
2 octobre à l'Inter Continental Paris.
De la nécessité ou non des enquêtes internes
Plutôt qu’un
panorama exhaustif, Stéphane Bloch préfère pointer les apports marquants en la
matière, à l’instar des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, qui
ont fait grand bruit et ont mené la France à se mettre en conformité avec le
droit européen, en matière de droits à l’acquisition de congés payés pendant
les arrêts maladie ; ou encore, une décision « importante » de la chambre sociale de la Cour de cassation du
12 juin 2024 sur la réglementation des enquêtes internes.
Cet arrêt est
venu préciser la jurisprudence : quand un salarié dénonce une situation de
harcèlement moral, l’enquête n’est pas obligatoire. Ce qui l’est, c’est de
prendre des mesures. Et si cette action requise peut s'appuyer sur une enquête,
cela peut aussi passer par d’autre types de moyens : par exemple, à travers un
dialogue managérial, explique-t-il. Ainsi, souligne l’avocat, l’important, pour
l’employeur, c’est de « proportionner
sa réponse au problème qui lui est soumis ».
Au passage, Stéphane
Bloch en profite pour rappeler que le déclenchement d’une enquête interne
n’interrompt pas le délai de deux mois, au terme duquel l’employeur ne pourra
plus engager de poursuites disciplinaires à l’encontre du salarié en cause.
Autrement dit, dans certains cas, l’employeur doit sanctionner avant la fin de
l’enquête, pour rester dans les clous de la réglementation.
L’IA dans le champ social : des algorithmes « complètement
stupides » ?
Un autre sujet
auquel il était difficile d’échapper en 2024, à moins d’être parti « très loin », est bien sûr celui de
l’intelligence artificielle, notamment dans le monde du travail. Pour Stéphane
Bloch, la question la plus intéressante est celle de la potentielle atteinte à
la vie privée et aux libertés fondamentales.
Un sujet animant
des discussions « dans toutes les
DRH » et bien sûr lié à la problématique des discriminations, avec l’exemple
des biais de recrutements constatés chez Amazon. La population exerçant le
métier de livreur y étant traditionnellement principalement composée d’hommes,
le logiciel s’est en effet mis à favoriser les candidatures masculines,
indépendamment des autres critères des candidatures, souligne l’avocat. Et Stéphane
Bloch de commenter : « Pardon,
mais un algorithme est complètement stupide ! ».
« Faut-il encadrer l’IA ? » demande alors candidement Judith Aquien. « Un début de réponse » a été donné avec l’IA Act, adopté par l’Union européenne le 13 juin 2024, « première législation au monde établissant
des règles harmonisées concernant l’IA ». Portant autant sur les
outils que sur leurs usages, ce règlement européen interdit certains outils.
Ainsi, « en juin 2023, le parlement
européen a souhaité que soient catégoriquement interdits les outils
d’intelligence artificielle contrôlant le capital émotionnel, et qui se livrent
à des analyses comportementales ».

L'avocat Stéphane Bloch répondait aux questions de Judith Aquien (Décideurs RH) s'agissant des dernières évolutions juridiques dans le champ social
Ces outils « extrêmement intrusifs dans la personnalité
de l’individu » sont interdits dans le contexte du lieu de travail,
précise Stéphane Bloch. Ce qui laisse « des failles », soumises à interprétation. Enfin, l’IA Act,
au-delà des interdictions, permet d’avoir des outils réglementés, en fonction
de niveaux d’usage. Avec un accent mis sur la protection des données
personnelles et de la vie privée : les utilisateurs doivent pouvoir « être en capacité d’apprécier le niveau de
risque ». Plus le risque est élevé, et plus les procédures de contrôle
sont alors strictes.
Un règlement qui,
rappelle-t-il, a deux ans pour être mis en œuvre. Pour l’avocat, il est « fondamental de comprendre cette
réglementation », et que l’IA soit « appréhendée dans le cadre de la négociation collective ».
Notamment afin de « trouver des
consensus, des modes opératoires, sur la façon dont l’intelligence artificielle
doit être mise en œuvre dans l’entreprise ».
L’évolution jurisprudentielle du droit à la preuve
Autre sujet dans
le viseur de Stéphane Bloch : le droit à la preuve, propre au droit civil
et au droit social. Contrairement au droit pénal, l’obtention d’une preuve de
manière déloyale, par stratagème, y était interdite. L’avocat précise que la
jurisprudence distinguait « les
preuves loyales, sans stratagème, mais illicites car violant la vie privée »,
et celles « illicites mais recevables », car étant dans une
proportionnalité, c’est-à-dire ne pouvant être obtenue par d’autres moyens.
Une distinction qui
s’est avérée contraire au droit de l’Union européenne, ce qui a amené la Cour
de cassation, le 22 décembre 2023, à affirmer, sur la base de deux arrêts, que désormais, « dans un litige civil, une partie puisse
utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière
déloyale pour faire valoir ses droits ».
Etienne Antelme