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INTERVIEW. « Si l’Observatoire international des prisons disparaissait, ce serait une atteinte grave aux droits des prisonniers » alerte Dominique Simonnot

 INTERVIEW. « Si l’Observatoire international des prisons disparaissait, ce serait une atteinte grave aux droits des prisonniers » alerte Dominique Simonnot
La contrôleure générale des lieux de privation de liberté se dit "préoccupée" ©T.Chantegret
Publié le 23/03/2024 à 10:30

Alors que l’avenir de l’OIP est menacé, faute de financements suffisants, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté affirme « ne pas pouvoir imaginer » l’extinction de cette association très active pour les détenus, et appelle le gouvernement à agir.

JSS : L’Observatoire international des prisons (section française) vient de lancer un appel aux dons pour « maintenir ses actions ». Pourquoi est-ce que cette association est importante ? Quelles seraient les conséquences de sa disparition ? 

Dominique Simonnot : Tout simplement car le poids des enquêtes de l’OIP est extrêmement fort. L’association a été créée il y a une petite trentaine d’années : à l’époque déjà, quand j’étais journaliste, elle nous apportait des tas d’informations sur ce qui se passait en prison. Ses responsables de l'époque m’avaient d’ailleurs demandé comment s’améliorer : j’avais répondu qu’il fallait absolument être le plus fiable possible, ne pas se contenter pas des bruits de couloir. L’Observatoire s’est mis à être de plus en plus performant et crédible au fil du temps, et ça, tout le monde le sait. Résultat, aujourd’hui, c’est un véritable argument d’autorité.

Maintenant que je suis au CGLPL, je salue l'action de l’association, qui, aux côtés des avocats, porte nos dossiers, nos rapports devant les tribunaux administratifs. Elle réclame aux juges des changements et améliorations rapides, prison par prison, sous peine d’astreinte financière. C'est un énorme travail alors qu’elle a un nombre de salariés extrêmement réduit par rapport au retentissement qu'elle produit.

En tant que contrôleure, je n’ai pas le droit d’aller en justice. Néanmoins, je peux compter sur l’OIP. Alors, ce serait terrible qu’il disparaisse, je ne peux même pas l’imaginer. C’est impossible. Ce serait une atteinte très grave aux droits des prisonniers.

JSS : L’OIP parle de 67 % de subventions publiques en moins en dix ans. Comment expliquez-vous que les aides de l’Etat et des collectivités soient réduites à peau de chagrin, et que l’Observatoire en vienne à se reposer sur des acteurs privés ?

D.S. : C’est sûr que l’OIP fait peur ou déplaît à certains, et qu’il se dit ici et là que s’il disparaissait, ce serait tant mieux. S’ajoute à cela le fait qu’il y a des restrictions budgétaires partout, on ne peut pas l’ignorer. Nous aussi on doit restreindre notre budget.

Reste que la situation est extrêmement préoccupante. Le gouvernement s’honorerait en agissant. Je sais que l’Observatoire ne veut pas d’argent du ministère de la Justice, et je peux le comprendre, mais il faut absolument que d’autres ministères viennent à la rescousse. C’est indispensable.

JSS : Vous alertez fréquemment sur la surpopulation et les conditions de détention, et d’ailleurs la CEDH condamne régulièrement la France à ce sujet. Pourquoi est-ce qu’on a autant de mal à traiter dignement et avec humanité nos détenus en France ? 

D.S. : Il y a une pluralité de raisons à ça. D’abord, tout le monde s’en fiche. Beaucoup de nos concitoyens pensent que les mauvaises conditions de détention, c’est tant pis pour les détenus. Ou plutôt : c’est bien fait pour eux.

Il y a aussi le fait que le gouvernement et le personnel politique tout entier, bien que connaissant parfaitement l’état des prisons, et, pour certains, tenant un discours irresponsable démagogique – « il faut enfermer plus », alors qu’ils savent très bien que c’est impossible -, n’a pas le courage de prendre les mesures qu’il faudrait.

Cela dit, j’insiste sur une chose : ça m’est égal que les gens pensent que l’indignité des détenus ne les concerne pas. Mais il faut réfléchir de façon pragmatique : la façon dont on traite les gens à l’intérieur des prisons rejaillit forcément sur la façon dont ceux-ci se conduisent à la sortie. Or, il faut le redire : tous les détenus vont sortir un jour, à part quelques-uns. Et la surpopulation s’observe en maison d’arrêt, où s’effectuent les courtes peines. Je pense que c’est une grossière erreur de jugement, un raisonnement politique à court terme que de ne pas tenir compte de cette réalité. Je dis « à court terme », car cela va nous coûter très cher en termes de récidive.

Rappelons que le Président de la République a dit, devant le cercueil de Robert Badinter, qu’il jurait d’être fidèle à sa mémoire, d’être fidèle à ses idées ; et il a affirmé qu’un prisonnier avait le droit de sortir meilleur. Il faudrait donner de la réalité à cette belle phrase.

JSS : Quelles sont les mesures à mettre en place en priorité ? 

D.S. : L’urgence commande qu’on fasse sortir les détenus, comme au temps du Covid.

Aujourd’hui, il y a un abandon total de l’Etat, et c’est honteux. Les détenus sont les premiers à en souffrir, mais que dire des personnes qui les gardent ? Les surveillants sont renvoyés en permanence à une impuissance personnelle horrible. Ils se couchent tous les soirs en se demandant pourquoi ils font ce travail.

Et que dire des services de psychiatrie, qui manquent cruellement de psychiatres, à tel point qu’on y ferme continuellement des lits. C’est bien simple : plus personne ne veut devenir psy, car c’est trop dur. Et tout ça, c’est un cercle vicieux.

JSS : La mission justice a accusé un gros coup de rabot de plus de 300 millions d’euros sur 12 milliards de crédits votés. Même si tous les ministères sont (inégalement) concernés, pourquoi ne fait-on pas de la justice la priorité ? 

D.S. : Vous savez, il n’y a pas que la justice, même si c’est fondamental. Le gouvernement a fait de l'Education une cause nationale. D’ailleurs, dans notre avis sur l’enseignement délivré aux mineurs enfermés, on pointe qu’ils ont quatre à cinq fois moins d’heures d’enseignement que les autres. Est-ce que vous trouvez que c’est normal ? Rien ne va là-dedans.

JSS : Le plan « 15 000 places de prison », à l’œuvre actuellement, accumule du retard. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce dispositif ? 

D.S. : Je dirais que c’est surtout beaucoup d’affichage, et que cela mange énormément de crédits de la pénitentiaire au lieu d’aller à l’entretien de ce qui est déjà existant et qui est dans un état lamentable.

Je conseille à tout le monde la lecture du rapport d’information de Patrick Hetzel, « Planification de la construction de prisons : une inexorable procrastination », sorti en mai dernier, et qui montre que le plan 15 000, c’est le plan 15 000 du gouvernement d’avant, avant, avant, avant. Il le montre excellemment.

Alors qu’avec tout cet argent, on pourrait recruter des conseillers d’insertion et de probation pour faire plus de sorties contrôlées, encadrées, et moins de sorties sèches, qui sont souvent catastrophiques.

JSS : Quel est votre état d’esprit à l’aune de tout cela ?

D.S. : Je suis en colère et je garde la certitude que le CGPL est dans le vrai. Tout cela renforce ma certitude qu’on est dans le vrai, que lorsqu'on entasse des gens dans des cellules comme des poulets en batterie, ils ne sortiront pas meilleurs, mais pires.


Propos recueillis par Bérengère Margaritelli

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