Agriculture : les notaires au rapport pour proposer des pistes de réforme


jeudi 3 octobre 20247 min
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Dans un rapport, le Conseil supérieur du notariat formule huit propositions de réforme dont l’objectif est de fournir aux agriculteurs des outils juridiques et fiscaux plus adaptés au monde agricole contemporain. Principaux enjeux au cœur des mesures proposées : faciliter la transmission des exploitations et inciter à l’installation de nouveaux agriculteurs.

Si en 1970, l’Hexagone comptait 1 587 000 exploitations agricoles, à l’heure actuelle, il n’en reste plus que 390 000. C’est ce que rappelle le Conseil supérieur du notariat (CSN) dans l’introduction de son rapport « Faciliter et simplifier l’activité agricole », réalisé à la suite d’une étude menée par son Institut d’études juridiques (IEJ) et publié le 20 septembre. En cause, analyse-t-il, des exploitations de plus en plus vastes et davantage structurées en sociétés. En outre, les nombreux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs - compétitivité, la pression foncière, les questions environnementales, etc. -, expliquent la difficulté du secteur agricole à attirer de nouvelles générations d’agriculteurs.

Forte de son expertise liée à « l’accompagnement dans la gestion juridique des activités agricoles, notamment en matière de transmission, d'acquisition et de gestion des terres agricoles », selon les termes de Me Sophie Sabot-Barcet, présidente du CSN, il a semblé opportun à la profession notariale d’élaborer des propositions d'amélioration et de simplification, afin de lever, affirme-t-il, les obstacles pratiques, juridiques et fiscaux auxquels les agriculteurs doivent faire face aujourd’hui.

Des propositions mûrement réfléchies

Depuis longtemps déjà, les notaires réfléchissent à l’amélioration de l’activité agricole en France. Dans un entretien accordé au JSS, Me Guillaume Lorisson, notaire à Dijon, président de la section Droit rural et environnement de l’IEJ, en charge de la coordination du rapport, rappelle que lors du Congrès des notaires en 2018 - sur le thème « Demain le territoire » - « les notaires avaient déjà fait des propositions d’amélioration et de simplification de la réglementation juridique agricole pour faciliter l’avenir de l’agriculture française ». Au grand regret de la profession notariale, les pouvoirs publics n’avaient pas, à l’époque, tenu compte de leurs préconisations.

Après la crise sanitaire, les difficultés subies par les agriculteurs n’ont cessé de croître jusqu’à aboutir à une mobilisation massive du secteur agricole au début de l’année 2024. « Le cœur de la crise de l’hiver dernier portait sur le rejet d’un système administratif complexe », souligne Guillaume Lorisson, qui ajoute que de nos jours, un exploitant agricole doit à la fois « labourer, élever ses bêtes, etc., mais aussi passer un temps fou à se battre dans un labyrinthe de normes, de règles administratives, juridiques, comptables, fiscales qui lui rendent la vie encore plus difficile ». Cela explique, à son avis, qu’une des principales doléances des agriculteurs lors de la crise était l’allègement des charges et la clarification des modes de fonctionnement des structures agricoles.

Face à l’ampleur de la mobilisation, le 3 avril 2024, un projet de loi pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations avait été présenté au Conseil des ministres. Le texte avait été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 28 mai 2024, toutefois, il se trouve actuellement suspendu en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par le Président de la République le 9 juin dernier.

Porté par Marc Fesneau, alors ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire de la France, le projet de loi se donne notamment pour ambition : « de refonder la politique d’incitation à l’installation des agriculteurs et à la transmission des exploitations par une offre de nouveaux outils au service du renouvellement des générations et des transitions » peut-on lire dans l’Introduction du rapport des notaires. 

C’est dans ce contexte global, et après plusieurs années de réflexion, que l’Institut d’Etudes juridiques du CSN a décidé de « regrouper, dans un document unique, ses réflexions sur l’avenir de l’agriculture française et de le mettre à disposition des pouvoirs publics » résume Guillaume Lorisson.

Afin de conforter la légitimité des propositions que la profession notariale avait prévu de présenter, l’IEJ du CSN a décidé de « consulter un large panel de notaires en leur posant des questions sur des thèmes qui [lui] semblaient importants » explique le président de la section Droit rural et environnement de l’IEJ. D’où l’enquête menée, le 24 avril, auprès des 252 notaires de France labellisé Notaire Conseil du Monde Rural (NCMR). L’IEJ a ensuite procédé à l’analyse de cette enquête via le réseau Marianne (le réseau des notaires de France). Les résultats de cette enquête sont d’ailleurs détaillés en Annexe du rapport Faciliter et simplifier l’activité agricole.

Faciliter la transmission des exploitations en faisant un report

Que ressort-il de ce sondage ? « Les réponses des notaires ne nous ont pas étonnés », assure Guillaume Lorisson. Outre le fait que le Groupement foncier agricole (GFA) ne semble plus adapté, pour 72 % des répondants, aux enjeux du portage du foncier agricole, il semblerait, entre autres, que les obstacles à la transmission des exploitations et à l’installations de nouveaux agriculteurs soient encore trop nombreux.

L’enquête révèle notamment une augmentation des transmissions d’exploitations familiales à titre onéreux plutôt que gratuit (51 %). Ce phénomène semble accentué par l’absence de repreneur familial et la faiblesse des retraites agricoles. L’analyse de ce sondage démontre aussi qu’une proportion non négligeable de notaires interrogés (40 %) ont vu des héritiers être contraints de vendre tout ou partie de la propriété agricole reçue après un décès, afin de faire face au paiement des droits de mutation à titre gratuit.

Par conséquent, un grand nombre de notaires interrogés (89 %) est favorable à un système dans lequel le paiement des droits de mutation à titre gratuit dus par les héritiers soit reporté et se transforme en exonération définitive au bout de 15 ans, et ce pour préserver le patrimoine immobilier agricole.

Le souhait exprimé par ces notaires a été pris en compte par le CSN dans sa 4e proposition : « alléger les droits de mutation à titre gratuit en matière de transmission des exploitations agricoles avec un report d’imposition des droits dus et une exonération totale au bout de 10 ou 15 ans, par exemple. »

« L’idée est donc de faciliter les droits de transmission sur les exploitations agricoles en faisant un report. Si pendant 10 ou 15 ans, l’exploitant a bien poursuivi l’exploitation de ses terres dans la durée – et n’a pas seulement bénéficié d’un avantage fiscal – l’Etat lui fera cadeau de la fiscalité de donation » explicite Guillaume Lorisson.

Jeunes agriculteurs : un élargissement du régime fiscal

L’enquête menée auprès des 252 notaires a également révélé que le dispositif fiscal de faveur prévu par l’article 1594 F quinquies E reste peu utilisé (38 % des notaires répondants ont réalisé de 1 à 3 ventes avec ce dispositif en 2022 et 2023). Ce dispositif fiscal permet l’application d’une taxe de publicité foncière à taux réduit (0,71498 %) pour l’acquisition d’un bien rural, situé dans des zones de revitalisation rurale, par un jeune agriculteur au cours des quatre années suivant l’octroi de la « dotation jeune agriculteur » et/ou de prêts aidés.

En outre, la décision d’octroi de l’aide doit être annexée à l’acte de vente et produite au service de la publicité foncière. Si ce n’est pas le cas, lors de la présentation de l’acte à la formalité, la taxe de publicité foncière est perçue au taux normal. Il reste que « les délais d’instruction des demandes de dotation d’installation aux jeunes agriculteurs et la délivrance des justificatifs nécessaires ne sont pas compatibles avec les délais liés à l’acquisition des biens immobiliers », dénoncent les notaires.

Dans sa 5e proposition, le CSN préconise donc de « permettre à tout jeune agriculteur faisant l’acquisition de foncier agricole dans les 4 ans maximum du dépôt de sa demande ou de l’obtention de la décision d’octroi de l’aide de bénéficier du régime de faveur prévu par l’article 1594 F quinquies E, I (TPF à 0,715 %), sans qu’il soit besoin de joindre au service de la publicité foncière un justificatif. Étendre ce même régime aux acquisitions réalisées par une personne s’engageant à donner à bail rural à long terme à un jeune agriculteur ». 

« Le jeune agriculteur peut être amené à acheter ses terres. Lors de ces achats, il doit régulièrement payer des droits de mutation sur ces acquisitions. D’où l’idée d’élargir ce régime fiscal, qui existe dans les zones de revitalisation rurale, à l’ensemble de la France […]. Il y a des endroits qu’il faut revitaliser, mais même dans ceux qui ne sont pas à revitaliser, il existe un véritable besoin d’accompagnement des agriculteurs » commente Me Lorisson.

Si les notaires sont très attachés à la mise en œuvre des propositions 4 et 5 suscitées, ils restent cependant « particulièrement sensibles aux questions budgétaires de la France » tempère Me Philippe Morisson. « Lorsque les notaires proposent de baisser les droits de mutation ou la fiscalité d’acquisition, ils ont conscience que cela a un impact non-négligeable sur les finances publiques. La période actuelle n’est peut-être pas propice à la mise en œuvre de ces mesures » admet-il. En outre, si les notaires préconisent la mise en place d’un système d’exonération et d’allégement des droits de mutation, ils souhaitent en revanche que cela soit bien encadré et accompagné, car « le but n’est pas seulement de faire un cadeau aux agriculteurs, mais que ceux-ci contribuent à l’activité économique, au maintien d’une exploitation agricole en France », insiste Guillaume Lorisson.

Quid de l’avenir de ces propositions ? A l’heure actuelle, « les équipes du CSN diffusent le rapport auprès des sénateurs, des députés, des syndicats agricoles, etc., et sont ouverts à toute discussion à ce sujet » précise le président de la section Droit rural et environnement de l’IEJ. « Peut-être que les propositions qui ont été communiquées ne seront pas reprises, mais on espère qu’un jour, dans plusieurs mois ou années, ce travail sera remis sur le devant de la scène » conclut-il avec espoir.

Maria-Angélica Bailly

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