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Dans un rapport, le Conseil supérieur
du notariat formule huit propositions de réforme dont l’objectif est de fournir
aux agriculteurs des outils juridiques et fiscaux plus adaptés au monde agricole contemporain. Principaux enjeux au cœur
des mesures proposées : faciliter la transmission des exploitations et inciter
à l’installation de nouveaux agriculteurs.
Si en 1970, l’Hexagone
comptait 1 587 000 exploitations agricoles, à l’heure actuelle, il n’en reste
plus que 390 000. C’est ce que rappelle le Conseil supérieur du notariat (CSN)
dans l’introduction de son rapport « Faciliter et simplifier l’activité
agricole », réalisé à la suite d’une étude menée par son Institut d’études
juridiques (IEJ) et publié le 20 septembre. En cause, analyse-t-il, des
exploitations de plus en plus vastes et davantage structurées en sociétés. En
outre, les nombreux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs -
compétitivité, la pression foncière, les questions environnementales, etc. -,
expliquent la difficulté du secteur agricole à attirer de nouvelles générations
d’agriculteurs.
Forte de son expertise liée à
« l’accompagnement dans la gestion juridique des activités agricoles,
notamment en matière de transmission, d'acquisition et de gestion des terres
agricoles », selon les termes de Me Sophie Sabot-Barcet, présidente du
CSN, il a semblé opportun à la profession notariale d’élaborer des propositions
d'amélioration et de simplification, afin de lever, affirme-t-il, les
obstacles pratiques, juridiques et fiscaux auxquels les agriculteurs doivent
faire face aujourd’hui.
Des propositions mûrement
réfléchies
Depuis longtemps déjà,
les notaires réfléchissent à l’amélioration de l’activité agricole en France. Dans
un entretien accordé au JSS, Me Guillaume Lorisson, notaire à Dijon,
président de la section Droit rural et environnement de l’IEJ, en charge de la
coordination du rapport, rappelle que lors du Congrès des notaires en 2018 - sur
le thème « Demain le territoire » - « les notaires
avaient déjà fait des propositions d’amélioration et de simplification de la
réglementation juridique agricole pour faciliter l’avenir de l’agriculture
française ». Au grand regret de la profession notariale, les pouvoirs
publics n’avaient pas, à l’époque, tenu compte de leurs préconisations.
Après la crise
sanitaire, les difficultés subies par les agriculteurs n’ont cessé de croître
jusqu’à aboutir à une mobilisation massive du secteur agricole au début de
l’année 2024. « Le cœur de la crise de l’hiver dernier portait sur le
rejet d’un système administratif complexe », souligne Guillaume Lorisson, qui
ajoute que de nos jours, un exploitant agricole doit à la fois « labourer,
élever ses bêtes, etc., mais aussi passer un temps fou à se battre dans un labyrinthe
de normes, de règles administratives, juridiques, comptables, fiscales qui lui
rendent la vie encore plus difficile ». Cela explique, à son avis, qu’une
des principales doléances des agriculteurs lors de la crise était l’allègement
des charges et la clarification des modes de fonctionnement des structures
agricoles.
Face à l’ampleur de la
mobilisation, le 3 avril 2024, un projet de loi pour la souveraineté agricole
et le renouvellement des générations avait été présenté au Conseil des
ministres. Le texte avait été adopté en première lecture à l’Assemblée
nationale le 28 mai 2024, toutefois, il se trouve actuellement suspendu en
raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par le Président de
la République le 9 juin dernier.
Porté par Marc Fesneau, alors
ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire de la France, le
projet de loi se donne notamment pour ambition : « de refonder la
politique d’incitation à l’installation des agriculteurs et à la transmission
des exploitations par une offre de nouveaux outils au service du renouvellement
des générations et des transitions » peut-on lire dans l’Introduction du
rapport des notaires.
C’est dans ce contexte
global, et après plusieurs années de réflexion, que l’Institut d’Etudes
juridiques du CSN a décidé de « regrouper, dans un document unique, ses
réflexions sur l’avenir de l’agriculture française et de le mettre à
disposition des pouvoirs publics » résume Guillaume Lorisson.
Afin de conforter la
légitimité des propositions que la profession notariale avait prévu de
présenter, l’IEJ du CSN a décidé de « consulter un
large panel de notaires en leur posant des questions sur des thèmes qui [lui]
semblaient importants » explique le président de la
section Droit rural et environnement de l’IEJ. D’où
l’enquête menée, le 24 avril, auprès des 252 notaires de France labellisé
Notaire Conseil du Monde Rural (NCMR). L’IEJ a ensuite procédé à l’analyse de
cette enquête via le réseau Marianne (le réseau des notaires de France).
Les résultats de cette enquête sont d’ailleurs détaillés en Annexe du rapport Faciliter
et simplifier l’activité agricole.
Faciliter la transmission des
exploitations en faisant un report
Que ressort-il de ce sondage ?
« Les réponses des notaires ne nous ont pas étonnés », assure Guillaume
Lorisson. Outre le fait que le Groupement foncier agricole (GFA) ne semble plus
adapté, pour 72 % des répondants, aux enjeux du portage du foncier agricole, il
semblerait, entre autres, que les obstacles à la transmission des exploitations
et à l’installations de nouveaux agriculteurs soient encore trop nombreux.
L’enquête révèle notamment
une augmentation des transmissions d’exploitations familiales à titre onéreux
plutôt que gratuit (51 %). Ce phénomène semble accentué par l’absence de
repreneur familial et la faiblesse des retraites agricoles. L’analyse de ce
sondage démontre aussi qu’une proportion non négligeable de notaires interrogés
(40 %) ont vu des héritiers être contraints de vendre tout ou partie de la
propriété agricole reçue après un décès, afin de faire face au paiement des
droits de mutation à titre gratuit.
Par conséquent, un grand
nombre de notaires interrogés (89 %) est favorable à un système dans lequel le
paiement des droits de mutation à titre gratuit dus par les héritiers soit
reporté et se transforme en exonération définitive au bout de 15 ans, et ce
pour préserver le patrimoine immobilier agricole.
Le souhait exprimé par ces
notaires a été pris en compte par le CSN dans sa 4e proposition :
« alléger les droits de mutation à titre gratuit en matière de
transmission des exploitations agricoles avec un report d’imposition des droits
dus et une exonération totale au bout de 10 ou 15 ans, par exemple. »
Jeunes agriculteurs : un
élargissement du régime fiscal
L’enquête menée auprès des
252 notaires a également révélé que le dispositif fiscal de faveur prévu par
l’article 1594 F quinquies E reste peu utilisé (38 % des notaires répondants
ont réalisé de 1 à 3 ventes avec ce dispositif en 2022 et 2023). Ce dispositif
fiscal permet l’application d’une taxe de publicité foncière à taux réduit (0,71498
%) pour l’acquisition d’un bien rural, situé dans des zones de revitalisation
rurale, par un jeune agriculteur au cours des quatre années suivant l’octroi de
la « dotation jeune agriculteur » et/ou de prêts aidés.
En outre, la décision
d’octroi de l’aide doit être annexée à l’acte de vente et produite au service
de la publicité foncière. Si ce n’est pas le cas, lors de la présentation de
l’acte à la formalité, la taxe de publicité foncière est perçue au taux normal.
Il reste que « les délais d’instruction des demandes de dotation
d’installation aux jeunes agriculteurs et la délivrance des justificatifs
nécessaires ne sont pas compatibles avec les délais liés à l’acquisition des
biens immobiliers », dénoncent les notaires.
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agricole
Dans sa 5e
proposition, le CSN préconise donc de « permettre à tout jeune agriculteur
faisant l’acquisition de foncier agricole dans les 4 ans maximum du dépôt de sa
demande ou de l’obtention de la décision d’octroi de l’aide de bénéficier du
régime de faveur prévu par l’article 1594 F quinquies E, I (TPF à 0,715 %),
sans qu’il soit besoin de joindre au service de la publicité foncière un
justificatif. Étendre ce même régime aux acquisitions réalisées par une
personne s’engageant à donner à bail rural à long terme à un jeune agriculteur ».
« Le jeune
agriculteur peut être amené à acheter ses terres. Lors de ces achats, il doit
régulièrement payer des droits de mutation sur ces acquisitions. D’où l’idée
d’élargir ce régime fiscal, qui existe dans les zones de revitalisation rurale,
à l’ensemble de la France […]. Il y a des endroits qu’il faut revitaliser, mais
même dans ceux qui ne sont pas à revitaliser, il existe un véritable besoin
d’accompagnement des agriculteurs » commente Me Lorisson.
Si les notaires sont très attachés
à la mise en œuvre des propositions 4 et 5 suscitées, ils restent cependant « particulièrement
sensibles aux questions budgétaires de la France » tempère Me Philippe
Morisson. « Lorsque les notaires proposent de baisser les droits de
mutation ou la fiscalité d’acquisition, ils ont conscience que cela a un impact
non-négligeable sur les finances publiques. La période actuelle n’est peut-être
pas propice à la mise en œuvre de ces mesures » admet-il. En outre, si
les notaires préconisent la mise en place d’un système d’exonération et d’allégement
des droits de mutation, ils souhaitent en revanche que cela soit bien encadré
et accompagné, car « le but n’est pas seulement de faire un cadeau aux
agriculteurs, mais que ceux-ci contribuent à l’activité économique, au maintien
d’une exploitation agricole en France », insiste Guillaume Lorisson.
Quid de l’avenir de ces
propositions ? A l’heure actuelle, « les équipes du CSN diffusent
le rapport auprès des sénateurs, des députés, des syndicats agricoles, etc., et
sont ouverts à toute discussion à ce sujet » précise le président de
la section Droit rural et environnement de l’IEJ. « Peut-être que les
propositions qui ont été communiquées ne seront pas reprises, mais on espère
qu’un jour, dans plusieurs mois ou années, ce travail sera remis sur le devant
de la scène » conclut-il avec espoir.
Maria-Angélica
Bailly
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