Tribunal de Créteil : « Je voulais lui dire que je l'aimais encore »


dimanche 2 mars6 min
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CHRONIQUE. En comparution différée, devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, un prévenu comparaît pour des faits de harcèlement sur son ex-compagne.

Julien* s’avance dans le box des prévenus. Il comparaît pour des faits de harcèlement sur son ex-conjointe, Mélanie*, mais aussi de menace et d’intimidation pour enjoindre sa victime à ne pas porter plainte. Des faits qui ont causé à cette dernière « une altération de sa santé physique et mentale », et qui ont donné lieu à une incapacité totale de travail de vingt jours.

Les faits reprochés à Julien ont été commis depuis la prison de Fresnes, où il était déjà incarcéré, dans le cadre d'une première procédure engagée par son ex. C’est depuis sa cellule qu’il lui a envoyé plusieurs courriers, « faussement décrits comme des courriers destinés à son avocat, afin qu’ils ne soient pas interceptés par l’administration pénitentiaire », précise le juge. Tout en utilisant le numéro d'écrou d'un autre détenu.

Dans son courrier, Julien demande à la victime de « ne pas venir témoigner en appel ou de retirer sa plainte », car cette fois, il a « un avocat pour le défendre ». Le magistrat en lit un extrait, dans lequel apparaît clairement une intention d’intimider : « Mon avocat a pour mission de détruire ta réputation. Si tu viens témoigner contre moi ou que je retourne en incarcération, plusieurs plaintes seront déposées contre toi par ma famille et ton ancien employé. »

« Je voulais lui dire que je l'aimais encore »

Le juge se tourne vers Julien : 

« Sur le courrier, vous reconnaissez que vous avez contourné l’interdiction de contact. Mais sur les menaces : vous avez dit à la police que vous ne vouliez pas la menacer ?

-      Ce n’est pas acceptable ni excusable. Mais ce n’était pas mon but, je voulais lui dire que je l’aimais encore. Et que la condamnation que j’ai reçue était trop sévère à mes yeux. »

En décembre 2022, l’ex-compagne de Julien avait porté plainte contre lui, car il avait diffusé des photos intimes d’elle sur internet, été violent avec elle et l'avait menacée de mort ainsi que sa famille. Dans l'audition de cette nouvelle plainte, Mélanie a expliqué que Julien s’était réfugié aux États-Unis, et n’avait pu être interpellé qu’en août 2024, à sa sortie de l’avion à Paris. Condamné à cinq ans de prison, son procès en appel attend encore son délibéré. C’est en octobre dernier que Mélanie reçoit ses courriers, dans lesquels il exprime son amour, et lui demande de se remettre avec lui. Elle dépose alors une nouvelle plainte, et fait part de son désarroi aux officiers de police, redoutant par avance qu'il ne respecte pas l’interdiction de contact prononcée, une fois sorti de prison.

Le juge revient sur le premier procès, où la victime était présente, à la différence de cette nouvelle audience : 

« Elle semblait dire qu’il y a eu une séparation depuis 2022 ?

-      Oui.

-      Qu’est-ce qui a fait que vous êtes revenu de ce côté de l’Atlantique ?

-      Ça n’a pas été mon choix. C’est le Vietnam, où je voyageais, qui m'a renvoyé en France. J’avais un problème de visa.

-      Et pourquoi vous n’êtes pas revenu aux États-Unis ?

-      Parce que… ils m’ont détenu, et c’est eux qui m’ont payé le billet pour partir, donc j’avais pas le choix. »

Un état anxio-dépressif réactionnel

Selon le rapport de l’unité de consultation médico-judiciaire, le retour en France de Julien a déclenché chez Mélanie des troubles anxieux, qui ont entraîné un arrêt de travail. Le médecin mentionne un « retentissement psychologique important », avec « des ruminations, une déréalisation, une dépersonnalisation, des troubles du sommeil, de l'appétit et de la concentration », le tout laissant voir « des signes de psycho-traumatisme ». Mélanie a ensuite été invitée à rencontrer une psychothérapeute. Celle-ci diagnostique un « état anxio-dépressif réactionnel ».

Le président d’audience lit maintenant un deuxième courrier envoyé par Julien, dans lequel il menace Mélanie de plaintes et de témoignages contre elle pour vol, si elle se présente au procès en appel. Il lui assure même que si elle vient témoigner, son casier « ne sera plus vierge ».

La procureure prend la parole : 

« Moi, j'aimerais bien avoir votre position sur ces menaces, Monsieur. Avec le recul, qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui ?

-      Oui oui, je continue de me soigner…

-      Là, vous voyez, vous venez de parler de vous. Et par rapport à Madame, qu’est-ce que ça a pu lui faire de recevoir ces menaces ?

-      Je comprends très bien le choc psychologique, et sa détresse. »

Le président d’audience évoque ensuite l’examen psychiatrique qui a été fait auprès de Julien, pendant sa garde à vue. Celui-ci fait état de « troubles du comportement avec impulsivité, sur fond de troubles de la personnalité de type borderline ». Mais aussi de « certains traits autistiques », Julien « ayant peu de contacts avec les autres ». Enfin, le médecin affirme que le prévenu « n’était pas atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ayant aboli ou altéré son discernement ». Selon lui, son état relève « d'un accompagnement médico-psychologique dans le cadre d'une injonction socio-judiciaire ».

La procureure évoque, quant à elle, une autre expertise psychiatrique : celle réalisée lors de la procédure précédente. Avec des conclusions « ne relevant pas d’éléments de dangerosité chez Monsieur ».

L’avocate de Mélanie prend la parole. Elle parle de sa présence lors de l’audience précédente devant la cour d’appel, avec sa sœur et sa mère. Une « épreuve, à nouveau extrêmement compliquée, comme chaque audience, dont elle ressort affaiblie », qui l'a décidée à être absente lors de ce nouveau procès. Elle souligne que sa cliente « ne souhaite plus de cette relation depuis bien longtemps, et que cette fois, il faut que monsieur l’entende ». Pour écrire ses lettres, il a utilisé du papier d’ordonnance, « qui montre qu’on lui prescrit des anxiolytiques et des anti-dépresseurs ». Pour l’avocate, le message est clair : « C’est une nouvelle façon de dire à madame : c’est par ta faute que je suis là et que je suis dépressif. » Elle évoque aussi le retentissement psychologique vécu par sa cliente, pour qui elle demande la somme de 3 000 euros, en réparation de son préjudice moral.

Après avoir rappelé que l'incarcération vise aussi une « protection de la victime », « brisée » par ses lettres, la procureure pointe la personnalité « rusée » attestée par le stratagème postal, et les « longues déclarations » suppliantes que Julien fait dans le courrier. Dans cette propension à culpabiliser, elle voit un des « critères de dangerosité » du prévenu, et évalue le risque de passage à l’acte comme « imminent et très fort », évoquant la mécanique des féminicides. Ce qui l'amène à requérir une peine de 3 ans d’emprisonnement, dont un an avec un sursis probatoire renforcé.

Des lettres d'amour et des menaces

L’avocat de Julien réagit : « trois ans pour quatre lettres envoyées », c’est au minimum « cher payé », et même démesuré, clame-t-il. Il rappelle qu’au départ, la saisine du parquet avait été faite sur la violation de l’interdiction d’entrer en contact, ce qui a été abandonné, du fait de l’appel. Il appelle à bien caractériser les faits : « On n’est pas sur des menaces de mort », mais « sur des lettres d’amour, et des menaces ». Dans son effort de distinguer ce second procès du premier, il affirme qu’il n’y a « pas de féminicide, pas de violences », tout en reconnaissant « un harcèlement, qui a évidemment des conséquences ».

Il remercie au passage le tribunal d’avoir précisé qu’il n’est pas l’avocat que Julien évoquait dans la lettre, étant devenu son conseil seulement pour l’audience d’appel. Il dit d’ailleurs avoir rendu hommage à la victime, lors de ce procès, et précise qu’il n’a pas plaidé la relaxe, tout en évoquant une maigre « matérialisation des faits ».

Enfin, la défense évoque les divergences entre les différentes expertises psychiatriques. L’avocat s’étonne de celle qui a été lue par le président d'audience, affirmant qu'elle a été réalisée pour la première procédure. Il regrette même que les experts psychiatres n’aient pas eu à « venir déposer à la barre », fustigeant un examen psychiatrique fait en visio, via le portable de l’officier de police. « Le médecin a menti par écrit », s’exclame-t-il alors, « cette expertise, non seulement on est à la limite du faux, mais le secret médical est bafoué ». Et n’a semble-t-il, pas été d'un grand effet, regrette l'avocat. Début novembre, Julien a fait une tentative de suicide en prison. Depuis deux mois, c’est à Villejuif qu’il séjourne, au sein de l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud.

Le tribunal, après une suspension de séance, rend son verdict et punit le prévenu d’une peine de prison ferme de huit mois. Il devra indemniser la victime à hauteur de 2 000 euros.

Etienne Antelme

*Les prénoms ont été modifiés.

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