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CHRONIQUE. En comparution différée, devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, un prévenu comparaît pour des faits de harcèlement sur son ex-compagne.
Julien* s’avance
dans le box des prévenus. Il comparaît pour des faits de harcèlement sur son
ex-conjointe, Mélanie*, mais aussi de menace et d’intimidation pour enjoindre
sa victime à ne pas porter plainte. Des faits qui ont causé à cette dernière « une altération de sa santé physique et
mentale », et qui ont donné lieu à une incapacité totale de travail de
vingt jours.
Les faits
reprochés à Julien ont été commis depuis la prison de Fresnes, où il était déjà
incarcéré, dans le cadre d'une première procédure engagée par son ex. C’est
depuis sa cellule qu’il lui a envoyé plusieurs courriers, « faussement décrits comme des courriers
destinés à son avocat, afin qu’ils ne soient pas interceptés par
l’administration pénitentiaire »,
précise le juge. Tout en utilisant le
numéro d'écrou d'un autre détenu.
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fenêtre ? »
Dans son
courrier, Julien demande à la victime de « ne pas venir témoigner en appel ou de retirer sa plainte »,
car cette fois, il a « un avocat
pour le défendre ». Le magistrat en lit un extrait, dans lequel
apparaît clairement une intention d’intimider : « Mon avocat a pour mission de détruire ta réputation. Si tu viens
témoigner contre moi ou que je retourne en incarcération, plusieurs plaintes
seront déposées contre toi par ma famille et ton ancien employé. »
« Je
voulais lui dire que je l'aimais encore »
Le juge se tourne
vers Julien :
« Sur le
courrier, vous reconnaissez que vous avez contourné l’interdiction de contact.
Mais sur les menaces : vous avez dit à la police que vous ne vouliez pas
la menacer ?
- Ce n’est pas acceptable ni excusable. Mais ce n’était pas mon but,
je voulais lui dire que je l’aimais encore. Et que la condamnation que j’ai
reçue était trop sévère à mes yeux. »
En décembre 2022,
l’ex-compagne de Julien avait porté plainte contre lui, car il avait diffusé des photos intimes d’elle sur
internet, été violent avec elle et l'avait menacée de mort ainsi que sa
famille. Dans l'audition de cette nouvelle plainte, Mélanie a expliqué que
Julien s’était réfugié aux États-Unis, et n’avait pu être interpellé qu’en août
2024, à sa sortie de l’avion à Paris. Condamné à cinq ans de prison, son procès
en appel attend encore son délibéré. C’est en octobre dernier que Mélanie
reçoit ses courriers, dans lesquels il exprime son amour, et lui demande de se
remettre avec lui. Elle dépose alors une nouvelle plainte, et fait part de son
désarroi aux officiers de police, redoutant par avance qu'il ne respecte pas
l’interdiction de contact prononcée, une fois sorti de prison.
Le juge revient
sur le premier procès, où la victime était présente, à la différence de cette
nouvelle audience :
« Elle
semblait dire qu’il y a eu une séparation depuis 2022 ?
-
Oui.
-
Qu’est-ce qui a fait que vous
êtes revenu de ce côté de l’Atlantique ?
-
Ça n’a pas été mon choix.
C’est le Vietnam, où je voyageais, qui m'a renvoyé en France. J’avais un
problème de visa.
-
Et pourquoi vous n’êtes pas
revenu aux États-Unis ?
- Parce que… ils m’ont détenu, et c’est eux qui m’ont payé le billet
pour partir, donc j’avais pas le choix. »
Un état anxio-dépressif
réactionnel
Selon le rapport
de l’unité de consultation médico-judiciaire, le retour en France de Julien a
déclenché chez Mélanie des troubles anxieux, qui ont entraîné un arrêt de
travail. Le médecin mentionne un « retentissement
psychologique important », avec « des ruminations, une déréalisation, une dépersonnalisation, des
troubles du sommeil, de l'appétit et de la concentration », le tout laissant voir « des signes de psycho-traumatisme ».
Mélanie a ensuite été invitée à rencontrer une psychothérapeute. Celle-ci
diagnostique un « état
anxio-dépressif réactionnel ».
Le président
d’audience lit maintenant un deuxième courrier envoyé par Julien, dans lequel
il menace Mélanie de plaintes et de témoignages contre elle pour vol, si elle
se présente au procès en appel. Il lui assure même que si elle vient témoigner,
son casier « ne sera plus vierge ».
La procureure
prend la parole :
« Moi,
j'aimerais bien avoir votre position sur ces menaces, Monsieur. Avec le recul,
qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui ?
-
Oui oui, je continue de me
soigner…
-
Là, vous voyez, vous venez de
parler de vous. Et par rapport à Madame, qu’est-ce que ça a pu lui faire de
recevoir ces menaces ?
- Je comprends très bien le choc psychologique, et sa détresse. »
Le président
d’audience évoque ensuite l’examen psychiatrique qui a été fait auprès de
Julien, pendant sa garde à vue. Celui-ci fait état de « troubles du comportement avec impulsivité,
sur fond de troubles de la personnalité de type borderline ».
Mais aussi de « certains traits
autistiques », Julien « ayant peu de contacts avec les autres ». Enfin, le médecin
affirme que le prévenu « n’était pas
atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ayant aboli ou altéré son
discernement ». Selon lui, son état relève « d'un accompagnement médico-psychologique
dans le cadre d'une injonction socio-judiciaire ».
La procureure
évoque, quant à elle, une autre expertise psychiatrique : celle réalisée lors
de la procédure précédente. Avec des conclusions « ne relevant pas d’éléments de dangerosité chez Monsieur ».
L’avocate de
Mélanie prend la parole. Elle parle de sa présence lors de l’audience
précédente devant la cour d’appel, avec sa sœur et sa mère. Une « épreuve, à nouveau extrêmement compliquée,
comme chaque audience, dont elle ressort affaiblie »,
qui l'a décidée à être absente lors de ce nouveau procès. Elle souligne que
sa cliente « ne souhaite plus de
cette relation depuis bien longtemps, et que cette fois, il faut que monsieur
l’entende ». Pour écrire ses lettres, il a utilisé
du papier d’ordonnance, « qui montre
qu’on lui prescrit des anxiolytiques et des anti-dépresseurs ».
Pour l’avocate, le message est clair : « C’est une nouvelle façon de dire à madame : c’est par ta faute que je
suis là et que je suis dépressif. » Elle évoque aussi le retentissement
psychologique vécu par sa cliente, pour qui elle demande la somme de 3 000
euros, en réparation de son préjudice moral.
Après avoir
rappelé que l'incarcération vise aussi une « protection de la victime », « brisée » par ses lettres, la procureure pointe la personnalité
« rusée »
attestée par le stratagème postal, et les « longues déclarations » suppliantes que Julien fait dans le
courrier. Dans cette propension à culpabiliser, elle voit un des « critères de dangerosité »
du prévenu, et évalue le risque de passage à l’acte comme « imminent et très fort », évoquant la
mécanique des féminicides. Ce qui l'amène à requérir une peine de 3 ans
d’emprisonnement, dont un an avec un sursis probatoire renforcé.
Des lettres
d'amour et des menaces
L’avocat de
Julien réagit : « trois ans
pour quatre lettres envoyées », c’est au minimum « cher payé », et même démesuré, clame-t-il.
Il rappelle qu’au départ, la saisine du parquet avait été faite sur la
violation de l’interdiction d’entrer en contact, ce qui a été abandonné, du
fait de l’appel. Il appelle à bien caractériser les faits : « On n’est pas sur des menaces de mort »,
mais « sur des lettres d’amour, et
des menaces ». Dans son effort de
distinguer ce second procès du premier, il affirme qu’il n’y a « pas de féminicide, pas de violences »,
tout en reconnaissant « un
harcèlement, qui a évidemment des conséquences ».
Il remercie au
passage le tribunal d’avoir précisé qu’il n’est pas l’avocat que Julien
évoquait dans la lettre, étant devenu son conseil seulement pour l’audience d’appel.
Il dit d’ailleurs avoir rendu hommage à la victime, lors de ce procès, et
précise qu’il n’a pas plaidé la relaxe, tout en évoquant une maigre « matérialisation des faits ».
Enfin, la défense
évoque les divergences entre les différentes expertises psychiatriques. L’avocat
s’étonne de celle qui a été lue par le président d'audience, affirmant qu'elle
a été réalisée pour la première procédure. Il regrette même que les experts
psychiatres n’aient pas eu à « venir déposer à la barre », fustigeant
un examen psychiatrique fait en visio, via le portable de l’officier de police.
« Le médecin a menti par écrit »,
s’exclame-t-il alors, « cette expertise, non seulement on est à la
limite du faux, mais le secret médical est bafoué ». Et n’a semble-t-il,
pas été d'un grand effet, regrette l'avocat. Début novembre, Julien a fait une
tentative de suicide en prison. Depuis deux mois, c’est à Villejuif qu’il
séjourne, au sein de l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud.
Le tribunal,
après une suspension de séance, rend son verdict et punit le prévenu d’une
peine de prison ferme de huit mois. Il devra indemniser la victime à
hauteur de 2 000 euros.
Etienne Antelme
*Les prénoms ont été modifiés.
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