JUSTICE

Le Conseil supérieur de la magistrature recense « une activité disciplinaire soutenue » en 2024

Le Conseil supérieur de la magistrature recense « une activité disciplinaire soutenue » en 2024
Le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire fait état de neuf saisines l'an passé © CSM
Publié le 14/05/2025 à 15:12

Dans son rapport d’activité paru fin avril, l’organe constitutionnel rapporte avoir été davantage saisi de faits portant sur « des insuffisances » de magistrats ainsi que sur des comportements « déplacés » et « dégradants ». Le CSM en profite par ailleurs pour épingler son désaccord avec un certain nombre de points contenus dans la loi organique relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.

81 nominations proposées, 2 539 avis sur des projets de nomination, 125 consultations du service d’aide et de veille déontologique, 45 tribunaux judiciaires visités… Si le rapport d’activité 2024 du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), publié le 29 avril, affiche des chiffres conséquents, ce sont les données relatives au rôle disciplinaire du garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire qui retiennent particulièrement l’attention.

Bien moins impressionnantes, puisqu’elles font état de neuf saisines en la matière, elles témoignent toutefois d’une activité « soutenue » - c’est en tout cas ce qu’affirme l’organe constitutionnel -, loin des chiffres de 2021 et ses 19 saisines, mais en légère augmentation par rapport à l’année précédente.

« Numériquement mineure au regard de ses autres fonctions, en réalité, [cette activité] représente une part significative des attributions de ses membres », souligne le CSM. Sur les neuf saisines, majoritairement issues du garde des Sceaux, cinq concernaient des magistrats du siège et quatre des magistrats du parquet, précise le rapport.

Au-delà, c’est la nature des saisines qui interpelle : alors qu’auparavant, les faits à l’origine de ces saisines relevaient « majoritairement de la vie privée du magistrat », depuis trois ans, une autre tendance se dessine, indique l’organe constitutionnel. En effet, les formations disciplinaires ont été davantage saisies de faits portant sur « des insuffisances » de magistrats dans « leur exercice professionnel » et sur le comportement « déplacé » et « dégradant » du magistrat « dans son environnement professionnel ».

Trois décisions disciplinaires au fond

En 2024, le conseil de discipline des magistrats du siège a rendu trois décisions disciplinaires au fond (contre neuf l’année précédente), dont une à l’encontre d’un juge d’instruction, sanctionné d’un blâme avec inscription au dossier pour « manquements aux devoirs de diligence, de délicatesse à l’égard du justiciable et défaut de loyauté à l’égard de la hiérarchie ».

Déposée par un justiciable, la plainte invoquait principalement l’absence, dans une procédure, d’acte d’instruction réalisé par le magistrat ; et en particulier d’ordonnance de clôture de l’information, alors qu’il avait pris l’engagement auprès de sa hiérarchie de la rédiger. Fait intéressant, c’est la première fois, depuis l’instauration de la saisine directe du CSM par un justiciable, via la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, que la procédure a abouti au prononcé d’une sanction disciplinaire.

Une autre décision a abouti à un déplacement d’office à l’encontre d’une juge qui avait statué dans des procédures impliquant une coopérative vinicole avec laquelle elle entretenait des liens. Le Conseil a considéré que la magistrate, qui aurait dû s’abstenir de siéger, avait manqué à son devoir d’impartialité.

La formation du Conseil statuant en matière disciplinaire à l’égard des magistrats du parquet a par ailleurs rendu, comme l’année précédente, deux avis au fond, et a notamment proposé qu’un procureur de la République soit retiré de ses fonctions, après avoir estimé que ce dernier avait « manqué à la dignité, à l’honneur, à la délicatesse et aux devoirs de son état », compte tenu également de « l’ampleur, la récurrence et le caractère durable des manquements constatés ».

En cause, « des allusions grivoises à l’égard d’une magistrate du siège », des « propos ironiques, blessants ou dévalorisants à l’égard d’une substitute », des « réflexions déplacées, dévalorisantes ou sexistes » et des « regards inadaptés à l’égard de magistrates, auditrices de justice, assistantes de justice, juristes assistantes et stagiaires ».

Bien que le procureur se soit justifié en invoquant un argument d’efficacité, le CSM a affirmé, au terme de son avis, que « ces attitudes et propos démontrent une incapacité à adopter les comportements et à respecter les limites qui s’imposent dans les relations professionnelles » et « traduisent de graves manquements dans l’exercice des fonctions managériales ».

Des plaintes irrecevables, mais des griefs légitimes

Le rapport d’activité souligne par ailleurs, depuis 2023, l’« augmentation significative », qui « s’est poursuivie en 2024 », du nombre de plaintes des Français, lequel était « relativement stable depuis 2018, avec une moyenne de 340 plaintes par an ».

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, un justiciable qui estime qu'un magistrat a eu, à l’occasion d’une procédure judiciaire qui le concerne, un comportement inadapté, peut saisir le CSM d’une plainte pour motif disciplinaire.

Problème : « Nombre de justiciables confondent la plainte pour motif disciplinaire avec une nouvelle voie de recours, contestant ainsi la teneur des décisions rendues, voire le fait même qu’une décision ait été rendue », pointe le Conseil, qui ajoute que « la plupart du temps, derrière des griefs tenant à la partialité d’un juge, c’est en réalité le sens d’une décision défavorable que le justiciable entend contester. »

Par ailleurs, la condition de dessaisissement du magistrat rend de facto irrecevables un grand nombre de plaintes. Autant de raisons qui expliquent certainement que sur 446 décisions rendues en 2024, 315 aient été déclarées irrecevables, 131 infondées, et qu’il n’y ait eu… aucun renvoi en audience.

Ce qui n’empêche toutefois pas le CSM de dresser le constat que « certains comportements de magistrats peuvent avoir un retentissement particulier pour un justiciable qui ne maîtrise pas nécessairement les termes et les usages judiciaires et participent de la perte de confiance des justiciables dans la justice ».

Le rapport d’activité 2024 pointe ainsi des pratiques « mal vécues », à l’instar « de propos de nature à leur laisser un ressenti amer, de comportements susceptibles de traduire une forme de légèreté, de désinvolture ou de parti pris, notamment dans la direction des débats ou la police de l’audience ». (…) « De nombreux justiciables soulignent le fait de n’avoir pu s’exprimer, de s’être fait interrompre sèchement ou d’avoir été traités de façon indélicate ».

L’organe constitutionnel insiste particulièrement sur le cas des magistrats qui exercent des fonctions de cabinet - juges des enfants, juges aux affaires familiales ou juges des tutelles, qui traitent régulièrement de situations « très conflictuelles et sensibles ». « Aussi difficiles que puissent être ces situations, il importe que le magistrat veille, en toutes circonstances, à son expression et à conserver la maîtrise de lui-même, y compris en fin d’audience lorsque la fatigue peut légitimement commencer à le gagner ».

Le Conseil en profite également pour faire un petit rappel « impartialité ». « La parole doit être distribuée à chacun et l’ensemble des moyens et pièces doivent être pris en compte dans les décisions », écrit-il dans son rapport.

Il relaie également - tout en prenant soin de les qualifier de « légitimes » - les griefs relatifs au (mauvais) fonctionnement des juridictions : absence de greffier aux audiences d’assistance éducative, difficultés d’obtention des pièces ou des notes d’audience, délai anormalement long de transmission de l’avis de classement sans suite ou de traitement de leur dossier, « jusqu’à plusieurs années dans certaines cours d’appel ».

Evaluation élargie des chefs : un risque pour l’indépendance de l’autorité judiciaire ?

Au fil de ce panorama 2024, le CSM en profite pour réexprimer son désaccord avec un certain nombre de points contenus dans la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, venue modifier l'ordonnance du 22 décembre 1958 sur le statut de la magistrature.

Dans le viseur notamment, au sein de l’ordonnance statutaire, la liste des qualités que les candidats doivent présenter, outre leurs compétences juridictionnelles, pour être nommés aux fonctions de chef de cour d’appel ou de juridiction. Liste à l’égard de laquelle le Conseil dit avoir des réserves, « quand bien même ces critères étaient déjà et continuent d’être utilisés par lui (…) », reconnaît-il.

Réserves également formulées à l’égard de la nouvelle évaluation dite « élargie » des chefs de cour et de juridiction - établie par un collège d’évaluation composé de magistrats de l’ordre judiciaire et de personnalités qualifiées « ayant une compétence spécifique en matière de gestion de ressources humaines ou budgétaires » -, sans mise en œuvre d’un processus d’expérimentation.

Le CSM rappelle qu’il avait seulement donné son accord pour une expérimentation, et sous condition de pouvoir choisir les membres du comité d’évaluation ou de donner un avis conforme sur leur choix. Il déplore donc que la loi organique ait prévu que l’ensemble des membres du collège d’évaluation soit désigné par le garde des Sceaux après avis simple de sa formation plénière, y voyant « un risque majeur d’atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire ».

Visiblement échaudé de ne pas avoir été suivi, l’organe constitutionnel remet l’église au milieu du village en précisant qu’« en tout état de cause, en tant qu’autorité constitutionnelle, entend rappeler qu’il conservera une totale liberté d’appréciation en matière de nominations ».

Les contrats de mobilité dans le viseur

Autre point noir selon lui : l’inscription du dispositif des « contrats de mobilité », avec l’instauration d’une nouvelle priorité statutaire pour des magistrats acceptant une nomination d’une certaine durée dans des juridictions peu attractives - en particulier ultramarines. Redoutant « une extension non contrôlée » du dispositif, il indique souhaiter être « pleinement informé des critères qui permettent à la direction des services judiciaires de déterminer les juridictions et les postes éligibles à ce dispositif ».

Alors que la durée minimale d’exercice ouvrant droit à la priorité d’affectation a été fixée à trois ans, le CSM pointe que cette dernière a été fixée à deux ans pour le tribunal judiciaire de Mamoudzou. « Le Conseil est parfaitement conscient de la difficulté des conditions actuelles d’exercice des fonctions de magistrat à Mayotte, mais (…) il est à craindre que l’institutionnalisation d’une exception entraîne des demandes similaires pour d’autres territoires », avertit-il.

Il ajoute qu’à son sens, le dispositif comporte un risque de blocage « à l’issue des durées minimales d’exercice », « dans les juridictions qui auront été sollicitées au titre du retour, en particulier si le périmètre des juridictions bénéficiaires du dispositif venait à s’étendre de manière trop importante ».

Toujours au sujet de la loi organique, le CSM, décidément très remonté, note que celle-ci a aussi prévu que les magistrats à titre temporaire peuvent désormais exercer les fonctions de substitut. Déplorant l’absence de « réelle évaluation » de cette nouveauté, il regrette que « la multiplication des catégories de magistrats » rende le système « peu lisible » et « augmente considérablement » la charge administrative des juridictions.

Il fait encore part de ses doutes sur « la qualité de certains dossiers de candidatures » et estime que les chefs de cour ainsi que la direction des services judiciaires « pourraient être plus stricts dans leur appréciation de l’expérience et des compétences des candidats ». Un rappel à l’ordre qui n’est pas sans rappeler son récent avis - très médiatisé - défavorable à la nomination de l'ancienne secrétaire d'État Charlotte Caubel, candidate au poste de procureure de Créteil, dont il a jugé, en avril dernier, l’expérience « insuffisante ».

Dernier point de crispation notable qui émerge du rapport : la loi organique prévoit que les magistrats à titre temporaire pourront désormais exercer leurs fonctions exclusivement dans les fonctions du siège civil ou du siège pénal. Objectif : permettre à certaines candidatures d’aboutir plus facilement… Ce qu’épingle volontiers le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

« Si le Conseil admet que l’expérience et les compétences des candidats peuvent les qualifier plus spécifiquement pour exercer l’une ou l’autre fonction, il se montre néanmoins attaché à ce que, au cours de leur formation, les candidats conservent une vision globale du fonctionnement du tribunal judiciaire », appuie le CSM, qui ajoute : « Il demeure rare qu’un candidat n’ayant aucune compétence juridique en droit pénal puisse être pour autant suffisamment qualifié pour exercer des fonctions civiles et réciproquement. »

Bérengère Margaritelli

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