Après avoir été saisi par des
parlementaires de gauche, le Conseil constitutionnel a rendu le 19 juin sa
décision à propos de la loi sur la justice des mineurs. Les Sages ont censuré
plusieurs articles phares, estimant qu’ils n’étaient pas conformes au principe « d’adaptation
de la réponse pénale à la situation particulière des mineurs ».
La loi « visant à
renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de
leurs parents » dite « loi Attal » - du nom du député (EPR) des
Hauts-de-Seine et président du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée
nationale - a enfin atteint sa forme finale. Après de longs débats et un
passage en commission mixte paritaire, le texte a été définitivement adopté en
mai dernier, soutenu par la droite et l’extrême droite. Dans la foulée, des
députés et sénateurs de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel, estimant
que huit des quinze articles de la loi était contraires à la Constitution.
L’institution a rendu sa
décision le 19 juin dernier, et censuré plusieurs mesures phares dont celles
qui facilitaient le recours à la comparution immédiate et à l’audience unique pour
certains mineurs, et celle qui prévoyait le renversement du principe
d’atténuation des peines. Au total, six articles ont été partiellement ou
intégralement censurés, vidant de sa substance une bonne partie de la loi.
Décriée par de nombreux magistrats, avocats et éducateurs ainsi que par les
parlementaires de gauche, la loi visait à durcir les règles régissant la
justice des mineurs.
Principe « d’adaptation
de la réponse pénale »
Au soutien de leur requête, la
majorité des parlementaires auteurs de la saisine du Conseil ont invoqué le
principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) « d’adaptation
de la réponse pénale à la situation particulière des mineurs ». Selon
ce principe à valeur constitutionnelle, lorsque des mineurs se retrouvent face
à la justice, l’éducatif doit primer sur le répressif et les sanctions doivent être
« adaptées à leur âge et à leur personnalité, et être prononcées
par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».
Parmi les mesures les plus critiquées
de la loi, figurait une remise en cause du principe d’atténuation des peines, en
vertu duquel les mineurs n’encourent en principe que la moitié de la peine
prévue pour les majeurs. D’une part, la loi écartait l’exigence de motivation
du juge pour écarter le principe d’atténuation des peines face à un mineur de
plus de 16 ans en récidive.
Elle prévoyait aussi que
l’atténuation ne s’applique pas pour les infractions les plus graves
commises en état de double récidive. Cette mesure, qui
conduisait à exclure « du seul fait de l’état de récidive légale,
l’application des règles d’atténuation des peines pour un grand nombre
d’infractions commises par des mineurs de plus de seize ans » a
été déclarée contraire à la Constitution, la loi Attal inversant le principe
d’atténuation des peines.
L’accélération des jugements
censurée
Les deux mesures qui visaient
à accélérer le jugement des mineurs en élargissant les cas dans lesquels il
était possible de déroger à la procédure de droit commun de « mise à
l’épreuve éducative » ont également été déclarées contraires à la
Constitution. La première visait à instaurer une comparution immédiate pour les
mineurs d’au moins seize ans sous certaines conditions, et la deuxième
prévoyait d’étendre le champ des infractions qui pouvaient être jugées en
audience unique.
Pour censurer la procédure de
comparution immédiate, les Sages ont soulevé que son recours n’étant pas
réservé « à des infractions graves ou à des cas exceptionnels »
et n’exigeait pas « les charges réunies soient suffisantes et que
l’affaire soit en l’état d’être jugée ». La procédure de comparution
immédiate est critiquée par certains juristes et associations, y compris chez
les majeurs, car elle est particulièrement pourvoyeuse d’incarcération. S’agissant
du second article, le Conseil constitutionnel a décidé que l’ouverture du champ
d’application de l’audience à juge unique n’était pas appropriée à la recherche
du relèvement éducatif et moral des mineurs.
Ces dispositions étaient
particulièrement critiquées, car elles contrevenaient à un dispositif central de
la justice des mineurs : celui d’une procédure pénale en plusieurs temps, dans
laquelle, après une audience portant sur la culpabilité du mineur, celui-ci
suit une mise à l’épreuve éducative avant le prononcé de la sanction.
Dans la version adoptée par
les parlementaires, la loi prévoyait qu’un officier de police judiciaire pouvait
placer le mineur en rétention en cas de soupçon de méconnaissance d’une mesure
éducative, avant même le prononcé d’une sanction. Le Conseil a censuré
l’article dans son intégralité, en estimant qu’il n’était pas prévu qu’une
telle mesure soit prononcée « sous le contrôle préalable d’une
juridiction spécialisée ou selon une procédure appropriée » à la
justice des mineurs. L’article 6 qui prévoyait l’allongement de la durée de
détention provisoire pour des mineurs de moins de 16 ans en matière délictuelle
et sous certaines conditions pour le porter à la durée actuellement applicable
en matière criminelle a également été censuré.
D’autres mesures confirmées
Certaines dispositions ont en
revanche été confirmées par le Conseil, comme celle qui créée une circonstance
aggravante au délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales
lorsqu’elle a pour conséquence la commission d’infractions par son enfant
mineur. Les sénateurs et députés à l’initiative de la saisine estimaient que
l’article allait à l’encontre du principe pénal de « responsabilité du
fait personnel » selon lequel ne peut être tenu responsable que celui
qui a personnellement commis une infraction.
Le Conseil a estimé que cette
disposition n’avait pas pour effet de rendre le parent personnellement
responsable des infractions commises par son enfant. Ainsi, lorsqu’un parent se
soustrait sans motif légitime à ses obligations légales vis-à-vis de son enfant
mineur et que cela conduit à la commission par ce dernier d’un crime ou de
plusieurs délits pour lequel il a été condamné, et qu’il est établi que le
parent s’est volontairement soustrait à ses obligations légales, le parent en
question s’expose à une peine d’emprisonnement de trois ans et à 45 000 euros
d’amende.
« Couvre-feu
généralisé »
L’interdiction prévue par la nouvelle
loi pour un mineur d’aller et venir sur la voie publique sans son représentant
légal dans le cadre d’une alternative aux poursuites ou d’une mesure éducative
pour six mois au maximum a elle aussi été confirmée. La loi prévoyait déjà
cette possibilité, mais elle instaurait une limite à l’interdiction qui ne
pouvait s’appliquer qu’entre 22h et 6h, tandis que la nouvelle loi laisse le
soin au juge de fixer les limites horaires. Les parlementaires requérants
voyaient dans cette mesure une forme de « couvre-feu généralisé »
et une atteinte importante à la liberté d’aller et venir. Le Conseil a estimé
que la mesure était conforme à la Constitution, en retenant que cette règle
poursuivait un objectif de prévention des atteintes à l’ordre public, cherchait
à assurer la protection des mineurs, et que ces derniers pouvaient toujours se
déplacer en étant accompagnés ou pour des motifs scolaires, professionnels, ou
impérieux.
Dans la foulée de la
publication de la décision du Conseil, Gabriel Attal et Jean Terlier, député
(EPR) et rapporteur du texte, ont publié un communiqué de presse. « Nous
refuserons toujours le défaitisme et l'immobilisme. Nous n'abandonnerons jamais
notre combat pour la jeunesse et l'apaisement de notre société »,
ont-ils indiqué, tout en précisant qu’ils commençaient à travailler sur un « nouveau
texte ». Les deux députés se sont par ailleurs félicités que le
Conseil ait confirmé « un bloc particulièrement important du texte
concernant la responsabilité parentale en matière de délinquance des
mineurs ».
Dans une autre communication
diffusée vendredi 27 juin, le barreau de Paris, le Conseil national des
barreaux et la Conférence des bâtonniers disent « saluer cette décision
qui (…) rappelle la spécificité du droit pénal applicable aux mineurs lesquels
ne peuvent être jugés comme des majeurs, quel que soit leur âge, et quelle que
soit l'actualité ». Et de prévenir, dans ce même communiqué : « Les
avocats resteront vigilants et mobilisés pour continuer à rappeler, en toutes
circonstances, la primauté des principes constitutionnels et les engagements
internationaux de la France en cette matière, comme dans d’autres, dans le
respect de l’Etat de droit. » La loi a été promulguée le 23 juin
dernier.
Marion
Durand