DROIT

Crédit bancaire et preuve du bordereau de rétractation : la Cour de cassation reste fidèle au script

Crédit bancaire et preuve du bordereau de rétractation : la Cour de cassation reste fidèle au script
Publié le 23/08/2025 à 10:19

COMMENTAIRE. Le droit du crédit à la consommation est revenu, juste avant l’été, sur le devant de la scène judiciaire avec un nouvel épisode à l’affiche du « long feuilleton judiciaire relatif au bordereau de rétractation »[1].Fin mai, la Cour de cassation a en effet rappelé sa jurisprudence selon laquelle « la signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer » .

Depuis l’adoption de la loi n°2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation, dite loi « Lagarde », transposant la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 relative aux contrats de crédit aux consommateurs, la protection de ces derniers repose sur « l’aggravation des obligations »[2] du banquier professionnel dispensateur de crédits à la consommation.

Que cela soit par le « formalisme strict du bordereau de rétractation »[3], la remise d’une fiche précontractuelle d’informations, le devoir de mise en garde ou la demande de justifications liée à la situation de l’emprunteur, ces exigences s’imposent parfois au détriment d’une « excessive complexité »[4].

En principe, en vertu de l’article 1353 du Code civil, il appartient à celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en justifier le paiement ou son extinction. C’est donc naturellement au prêteur de prouver la satisfaction de ses obligations à l’égard de l’emprunteur. Pour autant, une question essentielle se pose : comment le prêteur peut-il apporter la preuve qu’il s’est conformé à l’ensemble des obligations qui lui étaient imposées ?

A ce sujet, la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 mai 2025, s’est à nouveau prononcée sur les modalités de preuve de la remise du bordereau de rétractation, telle que celle-ci est prévue à l’article L.312-21 du Code de la consommation.

En l’espèce, une banque avait accordé un crédit à la consommation à deux particuliers pour financer l’achat d’une pompe à chaleur. À la suite de défaillances de paiement des emprunteurs, la banque avait alors prononcé la déchéance du terme et les a assignés en justice pour obtenir le paiement des sommes dues.

Les défendeurs soutenaient au cours de l’instance que la banque devait être déchue de son droit aux intérêts, au motif qu’elle n’avait pas respecté les obligations prévues à l’article L.312-21 relatives à la remise du formulaire détachable de rétractation.

En appel, les juges du fond avaient rejeté cette demande, estimant que la clause par laquelle les emprunteurs reconnaissaient avoir reçu une offre préalable accompagnée du formulaire était confirmée par la liasse contractuelle conservée par la banque et produite aux débats. Les emprunteurs avaient alors formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que ce document était insuffisant pour établir la régularité de l’information délivrée.

La confirmation d’un scénario jurisprudentiel rodé

Dans sa décision, la Cour de cassation fait « preuve de rigueur dans l'appréciation d'un dispositif de faveur pour les consommateurs »[5] en rappelant sa jurisprudence selon laquelle « la signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ».

Autrefois, la jurisprudence adoptait une position plus favorable au prêteur : la reconnaissance écrite par l’emprunteur dans le corps de l’offre de la remise du bordereau de rétractation suffisait alors à présumer cette remise effective, conférant à la clause une portée décisive, proche d’une « clause-couperet »[6].

Cette solution présentait toutefois plusieurs inconvénients, tenant à un double renversement de la charge de la preuve : en instituant à la fois une présomption de présence du bordereau de rétractation et une présomption de régularité de ce bordereau, elle faisait peser sur l’emprunteur la charge de la preuve, alors que celle-ci incombe en principe, dans un tel contentieux, au prêteur.

C’est pourquoi la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence – confirmé par l’arrêt commenté - et s’est alignée sur la jurisprudence européenne, en considérant que cette clause ne constitue qu’un commencement de preuve par écrit ; qu’il incombe au prêteur de corroborer par d’autres indices permettant de démontrer que celui-ci s’est conformé à ses obligations contractuelles.

Cette solution a donc soulevé des difficultés pratiques : comment corroborer la clause reconnaissant cette remise ? Ici, la Cour de cassation confirme la position adoptée par la première chambre civile, qui avait fragilisé la situation du prêteur, en précisant « qu’un document émanant de la seule banque ne pouvait utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt ». Cette solution n’est pas étonnante en ce que la Cour avait retenu une position similaire à l’égard d’une fiche personnalisée.

Ici, la Cour de cassation applique cette jurisprudence au document de financement. Celui-ci, étant un « document émanant de la banque », ne peut être retenu pour corroborer la clause type de l’offre de crédit. Cette solution peut sembler regrettable, dans la mesure où il paraît souhaitable de permettre à la banque d’établir la preuve de l’exécution de ses obligations à l’aide des documents traditionnellement remis dans le cadre de la conclusion d’un contrat de crédit.

Clap de fin pour la force probatoire des documents standardisés des banques ?

En réalité, rien ne permet d’affirmer que cette solution jurisprudentielle soit véritablement favorable au consommateur en limitant les moyens de preuve du professionnel. Certes, sa protection demeure un objectif central, mais la décision poursuit avant tout un objectif de rééquilibrage des rapports contractuels. Plusieurs motifs permettent d’expliquer ce raisonnement.

Une lecture littérale de l’arrêt permet au prêteur de contourner partiellement cette exigence jurisprudentielle.  Certes, un document émanant de la banque ne suffit pas à apporter la preuve de la remise du bordereau, mais le prêteur peut toujours produire d’autres indices susceptibles de convaincre le juge. A cet égard, comme le suggère l’auteure C[7], il pourrait verser aux débats une attestation émanant de l’emprunteur de la remise du bordereau, ou encore un témoignage d’un tiers.

D’autres auteurs, tels que Cédric Hélaine[8], vont plus loin, en estimant qu’un bordereau signé et paraphé sur chaque page par l’emprunteur pourrait, à lui seul, constituer un élément de preuve écrit. Dans un tel cas, la banque ne serait plus tenue de produire des indices complémentaires, et la clause reconnaissant la remise effective du bordereau n’aurait plus aucune utilité.

Néanmoins, la Cour de cassation semble écarter progressivement les moyens de preuve dégagés par la pratique et la doctrine. Par exemple, lors du revirement de jurisprudence de 2020, la doctrine avait suggéré que la banque puisse corroborer la clause de reconnaissance signée par l’emprunteur en produisant un modèle du contrat de crédit faisant apparaître le bordereau de rétractation[9]. Or, comme le montre notre arrêt, cette piste a été expressément rejetée par la première chambre civile, qui procède à une « extension du domaine »[10] de sa jurisprudence rigoureuse.

En adoptant une approche toujours plus limitative à l’égard des documents émanant des établissements de crédit, la Cour de cassation laisse planer une incertitude croissante quant à leur valeur probatoire à l’avenir. Ces documents, désormais « coupés au montage », font des professionnels dispensateurs de crédit les acteurs principaux, les soumettant à des exigences jurisprudentielles difficiles à mettre en œuvre en pratique.

 

Justine Strohmann,

Etudiante du Master 214 de l’Université Paris-Dauphine–PSL

(Article rédigé sous la direction de Renaud Salomon, maître de conférences, et de la professeure Sophie Schiller)




[1] LEGEAIS (G.), « Preuve de la remise par le prêteur de la fiche FIPEN », RTD com., 2023, p.708

[2] LASBORDES (V.),  « Le contenu de l’offre de crédit à la consommation proposée au candidat emprunteur », Petites affiches, janvier 2002, n°12, p.15

[3] NASOM-TISSANDIER (H.), « Le strict formalisme du bordereau de rétractation dans les contrats hors établissement », Le Quotidien, 16 janvier 2024

[4] CALAIS-AULOY (J.), TEMPLE (H.) et DEPINCE (M.), « Droit de la consommation », 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p.406, n°360

[5] LEGEAIS (G.), « Preuve de la remise par le prêteur de la fiche FIPEN », RTD com., 2023, p.708

[6] POISSONNIER (G.), « Preuve du bordereau de rétractation dans un contrat de crédit à la consommation : de la clause-couperet à la clause indice », Petites Affiches, 2021, n°050, p.5

[7] PEGLION-ZIKA (C-M.), « Précision sur la preuve de la remise du bordereau de rétractation », L’ESSENTIEL Droit des contrats, 2025, n°7, p.1

[8] HELAINE (C.), « Dossier de financement et obligation du banquier en matière de crédit à la consommation », Dalloz Actualités, juin 2025

[9] GOUEZEL (A.), « Un revirement prévisible sur la charge de la preuve de la remise du bordereau de rétractation », Gazette du Palais, 2021, n°5, p.55

[10] HELAINE (C.), « Dossier de financement et obligation du banquier en matière de crédit à la consommation », Dalloz Actualités, juin 2025

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