COMMENTAIRE.
Le droit du crédit à la consommation est revenu, juste avant l’été, sur le
devant de la scène judiciaire avec un nouvel épisode à l’affiche du « long
feuilleton judiciaire relatif au bordereau de rétractation ».Fin
mai, la Cour de cassation a en effet rappelé sa jurisprudence selon laquelle « la
signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon
laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation
constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer » .
Depuis
l’adoption de la loi
n°2010-737 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la
consommation, dite loi « Lagarde », transposant la directive
2008/48/CE du 23 avril 2008 relative aux contrats de crédit aux consommateurs,
la protection de ces derniers repose sur « l’aggravation des obligations » du banquier professionnel
dispensateur de crédits à la consommation.
Que cela
soit par le « formalisme strict du bordereau de rétractation », la remise d’une fiche
précontractuelle d’informations, le devoir de mise en garde ou la demande de
justifications liée à la situation de l’emprunteur, ces exigences s’imposent
parfois au détriment d’une « excessive complexité ».
En
principe, en vertu de l’article
1353 du Code civil, il
appartient à celui qui se prétend libéré d’une obligation d’en justifier le
paiement ou son extinction. C’est donc naturellement au prêteur de prouver la
satisfaction de ses obligations à l’égard de l’emprunteur. Pour autant,
une question essentielle se pose : comment le prêteur peut-il apporter la
preuve qu’il s’est conformé à l’ensemble des obligations qui lui étaient
imposées ?
A ce
sujet, la Cour de cassation, dans un arrêt
du 28 mai 2025, s’est à nouveau prononcée sur les modalités de preuve de la
remise du bordereau de rétractation, telle que celle-ci est prévue à l’article
L.312-21 du Code de la consommation.
En
l’espèce, une banque avait accordé un crédit à la consommation à deux
particuliers pour financer l’achat d’une pompe à chaleur. À la suite de
défaillances de paiement des emprunteurs, la banque avait alors prononcé la
déchéance du terme et les a assignés en justice pour obtenir le paiement des
sommes dues.
Les
défendeurs soutenaient au cours de l’instance que la banque devait être déchue
de son droit aux intérêts, au motif qu’elle n’avait pas respecté les
obligations prévues à l’article L.312-21 relatives à la remise du formulaire
détachable de rétractation.
En
appel, les juges du fond avaient rejeté cette demande, estimant que la clause
par laquelle les emprunteurs reconnaissaient avoir reçu une offre préalable
accompagnée du formulaire était confirmée par la liasse contractuelle conservée
par la banque et produite aux débats. Les emprunteurs avaient alors formé un
pourvoi en cassation, faisant valoir que ce document était insuffisant pour
établir la régularité de l’information délivrée.
La
confirmation d’un scénario jurisprudentiel rodé
Dans sa décision, la Cour de cassation fait
« preuve de rigueur dans l'appréciation d'un dispositif de faveur pour les
consommateurs » en rappelant sa
jurisprudence selon laquelle « la signature par l'emprunteur de
l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le
prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice
qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments
complémentaires ».
Autrefois,
la jurisprudence adoptait une position plus favorable au prêteur : la
reconnaissance écrite par l’emprunteur dans le corps de l’offre de la remise du
bordereau de rétractation suffisait alors à présumer cette remise effective, conférant
à la clause une portée décisive, proche d’une « clause-couperet ».
Cette
solution présentait toutefois plusieurs inconvénients, tenant à un double
renversement de la charge de la preuve : en instituant à la fois une
présomption de présence du bordereau de rétractation et une présomption de
régularité de ce bordereau, elle faisait peser sur l’emprunteur la charge de la
preuve, alors que celle-ci incombe en principe, dans un tel contentieux, au
prêteur.
C’est
pourquoi la première chambre civile a opéré
un revirement de jurisprudence – confirmé par l’arrêt commenté - et s’est alignée
sur la jurisprudence européenne, en considérant que cette clause ne
constitue qu’un commencement de preuve par écrit ; qu’il incombe au
prêteur de corroborer par d’autres indices permettant de démontrer que celui-ci
s’est conformé à ses obligations contractuelles.
Cette
solution a donc soulevé des difficultés pratiques : comment corroborer la
clause reconnaissant cette remise ? Ici, la Cour de cassation confirme la
position adoptée par la première chambre civile, qui avait fragilisé la
situation du prêteur, en précisant « qu’un document émanant de la seule
banque ne pouvait utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt ».
Cette solution n’est pas étonnante en ce que la Cour
avait retenu une position similaire à l’égard d’une fiche personnalisée.
Ici, la
Cour de cassation applique cette jurisprudence au document de financement. Celui-ci,
étant un « document émanant de la banque », ne peut être
retenu pour corroborer la clause type de l’offre de crédit. Cette solution peut
sembler regrettable, dans la mesure où il paraît souhaitable de permettre à la
banque d’établir la preuve de l’exécution de ses obligations à l’aide des
documents traditionnellement remis dans le cadre de la conclusion d’un contrat
de crédit.
Clap de
fin pour la force probatoire des documents standardisés des banques ?
En
réalité, rien ne permet d’affirmer que cette solution jurisprudentielle soit
véritablement favorable au consommateur en limitant les moyens de preuve du
professionnel. Certes, sa protection demeure un objectif central, mais la
décision poursuit avant tout un objectif de rééquilibrage des rapports
contractuels. Plusieurs motifs permettent d’expliquer ce raisonnement.
Une
lecture littérale de l’arrêt permet au prêteur de contourner partiellement
cette exigence jurisprudentielle. Certes,
un document émanant de la banque ne suffit pas à apporter la preuve de la remise
du bordereau, mais le prêteur peut toujours produire d’autres indices susceptibles
de convaincre le juge. A cet égard, comme le suggère l’auteure Claire-Marie
Péglion-Zika, il pourrait verser aux débats
une attestation émanant de l’emprunteur de la remise du bordereau, ou encore un
témoignage d’un tiers.
D’autres
auteurs, tels que Cédric Hélaine, vont plus loin, en
estimant qu’un bordereau signé et paraphé sur chaque page par l’emprunteur
pourrait, à lui seul, constituer un élément de preuve écrit. Dans un tel cas,
la banque ne serait plus tenue de produire des indices complémentaires, et la
clause reconnaissant la remise effective du bordereau n’aurait plus aucune
utilité.
Néanmoins,
la Cour de cassation semble écarter progressivement les moyens de preuve dégagés
par la pratique et la doctrine. Par exemple, lors du revirement de
jurisprudence de 2020, la doctrine avait suggéré que la banque puisse
corroborer la clause de reconnaissance signée par l’emprunteur en produisant un
modèle du contrat de crédit faisant apparaître le bordereau de rétractation. Or, comme le montre notre
arrêt, cette piste a été expressément rejetée par la première chambre civile,
qui procède à une « extension du domaine » de sa jurisprudence
rigoureuse.
En
adoptant une approche toujours plus limitative à l’égard des documents émanant
des établissements de crédit, la Cour de cassation laisse planer une
incertitude croissante quant à leur valeur probatoire à l’avenir. Ces
documents, désormais « coupés au montage », font des professionnels
dispensateurs de crédit les acteurs principaux, les soumettant à des exigences
jurisprudentielles difficiles à mettre en œuvre en pratique.
Justine
Strohmann,
Etudiante
du Master 214 de l’Université Paris-Dauphine–PSL
(Article
rédigé sous la direction de Renaud Salomon, maître de conférences, et de la
professeure Sophie Schiller)
LEGEAIS (G.),
« Preuve de la remise par le prêteur de la fiche FIPEN », RTD com.,
2023, p.708
LASBORDES
(V.), « Le contenu de l’offre de
crédit à la consommation proposée au candidat emprunteur », Petites
affiches, janvier 2002, n°12, p.15
LEGEAIS (G.),
« Preuve de la remise par le prêteur de la fiche FIPEN », RTD com.,
2023, p.708