INTERVIEW. Il entre en
vigueur ce 1er septembre. Publié le 18 juillet 2025, le décret de
recodification des modes amiables entend clarifier le cadre juridique des
différents modes de règlement des conflits. Pour le JSS, le magistrat Fabrice
Vert, vice-président du Groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme),
décrypte ce texte qui ambitionne de faciliter le recours à ces alternatives au
procès.
Journal Spécial des Sociétés :
Quels sont les principaux apports du décret du 18 juillet 2025, qui entre en
vigueur ce 1er septembre ?
Fabrice Vert : Les
apports de ce décret sont très riches : d’abord, il consacre un nouveau
principe directeur du procès, dans une logique de collaboration et de
proportionnalité procédurale. Le texte introduit la notion de « justice
multi-portes » : il appartient désormais au juge non seulement de concilier les
parties, mais aussi de déterminer avec elles le mode de résolution le plus
adapté au litige, qu’il soit judiciaire ou amiable. Les parties gardent la
possibilité de se concilier à tout moment (nouvelle rédaction de l’article 21
du Code de procédure civile). Cette disposition rappelle ainsi que les
différents modes de règlement des différends ne sont pas concurrents mais
complémentaires.
Ensuite, le décret généralise
la possibilité pour les juges d’ordonner une rencontre avec un médiateur ou un
conciliateur de justice, sous forme d’une réunion d’information obligatoire. Le
refus de s’y présenter sans motif légitime peut désormais être sanctionné d’une
amende civile pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Cette évolution marque une
double avancée. D’une part, l’ensemble des juges pourront désormais délivrer
une telle injonction, et plus seulement certaines juridictions.
D’autre part,
l’efficacité de la mesure repose sur la sanction du refus de comparaître. Cette
réunion gratuite doit permettre aux parties de mieux comprendre les enjeux et
les avantages de la médiation ou de la conciliation, souvent méconnus, avant de
décider si elles souhaitent y recourir. Ce dispositif devrait aussi renforcer
l’efficacité de la pratique de la « double convocation » : organiser une
rencontre préalable avec un médiateur ou un conciliateur avant l’audience de
plaidoirie. Jusqu’ici, ce système restait limité par le fort taux d’absence des
parties.
Le décret instaure également
le recours à un juge d’appui en cas de difficultés dans le cadre d’une mesure
d’instruction conventionnelle décidée par les parties, que ce soit avant ou
pendant l’instance. Il abroge, en parallèle, l’article 240 du CPC qui interdisait
jusqu’alors de confier une mission de conciliation à un expert. Enfin, il
généralise l’audience de règlement amiable (ARA), qui incarne le renouveau de
l’office conciliatoire du juge. Déjà en plein essor, cette pratique est appelée
à se développer davantage, notamment devant les cours d’appel. Elle ne
s’applique toutefois pas aux procédures devant le Conseil de prud’hommes.
Ce texte harmonise et unifie le régime juridique des divers modes alternatifs de règlement amiable des différends (MARD), en portant une vision ambitieuse de la justice amiable. Il marque une étape majeure dans la politique publique de l’amiable lancée le 13 janvier 2023, place Vendôme. Ce travail, conduit par la Direction des affaires civiles et du sceau - dirigée par Valérie Delnaud, ancienne ambassadrice de l’amiable - et soutenu par les arbitrages du garde des Sceaux, Gérald Darmanin, accompagné de son conseiller Clément Bergère Mestrinaro, fin connaisseur de la justice amiable, mérite d’être salué.
JSS : Vous avez fait
partie des « ambassadeurs de l’amiable » en 2023. Ce décret répond-il
à certaines des conclusions de la mission ?
F.V. :
La généralisation de l’injonction de rencontrer un conciliateur de justice,
l’instauration de l’instruction conventionnelle comme principe et la création
d’un juge d’appui figuraient parmi nos recommandations. Pour ma part, je
défends depuis longtemps l’idée d’une sanction en cas de refus, sans motif
légitime, de se conformer à l’injonction du juge d’aller à la rencontre d’un
médiateur ou d’un conciliateur.
JSS : Le texte crée une
nouvelle procédure : l’instruction conventionnelle simplifiée. Comment
s’articulera-t-elle concrètement avec la procédure participative déjà existante
?
F.V. : Ce
décret distingue deux voies pour assurer l’instruction conventionnelle d’un
litige, qui devient désormais la règle, l’instruction par le juge n’étant
qu’une exception. Cette évolution s’inscrit dans la logique selon laquelle « l’affaire
est d’abord la chose des parties ». La première voie, créée par le décret,
est l’instruction conventionnelle simplifiée, souple et innovante. La seconde
est la convention de procédure participative aux fins de mise en état (CPPME), déjà encadrée
par le code civil, dont le régime est allégé. Ces deux dispositifs ont le même
objectif : permettre aux parties de convenir ensemble des modalités de mise en
état de leur affaire, les principaux éléments de l’accord étant listés à
l’article 128 du code de procédure civile.
Les litiges instruits de
manière conventionnelle bénéficient d’un audiencement prioritaire, renforçant
ainsi l’attractivité du dispositif. La CPPME, qui doit toujours comporter un
terme, entraîne la fixation immédiate de la date d’audience dès que le juge est
informé de la convention (art. 130-2, al. 3). À l’inverse, pour l’instruction
conventionnelle simplifiée, la date d’audience n’est donnée qu’une fois la
convention exécutée et l’affaire en état d’être jugée (art. 129-2, al. 2).
La dénomination « simplifiée
» se justifie par l’absence de formalisme : contrairement à la CPPME, elle n’a
pas à être conclue par acte contresigné par avocats (art. 1374 du code civil).
Les avocats peuvent donc y recourir directement, sans recueillir la signature
de leurs clients. Elle peut même être conclue directement entre les parties
lorsqu’elles n’ont pas l’obligation d’être représentées, ou encore entre un
avocat représentant une partie et une partie non assistée.
JSS : Comment cette
réforme va-t-elle faire évoluer le rôle du juge ? Une formation particulière
est-elle envisagée pour l’accompagner dans cette nouvelle posture ?
Les formations se développent
afin d’habituer les juges à leur rôle de prescripteurs de l’amiable, mais aussi
de juges conciliateurs. Elles sont souvent menées conjointement avec les
avocats, sous l’égide de l’École nationale de la magistrature (ENM), parfois en
partenariat avec le groupement européen des magistrats pour la médiation. Cette
démarche répond à une évidence : la posture attendue des acteurs judiciaires
dans le cadre des modes amiables est particulière et requiert un apprentissage
spécifique.
JSS : Quelle évolution
du système judiciaire faut-il voir dans ce tournant ?
F.V. : Il
faut y voir une véritable révolution culturelle : un changement de paradigme
dans l’office du juge et de l’avocat, appelés désormais à aider les
justiciables à choisir le mode de règlement le plus adapté à leurs intérêts et
à leurs besoins. À côté de son rôle traditionnel, la justice doit proposer des
alternatives plutôt que de traiter tout le contentieux selon un schéma unique.
Mais le juge, garant des libertés individuelles et gardien de l’ordre public,
doit rester au cœur du dispositif.
Redonner du lustre à la
justice civile suppose qu’elle ne se réduise pas à « évacuer un stock
d’affaires », mais qu’elle s’inscrive au centre d’une politique de juridiction.
Cela implique une réflexion collective, un partenariat renforcé avec tous les
acteurs judiciaires, la constitution d’une véritable équipe autour du juge
civiliste, la valorisation de sa connaissance du contexte social et économique,
ainsi que le développement d’un « dialogue des juges », comme le
souligne le rapport présidé par la professeure Natalie Fricero sur
l’attractivité de la justice civile.
JSS : Quelle est selon
vous la marge d’essor des modes amiables dans la pratique ? Jusqu’ici, quelle
efficacité ces MARD ont-ils démontrée ?
F.V. : La
marge de progression reste immense. Faute d’outil statistique adapté - en cours
d’élaboration par la chancellerie - les données disponibles demeurent
fragmentaires. Entre 2017 et 2021, on estime qu’en moyenne seulement 4 000
affaires par an ont été orientées par un juge vers un mode amiable après
l’introduction d’une instance contentieuse (injonction de rencontrer un
médiateur, médiation ordonnée par le juge, conciliation déléguée). Dans le même
temps, 24 000 à 30 000 affaires annuelles ont donné lieu, sous l’impulsion des
juges, des avocats ou des parties, à une homologation ou à un procès-verbal
d’accord. Rapportés au million et demi d’affaires civiles enregistrées chaque
année devant les tribunaux judiciaires soit 60 % de l’ensemble du contentieux,
ces chiffres apparaissent très modestes.
« Après des décennies
d’abandon de la justice civile et de relative indifférence vis-à-vis des modes
amiables, cette volonté de les sortir de l’invisibilité doit être saluée, même
si le chemin reste encore long »
Certains tribunaux montrent
toutefois des dynamiques encourageantes. À Paris, particulièrement investi dans
une politique de justice amiable, le nombre d’injonctions de rencontrer un
médiateur est passé d’environ 200 en 2020 à plus de 2 200 en 2024. Le taux de
réussite est également significatif : selon l’Observatoire du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), 61 % des
médiations aboutissent à un accord. Les conciliateurs de justice, dont le
nombre atteignait 2 709 en décembre 2023, traitent plus de 175 000 affaires
chaque année, avec près de 50 % d’accords, soit 88 000 affaires réglées en
2022.
JSS : En
matière civile, la question des délais reste cruciale. Ce nouveau cadre
permettra-t-il réellement d’accélérer le traitement des dossiers, ou
risque-t-il au contraire d’ajouter une étape supplémentaire à une procédure
déjà perçue comme longue ?
F.V. : Il
est évident qu’un accord conclu en début d’instance grâce à un mode amiable
peut éviter des années de procédure, avec leurs coûts économiques directs et
indirects ainsi que tous les tracas inhérents à un procès. Une étude européenne
a montré que la médiation devient rentable dès lors que son taux de réussite
atteint 24 %, alors même que la conciliation est gratuite. De plus, lorsqu’une
médiation ou une conciliation se déroule pendant les « temps morts » de la
procédure, elle n’allonge pas les délais, même en cas d’échec.
JSS : Les juridictions
sont-elles prêtes à appliquer ce décret ? La question se pose notamment sur la
disponibilité des médiateurs, conciliateurs et experts…
F.V. : L’offre
de médiation et de conciliation reste aujourd’hui très disparate selon les
territoires, comme nous avons pu le constater lors des ambassades de l’amiable.
Or, une véritable politique publique suppose des objectifs, des moyens et une
évaluation. Nous n’en sommes qu’aux prémices, mais des signes encourageants
existent : le nombre de personnes formées chaque année à la médiation augmente,
tout comme celui des conciliateurs de justice. Et, grande première, le 27 juin
2025, le garde des Sceaux Gérald Darmanin a publié une circulaire sur la
politique civile comportant un volet consacré à l’amiable. Chaque juridiction
devra désormais consacrer une séance de son conseil de juridiction à cette
politique.
Après des décennies d’abandon
de la justice civile et de relative indifférence vis-à-vis des modes amiables,
cette volonté de les sortir de l’invisibilité doit être saluée, même si le
chemin reste encore long. Rappelons que la justice civile et commerciale
représente plus de 1,9 million de décisions chaque année, et que son bon
fonctionnement conditionne en grande partie la paix sociale de notre pays.
Propos
recueillis par Romain Tardino