À l’heure où des millions d’avatars
évoluent quotidiennement dans des mondes virtuels, le cabinet Haas Avocats
s’intéresse de près aux enjeux juridiques de ces univers immersifs. Car même si
le métavers est déjà une réalité, de nombreuses questions persistent. Le vide
juridique lié à ce domaine invite à s’interroger tant sur les opportunités
offertes qu’aux risques économiques et juridiques liés à l’Internet augmenté.
Evoluer dans un monde virtuel
tout en restant physiquement assis sur son canapé : ce qui n’était autrefois qu’un
concept délirant inventé par la science-fiction et raconté dans les livres et
films futuristes est aujourd’hui une réalité.
Composé des mots anglais meta et
universe, le metaverse – ou métavers en français –, mot apparu pour la première
fois en 1992?dans le roman futuriste de Neal Stephenson Le Samouraï virtuel, a
déjà séduit des millions d’utilisateurs qui évoluent chaque jour, par le biais
de leur avatar, dans des univers immersifs en trois dimensions. Le jeu vidéo a
été l’un des premiers à s’emparer de cette technologie, mais face aux multiples
possibilités offertes, le métavers ne se limite plus à ce secteur et devrait
assez rapidement se développer dans les années à venir.
Témoin de cet engouement, le
cabinet Haas Avocats, spécialisé dans le droit du numérique et des nouvelles
technologies, lui a consacré un webinaire, le 21?avril dernier, durant lequel
Gérard Haas, associé fondateur, et Jean-Paul Crenn, fondateur de Vuca Strategy,
société spécialisé dans l’accompagnement des entreprises dans leur transformation
digitale, et auteur d’ouvrages, sont intervenus pour apporter leur expertise et
relever les atouts mais aussi les risques liés à ce monde en construction.
Durant ce rendez-vous, ces
derniers se sont plus précisément intéressés aux enjeux juridiques liés à ces
univers virtuels alternatifs qui, comme Internet fut un temps, grandissent « à
l’aveuglette », sans que personne n’en connaisse toutes les possibilités ni ne
leur impose un cadre strict. Objectif, pour le cabinet, mettre en exergue les points
d’alerte, de vigilance « en amont, pour que ce nouvel univers soit un plein
succès », souligne Gérard Haas. Car même si ces univers totalement imaginaires
se présentent comme de formidables réservoirs d’imagination juridique et
économique. Il n’y pas encore eu de véritable contentieux dans le métavers,
aussi, la doctrine se crée donc aujourd’hui progressivement, à mesure que ces
mondes augmentés se déploient.
Le métavers s’inscrit dans un « continuum
d’immersion »
Comment est apparu le métavers ? Cet univers
immersif ne vient pas de nulle part, mais « se construit depuis plus de 30 ans
», explique Jean-Paul Crenn. Il s’agit d’un phénomène progressif qui s’écrit
dans le prolongement de multiples inventions de l’histoire du numérique.
On parle alors d’un continuum dans le temps, mais aussi
dans les pratiques, « car ce qui compte, c’est bien les usages qui sont faits
de ces technologies », précise Jean-Paul Crenn, lesquels entraînent à leurs
tours des évolutions de chaînes de valeurs pour les entreprises et les
utilisateurs, et influent enfin sur les modèles économiques.
Partant du texte vert sur un fond noir d’un ordinateur à
l’image plate en passant par la vidéo et la 3D pour aller aujourd’hui à l’IA et
au métavers, cette croissance constante de la puissance informatique est ce que
le spécialiste appelle un « continuum de l’immersion ». À mesure que les ordinateurs sont devenus plus performants, les expériences qu’ils génèrent se sont elles aussi enrichies.
Jeux vidéo, réunions Zoom, cryptomonnaies, NFT (Non Fungible Tokens),
blockchain, réseaux sociaux… Aujourd’hui, le numérique a clairement conquis le
monde. Pour preuve, 67 % des personnes
dans le monde utilisent un ordinateur, soit 5,29 milliards d’individus.
Pour bien comprendre de quoi il est question, Jean-Paul
Crenn invite à un voyage dans le temps qui débute dans les années 1960, avec
l’apparition de l’image en 2D. Puis, dix ans plus tard, la NASA expérimente les
« digital twins », représentations numériques d’un objet physique ou
d’un système, développées pour la mission lunaire Apollo 13,
rappelle-t-il.
Au milieu des années 70, l’artiste informatique américain
Myron Krueger réalise la première expérience de réalité virtuelle (expression
qu’il inventa en 1973) à travers une performance artistique appellée Videoplace,
durant laquelle il se plaît à immerger le
public dans un monde généré par ordinateur, nouvelle décennie, nouvelle étape,
avec l’apparition du premier objet connecté en 1982.
Une succession d’inventions et d’expériences qui invite
dès 1994 le Nobel d’économie Paul Milgrom à parler
d’un « continuum virtuel », rappelle l’avocat Gérard Haas.
À cette époque, en 1992 précisément, Jean-Paul Crenn
commence de son côté à travailler sur le web : « En
ce temps, on parlait déjà d’univers immersifs, on s’y projetait déjà », se
remémore-t-il. Cette même année, le mathématicien Peter Shor développe un
algorithme quantique ouvrant la voie à un ordinateur ultrapuissant pouvant
réaliser 330 milliards d’opérations par seconde ; une puissance de calcul
inimaginable, souligne l’intervenant. Le continuum se poursuit l’année suivante, avec la première connexion
mobile. Puis, en 1997, le pouvoir de la machine sur l’humain s’illustre avec la
victoire de Deep Blue, joueur d’échecs virtuel de
Google, contre le meilleur joueur mondial, Garry Kasparov.
Le voyage historique se poursuit avec la sortie, début
des années 2000, de Second Life, jeu vidéo qui permet aux joueurs d’évoluer
dans un monde virtuel en 3D. « C’est le
logiciel qui a montré la voie au métavers », soutient Jean-Paul Crenn. Dans
le prolongement, il y a également l’avènement des « jeux en ligne massivement
multijoueur » (MMO), où le jeu continue d’évoluer hors connexion, comme World
Of Warcraft.La première vidéo Youtube est quant
elle postée par l’un de ses fondateurs, Jawed Kari, le 23 avril 2005. Le voyage
continue en 2020, avec le Guardian qui publie son premier article écrit
par un robot, GPT3 (Generative Pre-training), une intelligence artificielle qui
se base sur pas moins de 175 milliards de paramètres. Enfin, en 2021, Facebook
annonce qu’il décide de prendre le nom de Meta, notifiant l’avènement du
métavers !
On le voit, « Il y a toujours eu cette
recherche des réalités de synthèse pour arriver à ces réalités immersives », résume
Gérard Haas. Ces dernières décennies auront ainsi vu naître les
prémices des mondes virtuels.
Monde virtuel : une réalité de
notre temps
Quand on parle de métavers, on a
tendance à se projeter dans le futur, en faisant un effort de prospection… il
n’en est rien. Loin des livres de science-fiction, les univers immersifs sont
aujourd’hui bien réels. À
commencer par les jeux vidéo, qui commercialisent depuis déjà plusieurs années,
de nouveaux mondes virtuels. « En moyenne, un Français passe sept heures par jour
sur des écrans. Mais avec le métavers, nous ne sommes plus devant, mais dans
l’écran », pointe Gérard Haas.
Le jeu vidéo, « roi du divertissement », qui tend à remplacer le cinéma en déclin,
a déjà clairement adopté le métavers, précise-t-il. Et ses utilisateurs se
comptent aujourd’hui par millions. Aux Etats-Unis, par exemple, plus de 50 % des jeunes sont inscrits à des jeux
vidéo, et au total, dans le monde, on compte 200 millions de personnes qui
évoluent dans les univers immersifs, ajoute le spécialiste.
Un engouement qui s’est confirmé
durant les confinements dus à la crise Covid. À cette période, de nouveaux utilisateurs se
sont plongés dans les jeux vidéo, voyant dans ce loisir la possibilité de
« sortir » virtuellement de chez eux pour évoluer dans
un univers imaginaire moins anxiogène. Aussi, à titre d’exemple, durant le mois
d’avril 2020, on enregistrait 3,2?milliards d’heures passées sur Fortnite par
l’ensemble des joueurs. Le jeu vidéo américain comptabiliserait alors
350?millions de comptes contre 250?millions en 2019, soit une augmentation de
40 %
en un an. L’industrie du jeu vidéo progresse à une vitesse
fulgurante, dépassant en termes de chiffre d’affaires,
ceux du cinéma et du sport réunis, secteurs lourdement impactés.
Outre le jeu vidéo, qui peut encore
apparaître pour certain comme un secteur peu sérieux, réservé à un groupe
limité et relativement jeune, le métavers s’immisce aussi dans nos quotidiens,
sans que nous nous en rendions forcément compte : « Avec Google maps, nous
sommes déjà tous dans le métavers », constate Jean-Paul Crenn.
Aujourd’hui, les avatars d’artistes,
à l’instar d’Ariana Grande et Travis Scott, se produisent en live sur une scène
virtuelle du jeu en ligne Fortnite, attirant au passage des millions de
spectateurs. Des parcelles de terrains virtuels se vendent à coups de millions
de dollars, et les marques de luxe et les stations de ski, notamment, se
tournent désormais vers cette technologie pour proposer à leurs clients une
vision augmentée de leur séjour. Récemment, le groupe LVMH a lui aussi dévoilé
son ambassadrice virtuelle, un avatar dénommé Livi, officiellement présenté
lors de Viva Technology 2022.
Avec le déploiement du phygital, le
monde physique devient de plus en plus programmable, constate Jean-Paul Crenn,
qui voit dans le phénomène meta une « vraie profondeur » qui fera assurément
évoluer les modèles économiques. Un propos confirmé par l’associé du cabinet
Haas Avocats, qui considère que « Le métavers offre de véritables opportunités
».
Une réglementation nécessaire, mais encore
discrète
Pourtant, de nombreuses questions –
notamment juridiques – se posent.
Car il ne faudrait pas que le métavers évolue de façon
autonome, sans réglementation ni cadre. Son développement allant plus vite que le
temps législatif, un vide juridique tend à s’installer…
Offrant un imaginaire illimité, le métavers nécessite un
contrôle, font savoir les deux experts. Un monde sans règles ni droit aurait en
effet de quoi inquiéter, à l’image du projet de rachat de Twitter par Elon Musk
qui, au nom de la liberté d’expression, aspire à créer un réseau social dénué
de tout contrôle. Mais quid de la responsabilité dans un monde sans règles ? La liberté
n’est pas sans limites, puisqu’elle doit se concilier avec d’autres libertés et
droits fondamentaux.
Pouvons-nous réellement laisser ces univers parallèles
aux mains de sociétés privées ? s’inquiètent les deux intervenants, qui
relèvent le risque qu’une poignée de plateformes puisse faire la loi sur le
commerce de ce nouvel univers.
Il en va aussi des règles de concurrence. « Quelle serait alors, dans ce cadre, la place
des États ? » s’interrogent-ils.
Se pose également la question de la protection des
utilisateurs, en termes de sécurisation de l’avatar, de moralisation de
l’espace d’expression ou encore de protection des données des citoyens. Des
interrogations qui restent pour l’heure encore en suspens. Car quelle
juridiction serait alors compétente en cas de dommages commis dans le
meta ? Qui va juger un délit dans ces mondes immersifs ? Comment y collecte-t-on des preuves ? Et quelles
seraient les réparations de ces préjudices ? À ce titre, en
novembre 2021, lors d’une séance test d’Horizon Worlds – le métavers de
Facebook (désormais Meta) –, une jeune femme a raconté avoir subi une agression
sexuelle dans ce monde virtuel. Elle avait précisé s’être sentie seule, isolée,
face aux comportements des autres usagers. Pour sortir de ces situations, il
existerait un moyen de « blocage » en interdisant toute interaction, avait réagi Meta. Mais est-ce suffisant ?
Quelle
responsabilité pour l’avatar ?
Depuis sa création dans les années 90 on l’a vu, le web a
largement évolué, tant dans sa technologie que dans ses usages. Après le 1er
web, dominé notamment par Yahoo qui n’était pas interactif, le 2e
web, en 2003, devient plus collaboratif, permettant aux visiteurs de créer du
contenu (Facebook, Youtube, Twitter par exemple), générant des données monétisées
par le biais de publicités ciblées, et créant alors l’émergence des géants de
la tech. « Mais avec la création
d’un avatar, nous entrons dans le 3e web », explique Gérard
Haas. Dans les mondes immersifs, l’avatar représente l’utilisateur,
car l’option multijoueur n’y est pas disponible : un joueur =
un avatar. L’avatar est-il par conséquent le prolongement de la personne ?
Comme le souligne Gérard Haas, « L’utilisateur-consommateur est un acteur essentiel dans
le métavers. Notamment lorsqu’avec son avatar, il interagit avec un autre
utilisateur. Mais le droit ne connaît pas les avatars : un avatar ne peut
pas acheter en ligne ». Un propos
soutenu par Jean-Paul Crenn, qui rappelle en outre que le consommateur est
clairement défini par le Code de la consommation comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent
pas dans le cadre de son activité commerciale,
industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».
Qu’en est-il alors de la personnalité juridique d’un
avatar et sa responsabilité ? Un avatar est-il
titulaire de droits ? Pour l’heure,
l’avatar est dépourvu de personnalité juridique, il ne peut donc pas engager sa
responsabilité propre, mais à l’avenir, pourra-t-il être condamné ? Et
dans ce cas, quelle serait l’effectivité de la sanction ? Ou faudra-t-il
punir l’avatar, en mettant en place une juridiction directement dans le
métavers, avec une sanction virtuelle (une prison comme dans le
Monopoly) ? Ou faudra-t-il bannir l’avatar ? Ou bien est-ce
l’utilisateur qu’il faudra punir ? La question
de l’identification de ce dernier vient alors à se
poser : quid de l’anonymisation de la personne qui est derrière
l’avatar ? Quelles
preuves face au risque d’usurpation de l’identité ? Les questions et les
possibilités sont multiples.
Pour le spécialiste en transformation digitale, « Il
va falloir créer une passerelle entre l’avatar et le consommateur ».
« Tous ces sujets sont passionnants
pour le juriste, qui va devoir apporter des réponses concrètes portant sur un
monde où règne l’imagination », se réjouit de
son côté Gérard Haas, qui affirme
que l’on fait face aujourd’hui à des enjeux juridiques majeurs.
Consommation et concurrence dans le meta
Le consommateur – une personne physique, donc – sera par
conséquent lui aussi affecte par les encadrements liés à la création de ces
nouveaux mondes virtuels.
Le métavers risque ainsi de modifier les Conditions
générales d’utilisation (CGU) et les Conditions générales de vente (CGV),
notamment en ce qui concerne le droit applicable, la réglementation de
comportements, la monétisation des biens et des services au sein des mondes
virtuels ou encore les « user generated content » (contenus générés par les
utilisateurs). Sur ce sujet, en termes d’expérience d’achat, la CNIL considère
notamment que le consommateur doit recevoir une information renforcée sur le
dispositif et être en mesure de le refuser sans conséquence pour lui, avec la
possibilité de poursuivre son achat ; « Ce n’est pas sûr que le métavers s’y
prête facilement », craint l’associé du cabinet Haas. Le risque, selon lui,
serait en effet que le consommateur doive accepter « des conditions
contractuelles déséquilibrées ». L’avocat pense notamment à l’utilisation
impératives d’une monnaie cryptée, ou à l’explosion du prix de la redevance. On
l’a déjà vu avec iTunes et son combat en Europe avec Spotify sur les redevances
liées aux abonnements et la position d’abus de position dominante de
l’entreprise américaine. Rappelons également que Meta (ex Facebook) demande de
son côté 47 % de reversement sur la vente de produits NFT.
Dans le prolongement, Gérard Haas se questionne sur les
règles de concurrence, dans la mesure où demain, une ou plusieurs plateformes
pourraient être en mesure de dicter les conditions du marché. À ce titre, comment le futur règlement
DSA (Digital Services Act), qui régule sur le
territoire européen les géants du digital – et dont
la mise en application est prévue pour début 2023?–, va-t-il s’appliquer ? Quel est le territoire du méta ? s’interroge à juste titre Gérard Haas.
Faut-il prendre le lieu de connexion de l’utilisateur en compte ou le lieu
de création de la plateforme ? Il s’agit là de questions intéressantes qui
n’ont, pour le moment, pas de réponses.
Mondes virtuels et protection des
droits de la propriété intellectuelle
Le métavers n’est pas un site de e-commerce comme les
autres, certifie Gérard Haas, mais bien un espace virtuel nouveau, les objets
immersifs y faisant à ce titre l’objet d’un statut particulier. Dans un arrêt
du 25 juin 2009 rendu par la 1re chambre civile, dit arrêt Cryo, la
Cour de cassation reconnaît au jeu vidéo le
statut d’œuvre multimédia complexe, tout comme la Cour européenne de justice
par la suite, explique l’avocat.
Malgré tout, certaines inconnues persistent : en
tant que créations informatiques, ces univers immersifs appartiennent-ils à
l’employeur ? S’agit-il d’une œuvre collective ou de collaboration ?
Doit-on protéger chaque élément qui les compose en fonction de sa nature, ou
faut-il le considérer comme un tout ?
Car
pour les marques, le métavers se présente, il est vrai, comme un environnement
à fort potentiel dans lequel des concepts et produits numériques peuvent y être
représentés. De grandes enseignes, telles que McDonalds, Vuitton, Nike.
L’Oréal, l’utilisent déjà comme vitrine numérique. Par conséquent, la sécurité
des actifs immatériels devient un enjeu à ne pas négliger.
Car
oui, la contrefaçon existe dans le métavers ! Hermès a par exemple attaqué en début d’année
l’artiste Mason Rothschild qui avait mis en vente, en cryptomonnaie, des NFT
représentant de faux sacs en fourrure inspirés de la célèbre collection de
sacs « Birkin », appelés alors les « MetaBirkins ». Alors que la marque de luxe
accuse l’artiste américain d’avoir « ouvertement reconnu avoir choisi de vendre
ses NFT au nom de MetaBirkin parce qu’un sac Birkin est un bien précieux dans
le monde réel », celui-ci se défend, affirmant réaliser « des œuvres d’art
représentant des sacs “Birkin” imaginaires en fourrure », tout comme Andy
Warhol avec les conserves de soupe Campbell.
« Développer,
exploiter ou revendre des NFT inspirés ou dérivés de créations intellectuelles
préexistantes sans l’autorisation du titulaire des droits est susceptible
d’être qualifiée de contrefaçon. Et le caractère immatériel de la transaction
ne change rien sur ce point », commente
à ce titre
Gérard Haas, qui appelle les marques à être vigilantes en se protégeant également dans
ces univers immersifs. Au regard de la jurisprudence, ce dernier juge
insuffisante la clause autorisant la représentation d’œuvres « sur tout support
présent et à venir ». Avant de proposer leurs produits au sein
d’une galerie marchande virtuelle, les marques devront s’assurer de
l’intégralité des droits nécessaires sur les biens reproduits dans ce nouvel
univers, met en garde l’avocat. Les contrats de cession avec les équipes
devront être impérativement revus et le cas échéant modifiés. Aussi, « pour
les marques, une vraie stratégie de diversification du portefeuille de marques,
dès le dépôt de la demande, doit être mise en place ».
Quid de la protection des données ?
La problématique de la protection des données est
également à prendre en compte. En effet, la façon dont nous habiterons le
métavers risque d’impacter la collecte des données elles-mêmes : « en
achetant sur les plateformes de réalité virtuelle, les personnes physiques
seront amenées à transmettre aux vendeurs des données personnelles plus
nombreuses et d’un type nouveau », relève Jean-Paul Crenn. Pour mieux connaître
les modes de fonctionnement des joueurs ou rendre l’avatar le plus réaliste
possible, les plateformes récupèrent énormément de données de sources
différentes (capteurs caméra, mouvement, interaction…) et seront
potentiellement amenées à collecter des données sensibles, notamment
biométriques (rythme cardiaque, regard et expression faciale des joueurs, par
exemple) nécessitant des protections renforcées, précise Jean-Paul Crenn. « Le RGPD devra être respecté dans un
contexte beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui », prédit le spécialiste en
transformation digitale.
À ce titre, la
CNIL, gardien de la vie privée des Français, rappelle sur son site que
« le règlement européen interdit de recueillir ou d’utiliser
ces données
[sensibles], sauf, notamment, dans les cas suivants : si la personne
concernée a donné son consentement exprès (démarche active, explicite et de
préférence écrite, qui doit être libre, spécifique et informée) ; si les
informations sont manifestement rendues publiques par la personne
concernée ; si elles sont nécessaires à la sauvegarde de la vie
humaine ; si leur utilisation est justifiée par l’intérêt public et
autorisé par la CNIL ; si elles concernent les membres ou adhérents d’une
association ou d’une organisation politique, religieuse, philosophique,
politique ou syndicale ».
Les données pouvant être recueillies en temps réel, la question de la
conformité devrait se poser.
Métavers VS
écologie
À l’heure où l’engagement écologique prend
de plus en plus de place, l’impact environnemental de toutes ces nouvelles
technologies lourdement énergivores est
également à prendre en compte. « Les
équipements dédiés à la réalité virtuelle constituent une source supplémentaire
de pollution », cet aspect pourrait, selon Gérard Hass, être un frein au
développement du métavers. Le milliardaire Elon Musk avait lui-même renoncé aux
bitcoins qui consommaient, selon lui, trop d’énergie, pointe l’intervenant.
L’avocat
évoque ainsi la sobriété numérique qui est dans l’air du temps, et pouvant
entrer en conflit avec ces mondes virtuels.
« Les éditeurs doivent aussi y réfléchir », considère l’avocat, rappelant
que « le numérique représente 4 % des
émissions mondiales des gaz à effet de serre », chiffre qui devrait doubler
d’ici 2025.
La France, pays de la Cop21, a pris des engagements dans ce
domaine. La loi du 15 novembre 2021 vise par exemple à réduire l’empreinte
environnementale du numérique en France. «
Cette loi met l’écoconception de services numériques à la charge des organismes
en prévoyant la prise en compte de la protection de l’environnement dès la
conception d’un objet. En ce sens, l’écoconception, comme on l’appelle,
s’intègre dans l’ecology by design ou
la sobriété numérique, qui consiste à la mise en place de processus beaucoup
plus durables » note-t-il.
Le juriste voit dans ces éléments des
pistes de développement pour les éditeurs de jeux vidéo, avec notamment l’ISO
26 000, norme de l’Organisation internationale de normalisation (ISO)
établissant les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des
entreprises. « La France pourrait être
leader dans ce domaine », suggère-t-il, «
il y a des choses à faire autour de ce sujet. »
Quel avenir pour le métavers ?
À l’image de la blockchain et des NFT, ces univers
immersifs trouvent leur place dans une société où la confiance tend à se
décentraliser, note Jean-Paul Crenn. Dans un monde volatil et incertain, quel
avenir pour le métavers ?
«
Le
NFT du 1er tweet acheté plusieurs millions ne dépasse pas
aujourd’hui à la revente les 14 000?dollars », pointe-t-il. La bulle des NFT serait-elle en train
d’éclater ? Ces derniers seraient-ils un épiphénomène ? s’interroge le
spécialiste en digital. « On évoque beaucoup les NFT, mais cela reste encore
une niche », précise-t-il, rappelant que 95 % d’entre eux appartiennent à 4
% de comptes, et 95 % des bitcoins sont concentrés dans à peine 2 % des
comptes. Faisant notamment référence à une génération née avec les
écrans, Gérard Haas s’intéresse de son côté à la déontologie de ces technologies
: « Quand on parle du numérique, on parle souvent d’une éthique,
car le numérique crée des comportements sociaux qui ont des conséquences sur
l’individu », appuie-t-il, abordant ici la santé mentale des utilisateurs. L’avocat
relève des risques de haine, de discrimination, de difficulté de modération des
comportements, de harcèlement. Il soulève encore la problématique de
cybersécurité et de doxing (menacer la divulgation d’un utilisateur, ndlr) qui
émanent du déploiement de ces mondes virtuels.
L’omniprésence des
intermédiaires, la publicité intrusive ou encore des modèles fondés sur des
récompenses sont également des craintes qui sont à prendre en compte.
Gérard Haas s’intéresse
aussi aux risques psychologiques pour l’utilisateur liés à cette immersion
virtuelle, citant par exemple les risques d’addiction et de distorsion du réel.
La question de la phobie sociale a également été relevée par l’avocat –
l’utilisateur préférant être dans l’écran que d’affronter la réalité –, mais
aussi celle de l’isolement ou encore de la non-distinction entre le virtuel et
le réel.
Pour autant, « Ce serait
une erreur d’avoir un avis catégorique sur les métavers. Évidemment il y aura
des effets d’annonce, des surpromesses, et il y aura des échecs, mais ils ne
doivent pas ruiner la réalité qui est derrière » affirme de son côté
Jean-Paul Crenn. Aujourd’hui, l’industrie du jeu vidéo est en avance, et nous
montre ce que l’avenir peut être, conclut le fondateur de Vuca Strategy. Let’s
wait and see…
Constance Périn