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Métavers : un encadrement juridique en construction

Métavers : un encadrement juridique en construction
Publié le 15/06/2022 à 16:33

À l’heure où des millions d’avatars évoluent quotidiennement dans des mondes virtuels, le cabinet Haas Avocats s’intéresse de près aux enjeux juridiques de ces univers immersifs. Car même si le métavers est déjà une réalité, de nombreuses questions persistent. Le vide juridique lié à ce domaine invite à s’interroger tant sur les opportunités offertes qu’aux risques économiques et juridiques liés à l’Internet augmenté.




Evoluer dans un monde virtuel tout en restant physiquement assis sur son canapé : ce qui n’était autrefois qu’un concept délirant inventé par la science-fiction et raconté dans les livres et films futuristes est aujourd’hui une réalité.

Composé des mots anglais meta et universe, le metaverse – ou métavers en français –, mot apparu pour la première fois en 1992?dans le roman futuriste de Neal Stephenson Le Samouraï virtuel, a déjà séduit des millions d’utilisateurs qui évoluent chaque jour, par le biais de leur avatar, dans des univers immersifs en trois dimensions. Le jeu vidéo a été l’un des premiers à s’emparer de cette technologie, mais face aux multiples possibilités offertes, le métavers ne se limite plus à ce secteur et devrait assez rapidement se développer dans les années à venir.

Témoin de cet engouement, le cabinet Haas Avocats, spécialisé dans le droit du numérique et des nouvelles technologies, lui a consacré un webinaire, le 21?avril dernier, durant lequel Gérard Haas, associé fondateur, et Jean-Paul Crenn, fondateur de Vuca Strategy, société spécialisé dans l’accompagnement des entreprises dans leur transformation digitale, et auteur d’ouvrages, sont intervenus pour apporter leur expertise et relever les atouts mais aussi les risques liés à ce monde en construction.

Durant ce rendez-vous, ces derniers se sont plus précisément intéressés aux enjeux juridiques liés à ces univers virtuels alternatifs qui, comme Internet fut un temps, grandissent « à l’aveuglette », sans que personne n’en connaisse toutes les possibilités ni ne leur impose un cadre strict. Objectif, pour le cabinet, mettre en exergue les points d’alerte, de vigilance « en amont, pour que ce nouvel univers soit un plein succès », souligne Gérard Haas. Car même si ces univers totalement imaginaires se présentent comme de formidables réservoirs d’imagination juridique et économique. Il n’y pas encore eu de véritable contentieux dans le métavers, aussi, la doctrine se crée donc aujourd’hui progressivement, à mesure que ces mondes augmentés se déploient.

 

 







Le métavers s’inscrit dans un « continuum d’immersion »

Comment est apparu le métavers ? Cet univers immersif ne vient pas de nulle part, mais « se construit depuis plus de 30 ans », explique Jean-Paul Crenn. Il s’agit d’un phénomène progressif qui s’écrit dans le prolongement de multiples inventions de l’histoire du numérique.

On parle alors d’un continuum dans le temps, mais aussi dans les pratiques, « car ce qui compte, c’est bien les usages qui sont faits de ces technologies », précise Jean-Paul Crenn, lesquels entraînent à leurs tours des évolutions de chaînes de valeurs pour les entreprises et les utilisateurs, et influent enfin sur les modèles économiques. 

Partant du texte vert sur un fond noir d’un ordinateur à l’image plate en passant par la vidéo et la 3D pour aller aujourd’hui à l’IA et au métavers, cette croissance constante de la puissance informatique est ce que le spécialiste appelle un « continuum de l’immersion ». À mesure que les ordinateurs sont devenus plus performants, les expériences quils génèrent se sont elles aussi enrichies. Jeux vidéo, réunions Zoom, cryptomonnaies, NFT (Non Fungible Tokens), blockchain, réseaux sociaux… Aujourd’hui, le numérique a clairement conquis le monde. Pour preuve, 67 % des personnes dans le monde utilisent un ordinateur, soit 5,29 milliards d’individus.

Pour bien comprendre de quoi il est question, Jean-Paul Crenn invite à un voyage dans le temps qui débute dans les années 1960, avec l’apparition de l’image en 2D. Puis, dix ans plus tard, la NASA expérimente les « digital twins », représentations numériques d’un objet physique ou d’un système, développées pour la mission lunaire Apollo 13, rappelle-t-il.

Au milieu des années 70, l’artiste informatique américain Myron Krueger réalise la première expérience de réalité virtuelle (expression qu’il inventa en 1973) à travers une performance artistique appellée Videoplace, durant laquelle il se plaît à immerger le public dans un monde généré par ordinateur, nouvelle décennie, nouvelle étape, avec l’apparition du premier objet connecté en 1982.

Une succession d’inventions et d’expériences qui invite dès 1994 le Nobel d’économie Paul Milgrom à parler d’un « continuum virtuel », rappelle l’avocat Gérard Haas.

À cette époque, en 1992 précisément, Jean-Paul Crenn commence de son côté à travailler sur le web : « En ce temps, on parlait déjà d’univers immersifs, on s’y projetait déjà », se remémore-t-il. Cette même année, le mathématicien Peter Shor développe un algorithme quantique ouvrant la voie à un ordinateur ultrapuissant pouvant réaliser 330 milliards d’opérations par seconde ; une puissance de calcul inimaginable, souligne l’intervenant. Le continuum se poursuit l’année suivante, avec la première connexion mobile. Puis, en 1997, le pouvoir de la machine sur l’humain s’illustre avec la victoire de Deep Blue, joueur d’échecs virtuel de Google, contre le meilleur joueur mondial, Garry Kasparov.

Le voyage historique se poursuit avec la sortie, début des années 2000, de Second Life, jeu vidéo qui permet aux joueurs d’évoluer dans un monde virtuel en 3D. « C’est le logiciel qui a montré la voie au métavers », soutient Jean-Paul Crenn. Dans le prolongement, il y a également l’avènement des « jeux en ligne massivement multijoueur » (MMO), où le jeu continue d’évoluer hors connexion, comme World Of Warcraft.La première vidéo Youtube est quant elle postée par l’un de ses fondateurs, Jawed Kari, le 23 avril 2005. Le voyage continue en 2020, avec le Guardian qui publie son premier article écrit par un robot, GPT3 (Generative Pre-training), une intelligence artificielle qui se base sur pas moins de 175 milliards de paramètres. Enfin, en 2021, Facebook annonce qu’il décide de prendre le nom de Meta, notifiant l’avènement du métavers !

On le voit, « Il y a toujours eu cette recherche des réalités de synthèse pour arriver à ces réalités immersives », résume Gérard Haas. Ces dernières décennies auront ainsi vu naître les prémices des mondes virtuels.

 

 


Monde virtuel : une réalité de notre temps

Quand on parle de métavers, on a tendance à se projeter dans le futur, en faisant un effort de prospection… il n’en est rien. Loin des livres de science-fiction, les univers immersifs sont aujourd’hui bien réels. À commencer par les jeux vidéo, qui commercialisent depuis déjà plusieurs années, de nouveaux mondes virtuels. « En moyenne, un Français passe sept heures par jour sur des écrans. Mais avec le métavers, nous ne sommes plus devant, mais dans l’écran », pointe Gérard Haas.

Le jeu vidéo, « roi du divertissement », qui tend à remplacer le cinéma en déclin, a déjà clairement adopté le métavers, précise-t-il. Et ses utilisateurs se comptent aujourd’hui par millions. Aux Etats-Unis, par exemple, plus de 50 % des jeunes sont inscrits à des jeux vidéo, et au total, dans le monde, on compte 200 millions de personnes qui évoluent dans les univers immersifs, ajoute le spécialiste.

Un engouement qui s’est confirmé durant les confinements dus à la crise Covid. À cette période, de nouveaux utilisateurs se sont plongés dans les jeux vidéo, voyant dans ce loisir la possibilité de « sortir » virtuellement de chez eux pour évoluer dans un univers imaginaire moins anxiogène. Aussi, à titre d’exemple, durant le mois d’avril 2020, on enregistrait 3,2?milliards d’heures passées sur Fortnite par l’ensemble des joueurs. Le jeu vidéo américain comptabiliserait alors 350?millions de comptes contre 250?millions en 2019, soit une augmentation de 40 % en un an. L’industrie du jeu vidéo progresse à une vitesse fulgurante, dépassant en termes de chiffre d’affaires, ceux du cinéma et du sport réunis, secteurs lourdement impactés.

Outre le jeu vidéo, qui peut encore apparaître pour certain comme un secteur peu sérieux, réservé à un groupe limité et relativement jeune, le métavers s’immisce aussi dans nos quotidiens, sans que nous nous en rendions forcément compte : « Avec Google maps, nous sommes déjà tous dans le métavers », constate Jean-Paul Crenn.

Aujourd’hui, les avatars d’artistes, à l’instar d’Ariana Grande et Travis Scott, se produisent en live sur une scène virtuelle du jeu en ligne Fortnite, attirant au passage des millions de spectateurs. Des parcelles de terrains virtuels se vendent à coups de millions de dollars, et les marques de luxe et les stations de ski, notamment, se tournent désormais vers cette technologie pour proposer à leurs clients une vision augmentée de leur séjour. Récemment, le groupe LVMH a lui aussi dévoilé son ambassadrice virtuelle, un avatar dénommé Livi, officiellement présenté lors de Viva Technology 2022.

Avec le déploiement du phygital, le monde physique devient de plus en plus programmable, constate Jean-Paul Crenn, qui voit dans le phénomène meta une « vraie profondeur » qui fera assurément évoluer les modèles économiques. Un propos confirmé par l’associé du cabinet Haas Avocats, qui considère que « Le métavers offre de véritables opportunités ».  


  

Une réglementation nécessaire, mais encore discrète

Pourtant, de nombreuses questions – notamment juridiques – se posent.

Car il ne faudrait pas que le métavers évolue de façon autonome, sans réglementation ni cadre. Son développement allant plus vite que le temps législatif, un vide juridique tend à s’installer…

Offrant un imaginaire illimité, le métavers nécessite un contrôle, font savoir les deux experts. Un monde sans règles ni droit aurait en effet de quoi inquiéter, à l’image du projet de rachat de Twitter par Elon Musk qui, au nom de la liberté d’expression, aspire à créer un réseau social dénué de tout contrôle. Mais quid de la responsabilité dans un monde sans règles ? La liberté n’est pas sans limites, puisqu’elle doit se concilier avec d’autres libertés et droits fondamentaux.

Pouvons-nous réellement laisser ces univers parallèles aux mains de sociétés privées ? s’inquiètent les deux intervenants, qui relèvent le risque qu’une poignée de plateformes puisse faire la loi sur le commerce de ce nouvel univers.

Il en va aussi des règles de concurrence. « Quelle serait alors, dans ce cadre, la place des États ? » s’interrogent-ils.

Se pose également la question de la protection des utilisateurs, en termes de sécurisation de l’avatar, de moralisation de l’espace d’expression ou encore de protection des données des citoyens. Des interrogations qui restent pour l’heure encore en suspens. Car quelle juridiction serait alors compétente en cas de dommages commis dans le meta ? Qui va juger un délit dans ces mondes immersifs ? Comment y collecte-t-on des preuves ? Et quelles seraient les réparations de ces préjudices ? À ce titre, en novembre 2021, lors d’une séance test d’Horizon Worlds – le métavers de Facebook (désormais Meta) –, une jeune femme a raconté avoir subi une agression sexuelle dans ce monde virtuel. Elle avait précisé s’être sentie seule, isolée, face aux comportements des autres usagers. Pour sortir de ces situations, il existerait un moyen de « blocage » en interdisant toute interaction, avait réagi Meta. Mais est-ce suffisant ?

 

 



Quelle responsabilité pour lavatar ?

Depuis sa création dans les années 90 on l’a vu, le web a largement évolué, tant dans sa technologie que dans ses usages. Après le 1er web, dominé notamment par Yahoo qui n’était pas interactif, le 2e web, en 2003, devient plus collaboratif, permettant aux visiteurs de créer du contenu (Facebook, Youtube, Twitter par exemple), générant des données monétisées par le biais de publicités ciblées, et créant alors l’émergence des géants de la tech. « Mais avec la création d’un avatar, nous entrons dans le 3e web », explique Gérard Haas. Dans les mondes immersifs, l’avatar représente l’utilisateur, car l’option multijoueur n’y est pas disponible : un joueur = un avatar. L’avatar est-il par conséquent le prolongement de la personne ?

Comme le souligne Gérard Haas, « L’utilisateur-consommateur est un acteur essentiel dans le métavers. Notamment lorsqu’avec son avatar, il interagit avec un autre utilisateur. Mais le droit ne connaît pas les avatars : un avatar ne peut pas acheter en ligne ». Un propos soutenu par Jean-Paul Crenn, qui rappelle en outre que le consommateur est clairement défini par le Code de la consommation comme « toute personne physique qui agit à des fins qui nentrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».

Qu’en est-il alors de la personnalité juridique d’un avatar et sa responsabilité ? Un avatar est-il titulaire de droits ? Pour l’heure, l’avatar est dépourvu de personnalité juridique, il ne peut donc pas engager sa responsabilité propre, mais à l’avenir, pourra-t-il être condamné ? Et dans ce cas, quelle serait l’effectivité de la sanction ? Ou faudra-t-il punir l’avatar, en mettant en place une juridiction directement dans le métavers, avec une sanction virtuelle (une prison comme dans le Monopoly) ? Ou faudra-t-il bannir l’avatar ? Ou bien est-ce l’utilisateur qu’il faudra punir ? La question de l’identification de ce dernier vient alors à se poser : quid de l’anonymisation de la personne qui est derrière l’avatar ? Quelles preuves face au risque d’usurpation de l’identité ? Les questions et les possibilités sont multiples.

Pour le spécialiste en transformation digitale, « Il va falloir créer une passerelle entre l’avatar et le consommateur ». « Tous ces sujets sont passionnants pour le juriste, qui va devoir apporter des réponses concrètes portant sur un monde où règne l’imagination », se réjouit de son côté Gérard Haas, qui affirme que l’on fait face aujourd’hui à des enjeux juridiques majeurs.

 



 




Consommation et concurrence dans le meta

Le consommateur – une personne physique, donc – sera par conséquent lui aussi affecte par les encadrements liés à la création de ces nouveaux mondes virtuels.

Le métavers risque ainsi de modifier les Conditions générales d’utilisation (CGU) et les Conditions générales de vente (CGV), notamment en ce qui concerne le droit applicable, la réglementation de comportements, la monétisation des biens et des services au sein des mondes virtuels ou encore les « user generated content » (contenus générés par les utilisateurs). Sur ce sujet, en termes d’expérience d’achat, la CNIL considère notamment que le consommateur doit recevoir une information renforcée sur le dispositif et être en mesure de le refuser sans conséquence pour lui, avec la possibilité de poursuivre son achat ; « Ce n’est pas sûr que le métavers s’y prête facilement », craint l’associé du cabinet Haas. Le risque, selon lui, serait en effet que le consommateur doive accepter « des conditions contractuelles déséquilibrées ». L’avocat pense notamment à l’utilisation impératives d’une monnaie cryptée, ou à l’explosion du prix de la redevance. On l’a déjà vu avec iTunes et son combat en Europe avec Spotify sur les redevances liées aux abonnements et la position d’abus de position dominante de l’entreprise américaine. Rappelons également que Meta (ex Facebook) demande de son côté 47 % de reversement sur la vente de produits NFT.

Dans le prolongement, Gérard Haas se questionne sur les règles de concurrence, dans la mesure où demain, une ou plusieurs plateformes pourraient être en mesure de dicter les conditions du marché. À ce titre, comment le futur règlement DSA (Digital Services Act), qui régule sur le territoire européen les géants du digitalet dont la mise en application est prévue pour début 2023?–, va-t-il sappliquer ? Quel est le territoire du méta ? s’interroge à juste titre Gérard Haas. Faut-il prendre le lieu de connexion de l’utilisateur en compte ou le lieu de création de la plateforme ? Il s’agit là de questions intéressantes qui n’ont, pour le moment, pas de réponses.

 

 


Mondes virtuels et protection des droits de la propriété intellectuelle

Le métavers n’est pas un site de e-commerce comme les autres, certifie Gérard Haas, mais bien un espace virtuel nouveau, les objets immersifs y faisant à ce titre l’objet d’un statut particulier. Dans un arrêt du 25 juin 2009 rendu par la 1re chambre civile, dit arrêt Cryo, la Cour de cassation reconnaît au jeu vidéo le statut d’œuvre multimédia complexe, tout comme la Cour européenne de justice par la suite, explique l’avocat.

Malgré tout, certaines inconnues persistent : en tant que créations informatiques, ces univers immersifs appartiennent-ils à l’employeur ? S’agit-il d’une œuvre collective ou de collaboration ? Doit-on protéger chaque élément qui les compose en fonction de sa nature, ou faut-il le considérer comme un tout  ?

Car pour les marques, le métavers se présente, il est vrai, comme un environnement à fort potentiel dans lequel des concepts et produits numériques peuvent y être représentés. De grandes enseignes, telles que McDonalds, Vuitton, Nike. L’Oréal, l’utilisent déjà comme vitrine numérique. Par conséquent, la sécurité des actifs immatériels devient un enjeu à ne pas négliger.

Car oui, la contrefaçon existe dans le métavers ! Hermès a par exemple attaqué en début d’année l’artiste Mason Rothschild qui avait mis en vente, en cryptomonnaie, des NFT représentant de faux sacs en fourrure inspirés de la célèbre collection de sacs « Birkin », appelés alors les « MetaBirkins ». Alors que la marque de luxe accuse l’artiste américain d’avoir « ouvertement reconnu avoir choisi de vendre ses NFT au nom de MetaBirkin parce qu’un sac Birkin est un bien précieux dans le monde réel », celui-ci se défend, affirmant réaliser « des œuvres d’art représentant des sacs “Birkin” imaginaires en fourrure », tout comme Andy Warhol avec les conserves de soupe Campbell.

« Développer, exploiter ou revendre des NFT inspirés ou dérivés de créations intellectuelles préexistantes sans l’autorisation du titulaire des droits est susceptible d’être qualifiée de contrefaçon. Et le caractère immatériel de la transaction ne change rien sur ce point », commente à ce titre Gérard Haas, qui appelle les marques à être vigilantes en se protégeant également dans ces univers immersifs. Au regard de la jurisprudence, ce dernier juge insuffisante la clause autorisant la représentation d’œuvres « sur tout support présent et à venir ». Avant de proposer leurs produits au sein d’une galerie marchande virtuelle, les marques devront s’assurer de l’intégralité des droits nécessaires sur les biens reproduits dans ce nouvel univers, met en garde l’avocat. Les contrats de cession avec les équipes devront être impérativement revus et le cas échéant modifiés. Aussi, « pour les marques, une vraie stratégie de diversification du portefeuille de marques, dès le dépôt de la demande, doit être mise en place ».

 

 


Quid de la protection des données ?

La problématique de la protection des données est également à prendre en compte. En effet, la façon dont nous habiterons le métavers risque d’impacter la collecte des données elles-mêmes : « en achetant sur les plateformes de réalité virtuelle, les personnes physiques seront amenées à transmettre aux vendeurs des données personnelles plus nombreuses et d’un type nouveau », relève Jean-Paul Crenn. Pour mieux connaître les modes de fonctionnement des joueurs ou rendre l’avatar le plus réaliste possible, les plateformes récupèrent énormément de données de sources différentes (capteurs caméra, mouvement, interaction…) et seront potentiellement amenées à collecter des données sensibles, notamment biométriques (rythme cardiaque, regard et expression faciale des joueurs, par exemple) nécessitant des protections renforcées, précise Jean-Paul Crenn. « Le RGPD devra être respecté dans un contexte beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui », prédit le spécialiste en transformation digitale.

À ce titre, la CNIL, gardien de la vie privée des Français, rappelle sur son site que « le règlement européen interdit de recueillir ou dutiliser ces données [sensibles], sauf, notamment, dans les cas suivants : si la personne concernée a donné son consentement exprès (démarche active, explicite et de préférence écrite, qui doit être libre, spécifique et informée) ; si les informations sont manifestement rendues publiques par la personne concernée ; si elles sont nécessaires à la sauvegarde de la vie humaine ; si leur utilisation est justifiée par l’intérêt public et autorisé par la CNIL ; si elles concernent les membres ou adhérents d’une association ou d’une organisation politique, religieuse, philosophique, politique ou syndicale ». Les données pouvant être recueillies en temps réel, la question de la conformité devrait se poser.

 

 


Métavers VS écologie

À l’heure où l’engagement écologique prend de plus en plus de place, l’impact environnemental de toutes ces nouvelles technologies lourdement énergivores est également à prendre en compte. « Les équipements dédiés à la réalité virtuelle constituent une source supplémentaire de pollution », cet aspect pourrait, selon Gérard Hass, être un frein au développement du métavers. Le milliardaire Elon Musk avait lui-même renoncé aux bitcoins qui consommaient, selon lui, trop d’énergie, pointe l’intervenant.

L’avocat évoque ainsi la sobriété numérique qui est dans l’air du temps, et pouvant entrer en conflit avec ces mondes virtuels. « Les éditeurs doivent aussi y réfléchir », considère l’avocat, rappelant que « le numérique représente 4 % des émissions mondiales des gaz à effet de serre », chiffre qui devrait doubler d’ici 2025.

La France, pays de la Cop21, a pris des engagements dans ce domaine. La loi du 15 novembre 2021 vise par exemple à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. « Cette loi met l’écoconception de services numériques à la charge des organismes en prévoyant la prise en compte de la protection de l’environnement dès la conception d’un objet. En ce sens, l’écoconception, comme on l’appelle, s’intègre dans l’ecology by design ou la sobriété numérique, qui consiste à la mise en place de processus beaucoup plus durables » note-t-il.

Le juriste voit dans ces éléments des pistes de développement pour les éditeurs de jeux vidéo, avec notamment l’ISO 26 000, norme de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) établissant les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des entreprises. « La France pourrait être leader dans ce domaine », suggère-t-il, « il y a des choses à faire autour de ce sujet. »

 



Quel avenir pour le métavers ?

À l’image de la blockchain et des NFT, ces univers immersifs trouvent leur place dans une société où la confiance tend à se décentraliser, note Jean-Paul Crenn. Dans un monde volatil et incertain, quel avenir pour le métavers ? 

« Le NFT du 1er tweet acheté plusieurs millions ne dépasse pas aujourd’hui à la revente les 14 000?dollars », pointe-t-il. La bulle des NFT serait-elle en train d’éclater ? Ces derniers seraient-ils un épiphénomène ? s’interroge le spécialiste en digital. « On évoque beaucoup les NFT, mais cela reste encore une niche », précise-t-il, rappelant que 95 % d’entre eux appartiennent à 4 % de comptes, et 95 % des bitcoins sont concentrés dans à peine 2 % des comptes. Faisant notamment référence à une génération née avec les écrans, Gérard Haas s’intéresse de son côté à la déontologie de ces technologies : « Quand on parle du numérique, on parle souvent d’une éthique, car le numérique crée des comportements sociaux qui ont des conséquences sur l’individu », appuie-t-il, abordant ici la santé mentale des utilisateurs. L’avocat relève des risques de haine, de discrimination, de difficulté de modération des comportements, de harcèlement. Il soulève encore la problématique de cybersécurité et de doxing (menacer la divulgation d’un utilisateur, ndlr) qui émanent du déploiement de ces mondes virtuels.

L’omniprésence des intermédiaires, la publicité intrusive ou encore des modèles fondés sur des récompenses sont également des craintes qui sont à prendre en compte.

Gérard Haas s’intéresse aussi aux risques psychologiques pour l’utilisateur liés à cette immersion virtuelle, citant par exemple les risques d’addiction et de distorsion du réel. La question de la phobie sociale a également été relevée par l’avocat – l’utilisateur préférant être dans l’écran que d’affronter la réalité –, mais aussi celle de l’isolement ou encore de la non-distinction entre le virtuel et le réel.

Pour autant, « Ce serait une erreur d’avoir un avis catégorique sur les métavers. Évidemment il y aura des effets d’annonce, des surpromesses, et il y aura des échecs, mais ils ne doivent pas ruiner la réalité qui est derrière » affirme de son côté Jean-Paul Crenn. Aujourd’hui, l’industrie du jeu vidéo est en avance, et nous montre ce que l’avenir peut être, conclut le fondateur de Vuca Strategy. Let’s wait and see…

 

Constance Périn




 

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