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Un mardi d’été, un Ukrainien demande à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) que le statut de réfugié lui soit accordé, pour le motif que ses convictions lui interdisent de combattre, ce qui n’est pas une option quand on est un homme ukrainien de 39 ans en 2025.
Le juge
demande à l’homme vêtu de gris s’il est un témoin de Jéhovah. Olesksandr écoute
son interprète qui n’a pas besoin de beaucoup de mots pour traduire les phrases
plus alambiquées du juge unique menant les débats, salle n°5 de la CNDA. Le
demandeur, un homme trapu au cou surdimensionné et aux triceps saillants, use
également peu de mots - l’ukrainien est une langue efficace. Il répond au juge :
« Je ne suis pas témoin de Jéhovah, mais j’ai grandi dans une famille
qui l’est.
-
Est-ce
qu’il y a un lien entre cette éducation et le fait que vous ne vouliez pas être
incorporé ? »
En 2014,
Oleksandr, 39 ans aujourd’hui, a quitté son Oblast de Tcherkassy pour la France.
Il est rentré en 2021 et est revenu en France le 10 mars 2022, à la suite de
l’invasion de son pays par la Russie. À l’OFPRA, il prétend être persécuté par
les autorités de son pays pour « insoumission » : ses principes lui
interdisent de combattre. La situation désespérée de l’Ukraine interdit aux
hommes de son âge d’être des « objecteurs de conscience », et sa
seule façon d’éviter d’être enrôlé est de quitter son pays.
Oleksandr reprend
et précise qu’en effet, il y a un lien entre son éducation religieuse et ses
principes. Le juge demande : « Est-ce que d’autres personnes sont
insoumises dans votre famille ?
-
Certaines
personnes de l’église de mes parents. »
L’interprète
est une femme blonde aux traits slaves, la peau très blanche et l’air peu
enjoué. Elle interrompt le juge qui débutait un raisonnement : « Juste
une petite précision, Monsieur est plus à l’aise en langue russe. »
Elle change de langue.
« Comment
avez-vous eu connaissance de votre convocation dans l’armée, en avril 2024 ?
-
Un ami
est passé relever ma boîte aux lettres. Il a ouvert mon courrier et m’a envoyé
une photo de la convocation.
-
Est-ce
qu’il vous reste de la famille en Ukraine ?
- Babouchka ! »
Sa grand-mère
s’est d’abord réfugiée en Croatie, mais elle n’a pas supporté de vivre loin de
chez elle. Elle est rentrée, seule, à Tcherkassy, ville proche de Kiyv et soumise
à d’intenses bombardements. Les infrastructures énergétiques ont été détruites,
l’aéroport, rasé. S’il rentre, il sera enrôlé de force.
À
lire aussi : (93) Cour nationale du droit
d’asile : « Je vais en discothèque, au cinéma. Et je peux me raser la barbe »
La situation
familiale d’Oleksandr est la suivante : marié, divorcé, remarié. Il habite
Marseille avec sa nouvelle compagne et leurs deux enfants.
« Et votre première épouse, elle est où ? »
En France,
comme tout le reste de sa famille. Il n’a plus de contact avec elle, ni avec
son fils aîné. Depuis qu’il a été condamné à 4 mois de prison avec sursis pour
des violences sans ITT au préjudice de son ex-conjointe, des faits sur lesquels
le juge lui demande de s’expliquer et qu’Oleksandr justifie par la promiscuité
d’une vie en foyer, une tension inhérente à la précarité de leur situation et,
ajoute-t-il malheureusement, au caractère difficile de son épouse, il évite
tout contact avec son cette dernière, pour éviter que cela soit perçu comme une
provocation. « Et les faux documents ? »
C’est sa
deuxième condamnation. Il assume : « C’est un risque que j’ai pris,
pour améliorer les conditions de vie de ma famille. » Depuis un an, il
ne travaille plus, car la préfecture n’a pas renouvelé son titre de séjour. Les
condamnations pénales y sont pour quelque chose. C’est également cet argument
que l’OFPRA a mis en avant pour rejeter sa demande, en 2023.
Son avocat
conclut l’audience par une brève plaidoirie dont l’élément central est
l’appartenance de son client aux témoins de Jéhovah, alors qu’Oleksandr a
certifié ne pas en être. Ce qui est certain, selon l’avocat, c’est qu’il est
« objectivement », perçu comme tel, et que c’est ainsi qu’il
doit être considéré. Oleksandr dit qu’il refuse simplement de faire la guerre.
Son avocat demande que lui soit accordé le statut de réfugié et c’est aussi le
sens des conclusions de la rapporteure, et, finalement, ce sera la décision que
la cour rendra une semaine plus tard.
Julien Mucchielli
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