Tribunal de Pontoise : « Ce que j’ai vu, c’est de la haine dans les coups portés »


vendredi 11 juillet7 min
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CHRONIQUE. 6e chambre correctionnelle. C’est un jeudi de mai. Une mère comparaît pour des violences sur ses cinq enfants. La voix de l’aînée s’est un jour élevée pour dénoncer les mauvais traitements, et c’est seule contre tous qu’elle a tenu bon contre l’opprobre familiale, jusqu’au jour de l’audience.

Lorsque des maltraitances s’étendent sur une longue période, le plus difficile est de déterminer leur fréquence, leur intensité. Alice* les résume ainsi : « Dès fois c’était tous les jours, des fois c’était pas du tout. »

Le 31 janvier 2023, Alice a fait une tentative de suicide médicamenteuse. Le 2 février 2023, elle a poussé la porte du commissariat de Boissy-Saint-Léger pour dénoncer les violences anciennes de son ex-beau-père, depuis longtemps rentré dans sa Guadeloupe natale. Il la frappait, la forçait à boire de l’alcool alors qu’elle n’avait que 11 ans, lui a imposé de dormir dans un cagibi et l’obligeait à écouter des chants religieux. C’était un homme colérique et « très impressionnant ». Il a abandonné en 2015 le foyer où Alice vit avec sa mère et ses quatre petits frères et sœurs.

Pendant les mois qui ont précédé la tentative de suicide, d’octobre 2022 à janvier 2023, Marie, la mère d’Alice, tambourinait à la chambre de sa fille en l’agressant verbalement. Elle a pu lui dire par exemple : « Ouvre ou je te défonce pendant cinq minutes juste pour me défouler parce que j’en ai trop besoin. »

En 2020, Marie a mis une telle gifle à son aînée qu’Alice en a eu le tympan percé. Pendant une période, en 2023, la mère a empêché sa fille de manger la nourriture qu’elle achetait pour le foyer, mais également « d’utiliser son eau et son électricité ». Alice avait compris que sa mère essayait de la faire partir de la maison, chose inconcevable pour la jeune femme, qui n’aurait eu d’autre choix que d’abandonner ses études pour ne pas devenir SDF. Alors, elle a commencé à réunir des preuves matérielles : captures d’écran, audio et vidéos.

Aujourd’hui, Alice est en master 1 de commerce et Marie est prévenue de violences sur ses enfants. Les frères et sœurs d’Alice ont été placés et lui en veulent beaucoup. À Alice. Emma* dit qu’elle a fait ça pour l’argent, et qu’elle était très agressive avec sa mère. Mathias*, présent à l’audience mais qui n’a pas souhaité témoigner, semble empli d’une colère qu’il a du mal à gérer.

« Si tu veux un conseil, saute directement du 10e étage »

C’est un jeune homme de 115 kg qui souffre de sévères troubles du comportement et de la personnalité. Depuis l’établissement d’un diagnostic, Mathias va mieux, mais pendant son enfance, sa mère n’arrivait pas à le gérer. Une fois, elle lui a lancé : « Si tu veux un conseil, saute directement du 10e étage comme ça tu te louperas pas, fais-le comme ça je serai tranquille. » Alice affirme qu’elle le gavait de Tercian© (un neuroleptique) pour avoir la paix, ce que la mère nie.

Un jour, il a jeté une poubelle du 7e étage. Marie l’a alors attrapé, lui a porté quatre coups et fait une sorte de clef de jambe, pliée dans le dos. La scène a été filmée, et versée au dossier. Lors de son témoignage, Alice a regardé ses notes et rectifié : « Ces violences-là, c’était juste parce qu’il n’avait pas éteint la télévision. »

Marie est une mère qui élève seule cinq enfants. Elle se lève à 5h20 du matin pour aller travailler, et quand elle est empêchée de dormir ou n’arrive pas à trouver le calme, il lui arrive de frapper ses enfants. Le plus souvent il s’agissait d’Alice, mais Mathias l’a déjà été aussi. Les deux plus jeunes, également partie civile, ont « simplement » été témoins de violences infligées par leur mère à Mathias ou Alice. L’un d’eux a ainsi affirmé aux policiers qu’il avait vu sa mère frapper Alice avec une ceinture.

Elle lui a aussi jeté un meuble qui, en se brisant au sol, a blessé Alice. Marie s’alcoolisait fréquemment et, parfois, massivement, ce qui lui faisait perdre le contrôle, et alors les mots qu’elle jetait à ses enfants étaient pleins de haine. L’ex-copain d’Alice a été témoin d’une scène de violences en 2024 : « Ce que j’ai vu, c’est de la haine dans les coups portés. »

Le 2 octobre 2024, Alice a porté plainte contre sa mère. Comme elle l’avait fait le 2 février 2023 contre son beau-père, elle a décrit les violences subies depuis des années - la prévention (violences suivies d’une ITT supérieure à 8 jours) débute en 2018. Mais cette fois-ci, elle fournit aux policiers toutes les preuves matérielles qui permettent « d’objectiver » ces maltraitances.

« Je regrette les souffrances que mes enfants ont subies »

A la barre, Marie déclare d’une voix blanche : « Je regrette les souffrances que mes enfants ont subies. » Puis, suit un long interrogatoire pendant lequel la mère va osciller entre contrition et impénitence : certes, elle a commis un certain nombre des faits dénoncés par Alice, mais ses enfants étaient « difficiles » et elle s’est démenée pour les élever. Son ancien compagnon ? « Ce dont je me souviens, c’est qu’il n’était vraiment pas gentil. J’ai pu voir des claques et des fessées », mais pas les maltraitances décrites par Alice. La surdose de Tercian© pour « assommer » Mathias ? « Je n’ai jamais dépassé les doses prescrites. 

-    La cousine d’Alice vous a vu porter des coups à Alice et à Mathias.

-    Ce n’est pas vrai. Je ne me souviens pas. 

-    Et la scène de violence contre Mathias, en 2018 ?

-    C’était pour qu’il arrête ses grosses bêtises, qu’il comprenne.

-    Et le frapper, c’était la solution ?

-    Non, mais Mathias était plus fort que nous. C’était le genre d’enfant incontrôlable, capable de vouloir traverser devant un camion.

-    Il y a des gens qui sont là pour vous aider.

-    J’ai demandé de l’aide.

-    On n’a pas trace de ça. Quel regard portez-vous sur les faits, aujourd’hui ?

-    Je manquais de compétences. »

Puis, Alice s’est avancée à la barre. « J’aimerais revenir sur… » Elle a pris des notes sur tous les points abordés. Elle corrige, rectifie, même quand c’est à l’avantage de sa mère. La juge la tutoie :

« Pour le reste, tu confirmes ?

-    Elle dit (en audition) que je suis schizophrène et bipolaire. Après ma tentative de suicide, j’ai accepté d’être suivie, le psychiatre m’a diagnostiqué une dépression sévère. Il m’a été prescrit un antidépresseur. Je n’ai aucun trouble schizophrénique ou autre. Ma mère avait pour habitude de répéter que j’étais folle et que je ne prenais pas mes médicaments. Mais mes médicaments, c’était juste pour atténuer ma tristesse. ». Elle ajoute : « Je lui disais souvent que j’allais porter plainte. C’était un moyen de pression pour qu’elle ne me porte plus de coups. A partir de ce moment-là, je n’ai plus été frappée. 

-    Peux-tu nous dire ce qui s’est passé après la plainte ?

-    J’ai été placée en foyer d’urgence pendant deux semaines, puis ma meilleure amie a bien voulu m’héberger deux semaines. Ma grand-mère m’héberge en ce moment. Aujourd’hui je suis juste à l’école, c’est tout.

- Ta mère, elle t’impute beaucoup de choses, tes frères et sœurs disent que tu es la plus violente. Ils démentent tes accusations. Qu’est-ce que tu as à dire par rapport à ça ?

-    Je comprends totalement et je ne leur en veux pas. Je sais qu’il y a un conflit de loyauté, que je ne suis que leur sœur et que c’est leur mère. Ça ne me dérange pas. Je sais qu’il y a des preuves.

-    Ta mère semble dire que tu ‘préparais ton coup’ en enregistrant les audios, les captures d’écran.

-    Mon grand-père disait à ma mère d’aller porter plainte parce que je cite ‘la meilleure défense c’est l’attaque’, alors j’ai décidé de réunir des preuves. »

« Je ne souhaite pas garder contact avec elle »

Personne, dans la famille d’Alice, ni ses grands-parents ni son propre père, ne l’ont soutenue dans sa démarche. C’est seule que la jeune femme a pris la responsabilité de dénoncer les violences subies, au risque de faire imploser la famille et d’être vilipendée pour cela.

« Qu’est-ce que tu attends de cette audience ?

-    Je ne souhaite pas que ma mère soit condamnée. Je voulais un suivi éducatif, et j’ai dû révéler certains abus qu’on subissait. Pour la première fois, elle a reconnu ses torts et l’enfance difficile qu’on a vécue, ça me suffit. J’aimerais rajouter que c’est une bonne personne. Elle a aussi subi des abus et des coups, et je comprends qu’en étant blessée on puisse agir de cette manière. Je n’excuse pas tout ce qu’on a pu faire, mais elle était seule avec cinq enfants. Avec son ex-mari c’était compliqué, et je peux concevoir qu’elle ne s’en soit pas sortie facilement. Malgré tout elle n’a pas arrêté de travailler. Ça reste une mère déterminée. 

-    Comment voyez-vous votre relation dans l’avenir ?

-    Je ne souhaite pas garder contact avec elle. Il vaut peut-être mieux qu’on prenne notre route chacune de notre côté. »

Alice est partie se rasseoir, entourée de ses amis qui lui envoient des grands sourires chaleureux. Sa petite sœur Emma arrive à la barre. Elle bafouille et tente d’expliquer que sa sœur ment, qu’elle a fabriqué toutes les preuves. Mathias ne souhaite pas témoigner et reste au fond de la salle. Emma se rassied près de sa mère en fulminant contre sa sœur. Marie la sermonne : reste tranquille, chut, ne dis pas ça. Mathias peste. Les deux aimeraient quitter le foyer et rentrer chez leur mère. Un juge des enfants doit se prononcer en juin

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