Un historien tente de « radiographier » le procès Pétain

Cette étude porte sur “Le procès Pétain - Vichy face à ses juges”, ouvrage écrit par Julian Jackson.
A
l’instar de Montesquieu dans ses fameuses Lettres persanes, faut-il
avoir “l’œil du persan” pour porter un regard lucide sur une société et
son histoire ? Il est vrai qu’en France la période de l’Occupation, et tout
particulièrement celle de la Collaboration et de l’épuration, a toujours
suscité des réactions aussi passionnelles que clivantes. Si près de
quatre-vingts ans se sont écoulés depuis la chute du régime de Vichy, il n’en
continue pas moins de générer dans l’hexagone de multiples controverses. On ne
cesse de dire que c’est “un passé qui décidément ne passe pas !” On
serait ainsi enclin à penser qu’il faut être extérieur à cet univers, à ces “passions
françaises” pour accéder à l’objectivité. On en veut pour preuve le fait
que le meilleur spécialiste du régime de Vichy soit un historien américain :
Robert Paxton, qui en s’appuyant notamment sur les archives allemandes, réfuta
dans un ouvrage magistral La France de Vichy, avec la plus farouche
énergie, la thèse “du glaive et du bouclier” qui soutenait l’existence
d’une connivence et d’une complémentarité entre de Gaulle et Pétain, le premier
étant le glaive et le second jouant le rôle du bouclier.
Or,
précisément un historien britannique, Julian Jackson, extérieur aux passions
hexagonales, vient juste de faire paraître un ouvrage où il tente de
“radiographier” le procès Pétain - procédure judiciaire emblématique des procès
de l’épuration. Son essai historique s’appuie sur une solide documentation,
mais il se révèle pourtant très décevant et suscite de sérieuses réserves comme
on le verra notamment à la lumière des travaux des historiens sur cette période
sensible tant il est vrai qu’il fournit une présentation contestable de
l’action de Pétain qui aurait été prétendument le vecteur du “moindre mal” face
aux nazis.
Un essai historique s’appuyant sur une solide documentation
Dans cet
ouvrage l’auteur s’appuie sur une solide documentation comme l’atteste la
richesse et la diversité de ses sources. Julian Jackson avec une plume alerte
rend très bien compte de l’atmosphère pleine de tension du procès et des
arguments qui y ont été mis en avant aussi bien par les détracteurs que par les
zélateurs de Pétain dont certains ont joué un rôle de premier plan dans le
régime de Vichy, et qui seront jugés peu après dans le cadre des procès
d’épuration. La juridiction ayant vocation à juger Pétain, la Haute Cour de
justice avait été créée à la fin de l’année 1944. Ce procès qui bénéficia d’une
exceptionnelle couverture médiatique et auquel assistèrent les écrivains et
journalistes les plus célèbres à l’instar de François Mauriac, Albert Camus, et
Georges Bernanos, se déroula à Paris du 23 juillet 1945 au 15 août de cette
même année. On connaît le verdict : à l’issue de plus de trois semaines de
procès : l’ancien haut dignitaire du régime de Vichy est déclaré coupable
d’intelligence avec l’ennemi et condamné à mort même si cette juridiction
criminelle demanda qu’au regard de l’âge du condamné, cette peine ne soit pas
exécutée. Finalement le général de Gaulle, alors chef du gouvernement
provisoire, décida de commuer la peine de mort en prison à vie - peine que
Pétain purgera à l’île d’Yeu.
Cet
ouvrage rend compte avec minutie du déroulement des débats devant la Haute Cour
de justice et notamment des auditions des témoins tant de l’accusation que de
la défense, ainsi que du réquisitoire du ministère public et des plaidoiries de
la défense. Avec rouerie Pétain qui se contentera au début du procès de lire un
texte en forme de plaidoyer tout en indiquant sa résolution de ne répondre à
aucune question, feindra au cours des débats la surdité.
Julian
Jackson évoque même de manière insolite le délibéré de cette juridiction
criminelle qui ... en principe avait vocation à rester secret.
Au cœur
de ce procès on trouve bien évidemment la question de l’armistice. L’auteur
cite à ce sujet le général de Gaulle qui, dans ses Mémoires, avait
stigmatisé avec un verbe aussi acerbe que talentueux cet armistice et les
fautes du régime de Vichy qui en étaient , pour lui, le corollaire: “Pour
moi, la faute capitale de Pétain et de son gouvernement, c’était d’avoir conclu
avec l’ennemi, au nom de la France, le soit disant “armistice” [...] [Le
gouvernement] aurait gagné Alger, emportant le trésor de la souveraineté
française, qui, depuis quatorze siècles, n’avait jamais été livrée, continuant
la lutte jusqu’à son terme, tenant parole aux alliés, et, en échange, exigeant
leur concours... Mais, avoir retiré de la guerre l’empire indemne, la flotte
inentamée, l’aviation en grande partie intacte, les troupes d’Afrique et du
Levant qui n’avait pas perdu un soldat, toutes celles qui depuis la France
même, pouvaient être transportées ailleurs ; avoir manqué à nos alliances ;
par-dessus tout, avoir soumis l’Etat à la discrétion du Reich, c’est cela qu’il
fallait condamner. — Toutes les fautes que Vichy avait été amené à commettre
ensuite : collaboration avec les envahisseurs [...], remise à Hitler de
prisonniers politiques français, de juifs, d’étrangers réfugiés chez nous ;
concours fourni sous forme de main-d’œuvre, de matières, de fabrications, de
propagande, à l’appareil guerrier de l’ennemi, découlaient infailliblement de
cette source empoisonnée (2). ”
L’armistice n’était pas inévitable. Il était
incontestablement possible de refuser cet armistice et d’enjoindre aux armées
françaises de rejoindre l’Afrique du Nord pour continuer le combat aux côtés
des Alliés ce qui aurait rendu la tâche d’Hitler singulièrement plus difficile.
Mais pour importante que soit la question de l’armistice dans l’appréciation
que l’on doit porter sur l’action de cet homme clef du régime de Vichy, il en
est d’autres encore plus cruciales comme le point de savoir s’il s’est rendu
coupable de trahison, et le problème de sa responsabilité notamment dans les
persécutions dont les Juifs ont fait l’objet.
Or, force est de constater de multiples preuves patentes
de trahison de Pétain ont été évoquées lors de ce procès, notamment par
l’accusation ! Pétain n’hésita pas à encourager la Légion des volontaires
français, des soldats qui combattaient avec les nazis sous l’uniforme allemand.
Le 20 octobre 1941, dans un courrier adressé à Hitler, il écrivait sans
ambiguïté : “M. le Chancelier, l’anniversaire de l’entrevue de Montoire est
une date dont je tiens en dehors du protocole, à marquer le sens et la portée.
Il y eut dans votre geste de l’an dernier trop de grandeur pour que je ne sente
pas le devoir de souligner en termes personnels, le caractère historique de
notre conversation (3) ”. En 1942, Pétain offrira la participation de la
France pour combattre les Alliés aux côtés des Allemands pour mettre en échec
leur débarquement à Dieppe. Il décida d’aider l’Allemagne nazie en Syrie, et de
combattre les Américains en Afrique du Nord. Et la théorie du “double jeu”
paraît plus que sérieusement mise à mal en novembre 1942 ; alors que les
américains débarquent en Afrique du Nord, de nombreux conseillers de Pétain le
pressent de rejoindre Alger, ce qu’il refuse catégoriquement. De Gaulle écrira
du reste à ce sujet : “Je ne comprendrai jamais pourquoi le Maréchal n’est
pas parti à Alger au mois de novembre 1942. Les Français d’Algérie l’eussent
acclamé, les Américains l’eussent embrassé, les Anglais auraient suivi [...] le
Maréchal serait rentré à Paris sur un cheval blanc. (4) ”
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