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24 h chrono pour rebondir - 2e journée nationale dédiée au rebond des entrepreneurs

24 h chrono pour rebondir  - 2e journée nationale dédiée au rebond des entrepreneurs
Publié le 08/01/2018 à 17:01

Chaque année en France, près de 60 000 entreprises font faillite. Un échec vécu très souvent comme un traumatisme par les chefs d’entreprise. Pour leur permettre de sortir de leur isolement et de rebondir au plus vite, l’association Second Souffle et la chambre de commerce de Paris ont organisé, le 8 décembre 2017, une journée nationale dédiée au rebond des entrepreneurs, « 24 h chrono pour rebondir ». Objectif : permettre à ces professionnels en difficulté d’échanger, de partager et de préparer leur nouveau projet.
Pour cette 2e édition, 400 entrepreneurs et 40 partenaires se sont réunis autour d’un programme riche en témoignages, tables rondes, forum emplois, etc.



En France, près d’une entreprise sur deux ne survit pas au-delà des cinq premières années, et 60 000 doivent cesser toute activité. Des situations souvent très mal vécues par les entrepreneurs, qui ont beaucoup de mal à s’en remettre. Car, si, aux États-Unis, l’échec entrepreneurial est considéré comme un passage obligé, naturel, voire opportun, dans l’Hexagone on a tendance à avoir honte de ses échecs et donc à stigmatiser ceux qui échouent. Il n’existe pourtant pas d’action ou d’initiative sans prise de risque. C’est pourquoi, depuis deux ans maintenant, l’association Second Souffle et la CCI de Paris organisent ensemble une journée nationale dédiée au rebond des entrepreneurs en difficulté. L’occasion de valoriser l’expérience entrepreneuriale comme un potentiel de compétences à explorer, mais aussi de permettre aux entrepreneurs de repartir sur de nouvelles bases. L’opportunité également, pour ceux qui veulent se lancer dans un nouveau projet, d’échanger, de partager et de préparer au mieux leur succès. Grâce au soutien de partenaires de taille comme le ministère de l’Économie et des Finances (DGE), l’agence France entrepreneur, l’Apec, Pôle emploi, etc., les organisateurs ont pu organiser, tout au long de cette journée, conférences, tables rondes, espace forum, témoignages, espace coaching, etc. Comment ne pas dramatiser et se relever après un échec ? Comment s’entourer de bons conseillers pour avancer ? Comment se lancer dans un nouveau challenge ? Autant de problématiques auxquelles ont tenté de répondre les intervenants de ce jour, lors de conférences animées par Frédéric Lampire, lauréat Réseau Entreprendre 1998.


 


REBONDIR EN SANTÉ


La première d’entre elles a été menée par Olivier Torrès, président fondateur de l’observatoire AMAROK, dont l’objectif est de sensibiliser l’opinion publique à l’importance de la santé des travailleurs indépendants qu’ils soient artisans, commerçants, dirigeants de PME ou professions libérales. « La santé des chefs d’entreprise est un sujet un peu tabou », a expliqué Monsieur Torrès en préambule. Lui-même s’y est intéressé en 2012, après avoir constaté avec stupéfaction qu’il n’existait aucun service de santé au travail pour les trois millions de travailleurs non salariés en France. Certes, la loi de 1946 fut jadis un véritable bond en avant pour la santé des ouvriers et salariés, mais pour les entrepreneurs qui peuvent eux aussi être en proie à une fatigue intense, rien n’a été prévu.


L’intervenant a avoué avoir été également frappé par le sujet du suicide patronal, et par les non-dits qui entourent ce phénomène dramatique. Ce constat l’a incité à mettre en place un observatoire de recherches. Quels furent les résultats de ces dernières ? AMAROK a mis en évidence le fait que les entrepreneurs sont rarement conscients de leur fatigue, ou de l’importance de leur sommeil. Bien souvent, ils disent n’avoir pas le temps d’être malades. Ils sont dans le déni. Or, pour Olivier Torrès, la santé du chef d’entreprise est un sujet politique. Au sens premier du terme, a-t-il ajouté : il faut remettre l’entrepreneur au centre de la cité (polis). Il ne faut en effet pas oublier que les PME en France représentent plus de la moitié de l’économie. Or, nous avons tendance à ne parler que des « grands », ce qui conduit à se forger une vision du monde à partir de ces derniers. En réalité, « ce n’est pas parce que l’entrepreneur a tendance à s’oublier que la société doit oublier l’entrepreneur ».


Au cours de ses recherches, l’expert a expliqué avoir constaté que deux facteurs essentiels fragilisent la santé des chefs d’entreprise : le stress (facteur premier d’épuisement) et l’incertitude du carnet de commandes. Il s’est alors appuyé sur les ouvrages d’un chercheur israélien, Aaron Antonovsky, professeur de sociologie considéré comme le père de la salutogenèse, pour trouver des solutions au mal-être des entrepreneurs. C’est en effet en discutant avec des rescapés de la Shoah que le professeur Antonovsky a élaboré, dans les années 50, sa théorie de la salutogenèse (par opposition à la pathogenèse qui étudie les causes des maladies), pour expliquer les facteurs de survie et d’adaptation des survivants. Comment transposer cela au cas des chefs d’entreprise en difficulté ? Il faut déterminer quels sont les facteurs favorables pour la santé. Le premier d’entre eux consiste à croire que l’on est soi-même maître de son destin. Selon l’intervenant, on vit beaucoup mieux quand on comprend cela. Mais être maître de sa vie, cela signifie que « si je réussis c’est grâce à moi, et si j’échoue c’est de ma faute. Et j’assume, et je rebondis ». Le deuxième facteur est l’endurance : avoir l’instinct du rebond. Ne pas sombrer à chaque épreuve. Enfin, il faut être optimiste. La passion peut également faire partie du concept de salutogénèse, a expliqué Monsieur Torrès.


L’intervenant a conclu son propos en développant deux allégories. D’abord l’histoire de Robinson, dans Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, qui échouant sur une île déserte la nomme « île de la désolation », avant de se raviser, au moment où tout semble perdu, pour la rebaptiser « Speranza » (espérance). Ce simple changement d’attitude va lui permettre de s’en sortir et de rencontrer un ami. De même, on trouve chez Charles Péguy l’histoire de trois hommes qui portent de très grosses pierres. Le premier est épuisé, car il trouve son fardeau trop lourd. Le deuxième est fatigué, lui aussi, mais décide de construire un mur. Quant au dernier, plus ambitieux, il déclare vouloir, avec ces roches, construire une cathédrale. Il introduit donc de la transcendance dans son action ; or, pour Olivier Torrès, « un homme ou une femme qui instaure de la finalité en tout ce qu’il fait peut être heureux en toute situation ». Entreprendre est donc primordial pour la santé, car on intronise alors une certaine forme d’intentionnalité dans sa vie. « Car créer son entreprise, c’est comme créer son monde », a terminé l’intervenant.


 


REBONDIR AVEC SON ENTREPRISE


Pour la deuxième table ronde, étaient invités à s’exprimer Bruno Delcampe, directeur fondateur de SOS Entrepreneur ; Marc Binnié, président fondateur du dispositif APESA et Valérie Quivogne du CJD Paris (Centre des jeunes dirigeants d’entreprise).


Monsieur Delcampe a expliqué avoir créé son association SOS Entrepreneurs alors que lui-même venait de perdre sa boîte. D’ailleurs, la plupart des bénévoles de cette association sont des entrepreneurs qui ont déjà connu de grandes difficultés, et des défis à relever pour pouvoir s’en sortir. L’association, dont le slogan emprunté à Oscar Wilde « La vraie valeur d’un homme réside, non dans ce qu’il a, mais dans ce qu’il est », se charge de former et d’accompagner les entrepreneurs en difficulté (souvent incapables de prendre des décisions constructives à ce moment-là) pour traiter les points indispensables au redressement : suivi du carnet de commandes, gestion de la trésorerie quotidienne, lecture de la réalité de l’entreprise… Outre la capacité à faire sortir ces chefs d’entreprise de leur solitude en leur offrant une écoute attentive, chez SOS entrepreneurs, tous sont des « experts de crise », a expliqué Bruno Delcampe. Chacun d’entre eux est très bien formé à la mise en œuvre de plans de continuation, car il est essentiel « de créer autre chose avant d’être liquidé ». De plus, a ajouté l’intervenant, « cela coûte moins cher à un pays d’aider les entreprises en difficulté que d’attendre qu’elles mettent la clé sous la porte ».


S’est ensuite exprimée Valérie Quivogne, qui représentait ce jour-là le CJD de Paris. Cette dernière, bénévole dans l’association depuis douze ans et chef d’entreprise, a expliqué que le CJD existait depuis 1938. Depuis sa création, ce centre, composé de 5 000 chefs d’entreprise réunis au sein de 117 sections en France et dans 14 pays, s’est donné pour mission de militer pour une économie responsable et respectueuse de chacun. La section de Paris, avec près de cent jeunes dirigeants, est la plus importante de l’Hexagone. Elle est constituée de plusieurs commissions. Entre autres : « Rebondir en conscience », qui existe depuis deux ans, est formée d’entrepreneurs ayant rebondi, et permet aux participants d’échanger afin de trouver des solutions concrètes ; et le GAD, « groupe d’aide à la décision » est constitué de bénévoles qui accompagnent les chefs d’entreprise pour la résolution de problèmes financiers ou humains. L’essentiel pour les bénévoles étant de sortir les dirigeants de leur solitude. Le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise « leur donne la possibilité de faire ce pas de côté pour avoir une vision différente de leur société ». On amène les chefs d’entreprise à comprendre qu’« il n’y a pas d’échec. Il n’y a que des expériences qui permettent de trouver des solutions », a conclu Madame Quivogne.


Enfin, Marc Binnié, président fondateur d’APESA (Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë), a livré son expérience. Greffier du tribunal de commerce de Saintes, l’intervenant a expliqué avoir créé le dispositif APESA avec un psychologue clinicien, Jean-Luc Douillard, en septembre 2013. Ce dernier faisait une conférence sur « la prévention du suicide en milieu carcéral », le greffier s’est alors rapproché de lui afin de lui proposer la création d’un dispositif à destination des entrepreneurs. Depuis la crise de 2008, Marc Binnié avait en effet noté une augmentation fulgurante du nombre d’entreprises en difficulté et de chefs d’entreprise en détresse dans les tribunaux de commerce. Ainsi, en France, on ne compte pas moins de 600 suicides d’entrepreneurs par an. Un phénomène qui existe depuis longtemps, certes, mais c’est seulement au début du XXe siècle qu’on a commencé à en parler publiquement. Le sociologue Émile Durkheim écrivait ainsi : « Qui peut agir dans ce domaine ? Pas l’État, pas la religion, pas la famille, mais les organisations professionnelles ». Ce message, il semble que Marc Binnié l’ait entendu en mettant en œuvre ce dispositif au sein du tribunal de commerce de Saintes. « Nous sommes aux avant-postes d’une grande souffrance et voyons toute la journée des gens au bout du rouleau », a-t-il expliqué. Si APESA n’est pas un numéro vert, l’association forme les professionnels qui interviennent auprès des entrepreneurs à oser aborder les questions de psychologie. Ces professionnels deviennent ainsi des « sentinelles » qui orientent les entrepreneurs en détresse vers des psychologues qui travaillent en collaboration avec eux. APESA, c’est donc environ 800 « sentinelles », 600 psychologues mobilisés dans toute la France, et 42 juridictions commerciales qui ont adopté le dispositif. Aujourd’hui, l’association dispose également du soutien de certains procureurs de la République. Ceux-ci ont en effet observé plus de souffrance dans les tribunaux de commerce que dans les tribunaux correctionnels (hospitalisation d’urgence de certains entrepreneurs qui vendent leur entreprise…). Selon Marc Binnié, en plus d’apporter de l’aide psychologique, les interventions des membres d’APESA pourraient, à terme, peut-être faire évoluer les textes officiels. Il a ainsi pris l’exemple des pays anglo-saxons où il existe depuis longtemps des dispositifs de prévention de la souffrance morale financés par les plus grandes institutions. En France, puisqu’on stigmatise l’échec, quand on échoue, on est quasiment marqué au fer rouge. Ainsi, « ad vitam aeternam », tout le monde a accès aux données concernant une entreprise, et certaines personnes, comme les banquiers, utilisent ces informations afin de refuser un prêt, par exemple. Pour le greffier du TC, il faudrait instaurer une sorte « de droit à l’oubli ».


 


REBONDIR AVEC UNE PROCÉDURE


Yves Lelièvre, président de l’association Re-créer et ancien président de la Conférence générale des juges consulaires de France, et Philippe Mandon, entrepreneur et administrateur de l’association Re-créer, ont ensuite livré leurs pistes de réflexion pour accélérer le rebond des entrepreneurs en difficulté.


Yves Lelièvre a expliqué que l’objectif premier de son association est d’améliorer les relations de l’autoentrepreneur en difficulté avec les tribunaux. « Il faut faire évoluer les relations entre la loi, les tribunaux et les entrepreneurs », a-t-il préconisé. À l’origine, Re-créer est née du vécu de deux hommes : un dirigeant d’un groupe de 500 salariés qui a déposé le bilan et de son expert-comptable. Tous les deux se sont rendu compte qu’il n’existait aucune véritable aide en faveur des chefs d’entreprise pour se Re-créer. L’association poursuit ainsi deux buts : offrir un réconfort moral et pratique aux entrepreneurs, et lever les obstacles aux rebonds. Elle est composée d’hommes ou de femmes dotés d’une double expertise : chefs d’entreprise qui ont déjà vécu des difficultés voire des déboires judiciaires et en même temps juges de tribunaux de commerce. « Tous les juges consulaires bénévoles viennent du monde de l’entreprise, et tous ont connu des difficultés de paiement », a précisé Yves Lelièvre. Les tribunaux de commerce fonctionnent au nombre d’appels, et ce sont les instances judiciaires les plus rapides à traiter les opérations. Il faut en effet en moyenne cinq mois à un TC pour clore une affaire, contre sept mois et demi pour les TGI, et dix-neuf à vingt mois pour les prud’hommes. L’efficacité des tribunaux de commerce n’est donc plus à prouver. Or, les chefs d’entreprise ne se tournent vers les TC souvent qu’en dernier recours, « s’ils ont autant de difficultés, c’est qu’ils saisissent les TC beaucoup trop tard », a ainsi expliqué Yves Lelièvre. De plus, pour ce dernier, une mauvaise gestion de la trésorerie est souvent au fondement des déboires rencontrés par les entrepreneurs : « quand il y a difficulté, c’est souvent, qu’il n’y a aucune anticipation du chef d’entreprise de sa trésorerie du jour, des mois, des années à venir ». Mais quelles sont les solutions proposées par le TC ? Dans un tribunal de commerce, a-t-il expliqué, avant d’en arriver à la procédure de liquidation, qui est le point le plus délicat, il existe des procédures de redressement, des plans de sauvegarde, des procédures de conciliation pour aider les entrepreneurs avant qu’il ne soit tard. Pour les accompagner au mieux, l’association Re-créer met à leur disposition deux outils principaux. D’abord une écoute téléphonique : un ancien juge du tribunal de commerce, expert en prévention des difficultés des entreprises et procédures judiciaires amiables et collectives, se met à l’écoute d’un chef d’entreprise en difficulté pour le guider vers des solutions possibles ou lui apporter simplement une oreille attentive. Des ateliers pour rebondir ensuite. L’objectif étant de rompre l’isolement en partageant avec ses pairs ses difficultés et de trouver ensemble comment résoudre les problèmes. « En France, on commence à s’intéresser au rebond de celui qui est tombé », a reconnu Monsieur Lelièvre, avant d’ajouter que l’idéal serait qu’il existe chez nous un droit à l’oubli pour permettre à ceux qui ont échoué de ne pas rester enfermés dans cet échec.


Puis s’est exprimé Philippe Mandon. Il a livré à l’assistance un témoignage poignant sur son expérience malheureuse, il y a quelques années. « La période 2008-2009 a été très difficile pour moi », a-t-il débuté. Il dirigeait en effet une société de communication qui a dû fermer, car en plus de la crise, il s’était fâché avec son associé. « J’ai vécu le pire que je pouvais vivre sans jamais l’avoir imaginé », a-t-il raconté. À l’époque, il a en effet perdu 35 % de son chiffre d’affaires du jour au lendemain, s’est fâché avec sa femme et ses amis, et a dû finalement mettre l’ensemble du groupe au tribunal de commerce pour cause de cessation de paiement. Il a ainsi vécu la liquidation de son groupe : « c’est d’une violence extrême », a-t-il confessé. Mais, il a heureusement rebondi grâce à un ami qui a été pour lui « un élément déclencheur ». Celui-ci lui a d’abord fait prendre conscience qu’il était en dépression, en burn-out avant de l’inciter à s’interroger sur sa part de responsabilité dans ce qu’il était en train de vivre. Après quelques séances chez le psychologue, « j’ai trouvé des réponses à mes questions, et fait la lumière sur mes erreurs ». Une d’entre elles concernait la gestion de sa trésorerie, dont il avait chargé sa sœur, à qui pourtant il n’osait demander ce qu’il voulait. « Il faut absolument éviter la famille », a-t-il préconisé à l’assistance, « car les liens de travail sont dans ce cas chargés d’affect ». « Ne prenez jamais un expert-comptable qui est un de vos amis, mais celui qui va vous ennuyer et vous montrer là où vous vous trompez ! », a-t-il ajouté. Cet intense travail de discernement lui a permis de rebondir et de prendre conscience des solutions qui existaient. Car, des possibilités de rebond il y en a à tout moment, « c’est la solitude et l’enfermement personnels qui sont à la source de la non-vision des solutions qui existent », a-t-il expliqué. En outre, a-t-il conclu, « J’ai rebondi, car j’ai accepté ma part de responsabilité ». Vivement applaudi, tous ont compris ce jour avec lui que reconnaître son échec est la première étape vers la reconstruction.


 


Maria-Angélica Bailly


 


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