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COMMENTAIRE. Procédures collectives : le rappel utile de la Cour de cassation concernant l’interruption de la prescription à l’égard de la caution

COMMENTAIRE. Procédures collectives : le rappel utile de la Cour de cassation concernant l’interruption de la prescription à l’égard de la caution
Publié le 10/02/2023 à 10:40

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a rappelé que la déclaration de créance au passif du débiteur principal interrompait la prescription à l’égard de la caution jusqu’à la clôture de la procédure. Pour Aurélien Gazel, avocat chez Swift Litigation, cette décision mérite d'être mentionnée « tant les questions de prescription, de leur interruption et de la fixation de leur point de départ sont source d'un contentieux de plus en plus fourni, dans un contexte où la nature juridique de la déclaration de créance fait débat ».

Dans un arrêt du 23 novembre 20221, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé au visa des articles 22412 et 22463 du Code civil que « la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l’égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective » et a ainsi cassé l’arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d’appel de Grenoble qui avait jugé prescrite l’action engagée par une banque contre la caution de son débiteur principal tombé en liquidation judiciaire.

Une histoire de contrat d’ouverture de crédit en compte courant

Plus précisément, dans cette espèce, une banque avait consenti le 5 mai 2007 un contrat d’ouverture de crédit en compte courant pour un montant de 60 000 € à une société, dont le gérant s’est porté caution à hauteur de la somme de 72 000 €. Par jugement du 13 mars 2009, la société avait été placée en redressement judiciaire et la banque a déclaré sa créance le 6 avril 2009, laquelle a été admise pour 88 389,23 € par ordonnance du 5 février 2010.

Tandis que la banque mettait en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 avril 2009, le gérant de régler la dette, un plan de redressement a été homologué le 12 mars 2010, avant d’être résolu, la société ayant finalement fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire par jugement du 11 octobre 2013.

Faute de règlement, la banque, par exploit du 6 janvier 2017, a assigné la caution aux fins de paiement de la somme en principal de 72 000 €, qui, en défense, a notamment opposé la prescription de l’action de la banque, argument retenu par le tribunal de commerce de Gap dans son jugement du 15 mars 2019, qui a déclaré irrecevable la demande de la banque engagée plus de cinq ans après le plan de redressement.

Pour le tribunal de commerce, l’action de la banque était à nouveau possible envers la caution

Pour ce faire, les premiers juges ont retenu que la déclaration de créance avait interrompu le délai jusqu’à la clôture de la procédure collective, de sorte que le délai de prescription avait recommencé à courir à compter du 12 mars 2010, date de l’homologation du plan de redressement. Le tribunal a retenu qu’aux termes de l’article L630-21 [lire L631-20 4] du Code de commerce, l’action de la banque était à nouveau possible envers la caution personne physique, dès lors que les coobligés et les personnes ayant consenti une sureté personnelle ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Ces derniers ont en outre estimé que la résolution du plan et la mise en liquidation judiciaire du débiteur n’avaient pas interrompu ce délai.

La cour d’appel de Grenoble a validé ce raisonnement et a notamment jugé que « le délai d’action contre la caution n’a pas été affecté par la décision révoquant le plan plaçant la société sous liquidation judiciaire. La règle de l’article L. 622-25-1 du Code de commerce (interruption de la prescription par la déclaration de créance jusqu’à la clôture de la procédure) alléguée par la banque ne concerne en effet que le débiteur ».

C’est cette décision que la Cour de cassation a cassée au motif pré-cité (« la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l’égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective »). « Si, en vertu de l’article L. 631-20, la caution ne peut se prévaloir des dispositions du plan de redressement dont bénéficie, le cas échéant, le débiteur principal, cette disposition ne fait pas échec à l'interruption de la prescription à son égard jusqu'au constat de l'achèvement du plan, ou en cas de résolution de celui-ci et d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur principal, jusqu'à la clôture de cette procédure », a-t-elle ajouté.

L’affaire a ainsi été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon, qui devra se prononcer sur les demandes de la banque.

Le pendant du principe de la suspension des poursuites

Cette solution mérite approbation dès lors que le jugement d’ouverture suspend, jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation, toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le principe d’interruption de la prescription liée à la déclaration de créance est ainsi en quelque sorte le pendant du principe de la suspension des poursuites. Il s‘agit d’une application de l'adage latin « Contra non valentem agere non currit praescriptio » signifiant que la prescription ne court pas à l'encontre d'une personne qui ne peut agir en justice.

Cette décision mérite d'être rappelée tant les questions de prescription, de leur interruption et de la fixation de leur point de départ sont source d'un contentieux de plus en plus fourni, dans un contexte où, depuis l’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, la nature juridique de la déclaration de créance fait débat. Une partie de la doctrine5 estime en effet que la déclaration de créance ne s’analyse plus en une action en justice (interruptive de prescription par principe) mais en un simple « acte conservatoire », puisqu’elle peut être faite par tout préposé ou mandataire du choix du créancier et que ce dernier peut la ratifier jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance (article L. 622-24, alinéa 2 du Code de commerce).

Heureusement, l’article L. 622-25-1 du Code de commerce en a tiré les conséquences en prévoyant expressément que « la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute mise en demeure et vaut acte de poursuite ».

1) n°21-13386

2) L’article 2241 alinéa 1er du Code civil dispose que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. »

3) L’article 2246 du Code civil dispose que «  L'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution ».

4) L’article L631-20 du Code de commerce (version issue de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008) disposait que «  Par dérogation aux dispositions de l'article L. 626-11, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan ».

5) Dalloz Action, 2021/2022, Droit et pratique des procédures collectives, n°661-121.

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