Dans un récent arrêt, la Cour
de cassation a rappelé que la déclaration de créance au passif du débiteur
principal interrompait la prescription à l’égard de la caution jusqu’à la
clôture de la procédure. Pour Aurélien Gazel, avocat chez Swift Litigation, cette
décision mérite d'être mentionnée « tant les questions de prescription,
de leur interruption et de la fixation de leur point de départ sont source d'un
contentieux de plus en plus fourni, dans un contexte où la nature juridique de
la déclaration de créance fait débat ».
Dans
un arrêt du 23 novembre 20221, la chambre commerciale de la Cour de
cassation a jugé au visa des articles 22412 et 22463 du
Code civil que « la déclaration de créance au passif du débiteur
principal en procédure collective interrompt la prescription à l’égard de la
caution et que cet effet se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure
collective » et a ainsi cassé l’arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la
cour d’appel de Grenoble qui avait jugé prescrite l’action engagée par une
banque contre la caution de son débiteur principal tombé en liquidation
judiciaire.
Une
histoire de contrat d’ouverture de crédit en compte courant
Plus
précisément, dans cette espèce, une banque avait consenti le 5 mai 2007 un contrat
d’ouverture de crédit en compte courant pour un montant de 60 000 € à
une société, dont le gérant s’est porté caution à hauteur de la somme de 72 000 €.
Par jugement du 13 mars 2009, la société avait été placée en redressement
judiciaire et la banque a déclaré sa créance le 6 avril 2009, laquelle a été
admise pour 88 389,23 € par ordonnance du 5 février 2010.
Tandis
que la banque mettait en demeure, par lettre recommandée avec accusé de
réception du 3 avril 2009, le gérant de régler la dette, un plan de
redressement a été homologué le 12 mars 2010, avant d’être résolu, la société
ayant finalement fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire par
jugement du 11 octobre 2013.
Faute
de règlement, la banque, par exploit du 6 janvier 2017, a assigné la caution
aux fins de paiement de la somme en principal de 72 000 €, qui, en
défense, a notamment opposé la prescription de l’action de la banque, argument
retenu par le tribunal de commerce de Gap dans son jugement du 15 mars 2019,
qui a déclaré irrecevable la demande de la banque engagée plus de cinq ans
après le plan de redressement.
Pour
le tribunal de commerce, l’action de la banque était à nouveau possible envers
la caution
Pour
ce faire, les premiers juges ont retenu que la déclaration de créance avait
interrompu le délai jusqu’à la clôture de la procédure collective, de sorte que
le délai de prescription avait recommencé à courir à compter du 12 mars 2010,
date de l’homologation du plan de redressement. Le tribunal a retenu qu’aux
termes de l’article L630-21 [lire L631-20 4] du Code de
commerce, l’action de la banque était à nouveau possible envers la caution
personne physique, dès lors que les coobligés et les personnes ayant consenti
une sureté personnelle ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Ces
derniers ont en outre estimé que la résolution du plan et la mise en
liquidation judiciaire du débiteur n’avaient pas interrompu ce délai.
La cour
d’appel de Grenoble a validé ce raisonnement et a notamment jugé que « le
délai d’action contre la caution n’a pas été affecté par la décision révoquant
le plan plaçant la société sous liquidation judiciaire. La règle de l’article L. 622-25-1
du Code de commerce (interruption de la prescription par la déclaration de
créance jusqu’à la clôture de la procédure) alléguée par la banque ne concerne
en effet que le débiteur ».
C’est
cette décision que la Cour de cassation a cassée au motif pré-cité (« la
déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective
interrompt la prescription à l’égard de la caution et que cet effet se prolonge
jusqu’à la clôture de la procédure collective »). « Si, en
vertu de l’article L. 631-20, la caution ne peut se prévaloir des
dispositions du plan de redressement dont bénéficie, le cas échéant, le
débiteur principal, cette disposition ne fait pas échec à l'interruption de la
prescription à son égard jusqu'au constat de l'achèvement du plan, ou en cas de
résolution de celui-ci et d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur
principal, jusqu'à la clôture de cette procédure », a-t-elle ajouté.
L’affaire
a ainsi été renvoyée devant la cour d’appel de Lyon, qui devra se prononcer sur
les demandes de la banque.
Le
pendant du principe de la suspension des poursuites
Cette solution mérite approbation dès lors que le jugement
d’ouverture suspend, jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la
liquidation, toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant
consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
Le principe d’interruption de la prescription liée à la déclaration de créance
est ainsi en quelque sorte le pendant du principe de la suspension des
poursuites. Il s‘agit d’une application de l'adage latin « Contra non
valentem agere non currit praescriptio » signifiant que la
prescription ne court pas à l'encontre d'une personne qui ne peut agir en
justice.
Cette
décision mérite d'être rappelée tant les questions de prescription, de leur
interruption et de la fixation de leur point de départ sont source d'un
contentieux de plus en plus fourni, dans un contexte où, depuis l’ordonnance
n°2014-326 du 12 mars 2014, la nature juridique de la déclaration de créance
fait débat. Une partie de la doctrine5 estime en effet que la
déclaration de créance ne s’analyse plus en une action en justice (interruptive
de prescription par principe) mais en un simple « acte conservatoire »,
puisqu’elle peut être faite par tout préposé ou mandataire du choix du
créancier et que ce dernier peut la ratifier jusqu’à ce que le juge statue sur
l’admission de la créance (article L. 622-24, alinéa 2 du Code de commerce).
Heureusement,
l’article L. 622-25-1 du Code de commerce en a tiré les conséquences en
prévoyant expressément que « la déclaration de créance interrompt la
prescription jusqu’à la clôture de la procédure ; elle dispense de toute
mise en demeure et vaut acte de poursuite ».
1)
n°21-13386