JUSTICE

Cour de cassation : une rentrée entre inquiétudes et bonnes résolutions

Cour de cassation : une rentrée entre inquiétudes et bonnes résolutions
Publié le 13/01/2023 à 14:14

Lors de la traditionnelle audience de rentrée – la dernière pour le procureur général François Molins –, ce dernier a fait part de ses préoccupations concernant entre autres le ministère public et les lois adoptées sans budget dédié. De son côté, le Premier président Christophe Soulard a notamment indiqué que les efforts de la haute juridiction en matière de communication et de transparence seraient poursuivis.

Le 9 janvier, c’est devant une salle comble parsemée de robes rouges que la Cour de cassation a ouvert son audience de rentrée solennelle, notamment sous l'œil attentif de la présidente de l’Assemblée nationale, du garde des Sceaux, ou encore de la présidente de la Cour européenne des droits de l’homme.

Derrière son hermine, le Premier président Christophe Soulard a rappelé que l’année 2023 serait marquée, pour l’autorité judiciaire, par le renouvellement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L’occasion d’indiquer que l’organe constitutionnel a statué en quatre ans sur plus de 10 000 nominations de magistrats, et que son activité disciplinaire a été marquée par une « hausse importante » du nombre de saisines. Christophe Soulard a aussi salué les efforts accomplis dans la gestion des ressources humaines, « plus dynamique et au plus proche des attentes des magistrats ».

Pour compléter ce bilan, le Premier président a évoqué la contribution du CSM aux États généraux de la justice et la remise d’un avis sur la responsabilité des magistrats. À la clef, 30 propositions visant principalement à renforcer la place de la déontologie, à améliorer la détection des manquements disciplinaires, et à rendre plus efficace le traitement de ces derniers. Parmi les autres mesures recommandées, plusieurs concernent les plaintes des justiciables et visent à leur faciliter la tâche en permettant aux commissions d’admission des requêtes « de mener des investigations propres à pallier [leur] carence dans l’administration de la preuve ». En effet, alors que la plupart de ces plaintes sont déclarées irrecevables ou mal fondées, « certains pensent pouvoir tirer de ce faible taux de réussite des plaintes la conclusion que la magistrature se protège », a regretté Christophe Soulard, qui a assuré qu’ « une grande partie de la défiance et de l’inquiétude » pourrait être levée si le législateur adoptait une telle disposition.

Tout schuss sur la communication

Au titre des chantiers pour l’année débutée, le Premier président a clairement fait comprendre que celui, entrepris depuis 2019, de la motivation dite « enrichie » de ses arrêts dans les affaires les plus importantes, serait poursuivi. Au-delà de rendre accessible et intelligible la décision pour le justiciable, cette dernière permet aux universitaires de participer « à un débat doctrinal plus riche et fructueux pour les juges », et donne aussi « une information utile au législateur et au Gouvernement », a souligné le Premier président.

Les revirements de jurisprudence motivés par la position des autres juridictions feront tout particulièrement l’objet d’une plus grande transparence. « Lorsque [la Cour de cassation] constate que sa jurisprudence rencontre de fortes résistances, qu’elle est contraire à celle du Conseil d’État ou qu’elle est largement critiquée par la doctrine, elle doit à tout le moins s’interroger sur sa pertinence et la reconsidérer : ceci n’est pas nouveau mais il y a de la nouveauté à le faire apparaître explicitement dans un arrêt », a indiqué Christophe Soulard.

En complément, l’un des enjeux pour la Cour est de réussir à comprendre pourquoi certaines juridictions « rendent de manière récurrente des décisions qui ne pourront qu’être censurées par la Cour de cassation ». Car si certaines décisions témoignent de la volonté de ne pas suivre la jurisprudence de la haute juridiction, moteur pour elle de remise en question, d’autres décisions peuvent résulter d’une méconnaissance de cette jurisprudence, « qui doit conduire la Cour à mettre en place des outils d’information pédagogique ». Bien que de tels outils existent, ils sont pour l’heure « épars », a informé Christophe Soulard, et vont être restructurés. « C’est dans le même esprit que devra être construit l’observatoire des litiges judiciaires, qui aura pour fonction d’identifier les contentieux émergents afin de les traiter plus rationnellement, et de poursuivre la mise en œuvre de l’open data, c'est-à-dire la mise à disposition du public de l’ensemble des décisions rendues publiquement en France. »

Bref, on l’aura compris : la Cour de cassation veut améliorer sa communication. D’ailleurs, dans la même logique, le rapport annuel, les notices explicatives, les communiqués de presse, les rencontres avec les journalistes, les lettres des chambres et les podcasts « vont être développés et améliorés », a promis le Premier président. La Cour de cassation souhaite en outre continuer à montrer comment elle « travaille concrètement », toujours via des vidéos sur les métiers de la Cour, mais aussi, nouveauté en 2023, via la captation audiovisuelle de certaines audiences, à commencer par celles des assemblées plénières. « Toutefois, la diffusion des audiences filmées devra faire l’objet d’un accompagnement pédagogique », a précisé Christophe Soulard, l’audience n’étant « que la partie émergée d’une réflexion qui s’ancre dans des travaux préparatoires et se cristallise dans un délibéré approfondi ».

Dernière audience de rentrée pour François Molins

Autre changement en vue pour la haute juridiction : le départ à la retraite, fin juin, du procureur général François Molins, auquel le Premier président n’a pas manqué de rendre hommage : « Pour beaucoup de nos concitoyens, vous restez le procureur de Paris qui a su, lors des attentats terroristes, donner à voir avec calme et détermination la réponse de l’institution judiciaire. (...) Vous faites montre chaque jour de votre attachement à l’indépendance de la justice, de votre sens de l’intérêt général, de votre simplicité. »

L’intéressé n’a, pour sa part, pas caché son « émotion » et sa « fierté » : « Aujourd’hui, c’est la dernière fois que je prends la parole à une audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, après avoir passé plus de quatre ans à la tête de ce parquet général aussi attachant qu’atypique. Mais c’est aussi ma dernière audience de rentrée judiciaire, puisque, dans quelques mois, s’achèvera ma carrière de magistrat, entamée il y a 46 ans au service d’un seul engagement, celui de servir la justice de mon pays. »

À quelques mois de tirer sa révérence, François Molins s’est réjoui des avancées ayant dynamisé le parquet général, lequel participe à de « nombreux » groupes de travail, assiste désormais aux séances d’instruction dans les affaires complexes, diffuse tous les trois mois un panorama de la jurisprudence de la Cour, et vient d’effectuer un « civil tour » qui l’a conduit, en 14 mois, à organiser huit réunions interrégionales pour expliquer aux magistrats les dernières évolutions de cette jurisprudence en matière d’état des personnes, de filiation et de procédures collectives.

La justice en crise « depuis trop longtemps »

Parmi les sujets de préoccupation cette fois, François Molins a évoqué la « crise profonde » que traverse la justice « depuis trop longtemps ». « Ces dernières années ne peuvent qu’inspirer de vives inquiétudes qu’une augmentation des moyens budgétaires ne suffira pas à elle seule à lever », a-t-il affirmé, en écho aux trois hausses successives déjà allouées en trois ans. Selon le procureur général, les stocks des juridictions ont augmenté de 37 % entre 2005 et 2019. Au 31 décembre 2019, 1 400 000 affaires pénales attendaient d’être jugées et 2 millions de plaintes sont en attente de traitement dans les commissariats de police.

« Cette situation s’est dégradée avec la crise sanitaire et a engendré un profond découragement et surtout de la souffrance. Aujourd’hui, le système ne tient que grâce à l’engagement et à l’abnégation des magistrats et des fonctionnaires de greffe. »

François Molins a par ailleurs déploré que la loi ait « profondément évolué et dans le mauvais sens » : « elle est devenue confuse, bavarde et pauvre, et elle est de plus en plus fondée sur l’émotion suscitée par le fait divers », a-t-il regretté. S’appuyant sur les constatations du comité des États généraux, le procureur général a mis en exergue que la mise en œuvre de la loi « laissait à désirer, faute de véritables études d’impact et dans un contexte de sous-dotation des moyens dédiés ». Ainsi, a-t-il illustré, l’Assemblée nationale a adopté dernièrement une proposition de loi créant des juridictions spécialisées en matière de violences faites aux femmes… sans aucun moyen supplémentaire.

Sur sa lancée, François Molins a également fustigé les attaques « quotidiennes, petites ou grandes » contre la séparation des pouvoirs. « Le phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas sur son prétendu laxisme, ou mettre en cause la légitimité de son action, tout cela avilit l’institution et en définitive blesse la République. (...) L’autorité judiciaire se trouve aujourd’hui prise dans un véritable étau : accusée d’être un danger pour la démocratie parce qu’elle empièterait sur les prérogatives du législateur d’un côté, elle est tout en même temps accusée de ne pas remplir son office lorsqu’elle applique strictement la loi. Dans un cas comme dans l’autre, son action est malheureusement remise en cause, au gré des décisions rendues et notamment par les représentants des autres pouvoirs. »

Préoccupations autour du ministère public

Le procureur général s’est encore montré « inquiet » sur la situation du ministère public. François Molins a tenu à rappeler qu’en France, les magistrats du parquet sont soumis aux mêmes exigences éthiques et déontologiques que les magistrats du siège. « Ils sont gardiens des libertés, et c’est notamment pour cela que la loi leur confie la direction de la police judiciaire. C’est pour cette raison que si tout projet de réforme de la police judiciaire est légitime pour améliorer son organisation et l’efficacité de la lutte contre la délinquance, il ne peut en aucun cas remettre en cause ou affaiblir l’effectivité de la direction de la police judiciaire », a-t-il martelé, faisant référence au projet de réforme de la Police nationale porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui prévoit de placer tous les services de police d’un département, dont la PJ, sous l’autorité d’un seul directeur départemental de la Police nationale, dépendant du préfet.

François Molins l’a par ailleurs martelé : le parquet n’est pas une partie comme une autre, et le magistrat du parquet ne « porte pas une appréciation sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale » : « Il doit veiller à ce que l’enquête soit conduite à charge et à décharge et doit veiller à la proportionnalité des moyens utilisés pour l’enquête au regard de la gravité des faits. Contrairement à l’avocat, le magistrat du ministère public ne représente pas un intérêt particulier. Il bénéficie d’une délégation de souveraineté pour veiller à la bonne application de la loi et à la protection de l’intérêt général. »

Pour le procureur général, la survie du ministère public passe par une réforme consolidant son statut ; mais pas question pour autant de proclamer sa totale indépendance, a-t-il souligné. Ce statut lui donnerait, a-t-il avancé, des garanties suffisantes pour « protéger et garantir sa neutralité et son impartialité ». Quant au processus de nomination, il ne peut selon lui comporter aucune faiblesse institutionnelle. Sur ce point, le magistrat propose de confier au CSM, « comme il le préconise depuis longtemps », le pouvoir de proposition des procureurs généraux de la Cour de cassation et des cours d’appel comme des procureurs de la République. À son sens, cela constituerait une solution « évitant tout risque de conflit d’intérêt ».

Les jeunes magistrats, « espoirs de l’institution judiciaire »

François Molins a aussi eu quelques mots au sujet de l’École nationale de la magistrature.

Alors que l’avocate Nathalie Roret a été nommée à la direction de l'ENM en 2020, l’école s’ouvre également depuis quelques années à des enseignants de divers horizons (démarche développée en parallèle par les écoles d’avocats). Ce qui n’est pas vraiment du goût du procureur général. Ce dernier a certes reconnu qu’il était enrichissant « d’élargir et de diversifier le cercle des enseignants » en faisant appel à des magistrats ou à des personnes extérieures afin d’assurer la diversification et l’ouverture sur la société, et que l’ENM devait continuer à se réformer et à s’ouvrir. Toutefois, à son sens, point trop n’en faut : « Ces réformes, pour être légitimes, doivent se faire dans le respect des fondamentaux [de l’école], en n’oubliant jamais que juger ou poursuivre est un métier, et que les fondamentaux de celui-ci ne peuvent être véritablement enseignés dans les directions d’étude que par des magistrats ayant acquis préalablement ces techniques professionnelles sur le terrain. »

Enfin, le procureur général a rendu hommage aux jeunes magistrats, qui sont « l’espoir de l’institution judiciaire ». « Quand ils expliquent pourquoi ils ont choisi ce métier magnifique, ils invoquent le terme de passion, un mot qui n’efface pas pour autant les difficultés liées à la fonction. Ces jeunes magistrats sont des praticiens de l’idéal. Ils ont choisi un métier dont ils peuvent et doivent être fiers. Un métier qui incite au dépassement permanent de soi-même. Un métier exigeant et difficile qui s’exerce au service de la loi et au service des autres. Un métier qui nécessite un respect scrupuleux de ses obligations déontologiques. En attendant des jours meilleurs (...), ils doivent rester fidèles à leur idéal et ne pas oublier que la première des vertus, celle qui sous-tend toutes les autres, c’est le courage. Je leur souhaite de garder toujours leur enthousiasme pour continuer à servir avec passion cette justice qui constitue l’engagement de notre vie », a conclu François Molins. Puisse-t-il être entendu !

 

Bérengère Margaritelli

 


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